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Fantastique/Merveilleux
Cyrill :  Mouche [Sélection GL]
 Publié le 16/08/22  -  17 commentaires  -  7095 caractères  -  149 lectures    Autres textes du même auteur

Anomalie en cellule.


Mouche [Sélection GL]


Elle est revenue. Calme pour l’instant, mais je ne pense pas que ça va durer.

Hier matin j’ai cru que j’allais devenir fou. Elle était agitée et me tournait autour bruyamment, sans jamais se poser. Il faisait lourd, orageux comme aujourd’hui, mais à présent elle a l’air plutôt sonnée. Où alors elle m’attend au tournant.

Je sais bien que j’ai des choses à me reprocher, je n’ai pas toujours fait le bien. Elle le sait également, presque mieux que moi, comme douée d’une prescience. Elle connaît mes bassesses, mes fautes, et vient me les rappeler si d’aventure j’essaie de les oublier. Moi aussi je devine ce qu’elle pense, surtout lorsqu’elle est immobile. Elle a un regard sournois, je me doute qu’elle cherche un moyen de s’introduire dans mes cellules – quelle ironie – grises. Elle examine les possibles orifices d’entrée. Je repère ses manœuvres mentales à ses gros yeux rouges qui vibrent. Je cadenasse hermétiquement ma bouche, lèvres en dedans entièrement masquées à sa vue. Mais je peux difficilement me boucher à la fois le nez et les oreilles et continuer de vaquer à mes rares occupations. Et puis de toute façon il y a les yeux, que je devrais de même tenir fermés pour protéger l’ouverture du canal lacrymal. Je suis foutu, je le sais bien. Elle va finir par occuper ce qu’il me reste de pensée, de mémoire, de rêves.

La seule chose que je peux faire pour retarder l’échéance, c’est de ne rester en place à aucun prix.

Mais pour le moment c’est répit, pour nous deux. Je profite de ce qu’elle est ventousée au plafond pour me poser, les coudes arrimés sur une table elle-même solidement boulonnée au sol, le menton reposant sur les mains. Elle doit réfléchir. Tourner le problème dans tous les sens, calculer le temps qu’il lui faudra pour m’envahir, selon que moi-même je bouge ou non, selon que j’essaie ou non de lui balancer une torgnole, que j’agite ou non mes bras dans le vide. Toujours dans le vide. Ça doit la faire marrer. Encore que je ne croie pas. Elle est froide, inexpressive. Je la soupçonne de ne rien ressentir, d’être uniquement mue par l’instinct. Quoique. Elle est certainement capable de perversion, de cruauté. C’est même sa raison d’être. À cet instant elle manigance. Elle ourdit, trame, échafaude, cela se repère à ses yeux qui ne cessent de trémuler. Je fais la même chose : seules mes pupilles s’excitent sur un visage inexpressif lorsque je mûris mes parades.

Au fond, je lui ressemble. Je n’ai guère de sentiments. Je ne connais pas la passion. J’éprouve tout au plus une aversion épidermique envers mon espèce. Cela a valu à quelques-uns de mes congénères bien des déboires, bien des misères. Du moins si je peux en juger par les manifestations hystériques auxquelles j’eus droit lorsque je leur signalai mon inimitié. Cela m’a valu, à moi, d’être ici.


J’ai cru qu’elle allait bouger, j’ai perçu un très léger mouvement. Mais non, elle est toujours à la même place, implacable. Monstrueuse, comme une version sans fard de moi-même. Comme elle, je dissimule mes intentions, fais volontiers montre de perfidie si le besoin s’en fait sentir. Au mieux, je suis indifférent. Elle est comme moi.

Elle me regarde. Je sais qu’à son tour elle me juge, après que d’autres m’ont jugé. Nous sommes identiques, me susurre-t-elle. Je suis une version de toi dépouillée, je suis ta quintessence. Tes feintes sont la mouture aboutie des miennes. Je suis ton prototype, le spécimen premier que tu parachèves. Je t’ai engendré par l’intellect, tu m’as créée en dilettante. Je vois par tes yeux, je sens par tes récepteurs sensoriels, tu penses par mon cortex. Tu voles et te diriges selon mes volontés.


Je m’aperçois soudain qu’elle s’est mise en mouvement, j’entends ses bourdonnements, je les traduis. Elle m’assène ses théories jusqu’à la nausée. Elle m’agace, me tourne autour, vient se poser sur moi, m’exaspère avec ses succions piquantes, répétées sur ma peau. Elle passe et repasse près de mon oreille en vrombissant, redisant chaque fois les évidences qui nous attachent l’une à l’autre. Je la sais qui se questionne au sujet de ma perfection, de la miniaturisation extraordinaire de mes cellules.

