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1 Utilisateur(s) anonymes
Re : Classicisme, noblesse et détresse en poésie |
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Chevalier d'Oniris
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Je suis béarnais d'origine avec aussi du sang espagnol et de la poésie hispanophone. Mon pseudonyme est sourdès, du nom d'une maison du Vic-Bilh en Béarn où toutes les maisons ont un nom. Cette maison était donc la maison des sourds. Je vis à Paris et je suis un rescapé des luttes idéologiques fratricides de la deuxième moitié du XXème s.
Pour la forme du poème "les poussés au cul", j'avais en tête, les ballades de Villon ou les poèmes et textes de Victor Hugo sur les pauvres, les proscrits, les miséreux. J'étais beaucoup plus attiré par le rythme de Paul Celan, un rythme avec des cassures, mais toujours relié au monde, une continuité spirituelle: "Nous les surcreusés, esseulés dans le sous-sol gelé. Chaque vallée suspendue charrie un cil vers l'empreinte des yeux, et son noyau de pierre." (extrait de Partie de Neige) J'avais aussi l'exemple de l'économie de verbe de Victor Serge qui avec peu de mots fait place à une deuxième réalité derrière celle entendue, une sorte de polysémie, les musiciens connaissent bien cela, avec un decrescendo qui aboutit au silence: "L'angoisse est immense. Fusil coupé, balle difforme, cœur perforé, cassure du front, la crosse est lourde, la mort légère. Silence. (extrait de Résistance) Bonnes fêtes à vous.
Contribution du : 21/12/2016 00:26
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Re : Classicisme, noblesse et détresse en poésie |
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Visiteur
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Votre commentaire est de haute tenue, sourdès, merci beaucoup pour cette lecture.
Le classicisme, ou exactement la sobriété, apporte un contrepoint dans des sujets bourbeux, populaires, et permet de justifier le regard de l'auteur a priori condescendant s'agissant d'écrit. Comme la plupart des lecteurs sont plus jeunes que vous, un texte de style rapide et elliptique nous semble trop léger pour traiter de thèmes lourds car nous n'avons pas le contexte. Il faudrait mettre le contexte dans le texte. Comme je l'avais dit à un membre d'Oniris qui ne poste plus aujourd'hui, je serais intéressé par un témoignage sur la guerre ou sur ce que vous appelez luttes fratricides. Le témoignage historique manque sur ce site, que toutefois je ne connais que partiellement. Avez-vous déjà en stock ce genre de textes ? J'aimerais beaucoup le lire.
Contribution du : 21/12/2016 09:37
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Re : Classicisme, noblesse et détresse en poésie |
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Chevalier d'Oniris
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Bonjour Arsinor,
Merci de rappeler ce que pourrait être le classicisme selon vous, une forme de sobriété, et je partage ce point de vue. On pourrait aussi dire une façon de garder raison, selon Boileau, une morale ajouterait La Fontaine, une intensité tragique ou tragi-comique si l’on se réfère aux auteurs de théâtres du XVII ème s français, qui étaient des poètes. Je suis en accord avec vous quand vous dites que sur ces sujets bourbeux, le regard de l’auteur peut être condescendant. D’où votre idée de préciser un contexte, qui à mon sens, doit être présent tout autant dans le poème que dans l’évocation intérieure du lecteur…si la qualité du texte le permet. Le commentaire que vous apportez vient corroborer, peut-être, le point de vue de Jano, en ce sens qu’une facture classique introduirait une distance avec le sujet traité favorable à un style élégant, marque de respect pour les personnes bafouées. Pourquoi ne suis pas allé vers une forme classique pour le poème « les poussés au cul » ? Je vais essayer de répondre à cette question et à vos autres questions sans aucune prétention et simplement en relevant quelques balises d’une trajectoire personnelle. Classicisme signifie aussi, pour la partie du monde dans laquelle nous vivons, revenir aux auteurs de l’antiquité grecque. En ce qui me concerne, j’ai toujours à l’esprit les Perses d’Eschyle et la lamentation de Xerxès, l’ennemi pour les grecs, sur ses troupes défaites et dont les corps flottaient dans le détroit de Salamine. Derrière lui l’ombre de son père Darius. Il y a aussi Homère et le dialogue entre Ajax et Ulysse devant Agamemnon pour savoir qu’elle est celui des deux qui mérite le plus les armes du défunt Achille, c’est-à-dire le meilleur combattant qui déracine ses soldats avant de déraciner ses