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Sentimental/Romanesque
Atayla : Un amour au goût d'intolérance
 Publié le 28/04/07  -  5 commentaires  -  11329 caractères  -  44 lectures    Autres textes du même auteur

C’était un jour d’hiver, un jeudi. Il faisait froid. Il faisait gris. Tout semblait triste, banal. C’était en 1932, et tout commença cet après-midi-là.


Un amour au goût d'intolérance


C’était un jour d’hiver, un jeudi. Il faisait froid. Il faisait gris. Tout semblait triste, banal. C’était en 1932, et tout commença cet après-midi-là.


Je venais de finir d’étudier, j’avais eu cours de latin et d’italien la veille, et mes professeurs m’avaient donné du travail pour le lendemain. J’étais sorti de chez moi, un petit appartement modeste dans lequel je vivais seul, effacé. J’avais eu mes dix-huit ans quelques mois plus tôt et j’avais quitté mes parents. J’avais besoin d’air, d’espace, de liberté…


Je voulais m’envoler, me laisser porter par la vie, comme un oiseau. Comme un aigle royal qui déploie ses magnifiques ailes, et se laisse porter par le vent. Force aussi impitoyable, aussi imprévisible, aussi fragile que la vie.

Je voulais me dresser, faire face au monde, fier, le torse bombé, comme un arbre. Comme un chêne immense qui, étendant sa ramure orgueilleuse, impose sa présence aux jours, aux années, aux siècles… Au temps.

Je voulais être moi, tout simplement, vivre ma vie, suivre mon chemin, comme l’eau. Comme l’eau si pure qui, calme ou affolée, suit son cours. Toujours. Jusqu’à son but. Et recommence.


Il était quatre heures, et comme tous les jeudis à cette heure, je suis entré aux Beaux-arts. Chaque semaine, j’allais à des séances de modèle vivant. J’aimais dessiner. Le dessin me libérait de ma vie si bien agencée, de ce monde si prévisible. Un crayon à la main, une feuille sous les yeux, j’avais l’impression de m’envoler. Je fuyais ma prison comme un oiseau fuit sa cage.


J’ai salué le concierge, un vieil homme au teint grisâtre, à la peau flétrie par le temps, au regard ennuyé. J’ai suivi le couloir aux murs laiteux, vides, qui menait au local où j’attendrais que la séance commence. J’y suis arrivé. J’ai passé le seuil de la porte blanche. Un parquet en bois, aux lignes fines et épurées, recouvrait le sol. Au centre de la pièce, il y avait une estrade recouverte d’un drap blanc et lisse. Des tables étaient sagement placées tout autour. Je me suis installé à l’une d’elle, j’ai sorti mon bloc de feuilles vierges, mes crayons, mes gommes, et j’ai attendu, griffonnant. À nouveau, je m’évadais. Pour un temps si court pourtant. J’avais beau fuir, cette monotonie si insupportable me traquait toujours. Comme une bête sauvage et affamée traque sa proie. Attendant qu’elle fatigue et se laisse prendre. Impuissante… Impuissant…


Dix minutes plus tard, tout le monde était arrivé. Le modèle s’était installé et la première pause commençait. J’ai relevé la tête, j’allais me mettre au travail, mais je me suis arrêté. Je me suis figé. Ce n’était plus notre modèle habituel. Ce n’était plus ce fade personnage aux traits simples. Aux yeux marrons, inexpressifs. Aux cheveux noirs, ternes. À la peau tannée, mate. J’avais devant moi un ange. J’observais un ange. Un jeune homme au visage si vivant. Des yeux d’émeraude, vifs et brillants. Des cheveux d’un blond argenté, platiné. Une peau d’une blancheur opaline. Cristalline.