Je la vois. Elle va et vient devant mes yeux, laissant à chaque passage une tache grise qui demeure, comme ma silhouette qui s’imprimerait sur un suaire. Elle va me rendre fou. C’est son ambition, le sens même de son existence. Ses visées sont mégalomaniaques et n’augurent rien de bon pour moi. Je fais de grands mouvements de pattes, désordonnés et brutaux, mais elle est bien trop avisée, bien trop clairvoyante. Elle a toujours un temps d’avance sur moi et chacun de mes membres se ridiculise dans le néant tandis qu’elle est à l’autre bout de mon être à tonitruer son évangile.

Je subodore qu’elle prend en même temps les mesures précises de mon apparence, qu’elle mémorise les formes, creux et reliefs, de chacun de mes profils, comme le ferait un drone équipé d’une technologie complexe. Le danger se précise et s’exacerbe, il est imminent. Je ne suis plus capable de la moindre réflexion. Tout se brouille dans mon esprit à vouloir pénétrer le sien, effilé de spéculations circonflexes. Toute ma pensée est tendue vers la sienne, nos deux pensées ne forment plus qu’une. C’est ce qu’elle me dit en bombillant horriblement dans ma boîte crânienne. Ce langage humain me terrifie, les mots sont autant de couperets qui s’abattent sur mon mental et mon corps, et les scarifient. Je tente des échappatoires et vais d’un mur à l’autre de la cellule, me cognant et rebondissant à une allure folle. Mais l’écueil n’est plus qu’une question de minutes. Le piège est machiavélique, j’en suis persuadé puisque j’en suis l’auteur, le concepteur. Je ne peux que capituler, m’y soumettre, mais l’instinct de survie est plus fort et j’essaie de gagner quelques secondes en remuant sans arrêt, esquivant les attaques dans d’ultimes traits de génie. Mais je fatigue, perds petit à petit de la vivacité dans mes actions et mes capacités à anticiper.

Même déchirées et trouées à maints endroits, mes ailes fonctionnent encore un minimum, mais je vibrionne avec difficulté, de façon peu fructueuse. Je chute par moments. Seuls l’épaisseur de l’air et mon poids insignifiant me permettent de ne pas me retrouver au sol, à la merci du premier soulier venu. Car je n’ai plus ni ventouses ni pattes pour me déplacer. Une à une, celles-ci ont été sectionnées par un instrument primitif, indigne de ma transcendante supériorité.


On me disait sans cœur, il m’aurait été pourtant tentant d’aimer cet autre, tellement humain. J’aurais peut-être appris, et lui aussi, à supporter ce sentiment inquiétant, si j’en avais eu le temps. Si tant est aussi qu’il fût dirigé vers un être de sa valeur. Et partagé. Nous nous ressemblions tant ! Notre compagnonnage fortuit serait devenu choisi, comme un îlot de liberté dans l’univers carcéral.

Il était émouvant dans son égoïsme, attachant dans sa misanthropie forcenée et ses pauvres petits travers pervers de vieux psychopathe.

La tapette, d’une unique chiquenaude, a cependant scellé son destin.

Notre destin.


 
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   Anonyme   
30/7/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai trouvé bien amené le basculement narratif de l'humain à la mouche, d'abord ambigu, accompli selon moi à
Je tente des échappatoires et vais d’un mur à l’autre de la cellule, me cognant et rebondissant à une allure folle.
Selon moi, c'est un peu dommage d'avoir caractérisé la mouche par des yeux rouges ; l'image en est plus frappante, d'accord, mais du coup je pense à une drosophile et la mouche perd de son caractère générique, universel, de pure nuisance. Les drosophiles sont fort utiles pour la recherche scientifique.

Le caractère du narrateur humain me semble effectivement défini, misanthrope, orgueilleux, criminel, en un mot psychopathe. Pas besoin de gros effets pour m'amener à cette conclusion, j'apprécie la sobriété à l'œuvre.
En revanche la clôture est à mes yeux décevante, d'une part parce que je me demande bien ce que vient fiche une tapette à mouche dans une cellule de prison, d'autre part parce qu'elle m'apparaît trop insistante, me prend trop par la main. Le message était assez clair, je crois.

J'ai en tout cas aimé le mouvement et la tension de l'ensemble. Une nouvelle bien menée, nul doute.

