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Réalisme/Historique
Camille-Elaraki : Marek
 Publié le 30/09/17  -  9 commentaires  -  6290 caractères  -  50 lectures    Autres textes du même auteur

Lorsqu'un enfant se confronte à l'Histoire et à son histoire...


Marek


Le passage du train coupe en deux la prairie blanche de glace. Les vaches broutent l’herbe scintillante de cristaux gelés. Les arbres nus délimitent les propriétés privées, violées de temps à autre, par des biches galopantes. La lumière pâle du soleil levant est trop faible pour pouvoir effacer un croissant de lune qui refuse de se coucher.


« C’est beau, quand même, l’hiver… » se dit Marek en enfonçant le nez dans son écharpe de laine. Marek n’a que huit ans. Il ne sait pas encore qu’un premier octobre est toujours un jour d’automne, même lorsqu’il fait très froid.


Les vaches le remarquent, semblent le saluer d’une pause d’un instant dans leur ruminée, puis ne s’en inquiètent plus. Elles sont habituées à la présence de Marek. Il est le fils de leur maître, et il passe toujours devant elles pour aller au village. Le père de Marek n’aime pas les bâtiments anguleux de briques rouges que l’on trouve dans le bourg. Il déteste ces immeubles soviétiques. Alors il a préféré acheter une maison un peu en retrait, dans la campagne.


Le père de Marek parle souvent de l’époque soviétique. Il dit que ça explique beaucoup de choses. Il utilise des expressions compliquées. Marek les répète plusieurs fois dans sa tête et les retient. « Apologie de la pauvreté ». « Complexe d’infériorité ». « Retard économique ». Quand il sera grand, il se souviendra des mots de son père et il pourra enfin les comprendre. Ce qu’il sait pour l’instant, c’est que son père n’aime pas l’époque soviétique, et que lui, Marek, aime écouter son père. Quand il entend des mots savants, il se sent adulte et intelligent. Il est conscient qu’il sait une chose que les autres enfants de son âge ignorent : tout ce qui est mal, moche et injuste vient de l’époque soviétique. Avant, avant la naissance de Marek, avant la naissance de son père même, la Pologne était un beau pays. « Beau comment ? » avait demandé Marek. Beau comme ceux des contes. Un grand royaume, avec un roi juste et bon. Un roi qu’on avait choisi. Puis la Pologne avait été… « rayée de la carte ». Engloutie comme un gros gâteau par d’autres pays. Ces ogres de Russes et d’Allemands ! Elle avait disparu pendant 100 ans ! « Et les Polonais ? » avait demandé Marek. Transformés en Russes ou en Allemands. Ils s’étaient donc transformés en ogres… Puis son père avait parlé de… « démocratie » et de « communisme ». Marek avait compris que l’ogre était mort, et que le problème n’était pas mort avec lui.


Marek s’avance dans le champ. Les brins d’herbe gelés craquent sous sa semelle. Ça fait un bruit de feuilles mortes. Un bruit d’automne ! Il salue les quatre vaches une à une en leur embrassant le museau. Aujourd’hui, il est froid comme de la crème glacée. Un baiser pour Magda, Ola, Ania et Maja. Le père de Marek a nommé ses vaches comme ses sœurs, pour leur « rendre hommage ». Il a un humour souvent mal compris, le père de Marek. Peut-être que ça aussi, c’est la faute de l’époque soviétique.


Marek prend le chemin de terre qui mène au village. Il est dur comme du granit. Le père de Marek ne l’accompagne jamais à l’église. Il lui a dit un jour de regarder le Christ dans les yeux : « Tu te rendras compte qu’il ne peut pas te voir du haut de son crucifix. Il est ailleurs. »


Marek arrive en retard au cimetière. Le prêtre discourt déjà dans son micro face aux fidèles répartis devant les tombes de leurs ancêtres. Ils écoutent, la tête basse, les mains jointes avec discipline. La voix calme et grave du prêtre passe sur eux comme une caresse compatissante. Le souvenir des morts sort doucement du carcan du deuil. Il s’anime silencieusement, comme ceux de l’enfance.


Marek reste devant la grille du cimetière jusqu’à la dernière phrase « Allez en paix. » Il regarde l’union de la paroisse se rompre. Les fidèles noient leur spiritualité dans des discussions futiles. Ils retrouvent des oncles et des cousins. Visitent les tombes de parents éloignés. La vie et les sourires hantent le cimetière.