victimes. De grands moments d’intensité dramatique et poétique qui donnent une haute idée des questions que se posait cette société qui rappelons-le voyait ces pièces de théâtre dans des amphithéâtres dont certains avaient une capacité de plus de 15 000 places (Epidaure). Imaginez une pièce de théâtre, écrite en 2020 par un auteur français, qui mettrait en scène la défaite de Bachar el-Assad en Syrie. Le tyran se plaindrait du sort de ses soldats, voire de son peuple, avec en arrière-plan l’ombre de son père, Hafez el-Assad, grand massacreur également devant l’éternel (Hama, 2 février 1982). Au-delà de la comparaison, qui apparaîtra douteuse à certains, qui ira voir cette pièce, si elle n’épouse pas une forme contemporaine. Depuis, d’autres rendez-vous d’un sursaut humain en réaction à des faits historiques ont eu lieu et chacun a trouvé ses qualités d’expression : -l’interrogation morale devant la nécessité ou non de détruire Carthage, et de jeter donc sa population dans l’effroi, -les principes d’une sagesse stoïcienne, peut-être venue d’Orient via la Grèce, propres à Marc-Aurèle empereur guerroyant pour contenir l’intégrité de l’empire, -de nombreux textes religieux, mythologiques, car tout le peuplement de la terre s’est fait par déplacements volontaires ou migrations forcées, -les témoignages, récits sur les chemins de pèlerinage, ou de certaines croisades, - les pourchassés des guerres de religion puis des guerres mondiales, -les migrations des débuts de l’ère industrielle, -les migrations et les jetés sur la route, les disqualifiés de notre monde contemporain. Je fais ce rappel pour bien mesurer l’ampleur des phénomènes dont nous discutons, les causes de la détresse, et souligner que les formes d’expression artistiques, pas uniquement poétiques, ont évolué avec le temps dans lequel elles s’inscrivent. Les formes anciennes ne disparaissent pas, elles continuent d’être une source d’inspiration mais en aucun cas elles ne sont destinées à être perpétuées. Par exemple, quand le peintre Anselm Kiefer traite de la destruction des sociétés au temps de la guerre froide, il part d’une peinture de pyramide égyptienne de type impressionniste avec des éléments expressionnistes sur le démembrement d’Osiris en forme de câbles électriques reliés à des tessons de céramiques…au bout du compte il sait qu’il y aura une régénérescence avec Isis…chacun pourra en imaginer la forme. Ces violences accumulées faites aux humains ainsi que les expériences positives auxquelles elles ont donné lieu ont bousculé l’expression poétique. François Villon dans « la ballade du roi des Gueux » a innové en son temps, connaît le sujet de l’intérieur et n’est pas dénué d’humour. Il peut être une source d’inspiration, pas pour moi, puisque trop de temps s’est écoulé jusqu’à nous. En le relisant j’entends Brassens, qui n’est pas un produit de la contre-culture de son époque, puisqu’il a fait le choix, réussi pour certains pas pour d’autres, d’un retour volontaire à 500 ans en arrière. « Vous que la bise des matins, Que la pluie aux âpres sagettes, Que les gendarmes, les mâtins, Les coups, les fièvres, les disettes Prennent toujours pour amusettes, »…(extrait de « la ballade du roi des Gueux ») Plus proche de nous, à l’époque de l’industrialisation triomphante, Emile Verhaeren a décrit les mendiants : « Dans le matin, lourds de leur nuit, Ils s’enfoncent au creux des routes, Avec leur pain trempé de pluie Et leur chapeau comme la suie Et leurs grands dos comme des voûtes Et leurs pas lents rythmant l’ennui ; »…(extrait de «les Mendiants ») Intuitivement je sens une forme plus proche de notre époque. Il manque à mon avis, même si l’on va jusqu’au bout du poème, le percutant qui va avec leur situation qui les maintient dans une réalité d’expérience humaine dégradante. Il manque aussi ce qui les relie au monde d’une façon positive, le combat, le spirituel…et pourtant le poète était engagé. Il y a aussi ce grand cri issu de la première guerre mondiale lancé par Karl Kraus, « les derniers jours de l’humanité ». Dans cette pièce de théâtre, à dimension poétique, il fait apparaître que les journalistes et les intellectuels ne se sont pas rebellés pour empêcher la guerre (pas suffisamment en tout cas) et que soldats sont des déracinés enrôlés pour tuer ou mourir : « Qu’ai-je donc à faire De femme, d’enfants ? Que vaut enfin ma vie ? Et pour me plaire Comme passe-temps On fait des cagnas fort jolies. » (extrait de la scène 6 de l’acte II de « les derniers jours de l’humanité) Un auteur caribéen, Edouard Glissant, plongeant aux sources de la traite négrière propose une nouvelle poétique de l’errance et de déplacement