   Vilmon   
30/7/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,
Intéressant ce récit à propos d'un homme (psychopathe ?) dans une cellule qui passe par un brin de folie (à cause de la solitude) en passant par une vision de relation spéciale avec une mouche toute simple, mais qui prend toute la place des ses réflexions, jusqu'à une sorte de folie. La tapette à mouche a tout arrêté, mais sur quoi son esprit pourra se concentrer maintenant ?
La progression du récit se déroule bien avec les premières phrases accrocheuses. La suite nous introduit peu à peu dans l'univers du personnage et nous donne des indices pour décoder.
J'ai bien apprécié.

   papipoete   
1/8/2022
 a aimé ce texte 
Bien
fantastique/merveilleux
" fantastique " peut s'appliquer à cet insecte, capable si petit d'empoisonner la vie d'un géant que pour elle le héros représente !
Et tournicoter, et bourdonner aux oreilles, et parer en mille esquive, la main et l'arme fatale TAPETTE !
NB Dans ce récit, la mouche est pour le taulard, une ennemie qu'il a condamné d'avance... alors que nombre de bagnards se prirent d'amitié, pour une souris voir même un cafard... pour les aider à endurer le leur .
j'aime particulièrement le passage, où le héros craint qu'en s'endormant, la mouche en lui s'introduise par tout orifice de son anatomie...
N'est qu'un bémol dans l'avant-dernière strophe ; " même déchirées et trouées... " alors que le héros narrait l'aventure, la mouche se met à parler sans que son intervention soit indiquée, par des guillemets ou autre ponctuation lui donnant la parole ?
papipoète

   senglar   
1/8/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonsoir,


La mouche à donc fini par trouver la porte d'entrée dans un endroit où l'on voudrait plutôt trouver la porte de sortie. On peut penser que la mouche a toujours été là consubstantiellement (merci de m'avoir permis d'utiliser ce mot) au prévenu.
Il faudra m'expliquer cette dualité/unicité/mixité. En tuant la mouche on tue le détenu et pour cela un outil aussi anodin qu'une tapette suffit.
Celui-là serait un misanthrope ou ne serait pas. Qu'était-il ? Asocial au point de se retrouver en cellule ? Ses cellules seraient donc sa cellule ? Je trouve la mouche bien aimable et solidaire de l'avoir accompagné en prison. Ah ! Les acouphènes !
Voilà un individu obsessionnel autodestructeur qui a scellé son destin en supprimant la mouche qui est en lui. Peut-être eût-il mieux valu la laisser vivre ?
Serions-nous tous des mouches du coche ? Un coche branlant et mortifère... à la merci 'une (petite) ornière ?
Donc Mouche = Vous = misanthropie, je ne vois pas pourquoi je m'inclurais là-dedans.
"Notre destin"
Mais non pas du tout !

senglar en EL

   Angieblue   
6/8/2022
 a aimé ce texte 
Passionnément
C'est captivant avec un suspense qui tient en haleine. C'est également très bien écrit avec un vocabulaire riche.
L'identification à la mouche arrive progressivement. Au départ, il est dans une forme de parano, il se sent persécuté par cette mouche, son compagnon de cellule. C'est assez effrayant lorsqu'il la personnifie et qu'l imagine qu'elle cherche à pénétrer dans l'un de ses orifices.
Puis, petit à petit, il s'identifie jusqu'à se métamorphoser en elle pour ne former qu'un seul être. C'est brillamment décrit. De plus, il y a un effet de miroir car la mouche acquiert aussi des capacités humaines, et ce dès le départ à travers les pensées et les expressions que lui attribue le narrateur.
C'est bien vu car, en effet, dans sa prison, il est comme une mouche enfermée dans un bocal. La métaphore prend vie ou a-t-il tout simplement perdu la raison...
Quel est l'instrument primitif qui lui a sectionné ses ventouses et ses pattes ? Est-ce une allusion à un instrument de torture datant d'avant le XVIIIème ou tout simplement une métaphore pour décrire son emprisonnement et donc son incapacité à se mouvoir et sortir en toute liberté...L'instrument primitif serait alors la prison...
A la fin, on en revient à l'homme asocial dans sa cellule. Après la minute d'émotion assez ironique, il écrase la mouche avec une tapette qui scelle "leur" destin car on devine que lui subira la peine de mort. D'ailleurs, l'emprisonnement est en quelque sorte une mort sociale...
En somme, un huis-clos fantastique aux accents kafkaÏen brillamment mené. Bravo!

