Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Science-fiction
Corentin : Néant
 Publié le 25/08/09  -  7 commentaires  -  73547 caractères  -  134 lectures    Autres textes du même auteur

L'histoire d'un homme, dans un futur relativement proche, qui raconte comment la Science a démythifié le monde.


Néant


Je suis né en 2109.


J’aurais tellement voulu naître un siècle plus tôt, lorsque l’humanité pouvait encore se complaire dans certaines illusions. Ces illusions, je ne les connais que par la froideur médicale avec laquelle mon époque les a disséquées. Il m’est impossible de me complaire dans ces rêveries du siècle passé, mais j’aurais tellement voulu y croire.

Ces rêves, ce sont ceux de milliards de personnes qui croyaient encore en l’existence d’un dieu, quel qu’il fût. Ces rêves, ce sont ceux, entremêlés, de ces gens qui croyaient encore que l’Homme avait quelque chose de spécial, que l’Humanité avec un grand H revêtait une importance cosmique. Le rêve ultime, auquel je n’ai jamais eu le droit d’adhérer, c’était celui d’une vie après la mort. Ou quelque chose comme ça. L’idée que, peut-être, notre existence ici bas n’était pas aussi futile que vide de sens.

La vérité, c’est que tout ça n’était, justement, que des rêves. Des illusions orchestrées par notre cerveau, produit aveugle de l’évolution, qui n’a que faire de la vérité. Pendant un temps, je me suis battu pour rétablir cette possibilité, pour prouver qu’il y a une raison à tout ça. Pour prouver que, s’il y a quelque chose plutôt que le néant, ce n’est pas pour rien. Mais non. Il n’y a rien. Rien d’autre que l’énergie et la matière dans cet univers gigantesque qui se fout de nous et qui s’achemine, inéluctablement, vers sa fin.



*

* *



Je suis né de parents brillants. Mon père était ingénieur de recherche en physique appliquée au Commissariat à l’Énergie Atomique. Ma mère était directrice de recherche en neurosciences au Centre National de la Recherche Scientifique. Quant à moi, je n’étais rien. Ou, tout au moins, c’est ainsi que mes parents m’ont appris à penser. Pendant toute mon enfance, on m’a répété jusqu’à saturation que je n’étais qu’un accident, le résultat vain et insensé d’une molécule qui, plusieurs milliards d’années auparavant, avait commencé à se répliquer, par le biais d’une chimie organisée. Et c’était tout. Cette molécule, soumise à la pression de l’environnement, et finalement même pas capable de se répliquer correctement, avait engendré d’innombrables séries de répliques dégénérées. Et puis, à l’extrémité phylogénétique d’une branche évolutionnaire régie par le hasard et la contingence, il y avait l’homme. Un siècle plus tôt, certains auraient encore écrit « Homme » avec un grand H mais aujourd’hui, à la veille de mon cent onzième anniversaire, notre majuscule a depuis longtemps disparu.


Je suis vieux, et pourtant il me reste encore une bonne trentaine d’années à vivre, d’après mon terminal de santé sans cesse actualisé. J’ai beau avoir joué avec ma biochimie plus que de raison pendant ma jeunesse, et jonglé avec mes organes comme s’ils étaient remplaçables – ils l’étaient réellement, en fait, mais je crois que je n’arrive toujours pas à l’accepter –, la vie n’est pas prête à me lâcher. Assis sur mon bureau, avec les embruns de la mer du Nord sur mon affichage tête haute numérique à ma droite et le Sahara à ma gauche, je me dis que j’ai vraiment tout manqué. Je vis à Nouméa. J’ai quitté la grisaille de la vie parisienne il y a bien longtemps pour le réconfort d’un climat délicieusement exotique et, finalement, je me morfonds dans mon affichage numérique et je me fais livrer des litres de solution nutritive en intraveineuse par l’antenne pacifique de la Roboposte mondiale. Quel gâchis.


J’en suis arrivé là à cause de mes parents. Clairement. À leur décharge – et ils seraient les premiers à l’expliquer en détail s’ils étaient encore de ce monde – ils n’étaient finalement rien d’autre que le produit de leur époque. Des milliards d’années d’évolution, puis quelques milliers d’années de culture, tels étaient les véritables « coupables » de ma situation actuelle. Je mets « coupables » entre guillemets car, bien sûr, l’évolution de la vie et de la société n’a aucunement conscience de ce qu’elle m’a fait subir, car elle n’est que la conséquence impersonnelle de la mécanique de l’univers. Cela dit, et je crois que je ne leur pardonnerai jamais, mes parents étaient l’exemple type de l’extrémisme matérialiste. Le monde était devenu matérialiste, à n’en point douter, mais eux faisaient partie de l’élite qui prenait plaisir à désacraliser l’univers jusque dans ses moindres et ultimes petits détails. Pour ça, je leur voue une haine sans borne, mais une haine sans colère. Je suis bien au-dessus de tout ça. Car j’ai cédé à l’appel de la réalité objective il y a quelques années maintenant.


J’ai fait refaire tout mon câblage neural. Il s’agit d’une réorganisation d’une grande partie du cerveau à l’aide de nanomachines capables de reprogrammer les voies neurales. Cette reprogrammation consiste en l’élimination d’une grande partie des fonctions instinctives de l’encéphale, limitant très fortement nos tendances fondamentalement évolutionnaires, c’est-à-dire tout ce qui a trait à la survie de nos gènes : reproduction et alimentation, ainsi que tous leurs épiphénomènes (socialisation, hiérarchisation, soumission, etc.). Le basculement n’annihile aucunement ces fonctions – le monde n’est à mon grand étonnement pas encore devenu fou à ce point –, mais il les régule de sorte que le cerveau n’en soit plus esclave. Le désir sexuel est toujours présent, la faim et le plaisir de s’alimenter aussi, mais d’une manière très détachée. Ainsi, nous pouvons choisir de faire l’amour ou d’aller dans un bon restaurant, nous pouvons choisir d’entrer dans une communauté sociale, mais nous n’en ressentons aucunement le besoin, lancinant, qui a piloté l’humanité pendant les milliers d’années passées. En somme, le basculement vers l’objectivité délivre complètement l’homme de l’asservissement aux processus et comportements qui ont abouti à ce qu’il est. L’objectivité ne détache pas l’homme de ces phénomènes ; elle l’en libère.



*

* *



Les premières recherches dans le sens de l’Objectivation de l’homme furent traitées avec tout le dégoût auquel il fallait s’attendre de la part d’une humanité encore très fortement empreinte d’éthique et de religiosité. On peut légitimement se demander comment l’on a pu en arriver là, comment on a pu permettre à un tel procédé d’exister. Mais la Science étant ce qu’elle est – la prospection vers la connaissance – rien ne pouvait empêcher la marche vers l’émancipation de l’homme. Tout au plus les objections sociétales pouvaient-elles la ralentir, mais en aucun cas l’enrayer. Puis arrivèrent les premiers cobayes. Tout le monde se passionna pour l’évolution et l’insertion dans la société des premiers « Objectivés ». Tout le monde trouvait ça ignoble, mais tout le monde ne parlait que de ça. Un peu comme lors de l’avènement de la téléréalité le siècle passé : l’arrivée des Objectivés suscita tout à la fois engouement, émoi, rejets, condamnation et fascination.


Les résultats furent fulgurants. Les Objectivés étaient des surdoués. Et ils n’étaient absolument pas inaptes aux relations sociales. Ils étaient simplement un peu détachés, au-dessus de toutes les provocations et de toutes les querelles. Ils faisaient preuve de beaucoup d’esprit et d’un humour délicieux. Ils ne créèrent jamais de problèmes, ils n’engendrèrent jamais aucune criminalité, sauf à leur égard (un certain nombre d’entre eux furent sauvagement assassinés par des extrémistes et des fondamentalistes de tous bords). Les Objectivés étaient brillants, dans quasiment tous les domaines, scientifiques ou artistiques. Très vite, certains firent des découvertes scientifiques majeures, tant dans les sciences fondamentales que dans les sciences appliquées. Le Prix Nobel fut très vite systématiquement attribué aux Objectivés. De même que le Prix Goncourt. Et tant d’autres suivirent. La révolution était en marche. Il ne fallut pas longtemps pour que l’Objectivation soit la nouvelle mode. Mais, évidemment, cela entraîna une forte tension sociale. Le prix de l’opération était d’un coût exorbitant, et seuls les plus riches pouvaient se la payer. Belle ironie du sort : ce furent les socialistes et l’extrême-gauche, d’abord les plus virulents opposants éthiques à l’Objectivation, qui menèrent le combat pour que celle-ci soit accessible à tous. Le Parti socialiste européen parvint même à faire inscrire dans la Constitution européenne que « l’accès à l’Objectivation » était « un droit inaliénable ». La suite n’était plus qu’une formalité : l’Objectivation devint une opération de routine, fortement recommandée par tous les médecins, et intégralement remboursée par la Sécurité sociale (ou tout au moins ce qu’il en restait). Il est aujourd’hui clair que l’avènement de l’Objectivation fut un événement historique majeur.


Comme l’immense majorité des gens sur cette Terre, je suis désormais un Objectivé. En fait, au moment de mon opération, ce n’était pas la première fois que je « basculais » dans l’objectivité. Mais les quelques fois précédentes où je l’avais fait, j’avais systématiquement opté pour la formule réversible de l’opération. Mon neurochirurgien était un robot muni d’une IA performante, programmé par une assemblée collégiale d’experts neurologues, et il s’était exécuté sans broncher. La dernière fois, j’avais opté pour la forme irréversible – et donc plus profonde, plus « parfaite » – de l’opération. Après tant d’années passées à osciller entre objectivité et simple humanité, j’avais décidé d’arrêter les frais.