des métaphores. Pour lui l’arrachement à l’Afrique prend la forme d’un gouffre marin initial. La barque négrière est la première métaphore de cette migration qui conduit à la créolisation du monde. Je ne reviendrai pas sur les balises que sont pour moi Paul Celan et Victor Serge pour traiter de ce sujet. J’ajouterai René Char, résistant sous le nom de capitaine Alexandre et poète. « Nous errons auprès de margelles dont a soustrait les puits » « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » « Il existe une sorte d’homme toujours en avance sur ses excréments » « Agir en primitif et prévoir en stratège » (extrait de « Feuillets d’Hypnos » écrits dans le maquis) Aussi la contre-culture américaine, beaucoup plus riche que la française en poésie et en musique. Parmi d’autres poètes à l’esprit vagabond et sur la route des grands paysages, je citerai Jim Harrison, décédé le 26 mars dernier. Il s’agit d’une errance choisie et non subie pour cette génération de poètes : « Partout sur mon chemin j’étudie les balafres du visage de la terre, Fleuves et lacs y compris. Sans jouer à être Dieu, J’évalue les desseins. Se dire dans les montagnes de Patagonie : « minuscules mines, morts misérables ». A Cabeza Prieta Des hommes ont bouilli dans leur propre sang, température au sol 77°. Tissu terrestre troué de longues traînées d’avion, Ruisseaux puant le soufre. Or et cuivre pour payer le cheval décédé, la femme disparue » (extrait de « l’Eclipse de lune à Davenport) Il y a aussi l’errance choisie par Patti Smith de la beat generation, considérée par certains comme une marraine du punk, poétesse venant de chanter Dylan (A Hard Rain’s A – Gonna fall) devant la cour Royale de Suède et les anobélisés : « Nous marchions dans nos manteaux noirs, Balayant le temps, balayant le temps, Dormant dans des âtres abandonnés, Les quittant pour affronter la pluie. Trempés, crottés, un peu fous, Pataugeant aux ornières, mâchonnant des bulbes, Tellement nous avions faim, tulipes Flamboyantes dans leurs corolles déchiquetées. » (extrait de « Présages d’innocence ») Une forme lyrique apparaît parfois chez ces auteurs que je ne trouve pas à la même époque chez Lorine Niedecker qui s’est tenue à distance de cette contre-culture. J’apprécie son extrême concision, résultat d’un travail énorme dont le résultat sera qualifié par certains d’elliptique : « Nom grec Antique comme l’Exode Exhumée dans le Nord-Ouest De l’Amérique Tu es dans mes pensées Entre mes orteils agate » (extrait de « Louange du lieu ») Me vient à l’esprit, « l’oiseau noir » chanté par la Caita dans le film de Tony Gatlif, « Latcho Drom »( 1993), chant dans lequel elle invective la ville depuis une hauteur en demandant sur un ton de lutteuse pourquoi les gitans sont poursuivis depuis Isabelle la Catholique, puis plus tard Hitler et Franco. Enfin écoutons la trompette d’Ibrahim Maalouf dans « Beyrouth », pièce de musique qu’il a composé, en 2006, en se souvenant qu’enfant, en 1993, il s’était promené dans la ville avec la peur au ventre. Déjà il écoutait Led Zeppelin et lui rendra hommage…pour exorciser ce souvenir. Voici quelques-unes de mes balises, il y en a d’autres, sur le chemin d’une poétique des migrants, jetés à la route, disqualifiés économiques, politiques et climatiques, blessés de guerre, de la famine, femmes victimes de violences dont seuls les corps morts manifestent dans l’indifférence, à Ciudad Juarez au Mexique, minorités fuyant le canon, Ta’ang errant entre Chine et Birmanie. ..Ma question est aussi quelle est la place du classicisme sur ce chemin? Mais cela suffit-il ? A vrai dire il n’y a pas que les humains qui se déplacent ou sont déplacés, il y a aussi les animaux, les plantes, tout le vivant…et même les barrières construites nous dit le poète James Noël dans son titre « les migrations des murs ». A l’ère de la libre circulation des capitaux et des marchandises, les êtres humains qui migrent doivent franchir des murs ou mourir devant eux. Considérons que les océans eux-mêmes sont devenus des murs d’eau infranchissables pour beaucoup d’entre eux. Il va donc falloir une puissante esthétique si l’on veut accompagner le bruissement du monde, Paul Celan et Victor Serge aideront mais n’y suffiront pas. Désolé pour ce texte foisonnant et apparemment déstructuré, mais je réponds en partie, et rapidement, à l’invite d’Arsinor. Je répondrai plus tard sur les sujets de la guerre et des luttes fratricides. Bien sûr il y a d’autres auteurs non cités ici et d’importance, je m’en excuse auprès de vous, d’autant plus que vous l’aurez compris mes références sont datées. Alors oui c’est scandaleux. A vous de continuer ! Merci.