   Anonyme   
27/9/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Cyrill,

Avec vous, s’il me semble que je radote, faites le moi savoir, on ne sait jamais à quoi s’en tenir. Je passerai sur l’écriture, toujours aux petits oignons, pour m’intéresser au fond. Une mouche… On connait tous, à moins de vivre au pôle nord, l’irritante musca domestica qui vrombit et tourbillonne, agace et excède, qui ose se poser dans vos cheveux, sur vos jambes, voire même sur votre part de flan aux quetsches. C’est odieux ! Celle-ci obsède, tourmente et supplicie le misanthrope narrateur, qui, de mandibules en yeux à facettes, frôle le syndrome de Stockholm en matant la saloperie agrippée au plafond. VDM. Là où l’auteur est ‘achement balèze’, c’est sur l’inversion des rôles subtilement amenée, un pont entre Kafka et Cronenberg. Qui est démiurge ? Qui est l’amphitryon ? Lequel a le plus gros zizi ? Envers qui éprouver une goutte de compassion ? Ne sachant trancher, j’aurais foutu un coup de tapette aux deux.

C’est une merveille

Anna la mouche à merde

   Jemabi   
16/8/2022
 a aimé ce texte 
Passionnément
D'abord, on est intrigué par cette histoire qui commence dans un réalisme on ne peut plus quotidien. Et puis, on est pris d'un doute. Tout se met progressivement à basculer au fur et à mesure que le récit progresse, qu'on ne sait plus qui est la mouche ni qui est l'humain. Tout se confond pour ne devenir qu'un être hybride mi-homme mi-insecte, comme dans le film "La mouche". Bravo pour le subtil développement de cette histoire de psychopathe qui réveillera à coup sûr la mouche qui sommeille en chacun de nous... bbbzzzzz

   Vincente   
16/8/2022
 a aimé ce texte 
Passionnément
Dans ce récit, c'est bien le trouble de l'assimilation qui est en jeu. Qui est qui ? Qui est quoi ?!
À quel moment l'un s'empare de l'autre ?
Quel est ce véhicule narratif qui chevauche les logorrhées réciproques ? Deux soliloques qui se voudrait autonomes mais de fait interfèrent au point que le brouillage s'accomplit jusque dans la tête du narrateur ; et le lecteur n'est pas loin, accolé à cette sensation.
Dans cette "cellule" se produit un jeu de rebond "d'un mur à l'autre", d'une conscience à l'autre… le lecteur lui-même se perd dans ces extraversions très introspectives. On est au-delà de la supputation spéculative sur le fond du pourquoi le locuteur est là dans cette profonde perturbation et la mouche dans cette éventualité révélatrice d'une simple opposition.
Sûr que la mouche s'avère l'autre partie énervante, repoussante, de l'esprit du prisonnier, de lui-même et de la société auquel il aura outrepassé les lois. Sûr qu'il ne sortira pas idem de cet autre lui-même qu'il renie mais qu'à la fois il retient en lui-même.

Toute la nouvelle m'a beaucoup plu, j'ai adhéré sans réserve au propos puisque même certaines parties un peu "verbeuses" et qui se retournaient sur elles-mêmes participent à l'expression du flux de conscience en perdition du narrateur ; mais c'est bien ce passage qui m'a fait basculer dans une sensation de véracité émotionnelle dans laquelle j'ai pu me sentir "en risque" de me noyer :

"...je me doute qu’elle cherche un moyen de s’introduire dans mes cellules – quelle ironie – grises. Elle examine les possibles orifices d’entrée. Je repère ses manœuvres mentales à ses gros yeux rouges qui vibrent. Je cadenasse hermétiquement ma bouche, lèvres en dedans entièrement masquées à sa vue. Mais je peux difficilement me boucher à la fois le nez et les oreilles et continuer de vaquer à mes rares occupations. Et puis de toute façon il y a les yeux, que je devrais de même tenir fermés pour protéger l’ouverture du canal lacrymal. Je suis foutu, je le sais bien."
À la limite, la phrase de clôture de ce paragraphe, "Elle va finir par occuper ce qu’il me reste de pensée, de mémoire, de rêves." ne paraît pas utile, rester dans la suggestion qui était déjà forte à ce moment-là suffisait à mon sens.

   hersen   
16/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
L'idée de cette nouvelle est excellente, mais surtout elle est vraiment très bien menée.
Il y a du suspense, et ce ne sont à chaque fois que des petits détails dont après on se dit, ah, c'était ça ! Pour moi, ça a commencé à la table boulonnée, j'ai compris seulement un peu plus loin, dès lors ça m'a ms la mouche à l'oreille (mais j'espère qu'elle n'est pas entrée trop profondément dans mon cerveau :)
Un excellent moment de lecture, donc, bravo Cyrill !