L’Objectivation globale de l’humanité, désormais presque réalisée, était pourtant loin d’être acquise au début. Les principaux obstacles étaient la morale, l’éthique et, bien évidemment, la religion. La morale et l’éthique, terriblement mouvantes, ne résistèrent pas longtemps devant cette promesse d’une nouvelle humanité. La religion fut beaucoup plus difficile à surpasser. En fait, elle semblait vraiment insurmontable. Dans les premières années de l’Objectivation, il y eut un nombre considérable de meurtres des premiers Objectivés. Certains furent crapuleux. Et souvent commis par des extrémistes religieux. L’Objectivation fut un effroyable catalyseur de haine. Les intégristes musulmans, qui multipliaient déjà les attaques contre les chrétiens occidentaux, devinrent encore plus violents. En effet, il s’agissait pour eux non plus de combattre une autre religion, mais de combattre l’athéisme même. Car l’Objectivation conduisait inéluctablement à la mort de toute religion.


Même avant l’Objectivation, la société et la science avaient beaucoup évolué. En Occident, à part peut-être aux États-Unis où les gens restaient encore souvent croyants, la religion était sur le déclin. Après tant et tant d’années, les idées de Darwin avaient progressé. Nous sommes, en tant qu’Homo sapiens, d'une affligeante banalité biologique et génétique. Sur le plan du génome, notre proximité avec les grands singes est considérable. Elle atteint 98,7 % avec le chimpanzé et est encore de 80 % avec la souris (et de 50 % avec la levure). Par ailleurs, les primates du genre Homo et de l'espèce sapiens ne comptent même pas parmi les mammifères qui ont évolué le plus vite. L'évolution humaine a même été beaucoup plus lente que pour celle de nombreuses autres espèces. Nous sommes non seulement d'une grande banalité mais, d'un point de vue génétique, n'avons pas même été particulièrement innovants.


Ainsi, l’être humain, comme toutes les autres formes de vie, n’est finalement rien d’autre qu’un assemblage de cellules englobant des gènes opportunistes uniquement capables de se répliquer, et qui se fichent éperdument des corps qui les portent, pourvu qu’ils puissent passer dans une autre enveloppe charnelle. Nos sentiments et nos pensées ne sont que des réactions chimiques dans notre cerveau, espèce d’éponge informe, façonné par l’environnement et nos besoins physiologiques. Même nos sentiments les plus nobles comme le courage ou l’empathie ne sont finalement que des manifestations subtiles d’un égoïsme génétique latent. Quant à l’« amour », habile subterfuge inventé par les gènes pour appâter et récompenser leur substrat en vue de la reproduction, il remporte sans contestation possible la palme de l’illusion la plus totale.


En parallèle de ces tristes révélations sur nos origines biologiques, les physiciens ont de leur côté fini par unifier la théorie de la Relativité générale avec la Mécanique quantique, qui se sont fondues dans une nouvelle théorie, finale et supersymétrique, que l’on a simplement appelée « Théorie de la Grande Unification ». Cette nouvelle description du monde a révélé la nature profonde de l’univers : un jaillissement (d’origine purement mathématique) d’énergie qui s’est condensée en entités appelées « supercordes », dont le mode de vibration fondamentale prend « l’apparence » de noyaux d’hydrogène. Ce nuage de matière primaire s’est ensuite collapsé sous l’effet de la gravitation quantique à boucles, enclenchant le processus de nucléosynthèse primordiale. Ainsi furent constitués tous les composants atomiques du tableau de Mendeleïev. Ces composants – parmi lesquels le carbone, l’argon, l’uranium, etc. – ne sont finalement que des nouveaux harmoniques vibratoires des supercordes s’agitant frénétiquement dans un simulacre d’espace-temps à 4 dimensions, alors que l’univers en contient en réalité 11, repliées sur elles-mêmes, dans un superespace fini mais sans la moindre frontière. De son côté, l’univers s’est avéré être en expansion accélérée, poussé par le champ d’interaction fondamentale généré par la matière « exotique ». Cette matière compte pour 95 % de la masse totale de l’univers, elle était partout sans que l’on puisse la voir, mais on avait fini par la détecter dans les gigantesques capteurs relativistes du LHC. Les simulations numériques, réalisées sur superordinateurs quantiques capables de calculer dans le plurivers via le phénomène de superposition des photons, furent sans appel : l’accélération de l’expansion de l’univers est telle que le tissu même de l’espace-temps, dans lequel baigne l’indissociable dualité matière-énergie, finira par se disloquer, comme une nappe qui se déchire. À toute vitesse, l’univers est en marche vers l’anéantissement, et cela arrivera bien plus tôt qu’on ne l’aurait pensé. La tension exotique est tout simplement trop forte pour que le tissu de l’univers puisse la contenir. À l’échelle d’une vie humaine, la mort de l’univers est encore très lointaine, mais elle aura lieu avant même l’extinction de notre Soleil. Inutile d’essayer de coloniser la galaxie pour échapper à la mort de notre étoile : l’univers lui-même va se déchirer bien avant, dans un gigantesque Big Rip, et retournera au néant.


C’est après ces découvertes que certains ont fini par comprendre qu’il n’existe personne « là-haut » qui nous aurait créés, et encore moins personne qui pourrait bien « tenir à nous ». L’humanité s’est progressivement faite à l’idée que la nature est indifférente, que l’univers se fiche éperdument de nous, qui ne sommes que des cloportes à la dérive sur un caillou perdu dans l’immensité, sous la botte d’un univers aveugle courant à sa fin. Mais tout le monde n’a pas compris cela au même moment. L’Objectivation a beaucoup contribué à la mort de la religion, mais il s’est passé quelque chose de décisif dans le courant de l’année 2087. Quelque chose de radical.


En 2087, donc, les États-Unis décidèrent de se retirer du Pakistan, d’Iran et d’Irak, après y avoir une nouvelle fois perdu une guerre insurrectionnelle contre l’islamisme fondamental. Après des centaines de milliers de musulmans tués, et bien que les États-Unis n’aient soufferts d’aucune perte humaine grâce à leurs armées de drones et autres robots de combat rapproché, le Congrès américain avait voté le retrait des troupes robotisées car cela avait suffisamment duré. Et alors que les fondamentalistes hurlaient la victoire du Djihad, un porte-avions américain s’embrasa soudainement dans le golfe Persique. Quelques minutes plus tard, trois autres porte-avions explosèrent avec une violence inouïe et coulèrent en quelques secondes. Le monde entier regarda, stupéfait, l’armée américaine se faire anéantir sans la moindre explication. Il ne fallut qu’une poignée d’heures à une équipe d’astronomes pour comprendre ce qui s’était passé : une pluie de météorites avait frappé la flotte américaine. Les djihadistes y virent immédiatement une punition d’Allah contre l’impérialisme américain, ce qui ne fit que renforcer leur foi. Certains analystes tentèrent bien d’expliquer que ce n’était qu’un malheureux coup du sort et que, s’il fallait absolument tirer une explication divine du phénomène, on aurait tout aussi bien pu penser que c’était Dieu et non Allah qui punissait les Américains pour avoir abandonné leur lutte contre l’extrémisme musulman. Ignorant le bon sens, les troupes du Djihad continuèrent de proclamer la victoire de leur Dieu. Mais cela ne dura pas longtemps. Quelques heures plus tard, une seconde pluie cosmique vint anéantir Bagdad avec encore plus de violence que la flotte américaine n’avait été détruite. Devant l’évidence de la conclusion (un nuage de débris galactiques totalement indifférent aux querelles humaines était venu nous frapper en plein cœur sans distinction aucune), ce fut la fin de l’Islam. Et cet événement entraîna avec lui presque toutes les autres formes de religion.


Ainsi, lorsque je naquis en 2109, ce fut dans un monde presque entièrement athée. Bien sûr, la religion ne disparut pas totalement, ne serait-ce que d’un point de vue culturel. Un grand nombre de famille continuèrent à vivre « religieusement », même sans vraiment y croire, par simple respect de la tradition. Les écoles religieuses ne fermèrent pas. Moi-même, je fus placé dans une école primaire, puis dans un collège et dans un lycée catholiques. Mes parents, totalement athées, avaient l’esprit de contradiction. Ils m’avaient dit qu’ils voulaient que je me rende compte par moi-même de toutes les absurdités de la religion. Comme tout gamin de mon âge, je fis exactement le contraire de ce que me demandaient mes parents. Par pur esprit de contradiction, je décidai de croire en Dieu. Et, très vite, je découvris que j’aimais ça. J’aimais l’idée qu’il existait un être bienveillant autour de nous. J’aimais l’idée qu’il nous avait créés à son image. J’aimais l’idée qu’il existait une vie après la mort, que tout le monde serait jugé, et que la miséricorde du Tout-Puissant était infinie. En fait, la vision religieuse du monde me semblait terriblement belle, comparée à la froideur de mon quotidien, en opposition à ce que mes parents me disaient. C’est ainsi que, pendant toute mon enfance, je m’appliquais à croire en Dieu en lieu et place de l’athéisme prôné par mes parents et toute la société dans laquelle je vivais.



*

* *



Très jeune, je haïssais mes parents. Je ne supportais pas leur façon de me dire que je n’étais qu’un moins que rien. Je ne supportais pas l’idée d’avoir été parmi les premiers enfants entièrement conçus en dehors du corps de ma mère. J’étais en effet issu d’une fécondation in vitro et d’un développement extracorporel. J’avais grandi dans une matrice de synthèse. Ma mère ne m’avait jamais porté. Elle ne m’avait jamais enfanté. Et pour cause : afin d’éviter tout risque de cancer, elle avait – entre autres – subi une mastectomie ainsi qu’une hystérectomie préventives (bien évidemment suivies de chirurgie laser reconstructive). Ma mère m’avait regardé me développer dans un dispositif expérimental, parfaitement consciente que mes chances d’aller au bout n’étaient que de 2,7 %. J’étais le produit d’une expérience, littéralement. Mes parents, des Objectivés bien évidemment, ne m’avaient pas désiré. Ou, tout au moins, ils ne m’avaient pas désiré comme des parents pré-Objectivation auraient pu désirer un enfant. Ils avaient tout simplement choisi d’avoir un enfant, avec un immense détachement, juste « pour voir ». Être parmi les premiers parents à concevoir de manière totalement artificielle avait sûrement été l’une de leurs principales motivations. Bien sûr, je n’ai jamais manqué de rien.


