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Science-fiction
Donaldo75 : À quelques minutes de minuit
 Publié le 04/12/23  -  3 commentaires  -  10617 caractères  -  45 lectures    Autres textes du même auteur

"Everybody say God is a good man
Ah, clock on the world
Driving a dump truck up to the sun
A sigh in the human heart."

(Midnight Oil)


À quelques minutes de minuit


Le premier jour du mois de mars 2099, comme planifié dans le manifeste de vol, le commandant Garrett sortit de stase. En tant qu’officier supérieur chargé du vaisseau d’exploration spatiale ESPERO, il devait ensuite, selon la procédure, réveiller ses compagnons de vol. L’ordinateur de bord affichait des paramètres conformes à l’attendu. La biologie et la physique, la chair et le métal, avaient réussi l’épreuve du retour dans le système solaire. Les cinq longues années de sommeil forcé avaient laissé les organismes en bon état, même pour le plus âgé d’entre eux, le docteur Reynolds. Le commandant Garrett regarda le moniteur de navigation. L’astronef croisait désormais l’orbite de Mars, néanmoins la planète rouge restait lointaine. Les indicateurs montraient que dans cinq jours la Terre ne serait plus qu’à quelques centaines de milliers de kilomètres. Il ouvrit son journal de bord et démarra un nouveau chapitre.


-o-o-o-


Journal de bord du commandant Garrett.

1er mars 2099.

Titre du mémo : nous avons enfin trouvé le Graal.


Kepler199x a rempli ses promesses et au-delà. Comme espéré, cette belle planète tellurique s’avère l’hôte capable d’accueillir durablement l’humanité. La surpopulation terrestre ne sera bientôt plus qu'un lointain et douloureux souvenir. Je ne regrette pas le voyage, même s’il a été long et que le monde tel que nous le connaissions a probablement changé en notre absence. Je suppose que beaucoup de personnes de notre ancien entourage ont quitté le monde des vivants depuis notre départ. L’équipage se porte bien. La phase de réveil se déroule comme prévu.


-o-o-o-


Le deuxième jour du mois de mars 2099, à 17 h 30 GMT, le navigateur Patchoukine démarra son briefing avec son supérieur hiérarchique, le commandant Garrett. Il l’informa qu’il n’arrivait toujours pas à joindre la station spatiale internationale, relais habituel des communications entre les vaisseaux d’exploration et la Terre. L’intelligence artificielle embarquée sur ESPERO avait également essayé de contacter de multiples sondes alentour.


– Et ?

– Rien.

– Vous le sentez comment ?

– Il y a de nombreuses explications possibles.

– Lesquelles ?


L’officier russe expliqua qu’il fallait considérer de quel temps ils venaient. L’équipage avait quitté la surface terrestre depuis vingt ans. La technologie avait évolué depuis. Les sondes avaient bougé. L’espace solaire était probablement différent. Il plaisanta en comparant ses compagnons de voyage à de vieux pionniers revenus au pays après deux décennies de traversée des cieux galactiques.


– Comment se portent les autres ?

– Aussi bien que possible.

– En clair ?

– Ils sortent d’une gueule de bois galactique. La promesse de Kepler199x les a enivrés.

– Oui, moi aussi. J’ai encore du mal à absorber l’énormité de la nouvelle.


Le commandant ne pouvait pas mieux résumer la situation. Avec son équipe venue des quatre coins de la planète, il avait parcouru des milliards de kilomètres dans un but précis. Cette quête avait porté ses fruits. Désormais, lui l’Australien pourrait annoncer à ses compatriotes que l’humanité ne mourrait pas de soif, de froid ou sous les affres de la sécheresse. Le futur redevenait merveilleux.


-o-o-o-


Journal de bord du docteur Reynolds.

3 mars 2099.

Titre du mémo : la Terre ne répond pas.


J’ai envoyé les données scientifiques aux différentes adresses consignées dans la procédure : sur Terre, sur la base lunaire et à la station spatiale internationale. Après les cinq minutes règlementaires, j’ai soumis la demande d’accusé de réception. Cette dernière n'a pas encore donné lieu à une réponse. Notre intelligence artificielle embarquée vérifie nos paramètres d'émission et relance le message en boucle. Ce n’est pas encourageant pour la suite mais l’équipage reste positif.