Les vieilles femmes balayent les feuilles mortes de leurs mains sèches, elles grattent le givre et arrachent les mauvaises herbes. Elles luttent contre le temps qui engloutit le nom et les visages des personnes qu’elles ont aimées. Les adultes déposent des pots de fleurs comme un hommage, au-dessus des corps de marbre allongés. Et tout à coup, le cimetière gris explose de couleurs comme un feu d’artifice. Il rassure : la vie règne encore. Quant aux enfants, ils accomplissent la mission la plus importante : illuminer le nom des morts d’une bougie blanche. Dans la chaleur de la flamme, le disparu retrouve un peu de sa présence.


Marek regarde ce jour de fête commencer et se dit que ça, ça ne doit pas venir de l’époque soviétique. Il fait crisser le gravier en marchant vers la tombe de sa mère. Elle se trouve de l’autre côté du cimetière, un peu isolée pour qu’on la laisse tranquille et qu’enfin elle se repose. Comme d’habitude, Marek chipera une jolie fleur à un autre mort et l’offrira à sa maman. Ça la ferait sûrement rire. Quand elle était en vie, elle s’amusait toujours de ses bêtises et jamais elle ne le grondait.


Marek fait attention de ne pas trop bousculer les gens groupés autour des pierres tombales en passant dans les allées creusées pour les vivants. Il fait aussi attention aux fleurs qui défilent devant ses yeux de charognard. Il veut trouver la plus belle des fleurs, pour la plus belle des mamans. Puis soudainement, l’allée se dégage et son regard bute contre le vide. Passée la seconde de vertige, Marek se rend compte qu’il passe devant une tombe nue et humide de mousse. Par esprit chrétien comme par esprit de fête, Marek sort les mains de ses gants et gratte la pierre. Il s’abîme les ongles et rougit ses doigts de froid jusqu’à ce qu’un nom se dévoile en lettres d’or. « Natalia Lezrowska 1921-1968 ». Marek se relève le visage fermé de stupeur. Il vient de retrouver l’un de ses morts. Lezrowki, c’est son nom à lui. Le nom de son père. Ne ressentant plus la morsure du froid, les doigts de Marek redoublent d’écorchures. Bientôt, il trouve une plaque oubliée sous la végétation. Dessus, une gravure maladroite, visiblement faite à l’aide d’une autre pierre : « À ma mère bien-aimée, tombée sous les chars russes. Victime de la période soviétique. »


 
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   Jean-Claude   
30/8/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour.

GÉNÉRALITÉS

C'est bien écrit, cela se lit bien. Toutefois, le ton est, de mon point de vue, un peu trop neutre.

Ce n'est pas une histoire. C'est un témoignage, une photographie, un reflet, agrémenté de bouffées de nostalgie, des douleurs de la Pologne dont l'histoire est somme toute peu connue.

Ce qui est dommage c'est l'impression que la seule finalité de la nouvelle est de dénoncer l'ultime douleur qu'a été le bolchevisme, même si d'autres pans de l'histoire polonaise sont évoqués. Le ton neutre contribue à cette impression et gomme une certaine forme de romantisme qui aurait pu gagner Marek, Marek qui ne verrait le monde qu’en binaire, le mal étant le bolchevisme.



DES DÉTAILS (peu)

Pas de virgule avant "puis" dans "Les vaches le remarquent, semblent le saluer d’une pause d’un instant dans leur ruminée, puis ne s’en inquiètent plus."

L'énumération devrait plutôt être ainsi : "Marek les répète plusieurs fois dans sa tête et les retient : c, « Complexe d’infériorité », « Retard économique »."

Deux petits problèmes, virgule avant le "et" et virgule manquante de l'incise : "Ce qu’il sait pour l’instant, c’est que son père n’aime pas l’époque soviétique, et que lui, Marek, aime écouter son père." devrait plutôt être "Ce qu’il sait pour l’instant, c’est que son père n’aime pas l’époque soviétique et que, lui, Marek, aime écouter son père."



UN PETIT POINT PAR RAPPORT À L'HISTOIRE

L'empire autrichien possédait aussi un bout de la Pologne, certes moins gros que les deux autres empires.
Le couple Russo-allemand dépèce à nouveau la Pologne pendant la seconde guerre mondiale, ce qui n'est pas mentionné bien que ce soit sous-jacent.

Hormis Jean III Sobieski, antérieur au découpage, le "bon roi" est un peu mythologique. Je ne sais pas si cette mythologie perdure vraiment.
Il y avait un parlement qui représentait en gros la moitié de la population, au mode de décision unanimiste, et c'est lui qui a entraîné la chute de la Pologne.
Je suis étonné qu'un Polonais (le père) ne garde pas une certaine rancœur vis-à-vis de cette Diète qui a en quelque sorte trahi son pays.