Mes parents étaient riches, et l’État offrait des subventions pour ce nouveau mode de reproduction. J’avais eu droit à la totale, avec notamment un passage au crible de mon génome dès le stade embryonnaire. Les autres « moi » dont le génome n’était pas aussi satisfaisant avaient été impitoyablement « supprimés », tout simplement. J’étais l’unique survivant de ma fratrie, et je ne devais mon salut qu’à la qualité de mes gènes. Les gamètes de mes parents avaient été soigneusement sélectionnés avant même la fécondation, et les premières cellules de mon organisme furent la cible d’une thérapie génique préventive de la plus haute qualité. Mon patrimoine génétique était exceptionnel. Mais cela ne suffisait toujours pas. Après ma « naissance », dès que mon corps fut capable de supporter la chirurgie, mes parents me firent retirer les derniers « obstacles » que mon corps mettait en travers de ma propre vie. C’est ainsi que mon estomac fut retiré et que je fus restreint à une alimentation par intraveineuse scientifiquement étudiée dès mon plus jeune âge. Mon appendice me fut très tôt retiré. L’extrémité terminale de mon colon fut sectionnée pour éviter toute possibilité future de cancer colorectal. Car, s’il y a bien quelque chose que la Médecine nous a enseigné, c’est que le corps humain n’est pas fait pour vivre éternellement. Il se construit lentement, atteint la puberté où il est censé se reproduire, puis il se détériore un peu plus chaque jour. L’évolution ne nous a pas conçus pour durer, mais simplement pour copuler avant de passer le relais. Rien de plus. Alors, pour vivre plus longtemps, pour dompter nos gènes et les museler, pour enfin nous libérer, la seule solution est de nous transformer pour refuser notre animalité. Mon corps fut profondément modifié de l’intérieur par des nanomachines autorépliquantes, qui subsistent encore en moi aujourd’hui, contrôlant la concentration des nutriments dans mon sang. Elles réparent sans relâche les microlésions qui surviennent en moi chaque jour. Elles renforcent continuellement mes synapses, veillent à la non-dégénérescence de mes neurones, elles traquent les caillots dans mes veines et nettoient tous les jours mes artères du moindre dépôt graisseux qui pourrait s’y fixer. Les cartilages de mes articulations ont été remplacés par des polymères de synthèse. Inlassablement, mes nanomachines réparent ma cornée. Je ne suis pas une machine, non, pas du tout, mais la science m’a considérablement amélioré. Je suis insensible au SIDA ainsi qu’à ses terrifiants successeurs. En fait, presque aucune maladie ne peut m’affliger.


Devant l’explosion de la durée de vie, les gouvernements ont dû mettre en place une politique de natalité extrêmement stricte à l’échelle planétaire. Il a été unanimement décidé qu’il valait mieux vivre mieux et plus longtemps que de plus en plus nombreux. L’Objectivation, l’augmentation de la durée de vie et de la qualité de l’enseignement ont conduit à une importante poussée en avant des sciences et des connaissances. Cela fait plusieurs décennies maintenant que l’humanité maîtrise la fusion nucléaire, le même procédé que celui à l’œuvre dans le cœur des étoiles : des gigantesques aimants supraconducteurs refroidis par azote liquide confinent le plasma thermonucléaire dans les centrales à fusion, fournissant le monde en électricité, en ne consommant qu’une infime quantité de deutérium. Avec la maîtrise de la puissance des étoiles, c’est toute l’humanité qui a pu accéder à l’énergie et ce, au moindre prix. La hausse du niveau de vie des pays sous-développés fut presque instantanée. L’Afrique, grand continent oublié pendant une éternité, est aujourd’hui aussi modernisée que la Grande Union européenne des années 2050. La pauvreté n’a pas encore été totalement éradiquée, mais quelqu’un qui viendrait des années 2000 serait sidéré par le bond matériel et philosophique effectué par l’humanité.

Aujourd’hui, presque plus personne ne meurt de faim, et la nature humaine et de l’univers ont été entièrement décryptées. Et dans notre monde où tout a été décrypté, il serait légitime pour ce quelqu’un des années 2000 de se demander comment le comportement humain a été appréhendé. La théorie de l’évolution, l’éthologie, les neurosciences et bien d’autres disciplines scientifiques ont rapidement levé le voile sur notre nature animale et égoïste, mais bien peu de gens ont vraiment voulu l’accepter. Ce n’est qu’avec l’Objectivation que la réalité de la nature humaine a vraiment été dévoilée, car il est toujours plus facile d’avouer son horrible nature lorsque l’on est enfin capable d’en changer. L’être humain, comme toute créature vivante, est un être fondamentalement égoïste. L’émergence de la vie en société est simplement due au fait qu’il s’agit d’une structure dans laquelle l’égoïsme devient plus efficace encore, par le jeu de la soumission, de la possession et de la confrontation. L’entraide et l’empathie sont le résultat de faux-semblants qui sont payants dans une société où l’on est forcé de se côtoyer : être (ou plutôt paraître) doux, gentil et attentionné est un moyen de ne pas être châtié. C’est une stratégie évolutionnairement payante. C’est aussi l’illustration du pouvoir universel du « jeu à gain non nul ». La vie en société est un jeu. Le gain est la survie. Et lors d’une interaction entre deux sujets, il est possible que le premier cède quelque chose au second, tout en assurant un gain aux deux partenaires en même temps. En effet, lorsque l’on est en dans une bonne situation, donner un peu de nourriture à quelqu’un dans le besoin peut être doublement payant : on passe pour un saint tout en obtenant une tacite reconnaissance de dette sur laquelle on pourra peut-être compter un jour (au pire, ça ne nous coûte presque rien vu notre situation confortable). Aussi simpliste que cela puisse paraître, l’humanité est, d’un point de vue évolutif, en grande partie fondée sur ce principe. Avec l’Objectivation, non seulement nous avons compris ce principe, mais en plus nous l’avons accepté et nous l’avons poussé dans ses ultimes retranchements. La politique mondiale est aujourd’hui basée sur cet « égoïsme socialiste », et cela fonctionne très bien.


Alors, bien sûr, ce quelqu’un qui viendrait des années 2000 nous trouverait froids et matérialistes, il nous qualifierait peut-être même d’inhumains devant l’existence de cet égoïsme socialiste. Certes. Mais le progrès est réel. L’humanité a parfaitement géré l’après pétrole. Dans le domaine de l’énergie, l’ancien nucléaire à fission a parfaitement pris le relais pendant un temps, grâce aux réacteurs à neutrons rapides. Puis, bien sûr, est arrivée la fusion. Dans le domaine des transports, les véhicules hybrides ont assuré l’intérim avec brio avant de s’effacer complètement avec l’avènement du moteur à hydrogène. Les grandes stations pétrolières ont fermé, les gigantesques plates-formes offshores ont été démantelées. Les pays producteurs de pétrole ont cessé d’être l’objet de toutes les convoitises et de toutes les tensions. Leurs dirigeants (des Objectivés bien sûr) ont su gérer la fin de leurs ressources et, aujourd’hui, ces pays sont des Républiques démocratiques agnostiques, riches et pacifiées. Les avions, désormais propulsés à vitesse hypersonique grâce à la maîtrise de la magnétohydrodynamique et des turbines à hydrogène, ne polluent plus les cieux. La chimie a trouvé de nombreux palliatifs de synthèse aux composés carbonés du pétrole. Le cataclysme planétaire dû au réchauffement climatique n’a pas eu lieu. Dans le monde de l’Objectivation, la rationalisation s’est imposée. Les comportements se sont modérés, et la pollution est retombée. Nous sommes peut-être froids et matérialistes, mais nous avons réalisé le rêve des fougueux écologistes radicaux du siècle passé. Nos motivations étaient radicalement différentes, pourtant. L’époque où l’on s’indignait de la pollution humaine et de la fragilité de la planète est révolue. L’humanité a fini par comprendre que la nature est indifférente et que la planète se fiche pas mal de nous. Par conséquent, l’écosystème n’a pas la moindre opinion sur la façon dont on le traite. Voir la Terre comme une pauvre petite planète blessée est une aberration, c’est un comportement anthropomorphique aussi erroné que pédant. L’émergence du « comportement écologique » de l’espèce humaine n’a strictement rien à voir avec le respect d’une nature qui n’en a pas besoin et qui n’attend rien de nous. La « révolution verte » n’est qu’une forme d’opportunisme humain encore plus efficace que le capitalisme, qui courait à sa perte. Pour assurer sa propre survie – et dans cet unique objectif – l’humanité devait prendre soin de son environnement. Il est époustouflant de voir que la région parisienne, par exemple, est aujourd’hui aussi somptueuse que les plus belles régions scandinaves d’il y a 200 ans.


Et pourtant, malgré sa magnificence, je n’aime pas ce monde. Parce que l’on m’a démontré avec une force implacable que lorsque je mourrai – dans longtemps, mais c’est une certitude absolue –, mon corps sera incinéré et je cesserai tout simplement d’exister. Je n’ai pas d’âme, tout simplement parce que rien de tel n’existe, et dès lors rien ne pourra me succéder. Il n’y a pas d’après. Et même ce foutu univers finira par s’évaporer. Cette inévitable et brutale mortalité me remplit d’effroi. Je ne peux pas le supporter. Même en tant qu’Objectivé, cette terrible considération me fait trembler. Pourquoi a-t-il fallu que l’évolution produise des êtres conscients et suffisamment intelligents pour pouvoir comprendre qu’ils ne sont rien et que tout, y compris eux, est appelé à s’évaporer ? Pourquoi l’univers n’est-il pas resté stérile ? Pourquoi donc a-t-il créé des êtres pour assister à sa disparition ? J’ai fini par comprendre qu’il n’y a pas de réponse à ces questions. Tout simplement parce que ces questions n’ont pas de sens.



