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Fantastique/Merveilleux
Cornelius : Les larmes de la sorcière
 Publié le 10/11/23  -  5 commentaires  -  8233 caractères  -  68 lectures    Autres textes du même auteur

Objets inanimés, auriez-vous donc une âme ?


Les larmes de la sorcière


Je reviens d’un voyage en Catalogne. J’aime bien les voyages qui me donnent l’occasion de rechercher des bibelots ou des statuettes que je rapporte comme souvenirs. Depuis toutes ces années j’ai accumulé un grand nombre d’objets et la place commence à manquer dans mon appartement. Je vais devoir me résoudre à faire le tri et il me sera difficile de faire un choix parmi ceux-ci. Bien entendu lors de ce séjour j’ai visité la ville de Barcelone ou plutôt revisité car j’y étais déjà venue il y a quelques années auparavant.

À la recherche d’un objet original, j’avais rapidement renoncé à trouver mon bonheur dans les traditionnelles boutiques pour touristes. M’étant un peu éloignée du centre-ville trop commercial j’entrai dans un magasin qui proposait des objets divers et variés. Sans aucune conviction, je me décidai à jeter un coup d’œil et pénétrai plus profondément. Plus j’avançais et plus je me trouvais au sein d’un bric-à-brac indescriptible mélangeant des ustensiles de la vie quotidienne, des bibelots éparpillés et des objets de décoration d’un goût douteux.

Je me préparais à faire demi-tour et à tenter ma chance ailleurs lorsque mon attention fut attirée par une sorcière à moitié cachée tout au fond de la boutique. C’était une belle sorcière, « la Brujas de la Suerte » me précisa le commerçant. Ayant fait un peu d’espagnol je traduisis aussitôt « la sorcière de la chance » et m’approchai de ce magnifique spécimen que j’imaginais déjà trônant sur une étagère entre Don Quichotte et les Ménines.


Je possédais déjà quelques sorcières glanées çà et là mais de facture quelconque comparées à cette superbe créature. En deux temps et trois mouvements l’affaire était dans le sac et je repartais toute guillerette après avoir réglé une somme plutôt modeste compte tenu de la qualité de cette figurine. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que je trouvais des objets intéressants dans des boutiques ne payant pas de mine, mais là c’était vraiment un coup de chance.


Contrairement à ce que l’on pourrait penser les sorcières sont rarement des êtres malfaisants et elles sont plutôt bienveillantes dans l’ensemble. Ainsi dans le cas présent elle était censée éloigner les mauvais esprits des maisons de ceux qui la possèdent. Généralement elles sont encore représentées avec un long nez crochu, un rictus maléfique ou des yeux cruels mais certaines possèdent des traits moins affirmés avec de bonnes joues et une bonhommie voire un sourire qui leur donnent un aspect plus agréable.

Bien qu’étant représentée tenant son balai dans une attitude traditionnelle celle que je viens d’acquérir est plus énigmatique et semble garder en elle des secrets insondables. Ni méchante, ni gentille, son teint très pâle rappelle celui des anciennes poupées de porcelaine. C’est une sorcière d’un autre temps, un véritable coup de cœur.


Revenue à mon domicile je me mise en quête d’un endroit où installer ma sorcière bien-aimée. J’avais un choix assez restreint car la plupart des étagères étaient déjà bien garnies par de nombreux bibelots. J’abandonnais l’idée de la ranger à côté de ma collection de poupées. D’autre part la sorcière mesurait une cinquantaine de centimètres et ne trouverait pas sa place dans l’une des vitrines. Finalement après avoir déplacé une statuette de pleurant je l’installai sur un petit meuble dans le salon.


Dans les jours qui suivirent je n’eus d’yeux que pour celle qui était devenue le joyau de mon petit univers personnel. Je remarquais que les autres statuettes semblaient désormais la contempler, la craindre et peut-être même la jalouser, mais ce n’était sans doute qu’une vague impression. Jusqu’à ce qu’un matin en passant devant la bibliothèque je constatai la présence d’une petite flaque d’eau aux pieds du pleurant. Je fus stupéfaite de cette découverte et j’épongeai l’eau sans attendre tout en me demandant ce qui avait causé cette réaction comme si le pleurant qui avait dû laisser sa place à la sorcière avait versé quelques larmes de dépit. Mais ceci n’était pas crédible.


