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Horreur/Épouvante
Germain : Bourrasque
 Publié le 21/03/22  -  7 commentaires  -  28900 caractères  -  73 lectures    Autres textes du même auteur

Dans une vieille ferme perdue au milieu d'un paysage désolé, battu par le vent, le patriarche est mourant. Ses enfants sont venus assister à ses derniers instants et se retrouvent confrontés à leurs souvenirs, et à bien pire encore.


Bourrasque


Dans son enfance, les choses étaient différentes.

C'est ce qu'elle veut croire.

Elle veut le croire, quand elle voit les champs désolés balayés par le vent, quand elle entend le bêlement des brebis entassées dans leur enclos aux vieilles planches qui gémissent sous le vent. Le ciel bas, le chêne centenaire baissant la tête sous les rafales.

Ce vent. Ce vent.

Un vent à déchirer un cerf-volant.


– Tu peux venir. On va manger.


Les autres fermiers ont vendu, sont partis ou ne sont plus de ce monde. Crevant sous les dettes, dans la solitude, sous ce ciel de traîne. L'herbe était plus verte dans ses souvenirs. Dans ses souvenirs, ça ne paraissait pas un si terrible endroit pour grandir.

Ici, elle se demande si elle n'a pas fantasmé sa vie à Winnipeg. Paul, et sa fille, l'appartement lumineux avec la terrasse et sa vue renversante sur la rivière Rouge. C'est une existence qui lui paraît si lointaine, presque irréelle. L'école de Juliette, la circulation des heures de pointe, le rythme endiablé de la cité.


– Dépêche-toi, ça va refroidir ! dit la mère entre ses lèvres parcheminées.


Le poids des ans, du labeur, l'agonie du père, l'ont transformée en une chose voûtée et frappée de sidération. Ses cheveux sont sales et ébouriffés, elle ne prend plus soin d'elle.

Tout à l'heure, quand elle a émincé les légumes, elle a manqué se trancher un doigt. Héléna est entrée dans la cuisine et a vu le sang. Tout ce sang.

À présent, à table, ils mangent en silence, tandis que le vent hurle et chuchote, balaye les champs tout autour, ces champs où plus grand-chose ne pousse.

À table ils ne disent rien, ou si peu. Était-ce comme ça autrefois ? Le bruit des couverts, de la vieille vaisselle. La mère, elle a l'air perdue, les yeux gonflés, les tendons du cou saillants. Il lui manque des dents. Héléna frissonne.


– Maman, tu ne vas pas pouvoir rester ici toute seule. Il n'y a personne à moins de trois kilomètres.


C'est Harry qui a parlé. Énonçant l'évidence.


– Non. Les brebis. Elles comptent sur moi. Et où irais-je ?


Sa main droite est entourée d'un bandage qui a viré au rose, à cause du sang.


– Maman, c'est quoi tous ces crucifix ?


C'est Héléna qui demande. Quand elle est rentrée dans la maison, ça l'a troublée. La mère et le père n'étaient pas ce que l'on pouvait appeler des bigots dans le temps. À présent, il y a des croix partout, sur les portes et dans chaque pièce. La proximité de la mort, probablement. La solitude, la vieillesse.


X


Elles écossent des petits pois dans la cuisine. L'horloge avance doucement. Les minutes ici s'égrènent d'une façon qui leur est propre. Le vent siffle dans les boiseries, les encadrements des fenêtres. Sous les plafonds il y a de l'humidité.


– Le jour où ton père est tombé dans les escaliers, trois brebis sont mortes, lâche la mère.


Comme ça, dans le silence des minutes qui s'égrènent.


– Des brebis mortes ? Comment ça ? demande Héléna.

– Je vous ai dit de ne pas venir.

– Pourquoi ? veut savoir Héléna.


C'est le troisième jour, le vent ne faiblit pas, le ciel est chiche en lumière. Harry est allé nourrir les brebis. Dans leur enclos, elles sont nerveuses. Elles bêlent et se cognent les unes aux autres. Le vent n'explique pas tout.

Quand il revient et retrouve les femmes dans la cuisine, il dit :


– Je ne sais pas ce qu'ont les bêtes. On dirait qu'elles ont peur.

– Demain, vous partirez dit la mère. Promettez-moi de partir.


Le soir, à table. Harry :


– Les filles vont bien. Au cas où vous vous poseriez la question.