J’avais gagné ! Peut-être… Une chose était sûre toutefois. Ma vie bascula lorsque je croisai son regard envoûtant. Le vent avait tourné. L’odeur de la proie ne parvenait plus aux cruelles narines. Mais qui sait pour combien de temps ? Je n’ai jamais pris autant de plaisir à dessiner quelqu’un. C’était grisant. Mon crayon courait sur ma feuille, comme s’il était muni de sa propre conscience, de sa volonté propre. J’avais cette sensation de liberté, de joie, de bien-être qui enveloppait tout mon être comme jamais auparavant.


Entre les pauses, nous avons parlé. Tout est venu naturellement. Comme si quelqu’un avait programmé notre rencontre. Sa voix lui ressemblait. D’une mélodie ensorcelante. Parfois douce et calme, comme un chaton pendant sa sieste. Parfois vive et impatiente, comme un rossignol guilleret… Ce qui me plaisait le plus en elle, c’était ce léger accent qui donnait à notre langue une musicalité nouvelle. Après le cours, nous avons continué à discuter. Jusqu’à décider de boire un verre ensemble. Nous sommes sortis de la classe, de l’école. À nouveau, j’ai traversé le couloir. Les murs, qui me paraissaient si ternes et tristes quelques heures plus tôt, me parurent alors lumineux et enchanteurs. J’ai poussé la lourde porte en bois verni et j’ai vu le sourire du ciel. Il nous éclairait de sa douce clarté et les étoiles le soutenaient. Quelques mètres plus loin, au coin de la rue, un café, El faro, faisait danser sur les pavés inégaux de la rue une faible lueur. Tout en parlant, nous y sommes entrés, le sourire aux lèvres, l’esprit léger.


L’atmosphère était cordiale, chaleureuse, accueillante, et nous nous sentîmes immédiatement à l’aise. Le barman prit notre commande, souriant. Je décidai de boire une rafraîchissante limonade, tandis que mon ange, comme je me plaisais déjà à l’appeler en silence, se contentait d’un simple verre d’eau plate. Nos verres servis, nous nous replongeâmes avidement dans notre conversation. Enchantés du simple fait d’être ensemble. Désireux d’une chose que je n’osais encore définir. Lentement, instinctivement, inconsciemment, nous nous sommes rapprochés. Nous continuions à discuter sans réellement faire attention aux propos échangés. Mon cœur battait à toute allure. J’en étais sûr, le sien aussi… Craintifs, nos regards se cherchaient. Tremblantes, nos mains aussi… Lorsque, hésitantes, caressantes, elles se trouvèrent, je ne pus continuer à parler. Je regardais nos doigts, sa main sur la mienne. L’une blanche, l’autre brune.


Finalement, je levai les yeux. Il s’était tu lui aussi. Et je remarquai qu’il m’observait. Anxieux. Prêt à se rétracter au moindre signe négatif de ma part. Ce dont je n’avais aucunement envie. Bien au contraire. Mes yeux plongés dans ses deux magnifiques orbes émeraude, l’ébauche timide d’un sourire aux lèvres, j’enlaçai mes doigts aux siens, pressant nos paumes l’une contre l’autre… Je me sentais maladroit, gauche et rougissant… D’ailleurs, j’avais le feu aux joues. Soulagé, il me sourit. Ses yeux aussi. Hypnotisé, je le vis s’approcher. Lorsqu’il frôla mes lèvres d’un baiser, un frisson parcourut mon corps en entier. Mon souffle se stoppa. Pour reprendre. Irrégulier. À nouveau, je me perdis dans cet océan de vert, dépendant de ses nuances ensorcelantes, de son regard envoûtant. Comme le poisson, dépendant de l’homme qui le pêche. Comme la biche, dépendante du chasseur qui la piège… Comme la vie, dépendante du temps qui passe. Son souffle me frôlait. Et le mien l’effleurait. Deux respirations saccadées qui se mélangeaient, s’épousaient, se faisaient l’amour. Fermant les yeux, il reprit tendrement, délicatement, mes lèvres. Aux anges, nous nous sommes séparés. Nous avons décidé de sortir, pour nous trouver un endroit plus intime.