Je me mis toutefois à rechercher des informations sur les sorcières et les histoires de sorcellerie et constatai qu’elles avaient été l’objet de persécutions avec un nombre impressionnant de procès et d’exécutions surtout au temps de l’Inquisition. Leur culpabilité confirmée grâce à des aveux obtenus sous la torture, les malheureuses bien qu’innocentes finissaient alors sur le bûcher dans d’atroces souffrances. Je potassai les affaires de sorcellerie ainsi que les chasses aux sorcières les plus connues comme celle de Salem.


Je finis par abandonner ces lectures déprimantes consacrées à la sorcellerie et l’Inquisition pour revenir à des histoires plus sympathiques. Celle de la Befana en Italie qui est liée à la Nativité. Elle fait preuve de générosité avec les enfants en leur distribuant des friandises lors de l’Épiphanie ou la sorcière porte-bonheur en Alsace qui protège la maison du mauvais sort si vous l’accrochez près de votre fenêtre ou encore la sorcière de la chance en Espagne.


Le lendemain, à peine levée, j’allai voir le pleurant non sans une certaine appréhension. Tout était normal, il n’y avait pas de flaque d’eau à ses pieds. Je poussai un soupir de soulagement. Cependant celui-ci fut de courte durée car j’aperçus une petite flaque à nouveau mais cette fois aux pieds des statuettes des Ménines tirées du célèbre tableau de Vélasquez. Pour en avoir le cœur net je passai rapidement en revue les autres statues. Rien d’anormal. J’examinai les lieux cherchant une éventuelle fuite mais je ne trouvai aucune anomalie.


Tout de même il y avait quelque chose qui clochait, j’y repensai toute la journée et ce soir-là j’eus du mal à m’endormir.


Au matin je me réveillai de bonne heure et me dirigeai vers les statues. Je fus stupéfaite de découvrir encore une petite flaque mais cette fois c’est Don Quichotte qui avait pleuré. J’en étais toute retournée car il n’y avait aucune explication. Cela n’avait aucun sens. Serait-il possible que la sorcière soit la cause de tout ça ? Tout ceci relevait de l’irrationnel et commençait à me prendre la tête.


Les jours suivants je me mis au lit bien plus tard mais cela ne changea rien. Chaque matin ce fut à nouveau une sorte de rituel. Successivement la danseuse de Degas versa quelques larmes puis ce fut le tour du rabbin ramené de Cracovie, puis la geisha japonaise y alla de son sanglot ainsi que le pénitent de Séville. Le huitième jour je vis aux pieds de la statue de Pauline Borghèse la petite flaque habituelle. Quand ceci allait-il enfin s’arrêter ? Devrais-je m’adresser à des spécialistes de ce genre de phénomènes surnaturels ? Mon inquiétude se transforma soudain en angoisse.

Totalement désemparée, je pris la décision d’enlever la sorcière et la descendis à la cave que je fermai à clé et à double tour avec un pincement au cœur. « Je verrai bien si ça disparaît, j’aurais même dû le faire plus tôt », pensai-je.


Le lendemain c’est avec une certaine fébrilité que je passai en revue toutes les statuettes. Il n’y avait pas la moindre goutte d’eau sur les étagères. Je dus me rendre à l’évidence aussi improbable fût-elle : la sorcière était bien la responsable de toutes les larmes versées. Mais pour quel motif et comment était-ce possible ?


Il me fallait maintenant retourner à la cave pour la récupérer. Mais ce fut pour constater qu’elle était complètement inondée. Après avoir mis des bottes je cherchai la sorcière mais ne la trouvai pas. J’appelai alors le plombier qui vint pomper l’eau et constata, mais était-ce une surprise, qu’il n’y avait aucune fuite au niveau de la tuyauterie. J’inspectai la cave de fond en comble. La sorcière avait disparu.


