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L'histoire de Brigitte et celle de Jean-Luc
NICOLE : L'histoire de Brigitte et celle de Jean-Luc  -  L'histoire de Brigitte - Chapitre 13
 Publié le 08/10/09  -  5 commentaires  -  10066 caractères  -  72 lectures    Autres publications du même auteur

La voiture d’Isa commence à tousser à l’issue des deux premières heures de route, pour finalement rendre l’âme trois kilomètres après la sortie d’un village. Trois mille mètres que nous parcourons à pied, un par un, en rase campagne, avec des chaussures peu adaptées à la marche, et en traînant les trois valises qu’il nous avait paru imprudent de laisser dans la voiture (au bout de cinq cents mètres, cette dernière décision nous semble d’ailleurs nettement moins judicieuse).


- Qu’est-ce que tu as bien pu mettre dans celle-là, des bouquins ?


Non, pas de livre, seulement l’énorme mortier à aïoli en terre cuite qui me vient de ma défunte grand-mère et son pilon.


- Je n’y ai rien mis de spécial, même vide elle est lourde cette valise.


Nous avons évidemment chacune une assistance, comme tout le monde, mais mon portable est resté sur la table du salon, et Isa a oublié de recharger le sien. C’est donc fatiguées et agitées de fous rires nerveux que nous rejoignons le village.

Là, on nous apprend que le seul mécanicien de la bourgade a fermé son garage cet après-midi pour le baptême de son petit-fils, et qu’il ne pourra donc pas examiner la voiture avant demain.

Comme il est également le seul commerçant habilité à nous prêter une voiture, nous laissons avec résignation la boulangère qui nous transmet toutes ces bonnes nouvelles nous conduire à l’hôtel tenu par son beau-frère à la sortie du village.


La première soirée de ma nouvelle vie se déroule donc dans une auberge de bord de route nationale, au milieu d’une salle à manger pleine de routiers « sympas », avec pour mission de venir à bout de deux assiettes de petit salé aux lentilles tellement impressionnantes qu’elles auraient pu régler le problème de la faim dans le monde à elles toutes seules.


Lorsque nous sommes rassasiées, et même au-delà, la patronne s’approche de nous les mains sur les hanches et le masque du mécontentement sur le visage, en apostrophant son mari :


- José, les petites dames, elles n’ont pas aimé le petit salé aux lentilles, tu devrais leur amener ce qui reste de la daube de midi.


Nous profitons lâchement de leur retour vers la cuisine pour écourter cette soirée inoubliable. Secouées de fous rires nerveux, nous fuyons en rangs dispersés vers notre chambre, avant que la menace ne se précise.

Comme on s’en doute, le papier peint de la chambre est imprimé de scènes de chasse, ainsi que les dessus-de-lit qui recouvrent nos lits jumeaux (sans toutefois être assortis, évidemment), et les lits grincent au-delà du possible, mais la fatigue nous soustrait très vite à tout ça.


Le lendemain, après une douche aléatoire (aléatoire parce que tantôt glaciale, tantôt bouillante), nous retournons au garage.

Le garagiste, visiblement mal remis du baptême du petit dernier, finit par se décider, après une interminable conférence téléphonique avec l’assistance d’Isa, à nous amener jusqu'à un magasin de location de voitures.

C’est donc entassées dans une camionnette aux couleurs du garage « Raymond père & fils », que nous regagnons la ville la plus proche, où nous attend une voiture. Raymond père en profite pour nous raconter tous les rebondissements de l’événement mondain de la saison : le baptême du petit-fils des Raymond. Aucun détail ne nous est épargné, et en arrivant, je m’entends, incrédule, demander à monsieur Raymond s’il a une photo du bébé.

Il en a une pochette complète sur lui, prête à être dégainée à tout moment.

Par-dessus l’épaule de l’heureux grand-père, Isa braque sur moi un regard noir, tout en vissant vigoureusement son index au niveau de sa tempe. Je sais, il faudrait vraiment que j’essaie d’être un peu moins polie, quand ça n’est pas une priorité absolue pour le moment.


Nous arrivons dans le canton de Gex autour de neuf heures. Alice, qui nous attend depuis la veille, a tué le temps en nous mijotant une daube. On ouvre une bonne bouteille, et puis une seconde, en lui racontant notre road movie campagnard.

Comme le vin et les rires me montent à la tête, le nœud dans mon estomac se desserre un peu. Je reste chez elles pour la nuit, et pour l’occasion je dors dans la mezzanine que j’avais occupée avec Jean-Luc quelques semaines plus tôt.