Ça sent la fève bouillie, et le vin un peu rance. Harry ne sait pas pourquoi il dit ça. L'envie soudaine de parler des filles, de les évoquer. Devant l’absence de curiosité de sa propre sœur, de sa propre mère.


– Judith est entrée au lycée. Gabi va avoir 16 ans le mois prochain.


Héléna :


– Maman, tu as chanté cette nuit. C'était quoi, cette chanson ?


Le regard de sa mère. Ses cheveux gris sur les yeux, le front, les lèvres parcheminées. Elle regarde sa fille, les yeux vides. Sa bouche tremble.


– Je veux que vous partiez demain, elle dit.

– Tu ne sais que répéter ça, dit froidement Harry, l'appétit coupé.

– Ici je n'ai pas besoin de vous. Je sais comment faire avec les bêtes.


Elle se lève et vide le contenu de son assiette dans la poubelle. Ses pas sont lourds et usés, ils font craquer le plancher. Sans un mot, elle rentre dans la chambre où le père est alité.

Le père est dans cet état depuis une semaine. Suite à l'AVC et à la chute dans l'escalier. Il s'est cassé une jambe, fêlé quelques côtes, mais les dégâts majeurs se situent dans le cerveau. Il n'a pas repris connaissance depuis. Parfois on l'entend tousser, ou gémir. Mais impossible de communiquer avec lui. D'obtenir une réaction. Maman le veille de longues heures durant. Héléna un peu. Harry ne supporte pas de le voir comme ça.

Il sort sur la terrasse, tend une bière à Héléna. La nuit est tombée et le vent souffle toujours. C'est une soirée de printemps et il ne fait pas froid. Assise sur les marches, Héléna prend la bière et boit une gorgée.


– On n’a jamais bien su se parler dans cette famille, hein ? dit Harry.


Une vérité triste, énoncée à la lueur vacillante de la lanterne accrochée au-dessus du perron.


– Je suis désolée, dit-elle, sans trop savoir pourquoi.


Ils laissent s'installer un silence qui n'est pas si inconfortable. Ou plutôt laissent le souffle du vent occuper l'espace.

Ce vent ne semble jamais devoir finir. Il pousse les nuages et les broussailles, soulève la terre, la poussière.


– Tu as vraiment entendu maman chanter la nuit dernière ? Je pensais avoir rêvé, fait Harry.

– Elle était dans la chambre avec papa. Elle le veillait. J’ai pensé qu'elle chantait pour lui.

– Tu sais, ça ressemblait à une vieille chanson que maman et papa chantaient quand nous étions enfants. Celle qui parlait d'un clair de lune et d'un poulailler… Je ne sais plus. Mais ce n'étaient pas les mêmes paroles. C'était…


Harry avala une gorgée. La bière était fraîche, mais plate. Ce n'était pas particulièrement agréable.


– J'ai une impression étrange, avoue Harry. Cet après-midi dans la bergerie. J'ai senti…

– Quoi ?

– Rien. Je ne sais pas.


Si on tend bien l'oreille dans la nuit, dans une telle nuit avec le vent qui mugit, on entend tout un tas de choses, des choses qu'il ne vaut mieux pas entendre. On peut facilement se faire des idées. C'est ce que se dit Héléna qui se rattache à des gestes simples et rassurants. Boire une bière au goulot, sentir l'amertume sous sa langue. Fumer une cigarette.


– Tout a changé ici. C'est…


Harry cherche ses mots. Il a toujours eu des difficultés pour mettre des mots sur ses pensées.


– Je vois ce que tu veux dire. Tout est pareil, mais à la fois différent. Je ne sais pas moi-même comment l'expliquer, dit Héléna.


C'est dans l'air. Quelque chose qui malgré l'air tiède vous colle la chair de poule. Quand les brebis bêlent dans la nuit. Que les chaînes du portail de l'enclos s'entrechoquent dans le vent. Quand le noir de la nuit se fait plus noir encore, plus désespéré.


– Nous étions des enfants. Quelque part, nous devions aimer nous faire peur.


C'est Harry qui dit ça, et pourtant, alors même qu'il convoque les souvenirs rattachés à cette maison, il n'obtient rien d'autre que des images floues et guère convaincantes. Il se rappelle juste que les parents travaillaient dur. Qu'après les cours, lui et sa sœur donnaient des coups de main pour les bêtes. Était-il heureux ? À quoi rêvait-il dans sa chambre, lorsque la nuit effaçait tout ? Son cœur se serrait-il quand la vieille maison râlait et chavirait sous les bourrasques, au cœur d'une nuit sans lune ?

