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Sentimental/Romanesque
Andre48 : L’île Verte
 Publié le 22/11/18  -  15 commentaires  -  5933 caractères  -  93 lectures    Autres textes du même auteur

Évocation de l'île des Pins en Nouvelle-Calédonie.


L’île Verte


J’arrive toujours en avance, même chez le médecin.

Attendre, je sais attendre.

La salle est presque conviviale, avec ses chaises vides et trois autres patients lisant des revues de l’année dernière. Sûr, ici, je vais certainement en avoir pour une bonne heure. La petite table propose des revues éclectiques, de la boxe à la décoration, en passant par des journaux d’opinion (sans s). Résignée je les brasse, pousse de côté Motor-Home et une flopée de Santé Magazine.

Vu ma situation et le temps hivernal, un périodique genre Voyages Jet set s’impose, en général les célébrités posent en plein soleil. Calée sur mon siège, je tourne lentement les pages aux belles images. Je pourrais lire les articles, mais les titres me suffisent : « Mer ensoleillée, Coraux multicolores, Luxe et Volupté, Accueil personnalisé, Paradisiaque… » Mots et couleurs me font rêver, mais même avec quatre-vingt-dix pour cent de remise, c’est encore trop cher pour moi. Chez certains, ces destinations inaccessibles provoquent parfois des dommages collatéraux : jalousie, dépit, amertume…

En fait, moi, ça me fait juste partir, surtout ces quatre photos, là, sous mon nez. La mer turquoise, le sable éblouissant, la végétation luxuriante et cette piscine naturelle. Cette toute petite île, je veux y arriver en bateau, en silence, au petit matin. Je me force à bien mémoriser ces lieux, puis, je ferme calmement la revue et mes yeux.

Instantanément, je suis là-bas en fin d’après-midi. Je sors de l’hôtel, direction les pontons de la marina. Je m’installe au bar « Le Bout du Monde ». Seule cliente, je tire le barman de sa léthargie en lui disant :

« Je veux aller sur cette minuscule île Verte en voilier, seule avec un skipper (j’ai les moyens) et nager, marcher, profiter du site dès le lever du jour, pour ne pas subir la présence des autres. »

Il me regarde et sans un mot, sort son portable.

« Max, une cliente pour l’île Verte, très tôt demain matin, bouge. »

Concis et discret, je le remercie d’un petit signe de tête et attends sur la terrasse. Max arrive très vite, et me lance :

« Bonjour. Départ à quatre heures, je fournis le déjeuner, vous avez raison de vouloir y être seule, mon bateau c’est « le Vagabond », au troisième ponton. »

J'acquiesce et lui serre la main. Son visage buriné esquisse une sorte de sourire, il repart de suite, sans rien ajouter. Je ne sais pourquoi, les taiseux me rassurent, avec eux je peux rester dans mes pensées.

Je sais que la nuit, le ciel n’est magique qu’au cœur du désert ou en pleine mer. Sur « le Vagabond », je m’allonge à la proue, le nez en l’air. À peine le temps d’admirer les étoiles que déjà le voilier ralentit et s’approche d’une petite plage. Le jour pointe à peine et déjà le sable blanc tranche sur le vert sombre des palétuviers. En quelques minutes le soleil se lève.

J’entre dans l’eau tiède et nage très lentement. Je n’ai que quelques dizaines de brasses à faire. Je me redresse, l’eau n’est plus qu’au niveau de mes genoux. Max m’a comprise, il est resté sur son bateau. Seule je dois trouver cette trouée blanche dans la forêt, celle du tout petit bras d’eau salée où la mer communique avec « la piscine ». Pieds nus, je marche dans ce chemin liquide, mes talons s’enfoncent dans le sable très fin, je le sens vivre entre mes orteils. Je me force à la lenteur, je veux des secondes allongées, éternelles.

Les oiseaux sont réveillés depuis longtemps, ils s’interpellent dans toutes les tonalités, ils jacassent de plus en plus fort à mesure que le soleil monte. L’eau de la mer se glisse au milieu de cette bande de sable. Depuis toujours, en silence, elle va et vient au rythme des faibles marées. À ma droite, les pins colonnaires forment une haute barrière presque noire, de l’autre côté, le sable éblouissant s’étend, parsemé de grandes pierres plates et lisses. À mesure que l’eau monte vers mes hanches, sa transparence se teinte d’un pâle reflet bleu.

Je suis maintenant dans la piscine, sa surface sans rides est protégée de la mer par une barre rocheuse. Ce mini lac s’étale entre la baie abritée où attend « le Vagabond » et les rochers qui arrêtent les coups de butoir des grandes vagues. Elle a la forme d’un têtard, la tête se heurtant à la muraille minérale et la queue s’étendant paresseusement vers la petite plage d’où je suis arrivée.