-o-o-o-


Le quatrième jour, la Terre ne se trouvait plus qu’à une vingtaine de millions de kilomètres. Tous à bord avaient même pu l’observer dans la matinée. Conformément à la demande de son supérieur hiérarchique, le navigateur Patchoukine avait modifié la trajectoire d’approche du vaisseau ESPERO. Le principe de précaution exigeait d’attendre des instructions complémentaires, une sorte de seconde vérification inscrite dans la procédure de retour. Elles devaient être communiquées par le commandement terrestre. Ce dernier ne s’était cependant toujours pas manifesté.


L’atmosphère à bord restait studieuse. Les exobiologistes Martinot et Li continuaient de compiler les informations récoltées sur Kepler199x. Elles les jugeaient réellement prometteuses, presque incroyables tellement ces résultats démultipliaient le champ des possibles. En parallèle, Wagner le physicien et Ten Haken le géologue travaillaient de concert sur des simulations de la première installation terrienne. Ils voulaient préparer la future conférence de presse pour l’habiller de concret. Tous les membres de l’équipage trépignaient d’impatience à l’idée de rejoindre la planète bleue, cette sphère si belle et si brillante dans le ciel. Ils avaient envie d’annoncer la bonne nouvelle à leurs congénères : l'humanité allait pouvoir s'installer durablement sur Kepler199x. Cette dernière représentait un havre de paix. Elle était certes quatre fois plus grande que le globe terrestre mais tout aussi hospitalière. Elle orbitait avec majesté, accompagnée de ses trois satellites, autour d’une paisible et petite étoile orange. Ce nouveau monde avait beaucoup à offrir de ses océans d'eau liquide, de sa végétation florissante et de son climat tempéré.


Une ombre au tableau demeurait néanmoins : les communications avec la Terre, la Lune ou les différentes bases spatiales restaient infructueuses. L’intelligence artificielle embarquée ne trouvait pas encore la solution à ce problème. Les membres de l’équipage commençaient à s’inquiéter.


-o-o-o-


Journal de bord du commandant Garrett.

6 mars 2099.

Titre du mémo : la Terre a scintillé dans le rouge.


Nous avons tous vu la même chose : la petite boule bleue s’est teintée de rouge. Le phénomène s’est déroulé dans l’hémisphère nord. Wagner, notre expert en planétologie, recherche la cause de ce phénomène. Il utilise les capteurs du vaisseau pour récolter plus d’informations. L'équipage ne le vit pas bien. Les questions fusent. En réponse, Ten Haken évoque un désordre climatique et des conséquences atmosphériques. Il les pense liés à la forte dégradation de la haute atmosphère terrestre probablement accentuée lors de ces dernières années. Les données astronomiques ne font état d'aucune suractivité solaire. Le champ magnétique semble continuer à jouer son rôle protecteur.


-o-o-o-


Le 7 mars 2099, la cellule de crise se réunit. Les calculs de Wagner démontraient la gravité de la situation : le rayonnement constaté au nord de la Terre s’était répété au sud. Il ne pouvait provenir que de radiations nucléaires. L’équipage commençait à mieux comprendre pourquoi les communications étaient rompues depuis le début. Karandhi, l’anthropologue, rappela à tous ce qu’ils avaient oublié en vingt années de périple galactique : la Terre connaissait avant leur départ un climat tendu entre les différents blocs politiques. La mission représentait l'espoir d'une paix durable pour l'humanité orientée vers un objectif commun. Il s’agissait de s'installer durablement sur Kepler199x, comme une sorte de renaissance de la civilisation humaine. Le commandant Garrett décida, en accord avec les autres explorateurs, de continuer l’analyse des données physiques récoltées par les capteurs du vaisseau. Toutes les ressources à disposition étaient désormais entièrement dédiées à l’observation du globe terrestre. De son côté, l’intelligence artificielle embarquée compilait les informations et les préparait pour les experts dans chacun des domaines, comme s’il s’agissait d’une planète inconnue.