*

* *



Mes parents sont morts quand j’avais 17 ans. Ils se sont tués dans un terrible accident de la circulation. C’est difficile à imaginer lorsque l’on sait que, dans notre monde ultrasécurisé, tous les véhicules sont bridés. Ils sont de plus munis d’un transmetteur GPS fournissant en permanence la position et la vitesse à l’AdR (Administration des Routes). Les véhicules sont encore commandés par leurs pilotes, mais un ordinateur de bord et des capteurs plein les routes veillent au strict respect des vitesses et des règles de circulation. Aucune infraction n’est tolérée. La prison est instantanée. Mais mon père aimait la vitesse. Il aimait la course. Et il avait beaucoup d’argent. Dès lors, rien d’étonnant à ce qu’il ait pu disposer d’un véhicule discrètement modifié. C’était un vrai bolide. Lui et ma mère aimaient partir en virée sur les grandes autoroutes campagnardes afin de pulvériser quelques records de vitesse, en toute impunité. La vérité, c’est que mes parents avaient fait partie des premiers Objectivés. À l’époque, la méthode n’était pas encore parfaite, et il restait à mes parents quelques soupçons de l’ancienne humanité, dont cette ivresse de la vitesse et ce goût de l’interdit. Ils ont percuté un véhicule de fret automatique transportant de la viande de bœuf de synthèse, à la sortie d’un virage mal négocié. Les multiples airbags à liquides supersoniques et les zones à déformations programmées de leur bolide et du véhicule de fret leur ont sauvé la vie. Mais pas longtemps. Juste de quoi me rendre en micro-hélicoptère à l’hôpital où ils avaient été emmenés. Lorsque je suis entré dans leur chambre, ma mère était dans le coma, techniquement décédée, et des robots chirurgicaux s’affairaient pour récupérer au plus vite les organes qui pouvaient être sauvés (le clonage thérapeutique était une technologie au point, permettant le remplacement d’organes sans risque de rejet, mais sa réactivité n’était pas encore suffisante pour pleinement satisfaire les besoins des patients, encore avides d’organes prélevés sur les morts). Mon père, lui, était encore vivant, même si les robots papillonnaient déjà autour de lui pour établir le diagnostic prémortem et estimer ce qui pourrait être récupéré. Par décence, son corps affreusement mutilé m’était en partie caché par un écran polarisé. J’appris plus tard que son buste était quasiment sectionné en deux et que sa colonne vertébrale avait traversé ses viscères.


Lorsqu’il me vit, avec des trémolos dans la voix, mon père me dit qu’il était terriblement désolé. Je mis sa réaction inhabituellement attentionnée sur le compte des drogues qu’on lui avait injectées. Mais lorsqu’il me dit qu’il venait de faire placer sur un compte spécial une petite fortune qui m’était destinée – en lieu et place du don intégral et volontaire à l’État qui était désormais la norme –, je faillis me retourner pour regarder si j’étais filmé. Pris d’un soudain malaise, je pensais que tout ça n’était qu’une mise en scène. Le type en train d’agoniser devant moi n’était pas mon père. Ce n’était pas possible. Il ne lui ressemblait pas. Mais en fait, si, justement. C’était bien lui. C’était peut-être même la première fois de toute mon existence que je voyais mon vrai père. Le choc du traumatisme avait submergé la relative incomplétude de son objectivation et, pour la première fois, la barricade artificielle qui s’était toujours dressée entre moi et mon père avait cédé. Je le vis pleurer à chaudes larmes, jeter des regards paniqués vers le cadavre de sa femme, et hurler après les robots qui avaient déjà commencé à le découper. Sans doute pour la première fois de son existence, mon père ressentait les choses comme un véritable être humain. Le passage d’un détachement artificiel aux sensations brutes d’un humain mortellement accidenté a dû être un choc épouvantable. En lui tenant la main, je l’ai regardé mourir. J’ai vu son regard s’éteindre. En quelques minutes à peine, j’ai vu son humanité affluer et refluer. J’ai quitté la salle en pleurant, pour ne pas voir les robots le mettre en pièce, pour ne pas voir des machines recycler sa chair morte pour en rééquiper les vivants.


À chaque fois que j’y repense, j’en ai les larmes aux yeux. Au bout du compte, je n’ai connu – et aimé – mon vrai père que l’espace de quelques minutes. Encore que je ne sois même pas sûr que ce fût bien lui. Évidemment, je me suis documenté. D’autres cas de « désobjectivation traumatique » avaient-ils été signalés ? Les théoriciens et les neurologues objectivistes prétendent que le phénomène n’est rien d’autre qu’un total dérèglement de la psyché. Un Objectivé traumatisé, mortellement blessé, est effectivement susceptible d’avoir un comportement inhabituel. Mais d’après les médecins, ce comportement ne doit surtout pas être vu comme une « désobjectivation » et encore moins comme un retour à la « vérité ». Le phénomène n’est, disent-ils, que « le résultat normal des drogues relâchées par l’organisme et injectées par intraveineuse ». Ainsi donc, d’après eux, je n’avais pas du tout connu mon vrai père, mais seulement un Objectivé complètement shooté. Malgré tout, je voulais obstinément croire que j’avais connu mon vrai père.


La mort de mes parents provoqua chez moi une terrible désillusion. Avant leur mort, par contradiction, par envie et par admiration, je croyais en Dieu. Mais l’horreur que j’avais vécue me fit ouvrir les yeux. Dieu ne se fichait pas de moi. C’était encore plus simple que ça. Il n’existait tout simplement pas. Je lus et je relus la Bible. Autrefois refuge secret, la Bible ne m’apparaissait plus que comme un tissu de conneries complètement invraisemblables et mal rapiécées. Je m’en voulais terriblement d’y avoir cru, tant je la trouvais vide de sens à la relecture. Je me trouvais ridicule d’avoir cru qu’il y a 21 siècles un homme avait pu naître d’une vierge sans l’intervention d’un père biologique. C’était absurde. Et cet homme sans père serait revenu à la vie après être mort crucifié ? Et sa mère vierge ne serait jamais morte, elle serait montée au ciel par « assomption » ? Et le pain et le vin, bénis par un prêtre (qui doit forcément avoir des testicules), pourraient devenir le corps et le sang de cet improbable homme sans père ? Cet homme sans père, monté au ciel, pourrait entendre mes pensées, et agir en conséquence ? Non. C’en était fini. Je décidai de chasser Dieu de ma vie. Mais, en même temps, je ne pouvais me réduire à accepter le monde tel qu’on me le décrivait. Dieu n’existait pas ? Très bien. L’univers allait se déchirer ? Nous n’étions que les marionnettes de nos gènes, obsédés par l’idée de copuler ? Très bien. Mais avions-nous vraiment tout compris de notre monde ? J’étais persuadé que non. Il y avait forcément encore des phénomènes qui échappaient à notre entendement. Je me jurai d’aller au bout de toutes les alternatives.



*

* *



Suite à la mort de mes parents, je reçus de l’argent. Un bon paquet. Ainsi, je n’eus jamais à me soucier de l’argent. Je décidai donc de ne pas spécialement chercher à travailler, mais plutôt de passer mon temps à étudier. Si je voulais prouver au monde qu’il y avait quelque chose plutôt que le néant, il fallait que je m’y mette, que je me hisse au niveau des plus grands. Grand admirateur de Descartes, partisan de la théorie de Pascal sur l’Homme en tant que « Roseau planétaire pensant », je voulais à tout prix croire que « quand l'Univers l'écraserait, l'Homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'Univers a sur lui ; l'Univers n'en sait rien ». Rétrospectivement, c’était stupide. J’étais un élève brillant, mais de là à penser que je pouvais prouver au monde qu’il avait tort, c’était illusoire. Mais puisque ma seule raison de vivre était justement de montrer que j’en avais une, tout autre choix que celui-là m’était impossible. C’est ainsi que je m’inscrivis en Faculté. Pas question de perdre mon temps à bosser des concours ridicules en classe préparatoire. Et je n’avais rien à faire dans une école d’ingénieur. Les sciences appliquées n’étaient d’aucun intérêt dans mon projet. Je m’orientai donc vers l’Université, où je me préparai à suivre tous les cours possibles et imaginables de sciences fondamentales, pour tenter de trouver un axe de recherche, un improbable et infime point faible dans la magnificence et la toute-puissance de la Science. C’était perdu d’avance.


Peu soucieux de mon corps et de mon état de santé – qui était de toute façon parfaitement capable de s’autogérer –, je me shootai avec tout ce qui me permettait de tenir debout afin d’engranger un maximum de savoir. Je fis modifier mon câblage neural en vue d’une pseudo-objectivation, histoire d’accroître mes capacités mentales sans pour autant renier ce que je pensais être alors la chose la plus importante qui m’avait jamais été donnée : mon Humanité (que je tenais encore à écrire avec un grand « H »). C’est ainsi que je passais onze ans de ma vie dans un état second de camé du savoir et que je soutins deux doctorats, l’un en neurochimie et l’autre en physique théorique.


Mes travaux sur la chimie du cerveau furent qualifiés d’« originaux », bien que sans réelle portée. Et pour cause : je cherchais quelque chose de mystique dans les neurones (j’avais bien évidemment pris soin de présenter les choses autrement) et je revins à peu près les mains vides. Tout au plus parvins-je à mesurer quelques artefacts dans l’activité de neurones de rats et de porcs au moment de leur mort. Je travaillais sur la conscience : son origine évolutive, ses mécanismes, sa localisation, sa disparition. Je ne sais pas trop ce que j’espérais en m’engageant sur cette voie. En fait, je crois que je voulais restaurer la possibilité du dualisme. Je voulais montrer que, peut-être, le corps et l’esprit étaient dissociables. Car si c’était le cas, si le cerveau n’était que le substrat de l’esprit – son « point d’ancrage » –, peut-être que l’esprit pouvait survivre à la mort, en dérivant dans l’espace-temps.