Cela ne nuit évidemment pas à la nouvelle mais il y a parfois des perfectionnistes qui traînent.

   Asrya   
30/8/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Le premier paragraphe ne m'a pas emballé du tout, ne sonne pas naturel pour moi ; trop d'adjectifs.
Après, je trouve que l'ensemble est beaucoup plus attrayant en ce qui concerne l'écriture.
L'histoire en elle-même est douce, on se laisse guider jusqu'à la fin, sans attendre quoi que ce soit de votre écrit : et c'est là que... je trouve votre nouvelle peu intéressante.
Elle ne laisse pas suffisamment de place au lecteur, pas d'interrogations, seule une identification à votre personnage et l'ambiance de l'époque ; cela ne me suffit pas.
La fin n'apporte rien de plus.
La lecture fut sympathique, sans plus,
Merci,
Au plaisir de vous lire à nouveau,
Asrya.

   PierrickBatello   
2/9/2017
 a aimé ce texte 
Bien
(Lu et commenté en EL)

J'aime bien le style simple qui colle à l'âge de Marek et évite en même temps le simplisme, le style trop 'enfantin' qui souvent m'ennuie.

Malheureusement, c'est bête mais j'ai dû relire deux fois le dernier paragraphe pour comprendre qu'il venait de découvrir la tombe de sa grand-mère. C'est bien cela? J'ai encore un doute...

Ce qui est dommage, c'est que la nouvelle s'arrête à l'élément déclencheur, celui qui ferait basculer Marek vers l'âge adulte où il comprend enfin pourquoi son père déteste la période soviétique à ce point.

   Donaldo75   
3/9/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
(Lu et commenté en EL)

Bonjour,

J'aime bien cette courte nouvelle. Pourquoi ? Parce qu'elle dresse le tableau d'une Pologne post-communiste vue à travers les yeux d'un enfant qui ne comprend pas ce que signifiait l'Union Soviétique et le COMECON mais appréhende le monde à travers ce que lui raconte son père. Ce tableau est dépeint via un leitmotiv, celui des références à la période soviétique, sont on ne sait pas de quoi elle était faite mais qui ne sent pas la rose et le bonheur.

Ce leitmotiv, comme un ostinato en musique classique, s'explique par le dénouement, l'épitaphe improvisée gravée maladroitement sur la tombe de sa grand-mère, par un autre Marek.

C'est sobre, bien écrit.

   Tadiou   
4/9/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
(Lu et commenté en EL)

Comme il ne se passe pas grand-chose, le charme ne peut venir que de l’ambiance créée par la poésie de l’écriture. S’il y a certaines descriptions séduisantes (le givre, les brins d’herbe gelés qui craquent..), il y a, de façon assez récurrente, des maladresses qui cassent la séduction comme :

« Les arbres nus délimitent les propriétés privées, violées de temps à autre, par des biches galopantes » (« violées »est bizarre ici)

« Il regarde l’union de la paroisse se rompre. Les fidèles noient leur spiritualité dans des discussions futiles…. La vie et les sourires hantent le cimetière. »

« Le souvenir des morts sort doucement du carcan du deuil. Il s’anime silencieusement, comme ceux de l’enfance. »

J’ai l’impression d’être hors du temps.
Où est le père ? Il n’est indiqué nulle part qu’il est mort. D’ailleurs on parle de lui au présent. Le petit Marek est-il laissé à lui-même ? Le père ne l’accompagne pas à l’église, soit : mais ici il s’agit du cimetière…
Quel est l’âge de Marek ? Il semble se mouvoir dans une 4ème dimension : à part les 4 vaches, il n’a aucun rapport avec quiconque.

Il semble savoir où se trouve la tombe de sa maman. Alors quelle est cette tombe qu’il découvre avec son nom et un prénom féminin ? L’inscription laisserait à penser que c’est le père qui s’exprime et donc que la tombe serait celle de la grand-mère de Marek ? Quel est l’intérêt ? De souligner la responsabilité russe dans cette mort ? Celle-ci date de 1968 : l’URSS n’a pas envahi la Pologne en 1968 mais la Tchécoslovaquie… Cette grand-mère est décédée à 47 ans. En quelle année se situe ce récit ?

Je suis étonné que Marek ait pu retenir des expressions comme « apologie de la pauvreté » ou « complexe d’infériorité ».

Comme la nouvelle est classée dans la catégorie « Historique/Réalisme » on peut attendre une certaine vraisemblance.