J’ai beaucoup de mal à m’endormir, même en m’appliquant à y penser le moins possible.


Le lendemain nous procédons à mon installation dans l’ancien appartement d’Alice. Sur la porte, elle a ajouté comme convenu « Mme Morin » mon nom de jeune fille, et ça me fait une impression curieuse, un peu comme si c’était une identité usurpée : plus vraiment la Mlle Morin d’avant Jean-Luc, et pas encore qui que ce soit d’après lui.

À l’intérieur, presque rien n’a changé depuis ma visite précédente, lorsque j’en fais la remarque, elle a la délicatesse de m’expliquer que si elle a tout laissé, c’est parce que la maison d’Isabelle est déjà bien trop meublée. Je fais semblant de croire ce qu’elle me dit, et je remercie le ciel d’avoir placé cette fille sur notre route à Isa et à moi.

Lorsqu’elles me laissent en fin de journée, je suis tellement fatiguée que je m’endors d’un coup, sans rêves jusqu’au lendemain matin.


Les jours suivants, je suis occupée à mille petites choses matérielles : me procurer un téléphone, rencontrer la gynécologue que les filles m’ont recommandée, réserver ma place à la maternité, m’inscrire à l’agence d’intérim d’Isa.

Les filles sont très présentes. Comme je loge dans le centre, à proximité de leurs bureaux respectifs, nous déjeunons ensemble plusieurs fois par semaine. Nous passons aussi une grande partie des week-ends ensemble.


Je ne voudrais pas que l’on se méprenne sur mon compte, mais c’est une période heureuse malgré tout.

Je veux dire que même si j’ai de la peine lorsque je pense à Jean-Luc et au reste de ma famille, je me sens en paix avec moi-même, paisible comme je n’imaginais pas pouvoir l’être après avoir pris la décision de m’en aller.


Je sais qu’Isa a souvent Jean-Luc ou Nathalie au téléphone, mais j’essaie de ne pas lui poser trop de questions, sachant qu’elle s’accommode difficilement du rôle que je lui fais tenir auprès de mon mari et de ma sœur.

Je profite d’un autre de ses déplacements professionnels pour lui remettre des lettres à poster depuis Paris, pour tenter de rassurer ceux qui sont restés derrière moi.


Elle me raconte que ma sœur et mes parents sont allés signaler ma disparition au commissariat, malgré l’avis contraire de Jean-Luc. Il leur a été opposé que j’étais majeure et donc libre d’aller où il me plaît, et que la seule chose raisonnable à faire était d’attendre que je me décide à revenir de moi-même.

Isa me dit que Jean-Luc est convaincu que j’ai rencontré quelqu’un d’autre, qu’il n’imagine pas que j’aie pu partir seule.


- Il a raison tu sais.


Je caresse mon ventre qui commence à s’arrondir, c’est vrai que sans le bébé je ne serais jamais partie.


- Pourquoi tu ne les appelles pas, ça les aiderait à comprendre, et peut-être qu’ils le vivraient moins mal.


J’y ai pensé, mais les appeler pour leur dire quoi ? Que je ne sais pas quand je vais revenir, ni même si j’aurai envie de revenir un jour ? Que je ne suis pas encore prête à leur donner les raisons exactes de mon départ ? Que je ne sais même pas si j’aime mon mari autant que quand je n’avais pas besoin de me poser la question ?


Il faudrait déjà que je trouve au moins quelques réponses, avant de penser à les appeler. Aujourd’hui, je ne sais qu’une chose : malgré toutes les incertitudes que j’ai pour l’avenir, je me sens plus solide que je ne l’ai jamais été.

Je pousse mon ventre rond devant moi comme un trophée gagné de haute lutte. Je suis imperméable à tout ce qui fait le quotidien des autres, à tout ce qui avait de l’importance pour moi avant.

Je suis heureuse. On peut être heureuse sans être gaie pour autant, j’en sais quelque chose.


La seule ombre au tableau, c’est la tristesse de ceux que j’ai laissés. La nuit dernière, j’ai rêvé que j’avais le pouvoir de modifier la mémoire des gens : ils continuaient tous sans moi, ils reprenaient leur vie comme si je ne les avais jamais croisés, sans garder aucun souvenir de moi.

C’est un des rêves les plus heureux que j’ai faits, un rêve totalement jubilatoire, un rêve d’irresponsabilité bénie. Par la suite, j’ai souvent fait ce type de rêve d’impunité.