Pourquoi croyais-je au dualisme ? Parce que je voulais y croire. Mais aussi en raison de l’existence du phénomène NDE, ces fameuses Near Death Experience, ou encore Expériences aux Frontières de la Mort. Avec tous ces témoignages relatant des expériences physiques et mystiques alors même que le cerveau des patients était en état de mort clinique, si le phénomène était réel, il indiquait que la conscience survivait au dysfonctionnement – et à la mort – du cerveau. Les exemples de patients en mort cérébrale capables de rapporter mot pour mot les paroles des chirurgiens et même de raconter ce qu’il s’était passé dans la salle d’opération d’à côté étaient profondément troublants. La décorporation, le tunnel de lumière, la rencontre avec un être absolu et les retrouvailles avec des êtres chers… Tous ces témoignages miraculeux, je les trouvais magnifiques et réconfortants. Et puis, cette uniformité des expériences, indépendamment des croyances, militait pour l’existence d’un phénomène cohérent, profondément réel. Mais il n’y avait pas que ça. Les NDE amenaient aussi parfois à des sensations d’accès à la conscience d’autrui, à un sentiment de toute puissance. Il était même parfois question d’un accès à une somme de connaissances phénoménales. Dans mes fantasmes, j’interprétais tout cela comme l’existence d’un gigantesque ordinateur cosmique, unique et indivisible, qui serait la causalité ultime de toute forme de conscience. Notre esprit ne serait qu’un minuscule filament relié à cet ordinateur cosmique par notre cerveau biologique qui, par sa nature, filtrerait et briderait les données. Ce ne serait qu’au moment de notre mort que nous pourrions passer outre ce relais physique, et que nous pourrions embrasser la totalité du monde, pour prendre connaissance de l’intégralité de son information, fusionnant au passage avec toutes les autres consciences humaines, terrestres, galactiques et universelles.


Mais, une fois encore, tout ça n’était qu’un putain de fantasme. Les phénomènes associés aux NDE avaient tous été expliqués de manière rationnelle. Et, même si cela n’annulait pas forcément toute autre interprétation mystique, cela fournissait une explication bien meilleure car beaucoup plus simple. En vertu du rasoir d’Ockham, la Science triomphait, une fois de plus. Les NDE n’étaient rien d’autre qu’une gigantesque hallucination. En fait, lors d’une NDE, notre cerveau perd complètement les pédales. Privé d’oxygène, saturé d’informations alarmistes, le cerveau relâche des endorphines et, comme il le fait au cours d’un rêve, il cherche à donner du sens aux données qu’il reçoit. N’en trouvant pas – puisqu’il ne s’agit que d’un chaos chimique total –, mais encore capable de raisonner, il bricole une histoire à dormir debout. Confronté à la perspective de sa propre fin, notre cerveau se met à dysfonctionner, engendrant une batterie d’hallucinations. Ni plus, ni moins. L’uniformité des témoignages n’est due qu’à l’uniformité de la cacophonie chimique, qui induit une réponse uniforme car elle assaille une partie de notre cerveau tellement primaire qu’elle n’a pas changé depuis des millions d’années et qui est commune à chacun de nous.


Les NDE sont un phénomène scientifique car compris et reproductible : la stimulation d’une certaine partie du cerveau par une injection locale de kétamine provoque immanquablement la sensation de décorporation, la vision du tunnel et l’apparition de l’être de lumière. Par ailleurs, un faible courant électrique injecté dans le cortex temporal d’un patient provoque la décorporation. Les incroyables sensations qui accompagnent les NDE ne sont qu’une tentative du cerveau pour recréer une représentation mentale de la situation et de la scène. Notre cerveau puise dans les informations des capteurs sensoriels et des expériences emmagasinées et transforme tout cela en une sorte de rêve à propos de soi et de l'environnement. La perception chaude et rassurante d’un amour inconditionnel total n’est que la réaction classique et désormais bien connue de notre cerveau, capable de toutes les prouesses lorsqu’il s’agit de se tromper lui-même pour se rassurer. Les discussions des chirurgiens recrachées mot pour mot par les patients ne sont que le résultat de l’extrême acuité du cerveau pendant l’opération, malgré l’état de mort clinique. En fait, c’est ce qualificatif de « mort clinique » qui est à l’origine du mythe des NDE. Car un encéphalogramme plat avait toujours été assimilé à une activité nulle du cerveau. Ce n’est pas du tout le cas. Des analyses beaucoup plus fines par résonance magnétique ont montré que notre cerveau, bien que sévèrement « sonné », est encore tout à fait capable de fonctionner. Quant aux patients capables de raconter ce qu’il s’est passé dans la salle d’opération d’à côté, il suffit de souligner que leur récit n’est pas aussi précis que certains le prétendent, et de rappeler que les médecins font souvent la navette entre les deux salles, s’échangeant des informations, finalement perçues par le patient peut-être en « mort clinique » mais tout à fait réactif. Enfin, les « connaissances incroyables » auxquelles les patients disent avoir eu accès lors de leur NDE, ils sont tout simplement incapables d’en rendre compte lorsqu’on leur demande de nous les expliquer. Illusions…


Ainsi donc, je vivais dans un monde où l’on avait montré que la dualité du corps et de l’esprit n’était que foutaises. L’émergence de la conscience n’est que le résultat normal et naturel de l’évolution. Il avait été montré que la conscience n’est que le produit d’une activité chimique. L’esprit humain est une mémoire symbolique, fondamentalement non réplicative (et donc très différente de l’informatique). Notre pensée fonctionne grâce à l’enchevêtrement de différentes cartographies cognitives, connectées entre elles par des boucles d’informations et de réentrée. Il suffit d’altérer une de ces « autoroutes » de l’information cérébrale pour désorganiser la conscience et aboutir, par exemple, à la schizophrénie ou à la mort. Si nous sommes devenus conscients de notre propre existence, ce n’est que grâce à la densification de notre réseau neuronal, qui a permis l’apparition d’une mémoire. Partant de là, la compréhension du monde est devenue possible, par une intégration des événements passés en une modélisation du monde et de l’avenir. Notre cerveau est un organe très compliqué, certes, mais il n’est rien d’autre qu’un produit accidentel de l’évolution, et ce n’est finalement qu’un tas de neurones pas du tout immortels, qui se répliquent, meurent, se régénèrent avec plus ou moins de bonheur, mais l’ensemble finit inévitablement par mourir. Et notre conscience avec. Purement physiologique, notre esprit n’a aucune porte de sortie. L’anéantissement de notre être est une certitude. Cette certitude est d’autant plus grande que, même s’il y avait une (impossible) porte de sortie à l’intérieur de notre cerveau, de toute façon, le Big Rip finirait par dissoudre l’espace-temps lui-même. Les partisans de la singularité humaine, ceux qui affirmaient que nous possédions quelque chose de fondamentalement inexplicable – la conscience de soi –, avaient fini par se taire. Et pour cause : l’avènement de l’intelligence artificielle avait finalement eu lieu.


Bien que fondamentalement différente de la mémoire informatique, la mémoire humaine permettant la conscience peut tout de même être modélisée. En effet, même si les programmes informatiques sont purement syntaxiques et donc non symboliques, il n’est pas impossible de faire émerger un esprit. Il suffisait de comprendre que la conscience ne naît pas du matériel ni du programme de bas niveau directement, mais d’un programme de niveau supérieur, engendré par le matériel et le code source de bas niveau. En simulant des réseaux neuronaux ainsi qu’un environnement évolutif (pseudo-mutations et contraintes « environnementales » aléatoires), il suffisait d’une machine suffisamment puissante pour aboutir à la conscience. Avec les supercalculateurs quantiques, l’I.A. émergea presque naturellement. Tout comme nos neurones ne sont pas eux-mêmes conscients mais que nous, nous le sommes, eh bien, les processeurs quantiques ne sont pas eux-mêmes conscients, mais ils font émerger un processus qui, lui, l’est. La principale difficulté (ou plutôt la principale déception) liée à l’I.A., était que celle-ci était issue d’un processus évolutif, certes, mais dont l’historique n’avait rien à voir avec le nôtre. De même, comme l’I.A. avait été engendrée et non pas programmée, celle-ci avait immanquablement suivi sa propre voie et, au final, la communication entre l’homme et la machine était aussi difficile qu’inintéressante. Il n’y avait rien de constructif à tirer d’une telle relation. En fait, c’était un peu comme si l’homme était entré en contact avec une espèce extraterrestre fondamentalement autre. Alors, on avait relancé le programme, maintes et maintes fois, n’hésitant pas pour cela à « assassiner » à chaque fois les consciences que nous avions créées. Et, à chaque fois, l’issue était la même : une nouvelle forme de conscience, dont les besoins, les motivations et les moyens de communication étaient tellement différents des nôtres qu’ils en étaient quasiment sans le moindre intérêt.

On avait bien tenté de créer des populations d’I.A., d’intervenir dans leur processus évolutif comme un Dieu tout puissant pour forcer l’I.A. à converger vers quelque chose de semblable à nous, mais c’était probablement impossible. De toute façon, qu’espérait-on vraiment de l’I.A. ? Une intelligence supérieure capable de nous expliquer le monde ? C’était inutile : les connaissances humaines avaient déjà disséqué l’univers jusque dans ses moindres fondements. Une sagesse supérieure à la nôtre pour nous montrer la voie ? Là encore, c’était sans intérêt : l’Objectivation était passée par là, nous permettant de couper les ponts avec notre brutale animalité ; la planète était préservée, la faim dans le monde et les maladies avaient été presque entièrement endiguées. Alors, le formidable intérêt pour l’I.A. était retombé et, au final, les seules applications qui en ont résulté sont des moteurs de recherche informatiques à peine conscients mais extrêmement efficients, reléguant Google et Wolfram Alpha au stade de la préhistoire de l’information. Ainsi naquit l’Internet 3.0, le web symbolique et sémantique, efficace et intelligent, mais pas du tout transcendant. Et moi, dans tout ça, je n’avais servi strictement à rien. J’étais né bien après, et je me battais avec mon intellect pour démontrer quelque chose qui ne pouvait exister, dans le cadre d’une thèse qui fonçait droit dans le mur.