Je flotte allongée avec masque et tuba, et lentement découvre cet univers miniature. On peut distinguer tout au fond chaque petit caillou millénaire. Les poissons quasi prisonniers de ce piège naturel vont et viennent, indifférents à ma présence. Certains sont argentés et presque translucides, les belles demoiselles passent paresseusement, les poissons clowns font leurs numéros. Ils sont tous de taille modeste et ne redoutent aucun prédateur. Cette piscine presque ronde est si grande pour eux, ils ne semblent exister que pour être admirés.

Maintenant le soleil est plus haut, les couleurs plus éclatantes, j’entends les premiers visiteurs qui arrivent avec leurs sacs. Moi, je veux rester dans ma bulle, je préfère revenir par le petit sentier de terre à une bonne vingtaine de mètres de la chenille processionnaire en maillot de bain. Je marche les yeux presque fermés.

Arrivée à la plage, Max m’attend avec son annexe. Je monte et sans un mot, moteur à l’extrême ralenti, il regagne son bateau. Il m’a vu les yeux mi-clos, il n’a pas prononcé un seul mot. Deux heures plus tard, il me dit simplement : « Si nous mangions un peu ? »

« Madame Tardieu, madame Tardieu, MADAME TARDIEU. »

Ce lourdaud de médecin me demande d’entrer, il est planté la main sur la poignée de la porte.

Il va me prescrire ses petites pilules roses favorites, mais il ne sait pas ce que je désire le plus... Je voudrais que le soir, allongée dans mon lit, une main se pose doucement sur moi et qu’on me raconte à voix basse une histoire, celle de la piscine, d’un château en cristal où d’un coucher de soleil en Afrique.


 
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   plumette   
7/11/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
merci pour cet agréable dépaysement.
j'aimerais, comme la narratrice, m'inventer des voyages à partir d'images. je suis admirative de ce que les mots peuvent faire naître comme images, à partir de la contemplation d'une simple photo.
Je ne pensais pas qu'une photo idyllique genre cliché absolu pour agence de voyage pouvait entraîner une telle aventure virtuelle !
j'ai bien aimé le contraste de la situation décrite avec cette chute très touchante.

Plumette

   izabouille   
8/11/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
C'est très beau!
Vous décrivez un endroit merveilleux et paradisiaque, en tout cas ça donne envie d'y aller.
Que dire d'autre... si ce n'est que j'ai passé un bon moment de lecture.
Merci à vous

Iza en EL

   matcauth   
22/11/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

c'est un moment agréable de lecture, et le texte a la particularité de rester en surface, comme une lecture qu'on oublierait rapidement, après un bon moment passé. Mais le texte est plus profond que cela, il dit beaucoup, finalement, sur cette femme qui a besoin de s'évader de la réalité, le pouvoir du cerveau, le pouvoir de la guérison par le mental, le décalage de la médecine par rapport à cela.

Finalement, on pensait passer un moment rapidement oublié, mais ce n'est pas le cas, ce texte fait du bien et rappelle, comme il faut le faire avec l'être humain, encore et encore, qu'il faut reculer un peu et regarder avec une perspective plus large.

Et puis, la fin n'était pas si attendue que cela, elle a été préservée.

Au plaisir de vous lire à nouveau.

   Anje   
22/11/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je viens découvrir le monde onirien de la nouvelle. Et j'embarque dans le cabinet médical pour une île paradisiaque, voyage merveilleux qui m'a totalement fait oublier mon rendez-vous. Très belle rédaction, on plonge avec plaisir et abandon dans cette jolie piscine à perdre pied du monde.
Ma première lecture est enchanteresse et encourageante.
Merci et bravo.

   Robot   
23/11/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai apprécié cette lecture dépaysante, surtout avec l'hiver presque revenu bien content de rêver de voyage au soleil.

J'ai apprécié que dés le départ on sache que l'on s'embarque dans un rêve. Que c'est l'attente et la lecture qui nous entraîne jusqu'à cette île au point d'oublier la salle d'attente et d'être presque fâché de revenir à la réalité.

Un court moment mais agréable.

   Lulu   
24/11/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Andre48,

J'ai vraiment beaucoup aimé cette petite nouvelle. En effet, j'ai aimé le style de la narration. L'écriture est fort agréable à lire, à la fois simple et tout en nuances. Elle ne manque pas d'explorer, et pourtant le texte n'est pas très long, les sentiments de la narratrice de façon belle et profonde, comme ici, par exemple : "je veux des secondes allongées, éternelles". J'ai adoré ces mots, comme d'autres partout dans la nouvelle…

J'ai aimé l'évasion, bien sûr, que vous souhaitiez offrir au lecteur, et que la narratrice vit dans l'histoire. Cela fonctionne vraiment. Je trouve que vous avez su mettre en scène cette évasion sans maladresse. On aurait pu lire une visite chez le médecin qui aurait fait trop prétexte, mais en fait, pas du tout… On imagine vraiment cette visite, au début, en retrouvant un peu de ces scènes que nous connaissons tous, et vous m'avez même donné envie de piocher une prochaine fois dans les revues…