   Robot   
17/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un récit fantastique qui nous tient en suspens jusqu'à la fin qui nous dévoile l'incongruité de cette opposition entre le prisonnier et l'insecte sur lequel il projette son état d'esprit. Une forme d'osmose semble s'imposer entre l'humain et la mouche. La mouche me paraît ici représenter l'obsession du remord.
Un texte surprenant et bien mené et trés bien écrit.

   Pouet   
18/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Slt,

diptère schizophrénie sur toile de claustrophobie existentielle.

Ce qui compte n'est ni la chute ni l'atterrissage, mais peut-être les rebonds d'un envol claudiquant, d'une reptation ailée.
Un reflet de conscience dans le noir absolu d'un soi-même éclatant.
L'adaptation à son milieu ou l'extension des rebords, le partage intime du vide, la répulsion du gouffre dans la recherche de son frôlement.

Un bourdonnement d'humanité, la métamorphose du rien.

   Anonyme   
20/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Cyrill,

Je vous aime bien en nouvelles. On s'en fiche, mais je le dis.

J'ai apprécié ma lecture.

Le titre renvoie à la métamorphose, et on vous attend au tournant, surveillant chaque maladresse, chaque "hommage"...

Vous réussissez parfaitement le pari de l'originalité.

J'apprécie la montée en parano du narrateur dans la première partie, subtile, on découvre au fil de la lecture à qui on a affaire, de manière bien menée.

Le champ lexical est bien adapté à l'histoire, et le passage narratif de l'homme à l'animal est bien mené, parce que justement, toute la première partie joue à rendre l'anthropomorphisme de plus en plus évident, jusqu'à la chute délectable.

Merci pour le partage de cette petite nouvelle fort sympathique dans la construction, intelligente dans la rédaction, et franchement bien réussie dans l'ensemble.

Au plaisir de te relire !

   Donaldo75   
22/8/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Salut Cyrill,

Bon ben euh tsé, comme disait mon voisin stéphanois, j'ai trouvé ce texte intéressant, probablement plein de troisième voire de quatrième degré - j'en suis resté au second et encore il a fallu que je me décarcasse les neurones bien grippés par un long séjour en Auvergne à manger de la lave bourrée de Saint Nectaire - comme tu sais si formidablement les composer. La chute reste fidèle à ton style - je dirais que c'est décalé et tout ça me donne envie d'écouter un vieil album d'Aerosmith avant que Steven Tyler ne se prenne un astéroïde dans la tronche - même si j'ai galéré pour en saisir le sens qui m'échappe des synapses à chaque fois que je le relis.

Bye

Don

   plumette   
27/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Impressionnante nouvelle qui opère un glissement à peine perceptible entre l'homme et la mouche.

la description de l'homme exaspéré qui veut se détacher mais n'y arrive pas au point d'être obsédé par l'insecte me parait être assez juste psychologiquement: je pense à tous ces bruits qui nous agacent et que l'on finit par guetter pour vérifier qu'ils ont cessé!

je trouve le vocabulaire utilisé riche sans être pédant: "elle ourdit , ses yeux ne cessent de trémuler , je subodore , effilé de spéculations circonflexes...etc. j'ai eu le sentiment d'un travail sur la forme très ajusté à son sujet.

Bravo! et à vous relire en nouvelles.

   Anonyme   
29/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une nouvelle vraiment jntéressante avec ce huis clos entre l'homme et la mouche et le fil du suspens est tendu tout le long de l'histoire. Captivant. Bravo!

   Cyrill   
29/10/2022

   Louis   
13/12/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Sartre avait intitulé l’une de ses pièces de théâtre : Les mouches.
Cette nouvelle présente quelques points communs avec la pièce.
On est passé du pluriel au singulier, de la multitude des mouches qui envahissent la cité d’Argos, dans la pièce de Sartre, à une mouche unique, introduite dans la cellule-cachot d’un détenu, la pluralité se déplaçant du côté cellulaire, l’unique mouche s’efforçant sournoisement de pénétrer les « cellules grises » du personnage. Mais dans l’un comme dans l’autre des deux récits, l’insecte qui tourmente les humains figure symboliquement le douloureux sentiment du remords.

Dans cette nouvelle, des similitudes apparaissent avec le théâtre classique, en ce que la règle des trois unités semble respectée : unité de lieu, de temps et d’action.