Quant à ma thèse de physique, elle portait sur une nouvelle théorie de l’instant zéro, là encore qualifiée d’originale mais, cette fois-ci, sans la moindre portée. Mon modèle cosmologique était truffé de zones d’ombre et d’incohérences. Ma théorie de l’instant zéro n’avait aucun pouvoir explicatif capable de remettre en cause la Théorie de la Grande Unification. Car il n’y a pas d’instant zéro. La Théorie de la Grande Unification le démontre impeccablement. Jailli d’un point de dimension nulle – de nature purement mathématique, donc –, l’univers s’est décondensé tout seul, sans le moindre écoulement de temps. Mû par sa dynamique interne (liée à l’algèbre des groupes quantiques), l’univers s’est développé, déroulant son contenu informationnel sous l’impulsion de la superforce primordiale. La supersymétrie de celle-ci s’est brisée au cours du processus de décondensation, libérant les forces que nous connaissons aujourd’hui (gravitation, électromagnétisme, interactions nucléaires faible et forte). Simple sous-produit de la mécanique universelle, le temps n’est qu’un résidu du proto-espace, qui a dégénéré en temps imaginaire pur, puis en temps complexe, avant de devenir le temps réel qui rythme notre quotidien mais qui n’a aucune prise réelle sur le monde subatomique (le principe de causalité y est violé). Il n’y a pas d’instant zéro. L’univers est né de manière parfaitement intemporelle, et le temps lui-même n’a pas de « date » de naissance précise. Il n’existe pas de déroulement linéaire de l’histoire de l’univers que l’on pourrait retracer, simplement un jaillissement d’informations, une algèbre dynamique et un résidu qui, après avoir fluctué, a fini par se stabiliser, sous forme temporelle. J’avais tout faux. Une fois de plus.


J’obtins mes diplômes avec la mention « Passable ». En conclusion, je n’étais absolument pas parvenu à démontrer que nous étions autre chose que de simples sacs de fluides. La révolution que j’avais si longtemps fantasmé avait lamentablement échoué, et le soir de ma deuxième et dernière soutenance, je demandai à mon chirurgien de me rendre mon architecture cérébrale d’origine. Sitôt remis de l’opération (quelques heures suffisaient pour résorber les filaments neuraux artificiels), je noyai mon chagrin dans les putes, me rappelant avec un indicible dégoût que je n’étais qu’un réceptacle de viscères chauds et gluants. En m’étalant de contentement sur ma call-girl du soir, je m’endormis en me faisant la réflexion que je n’étais qu’un sac à foutre répugnant.



*

* *



Dégoûté par mes échecs, frisant la trentaine, je décidai d’abandonner ma quête mystique et de réapprendre à vivre, tout simplement. Je rencontrai une jeune femme un peu perdue, une certaine Élizabeth, que je trouvais absolument magnifique, et qui me faisait fondre d’un simple sourire, ou juste avec son regard. Élizabeth me ressemblait beaucoup. Comme moi, elle avait en aversion le matérialisme et ses dérives. Comme moi, elle avait tenté l’expérience de l’objectivation réversible. Comme moi, elle en était revenue. Elle ne se voilait nullement la face sur notre animalité. Elle n’occultait pas le fait que nous n’étions que des menteurs égoïstes, capables de nous berner nous-mêmes. Au contraire, elle embrassait notre touchante et absolue naïveté, elle vivait et se délectait des illusions propres à la nature humaine. Lorsqu’elle tombait amoureuse, elle savait pertinemment qu’elle n’était que la marionnette de sa physiologie, mais elle n’en avait cure. Elle laissait libre cours à son instinct, celui-là même qui était programmé pour « aimer » ou, tout au moins, qui était programmé pour faire ressentir quelque chose de positif à son substrat.

Je tombai fou amoureux d’Élizabeth. Lentement, patiemment, elle me rendit mon amour, et nous passâmes quelque temps ensemble, sans doute les plus belles années de ma vie. Je crus avoir enfin trouvé ma raison de vivre. Mais un jour, elle disparut. Elle me laissa juste un mot, m’expliquant qu’elle avait peur de continuer de vivre avec quelqu’un qui, pensait-elle, risquait de replonger dans la folie mystique à tout instant. Elle était capable d’oublier ce qu’elle savait de la nature humaine, elle était capable d’oublier à quel point son existence était futile et déprimante, mais elle savait tout aussi bien que, moi, j’en étais incapable. À ce moment, je me maudis de ne pas lui avoir menti sur mon passé. J’aurais très bien pu prétendre être un simple artiste – j’avais quelque talent, et c’était d’ailleurs au cours d’une séance de dessin que nous nous étions rencontrés. Mais, au fond, elle avait raison. J’étais un fou qui avait simplement tourné le dos à l’abîme pour ne plus le voir, mais qui continuait de flirter avec le vide. Je me gavais d’antidépresseurs et, sans trop savoir comment, je parvins à oublier Élizabeth.


Après cet intermède de pseudo-artiste amoureux, je décidai de me mettre au sport. Infoutu de pratiquer la moindre activité un tant soit peu tactique ou technique, j’optai pour la force pure : la musculation. C’était bête et méchant, mais cela me permettait de sentir mon corps. Les muscles meurtris par les séances d’abdos et de développés-couchés, je redécouvrais toute la biologie de mon organisme. Le visage crispé par la douleur, je ressentais la moindre de mes articulations, aussi synthétiques furent-elles. Je fis aussi une rencontre. Il s’appelait Marcus Fénix. C’était un gigantesque Black à la musculature démesurée. Il n’arrêtait pas de dire que son objectif dans la vie, c’était de devenir « énorme » (comprendre : une montagne de muscles). Pourtant, il occupait déjà pas mal de place, mais d’après lui il pouvait encore gagner jusqu’à 200 grammes de chair par séance, pourvu qu’elle soit « scientifiquement préparée ». Il me fascinait. J’adorais le regarder travailler. Inlassablement, il recommençait les mêmes gestes, inlassablement, il torturait son corps en hurlant. À chaque séance, il allait plus loin : il soulevait plus de masse, ses gestes étaient plus amples, ses répétitions plus nombreuses. Il m’expliquait qu’avec du repos et une alimentation adaptée, il pouvait devenir une montagne.

Moi, j’arrivais à peine à le suivre dans ses échauffements ou dans ses étirements. Marcus appelait ça des « mouvements isométriques ». Je n’ai jamais su ce que ces mouvements avaient de plus « isométriques » que les autres, mais j’aimais bien ce jargon. J’appréciais vraiment de passer du temps avec lui. Un jour, il me proposa d’aller déjeuner avec lui, au fast-food du coin. Il m’expliqua que, malgré son train de vie d’athlète et en dépit de tous ses efforts, il ne pouvait s’empêcher de se taper un bon gros hamburger bien gras et bien salé. Juste de temps en temps. Pour le goût. Marcus succombait à son « instinct carnassier », comme il disait. Je refusai poliment. Et pour cause : je n’avais plus d’estomac depuis l’âge de 7 mois. Mais je me voyais mal le lui expliquer, alors je prétendis que je n’avais pas faim. Et, quelque part, c’était vrai. Je n’avais pas faim. Je n’avais jamais faim. Ou presque. Une fois que l’on vous a retiré l’estomac, votre appétit n’a plus rien de normal, et mon chirurgien avait fait en sorte que je ne ressente jamais le besoin de m’alimenter. J’avais juste été éduqué à me brancher à heures fixes sur une perfusion automatique. Pourtant, impossible de couper totalement les ponts avec ma biologie ancestrale. Tout au long de ma vie, j’ai été épisodiquement torturé par les odeurs de viande grillée. C’est une odeur universellement reconnue, imprimée dans notre mémoire génétique depuis Néandertal, qui provoque immanquablement l’envie de s’alimenter. Mais je n’étais pas équipé pour assouvir ce besoin. Tout ce que je pouvais faire, c’était fuir, et espérer. Espérer ne pas être de nouveau exposé à de telles odeurs. Mais c’en était trop. Bien décidé à retrouver mon corps, je choisis de me faire opérer. Mon chirurgien trouva ma demande peu habituelle, mais il s’exécuta sur-le-champ. Il ne lui fallut pas longtemps pour me trouver un estomac cloné à partir d’une cellule souche universelle. Par pure précaution, il me prescrivit un cocktail allégé de traitements anti-rejets (par voie orale, je trouvai cela fabuleux). Il me donna aussi tous les germes nécessaires à la constitution rapide de ma flore intestinale (toujours par voie orale, j’étais définitivement aux anges). Après une nuit passée en observation à l’hôpital, je commençai une nouvelle journée, une nouvelle vie, en tant que détenteur d’un estomac. Cela pouvait sembler ridicule, mais c’était absolument décisif pour moi.


Je me sentais revivre. Je fus terriblement ému en ressentant les premiers gargouillis de la faim. J’avais l’impression de porter en moi une créature étrange, presque extraterrestre, et cette créature informe, cette masse chaude, acide et rugueuse, avait emprise sur moi. Je me fis la réflexion que, peut-être, c’était ce que ressentaient les femmes enceintes à l’égard de leur enfant (tout au moins les femmes qui continuaient de porter leur enfant, contrairement à ma défunte mère). L’analogie n’était sûrement pas heureuse, mais peu importe : c’était mon sentiment. Je me précipitai dans un restaurant de grillades, et je commandai toutes les viandes possibles et imaginables (même du bœuf de synthèse, pour enfin goûter par moi-même cette invention qui avait défrayé la chronique lors du siècle passé). Ce fut une explosion de saveurs. En allant vomir aux toilettes – pour pouvoir me resservir une énième fois –, je regrettai que mon chirurgien ne m’ait pas greffé un estomac king-size. Le soir, après quelques heures de digestion, j’enchaînai les kebabs et autres fast-food. C’était extraordinaire mais, apparemment, j’avais un peu forcé : je passais la nuit aux toilettes, à me vider de tous mes fluides. Ma flore intestinale n’était apparemment pas encore prête pour un tel festin. Mais peu m’importait. Malgré la douleur, j’avais atteint mon objectif : reprendre contact avec mon corps. La découverte de la nourriture fut éblouissante. Celle de mes intestins meurtris fut terrible, mais tout aussi intéressante.


