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Sentimental/Romanesque
embellie : Le père de Socrate
 Publié le 13/10/22  -  7 commentaires  -  6141 caractères  -  46 lectures    Autres textes du même auteur

Une fillette est intriguée par l’allure et le comportement énigmatique du père d’un de ses camarades de jeu.


Le père de Socrate


De la ville, perchée, descendait une avenue, jusqu’au faubourg. Tout en bas, là où elle devenait route nationale, se trouvait le dernier pâté de maisons, le plus modeste, souvent inondé par l’Orb, rivière lunatique. Des logements vétustes, aux fenêtres étroites, se serraient les uns contre les autres le long de l’avenue. Certains, surélevés, s’alignaient comme cages à lapins au-dessus de grands garages abritant des autocars et des camions-citernes, de chaque côté d’une grande cour.


Fiona habitait là. Deux grands marronniers, entre lesquels il y eut jadis un portail, marquaient l’entrée d’une grande cour, point de ralliement des enfants du quartier. Là, assis sur le sol souillé de cambouis, ils jouaient pendant des heures aux cartes, ou s’échangeaient des BD, jusqu’à ce que le crépuscule fasse jaillir des fenêtres les têtes des mères appelant leur marmaille pour le repas du soir. Fiona aimait le mois de septembre, surtout ce moment que l’on dit « entre chien et loup ». La nuit venant plus tôt, elle s’arrogeait le droit de protester à l’appel de sa mère : « Il fait noir, mais il n’est pas tard, je reste encore un peu. » Et l’air était si doux, empreint de la forte chaleur du jour ! Quelquefois, elle ne jouait pas, restait assise, adossée à un arbre, se laissant envahir par une vague tristesse, nostalgie de fin de vacances…


C’est un de ces soirs qu’ils virent arriver un garçon étrange. Très maigre, les cheveux dans les yeux, pieds et torse nus, il passa lentement devant l’entrée de la cour, les mains dans les poches d’un pantalon trop grand, tête baissée, jaugeant les enfants d’un regard en dessous. Quand il repassa, Jérôme dit : « Qui c’est, lui ? » Chacun haussa les épaules et continua sa partie. Un instant plus tard, il revint en courant, sauta sur le tronc d’un marronnier et se trouva dans les branches en trois secondes. Fiona pensa à Robinson Crusoé, puis à ces gravures où l’on voit des Noirs, félins, aux longs membres nus, agrippés aux troncs des cocotiers. Elle leva les yeux :


– Eh ! On t’a jamais vu, toi. Où tu habites ?

– Là-bas.


D’un hochement de tête, il désigna le bas de l’avenue. Aussitôt, il sauta à terre, aussi léger qu’un ectoplasme, et trois sauts périlleux le déposèrent sur le trottoir. Il partait déjà mais un « oh ! » admiratif le poussa à se retourner vers le groupe. Hirsute, goguenard, il replongea ses poings dans ses poches et lança, avant de disparaître, un « fastoche ! » qui laissa l’assemblée baba.


Le lendemain matin, alors qu’elle allait avec sa mère faire des courses, Fiona revit le sauvage sur l’avenue. Il avait enfilé un tee-shirt troué et des espadrilles avachies. L’air renfrogné, il accompagnait une dame blonde et boulotte qui poussait un appareil à deux roues, bizarre. Derrière eux, un homme grand et sec les suivait. La petite ne dit pas à sa mère qu’elle connaissait ce garçon crasseux, mais demanda discrètement ce qu’était la machine. Maman expliqua l’utilité de la cardeuse, pour travailler la laine et le crin en vue de confectionner des matelas.

Il faisait déjà chaud, le trio montait vers la ville. La petite dame avançait lourdement, soufflait à chaque pas ; la sueur suintait au-dessus de ses lèvres et soulignait ses aisselles de croissants de lune. Le gamin suivait de mauvaise grâce, les yeux fixés sur le trottoir. Quant au monsieur, chemise blanche et pantalon noir, il avait une démarche légère, élégante, la jambe souple, le pas régulier.


Quand vint le soir, la fillette, fortement intriguée par cette famille si différente de la sienne, attendit impatiemment l’arrivée du « Robinson ». Les gosses du quartier avaient pour nom Christophe, Julien, Jérôme… lui s’appelait Socrate ! Où ses parents avaient-ils trouvé ce nom-là ? Il rétorqua fièrement, avec un drôle d’accent : « Je suis grec. Plus tard, je serai acrobate. J’ai déjà la roulotte, alors… »

Dès que possible, la petite curieuse chaussa ses rollers, guetta le passage de maman-fiston-papa, et roula en vitesse jusqu’au bas de l’avenue. Une caravane était bien là, porte et fenêtres closes. À proximité, une boîte à lettres fixée sur un piquet affichait : Apollon Périzélos. Les jours suivants, les gosses entouraient Socrate avec déférence mais ne pouvaient s’empêcher de le questionner. Se faisant un peu prier, il raconta le voyage en bateau jusqu’à Sète et l’installation sur ce terrain vague, à la sortie de Béziers. La plupart de ses phrases commençaient par « mon Père a dit, mon Père a fait… » en appuyant sur la première consonne, dénotant une admiration indéfectible. Pour finir, il assura, avec un air mystérieux : « Ici mon Père va devenir riche !… »


Fiona, de plus en plus intriguée, retint tout commentaire mais se promit d’éclaircir ce mystère. Le groupe de copains, déconcerté, voyait passer chaque jour la petite dame ronde dans sa robe à fleurs fanées, poussant sa cardeuse péniblement, leur nouveau copain traîne-savates à ses côtés, et le bel Apollon, superbe, fermant la marche, nez au vent, regard lointain, comme un être flottant au-dessus des contingences…


Un soir où tous les enfants étaient rentrés chez eux, Fiona ne se décidait pas à quitter la rue, flânait devant la cour, essayant de nouvelles figures sur ses rollers, quand elle vit s’approcher un homme inconnu. Il portait un chapeau haut de forme, des gants. Une longue écharpe blanche flottait sur son pardessus noir. Le portrait du « Milord » d’Édith Piaf. Il avançait à longues enjambées, avec souplesse. Cette démarche de héron majestueux lui fit reconnaître, à son grand étonnement, Monsieur Périzélos. Il passa près d’elle sans la voir, le front haut, et monta vers la ville.