Dans sa mémoire, il ne retrouve presque rien de cette époque.


– Tu as parlé de tes filles tout à l'heure, commence Héléna. Je suis content que tout aille bien pour toi. Ce n'est pas parce que je ne donne pas de nouvelles que je ne pense pas à toi.


La lumière vacille sous le vent, déplaçant les ombres du frère et de la sœur, les étirant comme dans un théâtre grotesque d'ombres chinoises.

Harry a un pincement au cœur. Il sait que sa sœur a adopté car elle ne pouvait pas avoir d'enfant. C'est un traumatisme pour elle. Au point qu'elle est incapable de s'intéresser à ses enfants à lui. Qu'elle n'a jamais demandé à voir une photo de ses filles. Elle vit dans un monde où les autres n'ont pas d'enfants.


– Tu penses que papa en a encore pour longtemps ? elle demande.


C'est une inquiétude qui ne devrait pas passer pour de l'impatience. Le médecin leur a dit que ce n'était qu'une question de jours. Mais il n'a pas l'air de souffrir. Il est intubé, sa poitrine se soulève à intervalles réguliers, doucement, la pompe de son cœur prend juste de quoi tenir jusqu’à la prochaine respiration.

Harry se redresse soudain. Ses yeux scrutent l'obscurité. Héléna est surprise par la pâleur de son visage.


– Qu'est-ce qui se passe ? Tu as vu quelque chose ?

– J'ai cru… il dit. Et puis : ce n'est rien. La nuit me joue des tours. Rentrons si tu veux bien.


Avant de le suivre à l'intérieur, les yeux d'Héléna fouillent l'obscurité, les ténèbres autour de la bergerie. Avec le vent, les ombres sont mouvantes, il est facile de distinguer des choses qu'on préférerait ne pas voir.


Le matin, elle va dans la salle de bains pour se mouiller le visage. Le miroir au-dessus du lavabo en faïence est brisé. On lui a donné un coup en son centre, un coup féroce qui a projeté des éclats tranchants et brillants au sol et dans le lavabo. Mais ce qui inquiète le plus Héléna, ce sont les traces de sang.

Elle sort précipitamment et appelle son frère, sa mère. Elle ouvre la chambre où le père gît, toujours intubé, toujours entre la vie et la mort.

Personne.

Elle sort sur la terrasse, dans le vent et la pluie fine. De gros nuages noirs obscurcissent le ciel, mais le gros de la pluie, les averses, ne se manifesteront que lorsque le vent cessera.

Elle crie. Harry. Maman.

Son frère apparaît à la porte de la remise attenante à la bergerie. Il agite les bras et lui crie de venir. Le cœur d'Héléna s'embrase. Elle a du mal à respirer tandis qu'elle se hâte maladroitement, sans éviter les flaques et la boue.


Quand elle a découvert le miroir et le sang, ça lui a rappelé un autre miroir et un autre sang, quelques mois plus tôt. Elle s'était disputée avec Juliette, à cause d'une sucrerie que sa fille mangeait juste avant le dîner. Héléna ne sait pas comment se comporter avec cette enfant. Elle s'est persuadé que Juliette ne l'aime pas. Qu'elle lui reproche de ne pas être sa mère biologique. Et Héléna s'en veut constamment de ne pas assez aimer sa fille. De ne pas être à la hauteur. Paul lui dit « c'est l'âge, ça va passer », mais Héléna en doute, car Héléna doute d’à peu près tout (de ses aptitudes professionnelles, de ses qualités de cuisinière, jusqu'aux fringues qu'elle porte, jusqu’à sa façon de faire l'amour avec Paul). Elle croit déceler le ressentiment dans les yeux clairs de sa fille.

Elle s'était enfermée dans la petite salle de bains aux murs bleu marine et avait scruté un moment son visage dans le miroir comme si elle attendait une réponse. Faute de quoi, elle avait écrasé son poing dans son reflet inversé.

Parce qu’elle détestait la mère qu'elle était devenue.