Quelques jours plus tard, en retournant à la salle de sports, j’appris la terrible nouvelle : Marcus était mort. On l’avait retrouvé seul, allongé sur le banc de développé-couché. Apparemment, il avait trop forcé (physiquement bien sûr mais aussi sur les produits dopants) et il avait fini par lâcher sa charge au cours d’un exercice. La barre lestée de 80 kg d’acier était venue lui défoncer la trachée. J’étais accablé. Nous n’étions vraiment pas du même monde, mais j’avais beaucoup apprécié les moments passés avec lui. J’aurais tant voulu aller avec lui me faire un bon hamburger et boire quelques bières (je n’avais encore jamais testé l’alcool). En discutant avec les autres membres de la salle, j’appris que Marcus Fénix s’appelait en fait Marcel Félix. Cela m’amusa beaucoup. J’aurais dû m’en douter : à part dans les mauvais films américains, personne ne s’appelle « Marcus Fénix » (c’est encore plus improbable en France). Mais je suppose que si j’avais eu à porter un nom aussi pourri – Marcel Félix –, j’aurais probablement fait pareil. Marcel avait choisi un nom un peu pompeux, et sûrement aussi un brin prétentieux, mais je le comprenais tout à fait.


Je quittais la salle, triste et dépité. Marcel nous avait quittés. J’eus une dernière pensée pour lui, mais je ne pouvais pas m’empêcher de repenser que Marcel était mort et que, de fait, c’en était fini de lui. À tout jamais. Son esprit n’était pas parti « quelque part », il n’était pas monté au ciel, il ne nous avait pas quittés pour un monde meilleur. Non. Tout ce que Marcel avait jamais été, sa totale et absolue individualité, tout ça, c’était terminé. Effacé. Ce que Marcel avait pensé, ce qu’il avait ressenti, c’était fini. Sa façon de voir et d’appréhender le monde, ce qu’il avait compris du passé et ce qu’il projetait de faire dans l’avenir étaient retournés au néant. La « modélisation » consciente et intentionnelle du monde que Marcel avait été en tant qu’entité avait tout simplement cessé d’exister. Marcel avait expiré. Étreint par la tristesse et le désespoir, je me fis la réflexion que j’étais parfaitement égoïste de regretter quelqu’un qui n’avait plus à s’en soucier. Car si j’étais triste, c’était au final pour moi et non pas pour lui, parce que « Marcus » allait me manquer mais la réciproque n’était qu’une chimère. Lui ne souffrirait pas, il n’était pas à plaindre car il n’existait même plus, je n’avais donc aucune raison d’être triste pour lui. C’était, en tout cas, l’interprétation philosophique de la mort en vigueur à ce moment-là : Marcel n’était tout simplement plus là pour qu’une telle question puisse se poser. J’étais furieux de penser comme cela. Je m’arrêtai dans le premier bar que je trouvai, et je décidai de m’essayer à l’alcool en solo, à la mémoire de ce très cher Marcus, même si ce concept de « mémoire » n’avait strictement aucun sens. Une heure plus tard, j’étais dans une ambulance, victime d’un coma éthylique.



*

* *



Je me réveillai à l’hôpital, avec un malaise affreux. Apparemment, j’avais la gueule de bois. Et c’était à peu près aussi atroce que ce que j’en avais entendu dire. Trop faible pour sortir de mon lit médicalisé, une perfusion dans le bras, je décidai d’allumer le panneau multimédia. Je zappai de connerie en connerie, avant de m’arrêter finalement sur EuroNews, scotché par le titre que je voyais défiler :


DE LA VIE SUR MARS


Assommé par le choc de la révélation, je montai le son. Je mis quelques instants à comprendre que, étrangement, ce n’était pas la NASA qui était à l’origine de la découverte, mais la FKA (agence spatiale fédérale russe) : apparemment, les Russes avaient attendu la veille de l’arrivée des Américains sur Mars pour annoncer la nouvelle, juste pour faire chier la NASA. Le coup était bien joué. En effet, en cette année 2139, aussi étrange que cela puisse paraître, l’homme n’avait toujours pas foulé le sol martien. L’Objectivation ayant profondément calmé les ardeurs patriotiques et les grandes émotions humaines, l’aventure martienne avait été entreprise, mais avec l’unique recours des robots. Scientifiquement, c’était tout aussi efficace. Et puis ça coûtait infiniment moins cher. Il avait donc fallu attendre l’an 2139 – l’année du cent soixante-dixième anniversaire de l’alunissage de Neil Armstrong – pour que l’homme daigne enfin poser ses miches sur la planète Mars. Et, évidemment, c’était les Américains qui s’étaient lancés dans la bataille. De leur côté, les Russes avaient préféré continuer les missions automatisées. Ainsi, pendant qu’un équipage américain s’approchait de Mars, une flotte de petits robots russes venait apparemment de découvrir une nouvelle forme de vie. Non pas sur Mars directement, mais c’était tout comme : sur son satellite Phobos. Trop contents de couper l’herbe sous le pied des Américains et de ruiner leur triomphe médiatique, les Russes avaient attendu un peu, histoire de faire leur annonce juste avant que Steeve Bloomkamp – successeur désigné de Neil Armstrong – ne pose son pied dans Valles Marineris.


Le hold-up médiatique fut un succès total. Les scientifiques russes étaient sur tous les plateaux télé, tandis que Steeve Bloomkamp et son équipage, dévastés, avaient reçu ordre de différer leur descente vers la planète rouge. Les Américains espéraient probablement que les Russes avaient raconté des craques (ça n’aurait pas été la première fois). Personnellement, je trouvais très amusant le comportement des Russes. Il était impressionnant de voir que même l’Objectivation n’avait pas pu faire disparaître les dissensions historiques entre la Russie et le reste du monde. Aujourd’hui encore, la Fédération de Russie refusant d’intégrer la Grande Union européenne, malgré le nombre incalculable de mains tendues. En tous les cas, vu la folie médiatique de l’instant, il était nécessaire pour l’agence spatiale américaine de repousser l’arrivée sur Mars si la NASA voulait faire une audience honorable. En effet, tout indiquait que si l’arrivée de Steeve Bloomkamp avait été maintenue à la date prévue, sa petite phrase « Un petit pas pour l’homme, mais un pas de plus vers les étoiles » aurait touché moitié moins de gens que la mythique phrase d’Armstrong, un soir d’été 1969.


En attendant les premières analyses russes effectuées sur cette nouvelle forme de vie, la folie retomba bien vite. Là encore, l’Objectivation contribua grandement à tempérer la ferveur mondiale (je ne sais même pas si l’on peut vraiment parler de ferveur, je pencherais plutôt vers une curiosité un poil exacerbée). Steeve Bloomkamp laissa son empreinte dix jours plus tard dans une plaine froide, rouge et aride, non loin du plus grand canyon du système solaire. Filmé en ultra haute définition dans un contre-jour prétentieux, Steeve Bloomkamp descendit théâtralement de son échelle en aluminium, puis fit quelques pas songeurs avant de lâcher sa petite phrase, sans même un trémolo dans la voix. L’accomplissement technique était majeur, la prouesse technologique était totale, mais le résultat était tellement propre qu’il en était ennuyeux. La NASA s’en rendit bien vite compte et, quelques jours plus tard, les combinaisons blanches rutilantes s’étaient empoussiérées, d’un rouge crayeux qui faisait son petit effet. Tout le monde était content, l’humanité entière saluait l’exploit de Bloomkamp (même les Russes), mais rien n’y faisait : la passion des années 1960 n’y était clairement pas.


La découverte des Russes, d’abord assourdissante, se révéla finalement aussi décevante que frustrante. Décevante parce que la nouvelle forme de vie (baptisée « organisme H0-12B ») était tout sauf sexy. Être unicellulaire vivant sur un caillou froid et bombardé d’UV, à la dérive dans l’espace, H0-12B était certes un survivant, mais il n’avait rien d’impressionnant. Et puis, lorsque les premières analyses biologiques livrèrent leurs résultats, H0-12B se révéla rien moins que banal. En effet, à défaut d’être sexy, H0-12B aurait au moins pu avoir la décence d’être une forme de vie basée sur une chimie différente de la nôtre. Eh bien, même pas. Les exobiologistes rêvaient d’une vie à base de silicium, mais H0-12B était, comme toutes les autres formes de vie terrestre, basé sur le carbone. Et lorsque l’équipe russe réalisa une analyse plus poussée de leur petite bête, celle-ci s’avéra porteuse d’un brin d’ARN. Tout ça pour ça : découvrir une vie extraterrestre pour se retrouver en face d’un unicellulaire à ARN. C’était pathétique. Il n’en fallut pas moins pour que les sceptiques parlent de contamination, insinuant que H0-12B n’était qu’une bactérie terrestre qui avait voyagé sur le dos des robots russes. Cependant, l’analyse comparative du génome prouva qu’il s’agissait bien d’un extraterrestre : l’enchaînement des bases G, A, U et C de H0-12B ne ressemblait à rien de connu, même de très loin. Il s’agissait donc bien d’un génome fondamentalement autre. Mais ça restait un génome, un simple génome d’à peine quelques milliers de paires de base, encapsulé dans des protéines carbonées. Conclusion : la Vie était au minimum banale dans l’univers, peut-être même carrément foisonnante, et elle ne laissait apparemment pas beaucoup de place à l’innovation. Cela faisait longtemps que l’on savait que l’homme n’avait aucune importance cosmique particulière, mais c’était maintenant la Vie toute entière qui mordait la poussière. La Vie rejoignait à son tour l’interminable liste de ces choses qui n’étaient que des produits banals et pratiquement inévitables de l’univers. Pour les très rares « singularistes » qui restaient encore parmi nous, ce fut un coup mortel. Quelques mois plus tard, comme pour enfoncer le clou, les Américains découvrirent à leur tour un foisonnement de multicellulaires à ADN dans l’océan glacé de Titan (l’une des lunes de Saturne). Et dire que je faisais partie de ces singularistes…



*

* *



Depuis cette année 2139, depuis cette triste année où la FKA, la NASA et Steeve Bloomkamp ont abattu les derniers remparts de ma foi, je vis reclus à Nouméa. Je ne sais même pas pourquoi j’ai choisi de continuer à vivre jusque-là. Mais s’il y a bien quelque chose dont je suis persuadé, c’est que tout finit aujourd’hui.

