J'ai la même impression devant une poésie sans aucune ponctuation (je reviendrai ensuite sur ce qu'est la ponctuation d'une poésie) que lorsque, dans certains restaurants où on commet l'erreur de commander un steak tartare, on se voit arriver un beau tas de viande hachée et plein d'ingrédients joliment disposés autour... Et puis, démerdez-vous, on vous laisse vous faire votre assaisonnement, "à votre goût" qu'ils disent. Mais nom d'un piment, si je vais au restaurant, ce n'est pas pour me faire MON steak tartare, mais pour goûter le mélange du chef, SA vision du steak tartare, SON équilibre entre acide, amer, huile et épices. Sinon, je reste chez moi et je me le fais tout seul, mon tartare. Et ça me coûtera moins cher.


En poésie, c'est pareil. La ponctuation que l'auteur va mettre me dit comment lire son poème, comment respirer, quel souffle et quel rythme il veut que j'y ressente. Si je dois tout inventer moi-même, je vais lire autre chose : je ne lis pas pour trouver MON histoire, mais pour entrer dans celle de l'auteur. Ce n'est pas MON monde que je veux retrouve, mais le SIEN. Et sa ponctuation, sa respiration, y contribuent, au même titre que ses mots.


Voilà pour l'absence de ponctuation, mode que j'espère plus éphémère que le dernier tube de la Star'ac, tant elle est stupide.


Ceci dut, qu'est-ce qu'une ponctuation en général et en poésie en particulier ?

Il faut se souvenir que la ponctuation, même si on en trouve des traces très loin dans l'écriture, est quand même quelque chose de récent : moins de trois cent ans, en gros.

Il faut se souvenir aussi que la poésie est d'abord et surtout faite pour être dite, pas lue. Vous lisiez Zola ou Balzac à l'école, mais vous récitiez La Fontaine, Ronsard ou Nerval (enfin, du moins si vous avez eu des profs de français amoureux de la langue – ce qui est possible sinon probable – et échappé à la quasi-totalité des réformes de l'éducation dans les quarante dernières années – ce qui, loin d'être improbable, est totalement impossible...

Jusqu'au 18e siècle, on considérait que la ponctuation en poésie était une marque de respiration, rien de plus : "l'art d'indiquer dans l'écriture, par les signes reçus, la proportion des pauses qu'on doit faire en parlant". Il était évident, pour les auteurs de l'époque, que la ponctuation était commandée uniquement par les besoins de la respiration, ceux-ci pouvant même prendre le pas sur les besoins de la syntaxe.

Au 19e, ce sont les imprimeurs et les éditeurs qui prennent le pouvoir de la ponctuation. Ils imposent aux auteurs leur ponctuation, ce qui aboutira entre autre au rejet de celle-ci par les Futuristes, comme trop contraignante, et qui permettra l'éclosion d'une nouvelle ponctuation majoritairement non symbolique, qui s'appuie sur l'espace et la forme : Mallarmé ne gardera par exemple de la ponctuation symbolique que les points finaux des phrases.

Aujourd'hui, on considère tantôt la ponctuation comme inutile, tantôt comme ringarde... Elle n'est rien de tout cela, elle reste indispensable à la compréhension. Elle apporte à un texte les nuances que les mots ne peuvent pas mettre, par la respiration, les pauses, les silences qu'elle induit. Elle sublime l'idée, assoit l'image, donne à penser ou à rêver. Le poète ne donnera pas la même chose à percevoir selon qu'il écrive :

Espace, terre d'exil des étoiles mourantes.


Espace
Terre d'exil des étoiles
Mourantes


Espace...
Terre d'exil
des étoiles mourantes


Chacune de ces trois versions est porteuse d'une sensation et d'une image différentes. Laquelle est bien ponctuée (les trois le sont, malgré les apparences) ? Aucune des trois. Cela dépend de l'image que moi, auteur, je souhaite transmettre au lecteur. Et chacune des trois est porteuse d'une image différente. Selon ce que je veux dire, selon le contexte du texte que j'écris, je choisirai l'une ou l'autre.