Ce sont les cicatrices sur ses phalanges qu'elle regarde alors que les types du service funéraire emportent le corps de sa mère. Avec Harry, elle reste un moment sous la pluie, jusqu'à ce que le véhicule mortuaire s'éloigne et disparaisse à l'horizon. Le médecin qui est venu constater le décès prend congé lui aussi. Abasourdie, sonnée, Héléna lui propose une tasse de café mais le toubib préfère décliner. Quand ils se retrouvent seuls, Harry passe une main maladroite sur l'épaule de sa sœur.

Héléna ne cesse de penser au geste de sa mère. Avec quelle sorte de douleur faut-il se débattre pour se passer une corde autour du cou ?

Leur détresse est muette. Aucun d'eux ne trouve les mots. Il y a de la culpabilité et de la sidération, et des larmes qui n'arrivent pas à couler.


Héléna passe une grande partie de l'après-midi au chevet de son père. Avec de petits ciseaux, elle lui coupe les poils disgracieux qui dépassent de son nez et de ses oreilles. Elle regarde la poitrine du mourant se soulever à intervalles réguliers. Harry est sorti avec les bêtes. Il a dit que ça lui ferait du bien de s'occuper. À l’heure qu’il est, pense Héléna, il doit être parvenu à l'ancien champ de colza.

Vers quinze heures, Héléna commence à somnoler, mais elle sursaute lorsque la sonnette de la porte d'entrée retentit. Quand elle ouvre, elle découvre un vieil homme en habit de prêtre.


– Héléna, c'est bien toi ? fait l'homme d'Église. Tu te souviens de moi ?


Oui, Héléna se souvient du vieux prêtre. C'est ce même homme qui l'a baptisée, il y a plus de trente ans.


– Je suis venu quand j'ai su pour ta mère. Je suis désolé, dit-il.


Héléna laisse l'homme entrer dans la vieille maison. Lui propose une boisson chaude. Héléna et le prêtre s’asseyent à la table de la vieille cuisine.


– Comment va ton père ? demande le prêtre.

– Les médecins disent qu'il ne reprendra pas connaissance. Il est dans la chambre, sous respirateur.


Héléna sert du café au vieil homme. Elle se demande quel âge il doit avoir. L'homme d'Église lui semblait déjà vieux à l'époque. Elle prend des nouvelles de sa santé. Le vieil homme sourit, et ses yeux brillent un peu. Il lui répond qu'il va bien, mais qu'il s'inquiète surtout pour elle. Et pour son frère. « Le petit Harry » comme il l'appelle.


– Les choses ont bien changé par ici, dit-il. Tous les jeunes s'en vont, mais il n'y a rien d'étonnant. Regarde autour de toi. Qui voudrait habiter dans le coin ? L’abattoir de Rrockwell a fermé. La fromagerie des Stevens n'existe plus. Et puis il y a plus terrible encore.


À travers la porte de la chambre, on entend gémir le père. Une plainte aiguë, comme une déchirure.


– De quoi parlez-vous ? demande Héléna.


Les yeux noirs du prêtre fixe ceux d'Héléna avec une insistance désagréable. Ces yeux. Ils la rendent mal à l'aise. Deux trous béants, un regard vide. Elle veut regarder ailleurs mais n'y parvient pas.


– C'est ce maudit vent, Héléna. Je crois qu'il est la cause de tous les maux des gens du coin. Les âmes perturbées n'y résistent pas. Ça n'explique pas tout pour ta mère. Mais la perspective de perdre son homme, de devoir gérer seule une exploitation déjà fortement hypothéquée… La vie est dure par ici. Si tu rajoutes cet effroyable vent… on dirait qu'il chuchote. As-tu vraiment essayé d'écouter ce qu'il avait à dire ?


Le vent. Bien sûr qu'elle l'entend, jusque dans son sommeil. Le vent, indissociable de cette terre désolée. Allongée, la nuit, quand elle l'écoute, elle perçoit sa voix. Ce ne sont pas des mots, même pas des syllabes, à peine des sons : c'est la langue terrible chuchotée au cœur de la nuit. Il s'insinue entre les planches, il vient s'échouer sur ses bras nus, dépose un voile d'humidité sur son front, s'infiltre sous sa chemise de nuit.


– Une…


Elle ne parvient pas à articuler. Sa gorge est prise dans un étau, aucun son ne veut plus sortir de sa bouche. L'univers est concentré dans les yeux noirs du prêtre. Elle le regarde engloutir son café, les doigts noueux autour de la tasse qu'il repose sans un bruit. L'homme a un sourire compassé, un sourire qui aurait pu passer pour de la bienveillance s'il n'y avait eu ce regard terrible.