Puis, au cours de l'évasion toute onirique, on oublie - cela été mon cas - le contexte de la visite médicale. On se prend à suivre le personnage qui a pris corps au fil des mots, des images de rêve, et de ses actions… Cela tient à la qualité des détails, comme ici :
"On peut distinguer chaque petit caillou millénaire". Le détail est beau et mis en perspective dans le temps "millénaire", ce qui contribue à nous plonger dans un monde où le minéral, comme la vie ont pu être identiques ou différents, et à une échelle presque cosmique… Une belle manière de rêver, de s'évader ou de contempler.

J'ai juste été étonnée par un détail : l'utilisation d'un masque et d'un tuba. Le personnage est si intérieur, et le paysage si naturel dans ses nuances que j'ai été surprise de voir le personnage soudain avec ces attributs - qu'on utilise certes, dans ce genre d'endroits - tout en plastique...

Comme j'ai oublié assez vite le contexte de la visite médicale, j'ai été vraiment surprise par le dénouement… Tout comme la narratrice, je serais volontiers restée dans l'univers de L'île Verte.

En somme, une écriture dépaysante, fine et fort plaisante.

Bonne continuation.

   Donaldo75   
24/11/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Andre48,

Voici un texte bien reposant et pas si éloigné de ce qu'on éprouve dans les salles d'attente. L'écriture est fluide, agréable. J'ai passé un bon moment de lecture.

Merci,

Donaldo

   in-flight   
25/11/2018
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Un voyage insulaire les pieds en salle d'attente.
Sympathique mais on imagine bien que le médecin va mettre un terme à la rêverie: démarrer directement avec la description de l'île serait risqué mais on aurait pour le coup une vraie chute. Une chute trop "classique" sans doute avec le fameux effet éculé "ce n'était qu'un rêve".

   Louison   
29/11/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai bien aimé ce voyage intérieur où j'ai suivi le narrateur de bout en bout. Un joli moment d'évasion qui ressemble un peu à de l'auto hypnose.
La salle d'attente est un lieu propice à la rêverie, vous avez su éviter le réveil final, c'est plus un sursaut et j'aime beaucoup.
Merci pour ce moment agréable de lecture.

   Anonyme   
5/12/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Une jolie promenade sur une plage de sable blanc avec des cocotiers, une mer turquoise, des poissons multicolores. Merci pour ce moment.

   Corto   
13/12/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément
Très belle construction pour une nouvelle qui nous emmène si loin. La vie quotidienne avec sa salle d'attente est vite oubliée.
Le rêve peut commencer, et ce n'est plus un rêve mais un vécu qui se défend dans l'imaginaire de toutes les intrusions dérangeantes. "En fait, moi, ça me fait juste partir", c'est le cas de le dire, car le lecteur part aussi, prisonnier volontaire, dans des descriptions excellentes.

On croit à tout car le rêve et la poésie sont au rendez-vous: "Je sais que la nuit, le ciel n’est magique qu’au cœur du désert ou en pleine mer." Qui a connu les tropiques s'y retrouve vite avec "les belles demoiselles passent paresseusement, les poissons clowns font leurs numéros."

Le retour au quotidien est brusque, mais le rêve continue grâce au final: "Je voudrais que le soir, allongée dans mon lit, une main se pose doucement sur moi..."
Bravo pour cette envolée rêvée.

   Andre48   
16/12/2018

   Ocean   
6/1/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Superbe nouvelle, sans erreurs de citadins, si ce n'est de marcher pieds nus.
Ici les poissons pierres ailleurs les morceaux de verre m'auraient fait hésiter .
J'espère qu'il n'y a pas eu de coups de soleil !

   FANTIN   
9/1/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Le beau pouvoir de l'imagination et de la suggestion. Un voyage en première classe que même la plus avantageuse des compagnies low cost ne saurait proposer. Et aussitôt, ça y est : on prend pied dans le rêve comme si c'était la réalité. Une île au bout du monde... Un voilier au nom évocateur... Une nature en fête, splendide, intacte, qui s'offre avec toutes ses richesses au visiteur solitaire et privilégié comme s'il était le premier homme... Le tableau d'une renaissance merveilleuse en plein paradis terrestre, loin de l'hiver et des contingences oubliés loin derrière...
Et puis, d'un coup, voici que la bulle crève; la réalité reprend brutalement ses droits :Mme Tardieu! Mme Tardieu!...
C'est nous aussi qui nous éveillons à cet appel et faisons presque un atterrissage forcé.
Merci pour cette échappée qui m'a rappelé, sur l'île des Pins, la baie de Kanumera, où beauté et éternité cohabitent.

   DANY   
17/9/2019
Modéré : Commentaire trop peu argumenté.


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