Je stoppe ma perfusion nutritive, je la débranche et je la balance nonchalamment sur ce qui me sert de canapé. Je m’installe confortablement dans mon lit médicalisé, et je coupe une à une mes alarmes biométriques. Je cherche dans un carton les quelques produits chimiques que j’ai pu me procurer : des dérivées du tiopenthal et du fentanyle, principalement. J’y ajoute des nano-annihilateurs qui s’occuperont de réduire au silence ma nano-garde rapprochée et je mixe le tout dans une solution saline que je branche sur ma perfusion. Sacré cocktail. Je m’installe confortablement dans mon lit. Je ne mets pas de film, pas de musique, aucune ambiance sonore. Je la joue sobre et je laisse la mort venir. Ça ne devrait pas être trop long.


Je me sens à la fois léger et engourdi. Je ne vole pas vraiment, mais ça y ressemble. Oui, c’est ça, je flotte. Je vois mon corps, allongé dans mon lit, et je gesticule au-dessus de moi-même. Enfin, je ne « vois » pas vraiment, mais ce que je ressens en est très proche. C’est très curieux. Je me retourne, vers le ciel. Je vois une grande lumière blanche, étincelante, qui m’enveloppe de tout son amour. J’y suis. En pleine NDE. Mon cerveau ne comprend plus rien à ce qu’il se passe. Sous l’effet du stress, il se monte un film pas croyable. Mais c’est tellement reposant. J’ai beau savoir que tout ça n’est qu’une illusion, je le vis formidablement bien. Je suis en pleine euphorie. Dans quelques instants, tout ça sera fini. Il n’y a rien de l’autre côté, je le sais : il n’y a pas de vie après la vie. Mais je m’en tape. C’est tellement fantastique et j’ai tellement envie d’y croire que je me laisse aller. Mes neurones s’éteignent les uns après les autres, je fermente et me nécrose de l’intérieur, mais le spectacle est grandiose. Quelle classe ! Même dans la mort, mon cerveau est encore capable de se raconter des histoires, et quelle apothéose ! Mon cerveau en désintégration se prend pour un grand explorateur, il s’imagine en train de s’aventurer sur le continent des morts, alors qu’il ne fait que s’éteindre et retourner au néant, confondant son extinction chimique avec quelque chose de merveilleusement grand.



 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   ANIMAL   
25/8/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
J'aime bien ce récit qui oscille entre des découvertes scientifiques avérées (supercordes, physique des quantas, nucléaire, génie génétique, etc...), des projections futuristes fleurant bon la SF, une étude politico-sociologique des humains, le tout saupoudré d'une bonne dose de philosophie.

J'ai lu le tout avec un grand intérêt. Une remarque cependant : comment ce monde si policé peut-il encore tolérer les "putes" ? (ce sont peut-être des robots, en tous cas je l'espère).

Je n'ai pas essayé de démêler la réalité de la fiction car je me suis laissée porter par l'histoire jusqu'à la dernière ligne.

Et au moment ultime, chacun croira ce qu'il voudra : illusion du pauvre cerveau d'un primate égaré par une déroute chimique... ou vie après la mort. On le saura quand on y sera.

Merci de ce plongeon dans un avenir peut-être proche.

   David   
26/8/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Corentin,

La réalité n'a plus qu'à bien se tenir pour dépasser cette fiction-là, c'est assez époustouflant, dense et vif, un grand bravo. J'aime beaucoup le registre, et j'ai adhéré facilement à tous ces mots que je ne maitrise pas du tout, ou très peu. Il y a aussi une belle diversité dans le récit, parfois épique, refaiseur de monde, et d'autres fois je lisais une simple aventure, comme dans l'histoire d'amour, celle d'amitié, même la scène sexuelle qui débuta le tout, ça fonctionna comme une respiration salutaire après la grande charge de la (pseudo ?) démonstration hautement scientifique de ce "Néant".

   Jedediah   
27/8/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Bravo !

J'ai beaucoup apprécié ce récit futuriste, si noir et pourtant si réaliste... Je me pose moi-même souvent le genre de questions auquel ce texte apporte des réponses, l'époque dans laquelle nous vivons écartant chaque jour une part du mystère qui entoure l'univers.

Le personnage, agnostique, m'a plu par son refus de croire en l'impensable puis par sa déception en découvrant la vérité.
Le ton sur lequel tout cela est traité m'a beaucoup plu.
Je m'attendais plus ou moins à la scène finale, car j'étais certain que le narrateur voudrait "vérifier par lui-même" ce qu'il y a après la mort.

L'auteur a beaucoup d'imagination, à l'image du procédé "d'Objectivation" qui n'est pas sans rappeler le traitement anti-émotions imposé à la population dans le film "Equilibrium" (même s'il ne s'agit pas exactement de la même chose...).
Je lis régulièrement la presse scientifique, et donc j'ai pu comprendre certains des aspects scientifiques de ce texte (l'hydrogène sous forme d'harmonique, les 11 dimensions de l'univers, etc), mais hélas pas tous (j'ai du mal à comprendre l'existence d'un temps imaginaire pur ou complexe...).

Là où beaucoup de gens craignent un bouleversement climatique imminent et le déclenchement d'une crise économique et sanitaire mondiale dans les décennies à venir, ce texte fait là encore preuve d'originalité, puisque l'Objectivation permet justement de rétablir l'équilibre climatique ainsi que l'équilibre économique avec l'Afrique. C'est peut-être ce qu'il y a de plus optimiste dans ce récit.

Mon seul regret par rapport à cette nouvelle concerne l'absence de dialogues, car même si cela est certainement volontaire, le texte méritait par moments d'être un peu plus "vivant". D'autant plus que certains mots, certaines expressions répétitives m'ont titillés les yeux :

"Ainsi donc, d’après eux, je n’avais pas du tout connu mon vrai père, mais seulement un Objectivé complètement shooté. Malgré tout, je voulais obstinément croire que j’avais connu mon vrai père."

"À l’échelle d’une vie humaine, la mort de l’univers est encore très lointaine, mais elle aura lieu avant même l’extinction de notre Soleil. Inutile d’essayer de coloniser la galaxie pour échapper à la mort de notre étoile : l’univers lui-même va se déchirer bien avant, dans un gigantesque Big Rip, et retournera au néant."

Mais de façon générale, ce texte est agréable à lire et ne laisse pas indifférent, que l'on soit athée, agnostique ou croyant.

Merci pour ce moment de lecture !

   Anonyme   
29/8/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Il faut du courage pour s'attaquer à la lecture de ce texte tant il semble dense à première vue. Cependant, une fois lancé, on ne le regrette pas, même si par instant cela manque un peu de rythme.

Je me suis laissée portée par le récit même si d'habitude mes goûts ne me portent pas vers les histoires racontées à la première personne. L'écriture, fluide, y est sans doute pour beaucoup.

Le message (la sf doit toujours avoir un message à transmettre, c'est son essence) pour n'être pas original est, en revanche, bien exploité.

Je ne peux pas m'empêcher toutefois de rester un peu sur ma faim quant au dénouement.

Cette nouvelle m'a cependant permis de passer un agréable moment, vraiment.

   Marquisard   
11/9/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
C'est le genre d'écrit que j'aurais aimé écrire, pour les visions qui y sont dévelopées, toujours agréables à coucher sur papier, à détailler/décortiquer, pour la documentation qui a du suivre l'écriture du texte.
Vraiment passé un moment agréable ne lisant cet écrit, de la très bonne autofiction autobiographique d'anticipation.
Pour pinailler, il y aurait bien quelques passages que j'aurais revu, les évenements de 87 par exemple (météorites etc).
j'ai été un peu surpris par l'arrivée de la fin, je m'attendais à encore quelques pages sur l'âge mûr du bonhomme (eu peur que le récit s'oriente numérisation de "l'âme" humaine, me suis demandé si ça irait vers les paradis artificiels ou vers du noir cyberpunk) mais c'est encore un détail.
Passé un très bon moment.

   florilange   
17/9/2009
 a aimé ce texte 
Un peu
Je n'ai malheureusement pas accroché à ce texte, que j'ai trouvé long & indigeste. Guère étonnant car je ne connais rien à ce genre littéraire. L'amoncellement de détails techniques m'a carrément insupporté. Apparemment, l'auteur a + étudié la technique que les temps des conjugaisons. Sinon, le tout est bien rédigé, quoique souvent lourd & comportant de nombreuses répétitions.
Ce n'est que mon ressenti, hein? D'autres commentaires, de personnes + compétentes seront sans doute aussi + valables.
Désolée,
Florilange.

   Pistodrake   
17/5/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'aime beaucoup cette histoire, ça se lit bien c'est très clair ca s'apprécie et c'est bien raconté.
Les concepts scientifiques sont bien mis en valeur et bien que certains puissent ne pas être compris ou connus ce n'est pas rébarbatif ce qui est déjà une très bonne chose.

Par contre j'ai du mal a adhérer a certains concepts, il y a un peu trop de complaisance avec les sciences actuelles, trop de linéarité avec les théories récentes en accord avec le consensus général.
J'aurais aimé un poil plus d'originalité.
De plus l'objectivation est certes un moteur de progrès scientifique formidable, mais je me demande si elle résoudrait vraiment les 3/4 de nos questions en cent ans, je doute que la science soit si facile a cerner même en se débarrassant de nos instincts qui obscurcissent notre esprit.
Parfaitement maîtrisé et agréable a lire l'histoire manque un peu de profondeur mais je suis conscient que demander a rêver en plus d'avoir une aussi bonne qualité ferait qu'il n'y aurait plus grand chose a envier a un maître de la science fiction pour moi, c'est un exercice délicat et difficile.

Et pour finir, ce texte aura eu exactement l'effet inverse sur moi que sur le personnage, je crois d'autant plus que même dans le cas de l'histoire nous découvririons bien plus de choses surprenantes.
Je pense qu'il y a de l'espoir et que la science n'est pas une source d'aseptisation comme on serait tenté de le croire, on trouvera de belles choses et de quoi rêver.


Oniris Copyright © 2007-2023