– Mon père disait que quand on commence à percevoir des mots dans le bruit du vent, la folie n'est plus très loin, reprend le vieil homme. À la fin de sa vie, il avait une autre hypothèse. Il parlait du vent du diable. De terre maudite.


Le prêtre sourit étrangement à cette évocation. Il se lève.


– Mais assez radoté. Voilà que je raconte des horreurs à une fille qui vient de perdre sa mère. Je dois perdre la boule moi aussi.


Elle ne raccompagne pas l'homme d'Église. Elle demeure devant son café froid, se massant fébrilement les tempes à cause d'une soudaine migraine qui l’a fait plisser des yeux.


– Tu sais qui j'ai vu cet après-midi ? elle demande. Le prêtre. Wallace.


Ils sont sur la terrasse, buvant chacun une bière à la lueur des derniers feux du soleil.


– Le père Wallace. Je l'avais presque oublié. Comment va-t-il ?

– Il n'a pas beaucoup changé. À part…

– Oui ?

– Rien. Je ne sais pas.


Harry est rentré perturbé de sa balade avec les bêtes. Le vieux champ de colza était envahi par les sauterelles. Un essaim, un nuage entier d'insectes, un phénomène qu'il n'avait vu qu'à travers des reportages télé dans certaines régions d’Afrique. Les brebis étaient nerveuses, plus encore que ces derniers jours. Il a regretté de ne pas avoir de chien pour les recadrer. Il a dû les amener paître du côté des anciennes carrières. Ce soir il est fatigué et masse ses jambes douloureuses.


– On ne peut pas rester là avec papa, dit Harry. On va faire venir une ambulance pour le déplacer.

– Ça pourrait le tuer. C'est ce qu'a dit le docteur.

– Prenons ce risque. Je ne reste pas une journée de plus ici. Pour les bêtes, je ne sais pas. Je n'ai aucune idée de la façon dont ça se passe. Peut-être prévenir un abattoir ? Les services municipaux…


Le vent ce soir s'est fortement calmé. De grosses gouttes commencent à tomber. La terre sent cette odeur de mouillé qu'Héléna appréciait, enfant.

Ils restent là sans rien dire, s'échangeant une cigarette. Les brebis sont étrangement silencieuses dans leur enclos. Héléna a cette pensée bizarre : les choses reprennent un cours normal. Le cours de quoi, au juste ? La maison va probablement être démolie, les champs saisis par la banque. Et les brebis… elle aimerait leur éviter l'abattoir. Il faudrait qu'un gars du coin les récupère.


– Tu devrais venir nous voir à Des Moines. Quand tout ça… fait Harry d'un geste englobant la maison, la bergerie. Viens avec ta fille et ton copain si tu veux.


Héléna se force à finir sa bière qui, bizarrement, est éventée, comme toutes celles du pack qu’Harry a ramené de ses courses en ville. Il ne reste en bouche que l'amertume, tenace.


– Je ne sais pas, dit-elle, se sentant tout à coup fatiguée. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.


La nuit, le vent a recommencé à souffler violemment, en continu, glissant sous les portes et dans les chambranles, faisant trembler le verre aux fenêtres. Elle a mis la tête sous un coussin pour étouffer le bruit. Elle a transpiré et fait des cauchemars.

Ce n'est définitivement pas un endroit pour moi, se dit-elle en empruntant le couloir jusqu'à la salle de bains. Son cauchemar revient la hanter, par flashs. Il lui semble qu'elle a rêvé du père, assis à la table de la cuisine devant son bol de café. Ses yeux étaient comme ceux du prêtre cet après-midi : noirs et vides.

Elle s'asperge le visage d'eau devant le miroir brisé. Ses cheveux sont en désordre, et elle ne prend pas le temps de se coiffer. Dans la cuisine, elle met en route la cafetière au moment où Harry revient du village avec des viennoiseries et du sucre en poudre.


– Bien dormi sœurette ? lui demande-t-il.


Elle est troublée qu'il l'appelle ainsi. Ça lui paraît un peu trop affectueux. Sans doute essaie-t-il de se rapprocher d'elle, comme la veille au soir, quand il lui a proposé de venir le voir à Des Moines ? Elle se demande s'il fait ça parce qu'ils sont sur le point de se retrouver orphelins. Elle fait danser le mot dans son esprit : orphelin. Se sent-on orphelin quand on a 40 ans ?