Elle éprouvait à présent pour Socrate une fascination, due au mystère généré par la personnalité de son père, un léger dégoût, dû à sa crasse indélébile, mais toujours cette curiosité qui la poussait à s’isoler avec lui dans la cour, de manière à lui parler seule à seul. Lui se détendait avec elle, devenait certains soirs plus loquace.


C’est ainsi qu’elle obtint la primeur d’une révélation, la double vie du Père de Socrate : un peu aide-matelassier le jour, la nuit taxi-boy, beaucoup.


 
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   Anonyme   
26/9/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

Voilà une courte nouvelle bien ficelée. J’ai aimé l’atmosphère du récit qui m’a rappelée, je ne sais pourquoi, celle un peu bohème de « Les Ritals » de François Cavanna. J’ai également appris ce qu’était un « taxi Boy ». Même si j’aurais aimé que la fascination de la petite curieuse Fiona pour cette famille grecque soit un peu plus approfondie, ça ne m’a pas empêchée de lire ce récit avec plaisir.

Merci pour cette lecture gratuite et le temps que vous avez passé dessus.

Anna en EL

   Cyrill   
13/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Embellie,

Une nouvelle courte et qui va à l’essentiel, et pourtant j’ai noté dans la description des lieux, des personnages et des scènes tout ce qu’il me fallait pour me les représenter.
Je trouve que la société enfantine est particulièrement bien décrite, mise en action et en paroles de belle façon, convaincante.
On partage la fascination de Fiona et l’attraction que Socrate et son père exercent sur elle. Un mystère à peine dévoilé de l’Autre qui se passe de jugement, tout comme la narration se passe avec bonheur de morale : on reste à hauteur d’enfant.
J’ai beaucoup aimé, les mots sont justes, l’écriture sobre et agile.

Merci pour cette lecture qui me donne le sourire.

   senglar   
13/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour embellie,


Hier je ne savais pas qu'il existait des chats sans queue (virevolte "L'îlien") aujourd'hui j'apprends ce qu'est un taxi boy. Décidément les Oniriennes sont pleines de ressources.
Ce taxi boy semble respecter les règles puisqu'il ne va pas du taxi au matelas qu'il considère comme une source d'appoint très secondaire. Forcément serviable avec ses cavalières il a l'air un peu distant avec sa femme qu'il laisse pousser la cardeuse, ceci dit il lui cède la place du chef de meute puisque c'est elle qui ouvre le chemin. Je suppose qu'il se rattrape en conduisant la danse le soir au fond des pistes.

"Si tu veux couvrir de rose
Tout ce que tu vois en gris
Si tu es vraiment morose
Viens danser le sirtaki"

Doit se prénommer Zorba le père de Socrate, et s'il a la tête de "Milord" plutôt que celle d'Anthony Quinn c'est vrai qu'il peut devenir très riche. Mais pour cela il faudra qu'il passe de taxi à escort et se préoccupe un peu plus des matelas.

"Viens danser avec Zorba
Viens danser avec Zorba
Viens danser avec Zorba"

Je sens que je vais passer un bon moment à regarder danser Monsieur Périzélos...

   Donaldo75   
16/10/2022
Bonjour embellie,

Je reconnais un avis mitigé sur cette nouvelle ; même après deux lectures, je trouve dommage qu’elle ne développe pas plus l’histoire car la chute – à savoir le travail du père – est assez abrupte et surtout qu’il y avait plus de place pour la relation entre Fiona et Socrate. C’est bien écrit, là il n’y a pas d’ambiguïté, la narration est prometteuse mais la promesse amène probablement le lecteur – c’est le cas me concernant – vers une sorte de frustration de lire un début seulement même si pourtant il y a un développement – que je trouve court – et une fin.

   Anonyme   
29/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Une jolie nouvelle mais qui m'a semblée un peu courte, j'aurais aimé en savoir plus sur les héros de l'histoire, Fiona et le mystérieux Socrate. L'écriture et fine et vivante. Bravo !

   Messircule   
4/11/2022
 a aimé ce texte 
Un peu
J'ai aimé l'ambiance de la nouvelle et je rejoins un autre commentaire sur l'envie de pouvoir me plonger plus longuement dans cette ambiance et cette relation.

Par contre beaucoup de phrases m'ont dérangé par leurs tournures et j'ai eu une impression de saccades dans le rythme qui dérange la lecture.

Merci pour le partage.

   Tadiou   
8/11/2022
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour Embellie. Que votre écriture est fluide, agréable, bien ciselée !

Je me suis laissé porter par ces agitations d'enfants et le mystère du "crasseux"; le narrateur donne bien à sentir la répulsion-attraction de Fiona.

J'attendais la suite, le lever du voile après une telle entrée en action prometteuse. Hélas, je suis plutôt déçu et reste sur ma faim. Car la fin fait plutôt "pschitt" pour moi. Comme si ce récit n'était pas terminé.

A une autre fois


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