Contribution du : 21/12/2016 23:05
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Re : Classicisme, noblesse et détresse en poésie |
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Merci pour votre réponse passionnante, sourdès. Mon idée, dans une perspective de commentaire de texte en connaissance de cause, serait que si vous écriviez sur le thème utilisé pour vos Poussés, vous injectiez vos connaissances et votre positionnement dans cette seconde version. Il n'est pas possible de deviner votre érudition en lisant votre petit poème à moins qu'il ne soit édité dans un recueil de grande ambition, ce qui n'est pas le cas sur Oniris où tous les textes sont isolés. En l'état, ce n'est pas du tout le manque de classicisme qui me choque, c'est le manque de développement. Aussi, sans parler de deuxième version, une idée serait de trouver une forme mixte qui sertisse votre légèreté de traitement dans une présentation qui certifie au lecteur que vous savez ce que vous écrivez, et que la maigreur soit un choix plutôt qu'une carence. Je veux dire, qu'il y a beaucoup plus que ça à écrire sur les migrants.
J'insiste sur le fait que le contexte n'est pas dans le texte mais dans votre tête. Je pense qu'il faut voir le lecteur comme un candide qui ne sait pas grand-chose ou un enfant à qui il faut tout expliquer, comme vous le faites sur le forum. Sur l'esthétique puissante susceptible d'être à la hauteur du bruissement du monde, je pense que les membres d'Oniris les plus motivés la cherchent. Sur une esthétique des drames des migrants, je ne pourrais en parler que si je fréquentais des migrants ou si je vivais des situations similaires. J'en connais, puisque je leur enseigne le français... mais je ne sais guère ce qu'ils traversent. Ne revient-il pas à un migrant de le dire ? *** Je ne connais pas Paul Celan, je n'ai fait que voir son nom passer. Est-ce un poète important ?
Contribution du : 22/12/2016 17:55
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Re : Classicisme, noblesse et détresse en poésie |
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Chevalier d'Oniris
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Bonjour Arsinor,
Merci d’avoir pris le temps d’expliquer ce qui dans mon poème vous paraît faire défaut. Il lui manque sans doute le supplément d’âme ou tout simplement le vécu d’un migrant, je vous l’accorde. De plus comme vous le dites si bien, le contexte « est dans ma tête mais pas dans le texte ». Sans remettre en discussion votre point de vue, je précise que je n’avais pas la prétention d’être à la hauteur des émotions de migrants, même si certains épisodes de ma vie n’ont pas été très éloignés de ces circonstances, ni d’imaginer un seul instant que ce texte de nature poétique ferait le tour de la question. Je voudrais revenir sur cette notion de contexte en relation avec l’expression poétique. Il y a le contexte que vous abordez dans votre message précédent qui est celui de la situation personnelle, familiale, clanique des migrants confrontés à leur urgence, je n’y reviens pas. Il y a un autre contexte, inscrit au fond de chacun, qui fait de chacun de nous le résultat et l’acteur de migrations, déplacements, de trajectoires. Les briques à l’origine du vivant et donc de nous-mêmes viennent de l’Univers, les premiers résultats des analyses des prélèvements sur la comète Tchoury nous le confirment. La vie végétale est le résultat de migrations des océans vers les terres. Les hominidés et leurs descendants dont nous sommes ont migré à la surface de la Terre. Notre imagination fertile, raisonnante et artistique nous fait migrer vers d’autres planètes, univers, plurivers,…conquête spatiale, théories en astrophysiques, science-fiction, romans, BD et films. Qui ne rêve pas de partir à l’autre bout du monde…pour se ressourcer dit-on. Combien de gens marchent sur des routes religieuses, en pèlerinage vers des centres dont le rôle historique a été parfois contestable. Combien sont prêts à payer pour fuir ou mourir. C’est ce contexte qui m’émeut de deux points de vue : -en positif : nous sommes le résultat de migrations et nous allons continuer, c’est ce qui permet de s’adapter et à 7,5 milliards bientôt 9,0 milliards d’êtres humains, il y a du mouvement en perspective. -en négatif : une partie de l’humanité est mondialisée et a les moyens de vivre à cette échelle, la jet society dit-on. Une autre a la possibilité de faire du tourisme