Le 8 mars 2099, la Terre scintilla de nouveau. Les données captées par le vaisseau ne laissèrent aucun doute : la haute atmosphère terrestre était devenue radioactive. Wagner, Ten Haken et Reynolds ne cachèrent plus leur pessimisme. Selon eux, la vie était devenue impossible sur leur monde natal. Patchoukine proposa alors un plan B : une installation temporaire sur une des bases lunaires utilisées par les Russes. Les débats fusèrent au sujet du choix de l'implantation. Le commandant Garrett décida de trancher en faveur de son navigateur car la position géographique de ce terrain était la plus sûre au regard de la nouvelle situation.


Le 9 mars 2099, le vaisseau ESPERO se plaça en orbite haute autour de la Lune. Les scientifiques lancèrent les premières analyses du sol lunaire, une procédure de précaution obligatoire selon le manifeste de vol. À la lecture des résultats, la cellule de crise se réunit à nouveau.


– La solution de rechange est compromise, commença Wagner.

– Élaborez, s’il vous plaît, demanda son supérieur.

– La radioactivité de la Lune est à des niveaux jamais mesurés auparavant.


Alunir n’était plus une option viable. Un bombardement massif avait probablement rendu le satellite radioactif. Des impacts récents à la surface allaient dans le sens de cette hypothèse. Karandhi suggéra que le conflit terrestre avait probablement démarré sur la Lune. Il ne savait pas pourquoi mais selon lui il n’y avait plus rien à espérer de ce côté. C’était pourquoi la cellule de crise avait été convoquée. Il fallait décider de la suite à donner à leur périple. Plusieurs scénarios avaient été évalués par l’intelligence artificielle embarquée. Un seul semblait néanmoins réaliste.


-o-o-o-


Journal de bord du professeur Karandhi.

10 mars 2099.

Titre du mémo : nous sommes les derniers représentants de notre espèce.


ESPERO est reparti en direction de la planète rouge. Nous sommes huit êtres humains dont trois femmes. Nous représentons les derniers survivants connus de l'espèce et peut-être de notre civilisation. L’intelligence artificielle embarquée évalue nos chances de réussite à quinze pour cent. Nous sommes désormais tous d'accord pour rejoindre Kepler199x. Nous espérons que les bases martiennes sont encore opérationnelles et que nous pourrons faire le plein de carburant, de vivres et de matériel dans l'une d'elles. Ce voyage est risqué mais nous n’avons plus le choix. La Terre a vécu ses derniers jours. Mars n'a jamais été une option. Dans un peu plus de cinq ans nous saurons si nous pourrons reconstruire une civilisation meilleure, pacifique, libérée de ses démons.


 
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   jeanphi   
23/11/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Bonjour,

Douloureuse histoire, c'est vraiment navrant, il y a une portée certaine, presque une critique de l'anticipation. Par anticipation, l'Amérique en 1962, mal informée par ses renseignements, a amorcé la première phase de lancement d'ogives nucléaires vers l'union soviétique en riposte à un bug supposé dans le système de contrôle de lancement des ogives russes (sources à revoir).
Une mission d'exploration qui arrache des larmes :
Le 8 mars 2099, la terre scintilla de nouveau.

Vous teintez la note d'espoir finale d'un sacré blues, la station martienne étant peut-être inopérationnelle, rendant la reconstruction d'une civilisation impossible pour vos héroïques spationautes et astronautes.

   Cornelius   
4/12/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

Merci pour ce court voyage intergalactique, mais s'agit-il vraiment de science-fiction ou ce récit est-il prémonitoire de ce qui pourrait se passer dans les futures décennies dans l'espace.

Cela est plausible et l'on pourrait assister à l'extinction de notre civilisation.

   solinga   
31/5/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Un récit bien rythmé, palpitant et percutant, d'une élégance maîtrisée et sereine, sans fioriture, dans un style épuré et lucide (astral) comme le regard que ces lignes invitent à porter sur le devenir de l'espèce humaine, engagée sur sa pente belligérante et autodestructrice. On aimerait croire que l'humanité scintille encore d'autre chose.
Dans sa condensation remarquable, votre texte m'a remémoré certains moments de La nuit des temps, inoubliable, de Barjavel.
Merci !


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