– Tu t'es levée dans la nuit ? fait Harry en leur versant du café.

– Pas que je sache.

– J'ai retrouvé la tasse du père sur la table avec un fond de café noir. Tu es sûre ?


Héléna sent un souffle glacé lui parcourir l'échine.

Son cauchemar. Elle se revoit se levant dans la nuit, intriguée par les bruits dans la vieille cuisine, pensant trouver Harry en pleine crise d'insomnie. Elle ressent dans sa chair l'effroi qui l'avait saisie en découvrant son père, attablé devant le bol de café qu'il utilisait toujours.

Il lui avait dit quelque chose. Elle ne se souvient pas quoi.

Ce dont elle se rappelle, c'est le malaise qui lui avait noué les entrailles. Et des yeux noirs et vides, d'une indicible cruauté.

Elle se lève et se rue dans la chambre du père. Il est toujours intubé, inconscient, le teint cireux. Elle a envie de le secouer, lui attrape la main, lui demande de se réveiller. Sa voix tremble. Elle ne la reconnaît pas.


– Héléna, qu'est-ce qu'il te prend ? questionne Harry dans son dos.


Bouleversée, Héléna se laisse choir au pied du lit. Ses jambes ne la soutiennent plus. Elle est agitée de spasmes incontrôlables. Harry s'agenouille et la prend dans ses bras, fermement, pour l’empêcher de se faire mal. Il pense à une crise d'épilepsie. Sa sœur est-elle épileptique ? Elle s'agite pendant au moins cinq minutes, en crachant de la salive, tandis qu'Harry la maintient comme il peut, à terre. Enfin, elle finit par s'immobiliser.

En fouillant l'armoire à pharmacie des parents, Harry trouve un tube de Lexomil. Il fait avaler deux comprimés à sa sœur, qu'il aide à s'allonger sur son lit. Un franc soleil traverse la fenêtre de la petite chambre et la poussière danse dans ses rayons. Héléna est si pâle. Des mèches de cheveux collent à son front. Elle est en nage.

Il ne comprend pas pourquoi sa sœur est devenue tout à coup hystérique. Ce séjour est pour lui l'occasion de constater le gouffre qui les sépare. Ils sont comme deux étrangers. Il aimerait trouver les mots pour l'apaiser. La consoler. Mais il ne sait pas.


– Je vais m'occuper de l'ambulance pour papa, dit-il.


Dans sa chambre, Héléna sombre dans un engourdissement proche du sommeil. Mais qui n'a rien d'agréable. Des images hantent son esprit abruti par les cachets que son frère lui a fait avaler. Elle croit entendre la voix de Juliette dans le vent. Des mots qui sont autant de reproches terribles et définitifs. « Tu n'es pas ma mère. » « Tu ne comprends rien. » « Je voudrais que tu sois morte. » La maison grince et chuchote elle aussi. Elle a l'impression d'être sur un bateau, livré aux roulis d'une mer agitée. Cette sensation lui est insupportable. Elle veut hurler mais sa gorge est comme comprimée dans un étau.

Héléna ouvre les yeux et le soir est déjà tombé. A-t-elle dormi aussi longtemps ? La première chose qu'elle remarque, c'est le silence assourdissant. Le vent, pour la première fois depuis le début de son séjour, s’est tu. Il n'y a aucun bruit dans la vieille maison si prompte à grincer, à se tordre en gémissant, à faire entendre ses bruits de vieilles planches rhumatisantes. Aussi a-t-elle le sentiment d’être prisonnière d'un rêve. Comme lorsqu'elle a cru se lever la nuit dernière pour découvrir son père à la table de la cuisine. Elle se souvient maintenant de ce qu'il lui a dit. Il était pâle comme la mort, avec ses yeux d'un noir absolu enfoncés dans leurs orbites. Il a levé la tête et l'a regardée un instant avant de dire : « Tu es maudite toi aussi. Tu dois payer pour les péchés de ton père. » Et Héléna, frappée d'un indicible effroi, lui a demandé de quoi il parlait. Il a lentement soulevé sa tasse pour boire une gorgée de café. Il régnait à ce moment-là le même silence mortifère qu'à présent. La vérité : elle ne voulait pas qu'il lui réponde. La vérité : peut-être, mais peut-être, connaissait-elle déjà la réponse. « Écoute le vent, ma chérie. Écoute ce qu'il te dit. »

Et après ça, elle ne se souvient plus.