Pourtant, nous n’eûmes pas le temps de faire un geste. Le barman nous aborda férocement. Nous insultant. Allant jusqu’à nous cracher son mépris et son dégoût au visage. Nous n’étions plus bienvenus. Clients ou pas. Les gens nous dévisageaient comme si nous étions des animaux de foire désagréables. Nous étions deux hommes et nous nous aimions. Était-ce un crime de vouloir vivre heureux ? Notre présence n’était plus désirée. N’était plus tolérée. Choqués, obligés, nous quittâmes le petit café. Si vite que nous ne payâmes même pas.


Nous avons marché dans les rues calmes de Rome. Cette ville antique qui avait vu tant et tant de siècles s’écouler, lentement. Des siècles où notre attirance aurait paru toute naturelle à condition que l’un de nous soit esclave ou affranchi... Des siècles où notre relation nous aurait valu les foudres de la religion, de l’Église... Et maintenant… Un siècle qui voudrait nous voir honteux de cet amour qui nous lie et nous enchante. Tout cela était peut-être soudain, mais je n’avais aucun doute. Il était mon eldorado. Mon rêve. Celui qui trahissait la monotonie de ma vie et l’intolérance de mon entourage. J’étais dans ses bras. J’étais bien. Plus rien n’avait d’importance… Le paradis ! Mon Dieu ! On m’aurait ouvert les portes du paradis que je n’aurais pas bougé…


Deux ans et un mois. Pendant deux ans et un mois. Nous nous sommes aimés. Heureux. Insouciant. Ignorant l’intolérance des gens. Ignorant les sarcasmes. Ignorant les insultes. Et même les coups. Il s’était installé chez moi. Je n’étais plus seul. J’avais vingt ans. Il avait continué à poser. J’avais continué à le dessiner. Les Beaux-Arts. C’était un des seuls endroits où nous n’étions pas obligés de cacher notre relation. Un des seuls endroits qui ne désirait pas nous voir honteux de notre amour. Nous étions heureux et ne vivions que pour nous deux. Jusqu’à ce jour…


Toujours. Je me souviendrai toujours de ce jour qui ruina notre vie, notre bonheur. C’était un jour d’hiver, un jeudi. Il faisait frais. Le ciel était bleu. Tout nous semblait joyeux, exceptionnel. Comme d’habitude. Nous étions ensemble. Aux anges. Heureux. C’était en 1934, et tout finit cette nuit-là.


Nous nous promenions dans les ruelles de cette ville antique. Pendant la nuit. À l’abri des regards. À l’abri des sarcasmes. À l’abri des insultes. Et même des coups… Croyions-nous.


Nous marchions tranquillement, parlant de tout et de rien, nous tenant par la main lorsque, tout à coup, trois jeunes sortirent d’une ruelle quelques pas devant nous. Un foulard cachait leurs visages. À la main, ils avaient de larges bâtons et nous menaçaient avec. Effrayés, nous fîmes demi-tour, voulant nous sauver. Mais nous nous sommes retrouvés coincés. Trois autres jeunes nous attendaient derrière. Ils étaient sortis de leur cachette après notre passage. Nous étions cernés, et nous savions ce qui nous attendait. Ce n’étaient pas la première fois que l’on nous piégeait pour nous donner une bonne leçon, pour nous apprendre que les tabous sont faits pour être respectés.