Isa n’insiste pas, elle pourrait prendre à son compte la devise « vivre et laisser vivre ». Elle se contente de me dire ce qu’elle pense, sans essayer à tout prix de me convaincre, et ça m’aide à envisager les choses plus sereinement.


Outre son soutien psychologique, elle me fournit aussi du travail. Depuis mon arrivée, je ne cesse d’enchaîner les missions d’intérim, et ce que j’envisageais comme une solution d’attente pourrait bien devenir un mode de vie à plus long terme.

Moi qui me suis tellement ennuyée dans mon travail, j’ai trouvé un remède imparable contre la routine : j’en change avant d’avoir le temps de m’en lasser.

Autre avantage de poids : lorsque mes collègues me déplaisent ou que l’ambiance de travail laisse à désirer, j’en prends facilement mon parti, puisque ça n’est pas fait pour durer.


Je gagne suffisamment d’argent pour vivre correctement, et j’ai même prévu quelques travaux d’aménagement pour l’appartement. Le week-end prochain, les filles vont m’aider à repeindre l’ancien bureau d’Alice pour le transformer en chambre d’enfant.

Pour être précise, pour en faire une chambre de petite fille.


J’ai toujours eu l’impression que c’était une fille, mais depuis la dernière échographie, c’est officiel : c’est une petite Miléna que j’attends. Son prénom, je l’ai trouvé dans un livre que je feuilletais à la bibliothèque en attendant qu’Alice finisse de choisir sa moisson de la semaine.


- Et Miléna, c’est beau non ?

- Miléna c’est bien, doux et énergique en même temps.


Après avoir trouvé ce prénom, je n’ai plus essayé d’en chercher un autre : c’était Miléna la petite fille que j’avais dans la tête. Miléna qui prenait toute la place dans mon ventre et dans mon cœur.


 
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   jaimme   
8/10/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Non seulement c'est bien écrit, mais ce texte, comme les autres, présente une qualité essentielle, sans doute le plus importante quand on lit: on ne s'ennuie jamais!
Vite, la suite.

   nico84   
8/10/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Jaimme a raison, on ne s'ennuie pas. Mais je trouve qu'il y a de l'incohérence dans les pensées de cette femme et dans son inaction.

Je ne comprends pas la raison qu'il la pousse à ne rien dire à ses proches ? Que risque elle ? Si elle est convaincue elle même.

Cela enlève pour moi un peu de force au tout. Je ne reconnais pas trop le personnage qui n'a pas encore laissé explosé vraiment sa rage. Ou decette manière qui ne me convient pas.

A voir ...

   Myriam   
9/10/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'apprécie encore une fois ce passage où Brigitte s'installe avec sérénité et douceur dans sa nouvelle vie.
Moi je comprends qu'elle ne dise rien à ses proches, elle parait s'être effacée durant tant d'années qu'il n'est guère étonnant que la rupture soit brutale... et silencieuse. Elle se replie sur elle-même et son bébé... C'est cohérent je trouve.
Je retiens particulièrement cette phrase: "On peut être heureuse sans être gaie pour autant, j’en sais quelque chose. ", qui me touche.

   Anonyme   
16/11/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Oulà il y aurait beaucoup à dire sur ce chapitre!

Le début est catastrophique: trop lourd, bourré de répétitions, presque lassant. On n'y retrouve pas ta plume Nicole.

Puis, ensuite, lors de l'installation c'est plaisant, doux et délicat. On sent la mère apparaitre...

   carbona   
9/8/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Toujours très intéressant à lire, on progresse dans l'histoire avec plaisir. Le ton change mais est bien pesé. Brigitte est crédible.

Et toujours des petites portions d'humour à savourer : "je m’entends, incrédule, demander à monsieur Raymond s’il a une photo du bébé. "

Quelques remarques sur la forme :

- des répétitions : les dessus-de-lit qui recouvrent nos lits jumeaux (sans toutefois être assortis, évidemment), et les lits grincent au-delà du possible, mais la fatigue nous soustrait très vite à tout ça.

- des parenthèses que je supprimerais : (au bout de cinq cents mètres, cette dernière décision nous semble d’ailleurs nettement moins judicieuse), (aléatoire parce que tantôt glaciale, tantôt bouillante)

- et pour le mortier dans la valise, je ferais plus court, on sait tout de suite de quoi il s'agit, le rappel sur la terre cuite et la défunte grand-mère est inutile


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