Elle se lève, fragile sur ses deux jambes. La lumière de la cuisine est allumée. Son frère boit une bière, attablé, dans le silence inédit de la nuit.


– Tu es là, dit-elle. J'ai dormi un moment.


Elle se prépare un café, vaguement nauséeuse. Ils ne disent rien pendant que la cafetière se met en route, puis laisse couler son jus dans la tasse d'Héléna.


– Tu as appelé pour l'ambulance ? demande-t-elle.

– J'ai fait le nécessaire. Ils viennent demain matin.


Elle s’assoit en face de son frère. Harry semble perdu dans ses pensées. Plusieurs mégots de cigarettes tapissent le fond du cendrier. Elle lui trouve l'air inquiet. Et sans doute plus encore.


– Cet après-midi, j'ai reçu un coup de fil de l'église, dit Harry. Pour l'enterrement de maman. Un prêtre, un certain Murdock. Ça te dit quelque chose ?


Non, ça ne lui dit rien.


– Le père Wallace est mort depuis quinze ans, dit-il. Quinze ans. Il avait plus de 80 ans et a été emporté par une pneumonie.


Héléna regarde son frère, comme pour la première fois. Jamais elle n'a vu dans ses yeux une telle lueur d'incrédulité et de désarroi. Sur le coup, elle ne trouve pas les mots pour le rassurer. Pour que tout s’arrête.


– C'est impossible, elle dit. Il était là hier. Assis à ta place. Je lui ai servi un café. Nous avons discuté. À quoi joues-tu ?


Le frère et la sœur se regardent un peu comme ils se sont toujours regardés. Deux inconnus du même sang.


– Pourquoi tu fais tout ça ? demande Harry à Héléna. Les choses ne sont pas assez difficiles ?


Héléna a cette impression furtive de se sentir comme une petite fille prise en faute. Elle se recroqueville sur elle-même, ses mains sont agitées de tremblements, et elle voudrait être très loin de tout. Elle se rappelle de la petite Héléna lorsqu'elle était sermonnée par son père quand elle rentrait trop tard de l'école, quand elle faisait mal son travail avec les bêtes.


– Alors, dit-elle dans un murmure, tu crois que je suis folle ?

– J'ai fouillé dans ton sac. Excuse-moi, mais je te connais si mal. J'ai vu les photos. Pourquoi est-ce que les visages sont gribouillés ? Tu as effacé le visage de ta fille et ceux de Paul. Sur toutes les photos. Gribouillés tant qu'ils sont méconnaissables. Explique-moi, s'il te plaît.


Non, Héléna n'a aucune explication à fournir.

Elle ferme les yeux et se concentre sur les fourmillements dans ses doigts, dans ses jambes, et sur la curieuse façon dont elle perçoit le vent de façon intime dans son corps comme une empreinte, même à présent qu’il ne souffle plus.


– Je n'ai rien à te répondre, dit-elle, devant son café froid. Tu ne sais rien de ma vie. Pas plus que moi de la tienne.


Et dans ce silence irréel comme tombé du ciel, Harry se précipite dehors, le cœur au bord des lèvres, vomissant son café dans l’herbe jaune. L’impression qui l’habite est celle d’un boxeur étourdi suite à un uppercut. Il constate la couleur étrange du ciel, un ciel presque sans nuage teinté de rose. Il n’entend pas les bêtes dans leur enclos. Sans ce vent terrible, tout paraît figé, comme frappé d’inertie.

Il avance vers la bergerie le cœur sur le point d’exploser dans la poitrine. Dans le silence étourdissant, insupportable, sous le ciel nimbé d’un voile fuchsia surréaliste. Il s’approche tout en sachant qu’il devrait plutôt courir vers la voiture et s’en aller aussi vite et aussi loin que possible. Déjà il sent l’odeur. Déjà le parfum de la mort imprègne son odorat et tout son être, qui se tend et frissonne, sous les cieux roses tirant sur le violet.

Ça n’a aucun sens. Depuis le début.

C’est la folie qui règne ici bas. La folie qui a toujours dicté ses lois sur cette terre.