international, en prêt à visiter ou en routard. Le routard est l’image inverse du migrant forcé. La plus grande partie de la population est forcée de rester sur place, soit dans des conditions protégées, soit dans des conditions de danger total. Un petit nombre d’entre eux fuient pour vivre une aventure ailleurs ou échapper à leur condition mortifère. Le contexte qui m’intéresse est que toutes ces personnes se croisent à la surface de la Terre en s’ignorant. Exemple : les paquebots transportant plusieurs milliers de personnes à travers la méditerranée, avec tout le confort paralysant (certains voyageurs ne sortent pas), croisent les frêles embarcations surchargées de migrants. Les premiers goûtent à un luxe qu’ils ne connaissent pas sans payer très cher, les seconds peuvent coulent à pic après avoir payé le prix fort. Pensons aussi à tous les habitants des sites classés UNESCO qui ont été chassés, à coup de bulldozers parfois, pour laisser la place nette à un tourisme mondialisé. Je pourrai continuer mais je m’arrête là pour rester dans le fil de la discussion. Quelle esthétique je défends dans ce contexte ? Je l’ai indiqué plus haut et j’apporte les éléments complémentaires suivants : -J’ai cité Edouard Glissant qui partant de la migration forcée des esclaves dans les Caraïbes fait de ce drame initial la métaphore d’une appréhension du monde en rhizomes. Il procède de même avec le système des plantations à l’origine d’une oralité, matrice de toute une littérature caribéenne qui est sortie de son cadre initial. « Remonte en sang de mer mêlé aux rouilles des boulets. Nous fêlons le pays d’avant dans l’entrave du pays-ci. Nous l’amarrons à cette mangle qui feint mémoire. Remontons l’amour tari, découvrons l’Homme, la femme Unis d’un cep de fer aux anneaux forgés net. Nous rions De ne savoir nouer l’à-tout-maux et l’épais maïs Quand la terre d’hier débrosse en nous rocs et prurits » (extrait de « pays rêvé, pays réel » enracinement des esclaves dans ces terres d’eau que sont les îles) -Je citerai également Mahmoudan Hawad, poète et peintre touareg de nationalité nigérienne. Sa poésie traduit le mouvement, l’errance, l’itinérance autour de points clés naturels, l’eau, le bois, la roche, l’abri…mais aussi humains. Il veut garder ouverte la libre vision des horizons, loin des emprisonnements, des sédentarisations forcées. « Tête, pas de tête hormis celle saisie par la haute migraine, tête consumée par son rêve au point de prendre son rêve pour un rival. » Alors pour briser les tympans et brouiller son poids mort de tête, Il hurle : « Et le cercle ? C’est la fourmilière, oui, c’est elle, acide et rouille qui ronge les cellules de la vue avant même qu’elles se transforment en foyers et en armées de termites confortablement installés, fourmilière-os et cartilage des articulations prêchant le refus de la marche loin des clôtures. (Extrait de « Le coude grinçant de l’anarchie ») Au terme de ces deux balises supplémentaires sur mon parcours, il me reste à vous dire, Arsinor, et à tout autre auteur ou lecteur d’ONIRIS, que je suis preneur de toute référence de poète qui s’inscrit dans le contexte décrit. Grâce à vous tous et en particulier, à vous, Arsinor, j’ai pu aller au-delà d’une réaction première. Je prends quelques congés d’ONIRIS, avant de revenir sur ce thème ou un autre, en tout cas en pensant à vous : « Si l’on avait su Quand l’eau coulait Que tout coulait En chacun de nous. Nous ne sommes rien de plus Que ce qui coule. L’eau de nos vies Est un océan sans bord Qui s’évapore au loin Se remplit sous nos yeux Puis soulevé par le fond S’élève en montagnes majestueuses. C’est ce que nous sommes Sans personne pour le voir » (extrait de géologie de la vie par Sourdès) J’oubliais Paul Celan, est-il un poète important, demandez-vous ? Je réponds oui, pour les raisons indiquées, suite à la Shoah, mais il a écrit également sur les mouvements et les rébellions des années 1968 et suivantes. Certains philosophes se sont emparés de ses textes, de sa langue, Heidegger, Derrida, Rancière,… Denis Thouard vient de publier un livre sur ce sujet.
Contribution du : 23/12/2016 16:36
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Re : Classicisme, noblesse et détresse en poésie |
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Maître Onirien
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Contribution du : 28/12/2016 12:50
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