Il faut bien comprendre que, s'il n'y a en principe qu'une seule orthographe possible pour une phrase, sa ponctuation peut être très différente, et cela changera le sens même de la phrase. Un e phrase, une poésie, n'a pas une ponctuation possible mais plusieurs. Et ce qu'on reproche, en général, à l'auteur, ce n'est pas l'absence de ponctuation, mais une ponctuation non adaptée à son propos

ttt... là, on passe au niveau 2, clairement. Je le rappelle, le but, c'est de faire un post outil (en espérant ne plus retrouver en centrale une poignée de virgule et deux point disseminés au hasard sur un poème classique).

La ponctuation en vers libre, je pense que c'est un sujet à part.
La non ponctuation aussi.

Bonsoir

Je voulais en passant faire une remarque toute simple en matière de ponctuation sur les poèmes.
Il me semble que si on fait le choix de ponctuer, on ponctue l'ensemble du poème et la réciproque est vraie également. Je n'ai pas d'a priori sur ce choix.
En revanche, la présence d'une ponctuation partielle est un des aspects que je relève assez fréquemment en EL dans mes commentaires, elle m'apparaît comme le résultat d'une approximation ou d'un "retravail" non abouti, c'est ainsi que personnellement je le ressens.

Il me semble que Leo a écrit un commentaire en forum très intéressant sur l'intérêt du point-virgule, ce "mal-aimé" de la ponctuation, comme il le nomme ; je partage son point de vue. Je vais tenter de le retrouver.

Pour en revenir à Ronsard et à la remarque sur la virgule de "Mignonne, allons voir...", elle peut paraître incongrue. En fait elle ne l'est pas. Cette virgule donne un sens particulier au premier vers : Ronsard apostrophe Cassandre et donne l'intonation à "Mignonne" qui doit se lire en mettant un accent tonique sur la 2ème syllabe de "Mignonne" et en marquant un temps d'arrêt (non pas une respiration) avant de reprendre "allons voir si la rose..." La ponctuation dans cet exemple fait sens, n'est-il pas ?

Bonne soirée

Chene

Citation :

Je ne suis pas persuadé que "l'absence de ponctuation" soit une "mode" ou bien qu'elle relève du "modernisme.
Nombreux sont les poèmes du 19ème ou du 20 ème non ponctués...

Bon, je passe sur l'aspect "peu respectueux" de la remarque... quoi que? La star Ac' est-elle si méprisable que cela? Ben oui, qui oserait prétendre le contraire...

Mais soit, vive la ponctuation!
Vive les dogmes.

Sur ce je ne dis plus rien à ce sujet et je rentre dans mon terrier. (scusi Pattie, et modos variés)

J'abonde tout à fait dans le sens du post de Leo et aussi celui de Chene.

La ponctuation est totalement complémentaire, à mon avis, de la découpe des vers. Je crois que c'est le B A BA si l'on veut pouvoir exprimer son propre ressenti et non pas laisser totalement l'interprétation au lecteur.

Je prends pour exemple la strophe suivante de mon dernier poème publié (Douce), qui a semblé poser problème à plusieurs lecteurs alors que j'avais pris soin de ponctuer pour éviter toute méprise :

Douce,
J'ai frôlé
Le cambré de tes pieds,
Pacifié
Tes pudeurs farouches
Sous mes lèvres
Altérées

La virgule après le mot "pieds" est essentielle car elle est charnière. Elle change totalement le sens du texte, qui est du coup articulé en deux parties. Donc deux idées différentes mais complémentaires sont exprimées grâce à cette pause. Impossible ici de choisir le point ou le point-virgule, ça ne voulait plus rien dire, pas plus que sans ponctuation.

J'ai commencé une longue réponse, à partir d'une remarque de notrac, mais je me rends compte en développant que je suis hors sujet : je parle de la ponctuation en général, pas de la ponctuation pour les débutants en poésie.