Un personnage apparaît en scène, pour en désigner un autre : «Elle»
« Elle est revenue. Calme pour l’instant, mais je ne pense pas que
ça va durer. »
La mouche, c’est Elle. Le titre de la nouvelle l’annonce et le révèle. Le texte, lui, ne la nomme pas. Le diptère sera rendu présent avant tout par trois pronoms, qui vont de la troisième, la plus indéterminée : « Elle », à la première très personnelle : « Je » en passant par la deuxième : « tu ».

Le personnage-narrateur se distingue d’abord d’ « elle ».
Il ne dialogue pas avec la mouche, il ne commence pas par la tutoyer.
Il ouvre un espace de parole entre lui et lui-même, une intériorité entre soi et soi-même, d’où la mouche est exclue.
La narration se fait dans cet espace intérieur, mais de telle sorte qu’elle suppose une tierce personne, qui n’est ni le moi, ni le moi-même, ni la mouche, mais celle d’un regard extérieur à la scène : un lecteur, un spectateur ; un Autre pris en témoin, les autres en général, peut-être l’instance de l’Autre intériorisé (le Surmoi), ou encore une instance supérieure, le grand Autre, l’être divin.
De façon sartrienne, le narrateur sait qu’il n’existe que sous le regard de l’autre.

« Hier matin, j’ai cru que j’allais devenir fou. Elle était agitée et me tournait autour bruyamment, sans jamais se poser. Il faisait lourd, orageux comme aujourd’hui, mais à présent elle a l’air plutôt sonnée. Ou alors elle m’attend au tournant. »

On peut ainsi constater, dans ce passage, dans cette ‘tirade’, que le narrateur ne s’adresse pas seulement à lui-même, il indique à l’Autre témoin ce qu’il faut voir, ce qu’il faut savoir. S’il n’y avait pas cet Autre, il ne s’exprimerait pas ainsi. Or il ne se contente pas d’un constat silencieux, il redouble la situation, la crée pour partie par des mots et la commente, pour la mettre au clair, et la parole lui est nécessaire pour cela, mais il va au-delà de ce qu’il a besoin de se dire, et donc s’exprime aussi pour un tiers

Devant cet ‘autre’ absent de la scène, en dehors d’elle mais spectateur témoin, se joue donc un face à face entre l’homme et « elle », la mouche anthropomorphe, la mouche personnifiée.

Mais très vite, l’homme met en rapport la mouche avec son sentiment de culpabilité : « Je sais bien que j’ai des choses à me reprocher, je n’ai pas toujours fait le bien. »
Elle est ce reproche-même, ce reproche incarné dans le petit insecte noir, vibrionnant de façon insupportable.
Elle ne laisse pas en paix, la maudite mouche, elle empêche la tranquillité de la conscience, empêche le repos par l’oubli des fautes commises :

« Elle le sait également, presque mieux que moi, comme douée d’une prescience. Elle connaît mes bassesses, mes fautes, et vient me les rappeler si d’aventure j’essaie de les oublier. »

Intime du narrateur, « Elle » le connaît, presque mieux qu’il ne se connaît lui-même. Mais ce qu’elle sait de lui, ce sont surtout ses défauts : « mes bassesses, mes fautes ».

« Elle » est une part de lui-même, son double ; le narrateur insiste sur leurs similitudes, entre « Elle » et lui, « version sans fard de moi-même » ; « elle est comme moi ».
Ressemblances qui cachent une identité, confirmée par la mouche elle-même :
« Nous sommes identiques, me susurre-t-elle. Je suis une version de toi dépouillée. Je suis ta quintessence »

On est passé insensiblement de « elle » au « tu » qui désigne la mouche dans le dialogue direct qui s’engage entre eux. Imperceptiblement, on passe aussi du « tu » au « je » quand leurs voix se mêlent, tendent à se confondre au point qu’il devient difficile de savoir qui dit « Je », qui dit « tu » :
« Je t’ai engendré par l’intellect, tu m’as créée en dilettante. Je vois par tes yeux, je sens par tes récepteurs sensoriels, tu penses par mon cortex. Tu voles et te diriges selon mes volontés »

Provisoirement, la voix de l’homme l’emporte encore pour dire « je».
Il tente de se protéger de son « invasion ». Il ne veut pas se laisser pénétrer par elle.
Il accepte la conscience de sa culpabilité, mais non le remords. Il se sait coupable, mais refuse le remords qu’il a projeté hors de lui, identifié à l’insecte noir.
Le remords n’est pas refoulé, mais ‘forclos’ comme disent les psychanalystes.