Je me gardai bien d’en parler autour de moi de peur d’être prise pour une cinglée. Je ne voyais aucune explication rationnelle à ce mystère. Tout juste une extrapolation à caractère sentimental. Peut-être que la sorcière avait versé ses larmes pour toutes les innocentes victimes suppliciées pour d’absurdes raisons et qu’elle avait communiqué tout son chagrin aux autres statuettes autour d’elle qui avaient fini elles aussi par pleurer. Et maintenant qu’était-elle devenue ? À mon tour j’éclatai en sanglots.


 
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   Tadiou   
27/10/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
L'écriture est simple et limpide, peut-être un peu trop "sage". Mais ça se lit facilement.

Les émotions sont masquées, à mon goût, par la linéarité de l'écriture. Il s'agit quand même d'événements étranges !

La cave inondée m'était prévisible.

Peut-être aurait-il été intéressant d'insister sur le sort des "sorcières" au temps de l'Inquisition, ce qui n'est qu'évoqué.

À la fin le mystère reste entier ! Petite frustration du lecteur; mais pouvait-il en être autrement ? C'est une autre histoire...

Tadiou en EL

   jeanphi   
10/11/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

J'ai d'abord relevé un côté scolaire avant de m'apercevoir que le ton est très adéquat. L'histoire me paraît croustillante, sa concision attise et assouvit simultanément la curiosité du lecture.
L'ambiance est créée comme par négatif.

Une solidité et une certaine diversité des éléments et de leurs imbrications qui me paraissent agréables et fluides procurent la fascination dubitative vers laquelle vous nous conduisez.

   EtienneNorvins   
11/11/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Un texte qui 'coule' bien, et évite l'écueil de la sempiternelle association entre chasse aux sorcières et Moyen Âge. La fin est surprenante par l'explication rationnelle fournie par la narratrice à ces phénomènes qui demeurent étranges - le chagrin suscité par ce 'féminicide' qui a marqué le début des Temps modernes. Peut être cette Brujas de la Suerte a-t-elle pour mission d'en laver le monde ?

Il y a des passages amusants, comme la mention 'en passant' de la 'Sorcière bien aimée' - on s'attendrait presque à ce que la narratrice s'appelle Samantha ou Tabatha :).

Cela dit, je regrette aussi que le style ne soit pas plus alerte, les phrases plus concises, le rythme plus haletant. Je suis un peu frustré par cette sage succesion de faits étranges, que la narratrice a un peu trop tendance à décrire avec application, ce qui les affadit quelque peu.

   Dugenou   
11/11/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Bonjour Cornélius,

Plus que votre texte en lui même, c'est ce qu'il m'a rappelé qui m'a séduit : la collection de statuettes, les santons des Enfants de l'Été, de Robert Sabatier, la cave inondée, La Sainte Tombe d'Arles-sur-Tech (lointainement, j'avoue !).

Ceci dit, les sorcières et leur persécution par l'Inquisition sont tellement présentes dans l'imaginaire collectif qu'on a du mal à se représenter une personne qui l'ignore... mettons cela sur le coup d'une amnésie passagère.

   Louis   
13/11/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
C'est un conte fantastique à la façon de Maupassant.
On y découvre une statue de sorcière qui provoque un épanchement liquide identifié à des larmes. En sa présence, d’autres statues pourtant inertes, sans vie, et la narratrice elle-même, versent des pleurs.
Tout indique pourtant qu’il ne s’agit pas d’une "mauvaise" sorcière, qui aurait conservé des pouvoirs maléfiques dans sa représentation sous forme de statue.