Comme j'ai la faiblesse de penser que ce que je dis peut éventuellement paraître intéressant à quelques-uns, je transporte ma réponse dans un autre fil, à portée plus générale.

Pour les débutants en poésie, je dirais très simplement que la ponctuation est indispensable mais son apparence secondaire. Il est impossible d'aponctuer un texte (ne mettre aucune ponctuation), on aboutit à une sorte de monstre, de suite de mots en vrac sans signification. Il est possible en revanche de déponctuer un texte. C'est beaucoup plus difficile, parce que cela suppose qu'avant de le déponctuer, on ait su le ponctuer. Mais c'est la seule manière de s'assurer que les mots disent bien ce qu'on veut leur faire dire.

Animal donne un excellent exemple d'une ponctuation précise, millimétrée, placée juste là où elle prend un sens réel, où sa présence va devenir d'autant plus signifiante qu'elle est rare. Le choix de la versification est fondé sur le rythme, celui de la ponctuation sur l'émotion et le sens.

Les puristes pourront lui reprocher d'aller plus loin encore que Mallarmé, en supprimant même les points finaux (ce que le Stéphanou n'avait jamais osé faire). Certes, mais là encore – et dans le contexte précis et particulier de CE poème, avec CES mots et CES images – le choix se justifie : le point fermerait chaque strophe, alors qu'elles sont une continuité, une suite de sensations qui s'enchaînent, un peu comme des gouttes qui coulent, presque en continu, d'une vasque ou d'une source. Reculez-vous d'ailleurs de deux mètres et regardez ce poème de loin : que voyez-vous ?

Et connaissant la précision que met Animal dans son écriture, je suis certain qu'elle l'a fait exprès, et que ses choix de ponctuation correspondent à une analyse similaire. Peut-être pas tout à fait la mienne, mais ça doit y ressembler.

Donc, poètes débutants, commencez par écrire votre poème en prose, et ponctuez-le normalement, en respectant les quelques règles de syntaxe que vous trouverez dans n'importe quelle bonne grammaire ou dans les Ailleurs d'Oniris.

Une fois votre texte bien ponctué, commencez à choisir une mise en vers. Vous vous rendrez probablement compte qu'elle est différente de celle que vous aviez imaginé à l'origine. Et ce n'est qu'après que vous pourrez envisager de supprimer des ponctuations, parce qu'elles feront double emploi ou induiront des
pauses trop longues.

Pour une discussion plus générale sur la ponctuation, je vous donne rendez-vous sur le nouveau fil que je viens d'ouvrir.

Encore une fois d'accord avec le post de Leo.

Et si tant est que je sois qualifiée pour donner des conseils, je n'oserais trop aussi conseiller aux débutants l'action inverse : prenez le poème que vous avez composé (souvent d'une traite, avec vos tripes comme on dit) et remettez-le sous forme de prose.

Vous serez très surpris et sans doute intéressés par ce que donne le texte.

Et peut-être cela vous incitera-t-il à un redécoupage ou une mise en ponctuation, même très simple. Ou peut-être pas, mais l'hermétisme est parfois un choix d'auteur délibéré qui n'est pas l'objet de ce fil.

Voici deux liens qui pourraient avoir leur utilité :

http://www.la-ponctuation.com/

http://echos-poetiques.net/textes/index.php/La-ponctuation

Deux liens référencés dans les "Ailleurs d'Oniris" (voir le menu de gauche, en haut), dont on ne rappellera jamais assez qu'ils constituent une manne d'informations pour vous aider dans le travail d'écriture.

Un remarquable exemple de poésie très bien ponctuée, où l'auteur marie la ponctuation symbolique et la ponctuation par l'espace et le rythme. Chaque souffle, chaque respiration tombe juste, il n'y a pas, malgré les apparences, une seule ponctuation inutile : lorsqu'elles ne traduisent pas une respiration, elles signifient un rythme, ou elles sont porteuses d'une musique, d'une image.

Lecture et analyse à conseiller à tous les débutants. Observez les signes de ponctuation, bien sûr, mais aussi la mise en mots et en vers. Le tout se complète.