Il ne veut pas être pénétré par le remords. Il cherche donc à le maintenir hors de soi, dans une extériorité, dans l’altérité de la mouche.
Lui se conçoit froid et sans remords. À la hauteur de ses actes. Il ne se veut pas lâche à leur égard.
Il sait qu’ils n’étaient pas des actes bons, mais ne veut pas les renier. Ils sont ‘ses’ actes.

Il semble supporter, et même comprendre la punition judiciaire venue des autres hommes, la peine d’emprisonnement, mais avec le remords, on entre dans un autre domaine, celui de la morale, et c’est contre lui qu’il lutte, c’est par elle qu’il ne vaut pas être pénétré.

Le remords, en effet, consiste à se renier, dans une peine que l’on s’inflige à soi-même. La peine se mue en un ‘châtiment’. Remords : le mot est de la même famille que ‘mordre’ : il est une morsure. On ne s’en mord pas seulement les doigts, mais toute l’âme est rongée dans une torture, un supplice, que l’on s’inflige.
Il ne veut pas ajouter à la punition sociale de la privation de liberté, la punition personnelle et morale.
Il barricade son corps, « Je cadenasse hermétiquement ma bouche (… ) Mais je peux difficilement me boucher à la fois le nez et les oreilles (…) Et puis de toute façon, il y a les yeux… », mais c’est l’esprit qui veut se protéger : « Elle va finir par occuper ce qui me reste de pensée, de mémoire, de rêves ».
Être pénétré de la mouche, donc du remords, c’est avoir la pensée tout entière absorbée par les actes commis, revenir obsessionnellement sur ses actes fautifs, transformer ses rêves en cauchemars répétitifs. C’est perdre l’équilibre de son esprit, dans le trouble mental et l’enfer des tourments intérieurs, ce qu’il appelle « la folie » vers quoi l’entraîne la mouche noire : « Elle va me rendre fou. C’est son ambition. Le sens même de son existence. »

Le narrateur se prétend un être froid, il a cette image de lui-même d’un homme dénué de sentiments : « Je n’ai guère de sentiments. Je ne connais pas la passion. J’éprouve tout au plus une aversion épidermique envers mon espèce »
Or le remords est un sentiment, une « passion » aussi au sens traditionnel du terme, qui couvre l’ensemble de la vie affective, considérée comme essentiellement passive, faite de tout ce dont on ‘pâtit’.
Il ne peut donc pas consentir à subir, à pâtir, un douloureux sentiment de remords, qui ne lui semble pas correspondre à sa nature personnelle.
Éprouver du remords, ce serait changer, et ne pas reconnaître ses actes comme siens. Se trahir. Ne plus être fidèle à soi. Ce serait être possédé par un être démoniaque, que représente à ses yeux le diptère infernal, et par là être dépossédé de soi.

Être froid, insensible, dépourvu de toute sympathie pour l’humain : ainsi se conçoit-il encore.
Mais si la mouche aussi est « froide, inexpressive », sans aucun sentiment, alors sur quoi le remords qu’elle incarne se fonde-t-il ?
Elle agit comme lui, froidement, comme les fautes qu’il a commises, sans pitié, sans compassion. Il retient du remords sous l’apparence de la mouche le supplice sans pitié qu’il lui fera subir.
Peut-être le zonzon de la mouche porte-t-il aussi le cri vengeur et obsédant de tous ceux à qui il a fait du mal.

Mais en affirmant éprouver « tout au plus une aversion épidermique envers mon espèce », il ne se reconnaît pas entièrement coupable de ses actes.
Qualifiée d’ « épidermique », l’aversion éprouvée pour le genre humain lui apparaît inscrite dans sa peau, non contrôlable, non maîtrisable, comme faisant partie de sa nature même. Aucune cause n’est évoquée qui serait à l’origine de sa misanthropie, aucune déception provoquée par les humains. Ses actes donc hostiles et violents à l’égard de certains de ses « congénères », et qui lui ont valu la prison, résulteraient de leur conformité à sa « nature » misanthrope ; il n’a pas choisi, parce qu’il serait doué d’un libre arbitre, d’accomplir ces actes. Choisit-on ce que l’on est par nature ? Est-on responsable de sa nature ?
Contrairement à Oreste, le personnage central des Mouches de Sartre, il ne se considère pas « libre» et donc entièrement responsable de ses actes. Il se sent prisonnier d’une nature qu’il n’a pas choisie. Raison supplémentaire qui l’amènent à se représenter les cellules de son corps, et particulièrement ses « cellules grises » comme autant de prisons. Prisonnier de lui-même, comment pourrait-il être libre, totalement responsable et donc méritant le pire châtiment dans la torture du remords ?