Elle ne pratique pas les sortilèges ; elle ne propage pas le malheur autour d’elle, mais au contraire condense en elle le sort malheureux qui a été fait aux femmes affublées dans le passé par ce nom infamant de « sorcière », comme la narratrice le suggère elle-même à la fin de son récit.
Son pouvoir semble surtout émotionnel, si puissant qu’il est capable de mettre en larmes des êtres pétrifiés.
La sorcière statufiée ne semble émouvoir pourtant que les humains et leurs représentations artistiques, principalement sous l’aspect d’une statue. Les autres choses de son environnement, inertes elles-aussi comme le sont les figurines, mais non représentatives de l’humain, restent impassibles.
Ce qui présuppose donc qu’entre les représentations, les "re-productions" fondées sur une imitation, une "mimesis", et ce qu’elles représentent, se constitue un lien naturel, une correspondance mystérieuse, magique.

Par l’imitation, la ressemblance, l’objet re-produirait quelque chose de la nature de ce qui est copié.
Les croyances dans la magie ne sont-elles pas fondées sur l’idée que les signes, représentations des choses, entretiennent un lien avec ce qu’elles représentent, de telle sorte qu’agir sur les signes ( par exemple les mots, dans les formules magiques) c’est agir aussi sur les choses qu’ils désignent.
Or la statue de la sorcière est aussi un signe, un symbole.
Les autres statuettes ont la particularité de représenter d’autres représentations, par exemples picturales, comme les Ménines de Vélasquez, ou encore le personnage littéraire de Don Quichotte de Cervantès. Représentations de représentations, signes de signes : on est donc plongé dans le jeu des signes, linguistiques, picturaux, plastiques, et le réseau de leur renvoi de l'un à l'autre à l’infini. Jusqu’à ces mares liquides, signes de larmes, elles-mêmes signes d’émotion.
Il est remarquable que ces deux exemples, celui des Ménines, et celui de Don Quichotte, appartiennent justement à cette période qui, dans la culture occidentale, marque la fin d’un monde fondé sur la ressemblance et la similitude, ainsi que M. Foucault analyse précisément ces deux œuvres artistiques dans son ouvrage, Les mots et les choses.
Ainsi le fantastique dans cette nouvelle indique une persistance, ou un retour, d’une pensée magique fondée sur le Même.
Mais il s’agit surtout de faire revivre ces malheurs que notre époque ne devrait pas oublier : le sort terrible qui fut celui des femmes qualifiées de « sorcières ».
La statue de mémoire ravive, rappelle, fait revivre les persécutions anciennes, de façon émotionnelle.
Elle est un symbole du mal, mais d’un mal subi, celui dont on est victime.
Statuette trouvée en Espagne, en Catalogne, là où l’Inquisition a sévi le plus durement, elle reste en lien avec son origine, reste liée à sa terre de naissance, mais aussi à son temps d’origine. Elle semble un surgissement du passé pour dire que le passé ne doit pas être oublié, que les malheurs subis par l’intolérance extrême, ne passent pas, ne sont pas que du passé ; qu’ils menacent et menaceront toujours.

Sa présence corporelle perdurable sous forme de statue semble même une provocation, elle qui représente ces femmes dont le corps devait périr, parce que possédé par les démons, et qu’il fallait bien sauver leurs "âmes".

La statue s’avère donc un condensé d’émotion, une affliction statufiée, une sculpture de larmes, si bien que pour finir, littéralement, elle "fond en larmes".

Une autre particularité de cette sculpture se trouve dans sa beauté. Elle a été choisie pour sa belle apparence : « c’était une belle sorcière » ; un « magnifique spécimen » ; une « superbe créature ». Cette beauté en fait une véritable œuvre d’art.
Mais la belle apparence, son côté apollinien, masque et en même temps révèle un fond terrible, une part sombre, dionysiaque, de terreur et de chaos, de nuit et de malheur. En véritable œuvre d’art, elle unit ces deux puissances solaires et nocturnes qui font les œuvres authentiquement artistiques, comme l’a montré Nietzsche dans La naissance de la tragédie.

Mais la belle apparence s’est évanouie, et le malheur s’est répandu en larmes. La statuette ne peut que se perpétuer dans la mémoire, et dans cette autre œuvre de l’art, littéraire cette fois, celle de la nouvelle, pour ne pas laisser triompher seule la part dionysiaque, qui est aussi une part destructrice.

Merci Cornelius pour cette jolie et intéressante nouvelle.


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