Je ne me rappelle plus exactement comment ils nous ont attaqués. Frappés. Tabassés. Ni comment tout s’est terminé. Ça s’est passé trop vite. Et j’avais trop mal. Tout ce dont je me rappelle, c’est de m’être réveillé à l’hôpital. Dans une chambre aux murs blancs. Aux meubles blancs. Aux draps blancs. J’avais mal. Et j’étais seul. Terriblement seul. Mon ange n’était pas là. Et j’avais peur. Comment allait-il ? Comment s’en était-il sorti ? Il fallut une semaine pour que quelqu’un daigne me répondre. Je devais rester calme, répétait le médecin. Il ne fallait pas me brusquer, disaient les infirmières. Comment aurai-je pu rester calme sans savoir où mon ange se trouvait ? Sans savoir comment il allait ? Lorsqu’ils me répondirent enfin, je n’y crus d’abord pas. Comment cela était-il possible ? Cela ne pouvait pas nous arriver à nous, après tout ce que nous avions déjà dû subir.


Il était mort ! Ces ordures l’avaient tué à coups de bâton. Et on ne savait même pas qui ils étaient !


Dire que mon cœur s’est brisé paraîtrait banal. Cette phrase est tellement employée qu’elle en a perdu son sens… Et pourtant. Seigneur ! Comment exprimer mes sentiments si ce n’est par cette simple expression repassée ? Mes larmes coulèrent, coulèrent, coulèrent. Et finirent par se tarir. Je ne pleurais plus. J’étais mort. Avec lui. Je n’étais plus qu’un corps vide. Sans âme. Et maintenant… je survis. Pour lui. C’est ce qu’il aurait voulu. Que je survive...


Mais… je ne peux oublier.



 
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   philippe   
5/5/2007
un biographie?
si elle est imaginaire, elle a sa place ici,
mais si elle a été vécue en tout ou en partie par l'auteur ou par une tierce personne, il serait souhaitable de la déplacer

sur le fond, elle est prenante et banale à la fois.
vivante et honteuse
bien écrite, rynthmée du soufle saccadé de l'amour.

   Pat   
8/5/2007
 a aimé ce texte 
Bien
On sent effectivement une sincérité qui peut faire penser à quelque chose d'autobiographique (d'où sans doute la remarque précédente). C'est assez banal, trop peut-être. A part les descriptions physiques et le mal-être du narrateur, on ne sait pas grand chose des personnages. Du coup, il manque une épaisseur au récit. On ressent à la fois de la sensibilité et de la distance (celle-ci empêche de s'identifier et d'être impliqué dans le récit). Du coup ça fait un peu fleur bleue. Le style est travaillé, cela se sent, il est assez limpide. Mais quelques maladresses subsistent à mon avis. EX :"L’odeur de la proie ne parvenait plus aux cruelles narines" :j e ne comprends pas "ils avaient de larges bâtons et nous menaçaient avec" : avec me paraît inutile. "Il fallut une semaine pour que quelqu’un daigne me répondre" : je ne trouve pas ça très crédible (une semaine c'est beaucoup). Ce qui m'a surtout gênée ce sont les "je" du début du récit (c'est peut-être voulu...)

   Maëlle   
16/5/2007
Je trouve aussi qu'il manque quelques fils... Deux ans dans une Italie fasciste sans dessiner rien de plus précis alors que le texte porte sur la question de l'autre, ça me parait curieux. Manque surtout ce fil de l'intoélrance, dont je n'ai pas trouvé la clef. Néanmoins l'étoffe est belle, triste, certes.

   passiflore   
25/5/2007
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Le fond cruel de l'histoire interpelle le lecteur:le malaise provoqué par l'intolérance y est décrit, mais la période historique avec son contexte particulier de non-acceptation des différences n'est pas assez exploitée. Et je n'ai peut-être pas bien compris à qui se rapportait le pronom personnel "elle" juste après leur rencontre, mais je ne savais plus de quel sexe était le modèle. Descriptions intéressantes sur les personnes ainsi que sur l'atmosphère générale qui glisse progressivement du clair au sombre.

   Atayla   
6/9/2008
[post modéré]

On ne répond pas aux commentaires ici. Il faut ouvrir un forum, comme c'est indiqué sous la fenêtre d'édition.

j'ai copié/collé les réponses ici


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