Ses résistances à la pénétration de la mouche pourtant faiblissent, si bien que le pronom « elle », qui la désigne, peu à peu disparaît ; elle finit donc par envahir l’esprit du narrateur, devenant confus, et le sujet « je » de sa parole n’est plus le sien, mais celui de la mouche invasive. « Nos deux pensées n’en forment plus qu’une. C’est ce qu’elle me dit en bombillant horriblement dans ma boîte crânienne » : sont les derniers mots de l’homme avant que la mouche domine son esprit et parle au nom de leur union-fusion en s’affirmant « je ».

L’insecte extériorisé va disparaître, vaincu : « La tapette, d’une unique chiquenaude, a cependant scellé son destin ».
Mais c’est le « je » en quelque sorte ‘moucheté’, ou qui a nettement ‘mouché’ l’homme qui l’affirme.
Un dernier renversement se produit : il n’y a pas eu de véritable fusion entre les deux esprits distincts, mais une interversion, ou une permutation de leurs esprits, celui du narrateur a pris place de celui de la mouche, et inversement l’esprit de la mouche s’est imposé en place de celui du narrateur.
Faut-il dire alors, comme l’écrivait Lautréamont, que : « la mouche ne raisonne pas bien à présent. Un homme bourdonne à ses oreilles. »
Non, parce que c’est l’homme qui succombe, quand meurt la mouche ; et la mouche qui survit, quand l’homme fait usage de la tapette.

Mais peu importent ces jeux sur l’identité de chacun, ce qu’il advient c’est que l’homme est désormais pénétré de la dimension moralisante et religieuse du remords.
Ne dit-il pas, quand il se croit encore, distinct et indépendant de la mouche : « Elle est à l’autre bout de mon être à tonitruer son évangile »
Quel que soit le sens donné à ce mot « évangile », il conserve sa connotation religieuse.
L’homme psychopathe et misanthrope est maintenant prêt pour le ‘repentir’. Il meurt à ce qu’il était, celui qui assume ses actes, même les plus odieux. Désormais, il est prêt à se renier.
Il est prêt pour une ‘expiation’, une ‘rédemption’. La souffrance qu’il va éprouver, qui ne sera plus celle de la privation de liberté, sera la douleur ‘purificatrice’, l’idée éminemment morale-religieuse du ‘rachat’ des fautes, par la souffrance du remords, cette mortification, cette pénitence morale.

Les mouches sont du côté des dieux. Jupiter, personnage divin de la pièce de Sartre se trouve ainsi désigné : « dieu des mouches et de la mort. »
Les dieux ont besoin du remords pour mieux conserver la soumission des hommes.
Ainsi le ‘tiers’, absent-présent, dans cette pièce-nouvelle où se joue l’identité de l’homme et de la mouche, n’était-ce pas Dieu lui-même, le dieu chrétien, plutôt que Jupiter ?
N’est-ce pas aussi à cet Autre que sont les hommes qui le condamnent, que le misanthrope malfaisant veut montrer qu’il peut changer par le remords, malgré sa nature ; qu’il peut lui aussi se faire autre. Autre que ce qu’il a été.
S’il se repent, par la victoire en lui de la mouche, il faut que ce soit su, il faut que ce soit vu. Il faut qu’aux yeux des hommes et de Dieu, que sous leur témoignage, s’effectue sa rédemption, que s’effacent ses fautes, s’efface son inhumanité pour ne subsiste que sa part d’humanité. Par la métamorphose d’une mouche en humain.

Oreste, lui, ne se repent pas. Il tue le roi d’Argos, et Clytemnestre, sa mère, qui tous deux, complices, avaient autrefois assassiné son père Agamemnon. Il partira, emmenant avec lui toutes les mouches de la ville, elles étaient les Érinyes, les déesses des remords. Mais elles bourdonneront vainement autour de sa tête. Oreste sait qu’il est libre, il assume librement son crime, il ne
se repentira pas, au grand dam de Jupiter.

L’homme de cette nouvelle ne s’est pas affranchi des dieux. Mais que pouvait-il espérer ? Sinon continuer à assumer ses actes, peut-être se reconnaître même une liberté, mais dans une prison, dont on ne le laissera sans doute jamais sortir.


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