Or définir l’ancienne Pologne (XVIIIème siècle ?) comme « Un grand royaume, avec un roi juste et bon. » ne me semble pas conforme à l’Histoire.

La rhétorique antisoviétique me semble conforme à ce que nous savons des sentiments d’une grande partie du peuple polonais vis-à-vis de l’ancienne URSS.
Présentée ainsi dans ce récit, « brut de décoffrage », cela fait simpliste bourrage de crâne de Marek.

Au total il me reste l’impression d’un récit assez inconsistant et flou ; il pourrait tout à fait être empreint d’une touchante poésie simple.

Tadiou

   Solal   
30/9/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour,
La mécanique de votre texte tourne relativement rond mais je trouve qu'il lui manque un petit quelque chose.
Durant ma lecture, je ne me suis pas vraiment senti concerné par les émotions de Malek. Faute, il me semble, à une écriture trop détaché, trop distante du personnage. Cela est d'autant plus flagrant que l'essentiel du support narratif est centré sur ce seul personnage.
Ainsi, j'ai d'abord été heurté par l'approche simpliste de l'analyse politico- historique avant de me dire qu'elle pourrait effectivement coïncider à la vision d'un gosse de huit ans. Preuve, pour moi, d'un décalage dans la narration.

Bien à vous.

   SQUEEN   
1/10/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↓
J'ai aimé ce texte mais comme j'aurais aimé l'évocation d'une histoire, l'ambiance passe bien. J'ai eu l'impression de rester dans le flou, le texte manque d'ancrage, de rigueur; pas beaucoup je pense. Pour moi ça ne fait pas "à hauteur d'enfant".Il laisse une impression de détachement par-rapport à la réalité, une nonchalance que j'ai appréciée. Je n'ai pas aimer le "violées de temps à autre" trop démesuré, trop agressif. "Marek fait attention de ne pas trop bousculer les gens groupés autour des pierres tombales en passant dans les allées creusées pour les vivants." J'avais lu :"...les allées creusées par les vivants." j'avais beaucoup aimé... Quelque chose m'ennuie aussi, Marek découvre donc la tombe de la mère de son père et se rend compte (peut-être) que celle-ci est morte tuée par les Russes, ce qui expliquerait pour partie l'aversion qu'entretient ce père pour cette époque. La mère de Marek est morte aussi, de quoi? On ne l'apprend pas: mais je suis persuadée que dans la tête d'un enfant de 8 ans ça se mélange et que ces 2 morts se retrouve au même niveau, il n'est certainement pas aussi dramatique ou surprenant pour le jeune Marek que sa grand-mère soit morte aussi jeune, cela doit presque lui sembler "normal". Ce point, que j'ai sans doute mal exprimé, déforce beaucoup à mon sens votre chute. Il faudrait soit l'utiliser "à fond", rendre le côté fataliste et répétitif des destins similaires du père et du fils présent; Soit ne pas faire mourir cette mère, qui finit anecdotiquement en prétexte de visite au cimetière. A vous relire

   Alexan   
7/10/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J’aime beaucoup l’ambiance pastorale et mélancolique de cette peinture champêtre, accompagnée de la perception d’un enfant sur des problèmes graves ; l’admiration d’un fils de huit pour un père à qui il donne (presque) parole d’évangile.
Je trouve tout cela très juste et authentique, servi par une jolie écriture soignée. On sent de la retenue qui vient encore ajouter de la profondeur a ce texte.
J’ai particulièrement aimé le moment ou Marek se fait la réflexion lui-même en voyant commencer ce jour de fête : « ça ne doit pas venir de l’époque soviétique »
Et surtout, la scène ou il va chiper une fleur pour sa mère. C’est cocasse et tragique, espiègle et émouvant.
Quant à la fin, je la trouve poignante.
Un excellent moment. Merci pour ce partage.

   Pistache   
15/10/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Texte pudique, tout en finesse, avec plusieurs niveaux de lecture.
On part d'une paysage volontairement bucolique et trop beau pour être innocent, pour arriver à une fin qui mêle l'horreur de certains destins collectifs et le chagrin intime des histoires personnelles. Une très belle association de l'Histoire avec ses faces sombres et du tempo familial tout en retenue.
La fin est très poignante et on salue l'auteur de ne pas en rajouter. Le décalage entre l'introduction et la chute est particulièrement travaillé et réussi. Un train (celui de la 1ére phrase) peut cacher beaucoup d'autres choses est trancher le nœud des secrets des pères !


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