Les cadavres éventrés et déchiquetés des brebis reposent en tas, de façon anarchique. La grange est infestée de mouches et par-dessus tout, l’odeur épouvantable lui retourne l’estomac en même temps que sa raison vacille.


– Jésus-Christ, laisse-t-il échapper, lui l’incroyant.


Sur le mur du fond de la vieille bergerie, une ombre s’élève, plus grande que celle d’un homme. Une forme vaguement humanoïde, avec des cornes sur la tête. Derrière Harry, la porte de la bergerie se referme brutalement.


Au chevet de son père, Héléna se balance sur sa chaise, en tripotant nerveusement le collier autour de son cou – une antique médaille de sainte Rita. Son père ouvre les yeux et murmure des paroles.

Peut-être le miracle auquel elle s’attendait ?


– Papa ? ose-t-elle.


Elle se lève fébrilement et se penche au plus près du visage du vieil homme.


– Papa, tu m’entends ?


Le vieil homme murmure quelque chose d’incompréhensible. Héléna se demande s’il ne s’agit pas d’une langue étrangère. Son teint est cireux, ses lèvres si sèches et blanches qu’on dirait du plâtre.


– Papa, fait Héléna d’une voix balbutiante. Papa c’est moi ta fille.


Le vieil homme sourit, son bras mû par Dieu seul sait quel miracle se soulève, sa main vient se poser sur la joue d’Héléna, qui ne peut retenir ses larmes.


– Papa. Tu es revenu, lâche-t-elle.


La grosse main calleuse glisse sur son cou. Elle n’avait pas réalisé à quel point les ongles de son père étaient longs. À quel point ils étaient acérés telles des griffes. Et ses dents, jaunes et pointues tandis qu’il esquisse un sourire grimaçant.


– Je suis là, ne t’en fais pas, dit-elle avant que plus rien n’existe.


 
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   Anonyme   
20/2/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Alors, j'ai vraiment beaucoup aimé l'ambiance de votre nouvelle, la façon dont vous faites monter la tension, l'anormalité qui s'installe peu à peu, bascule dans l'halluciné. Je trouve tout cela fort réussi, et la mention du vent omniprésent m'a rapidement fait penser au film "No Country for Old Men" dont la bande-son est extraordinaire ; très bon film.

Mais, à mon avis, la fin est ratée, bâclée. J'ai le sentiment que l'"explication" de la malédiction ne vous intéressait pas, que vous avez fourni à votre lectorat une clôture parce que vous pensiez la lui devoir, devoir boucler l'histoire. En ce qui me concerne, il aurait été bien préférable de laisser les choses en suspens, d'abandonner vos personnages dans une sorte d'éternité poisseuse. Simple avis de lectrice. Quoi qu'il en soit, la narration se détraque selon moi à partir des brebis crevées dans la bergerie : l'apparition de l'ombre humanoïde cornue, quel cliché, que je me dis. D'un seul coup on bascule dans un récit d'horreur banal, si l'on peut dire. Dommage.

Une remarque :
aucun bruit dans la vieille maison si prompte à grincer, à se tordre en gémissant, à faire entendre ses bruits de vielles planches
La répétition se voit, je trouve.

   Marite   
25/2/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Une histoire qui, une fois commencée, m'a intriguée jusqu'à la conclusion très courte et sans surprise. Mises à part les nombreuses fautes d'accord, élémentaires parfois, l'écriture est agréable et la succession des dialogues et descriptions de l'étrange atmosphère régnant dans les lieux est bien menée. Cependant, aucune horreur ou épouvante ressenties ...

   Donaldo75   
2/3/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↓
L’ambiance s’installe progressivement. Je trouve personnellement que c’est un peu long à venir ; en plus, l’écriture souffre de quelques scories et la narration est un peu hachée. Ma lecture n’est pas fluide mais le récit est suffisamment prenant pour me donner envie de continuer parce que justement il y a une tonalité, essentiellement véhiculée par les dialogues. Cela me fait penser à du Jim Harrison en ce qui concerne la première moitié. L’usage du présent de l’indicatif suppose de l’action ; je ne suis cependant pas convaincu que les phrases courtes qui émaillent la narration permettent justement cette action, au contraire même. L’histoire est très intéressante, il y a de l’idée mais je trouve brouillonne la manière de l’exposer au regard du lecteur. Le découpage n’est pas fluide, ce qui ne permet pas la progression dramatique. Le texte mériterait d’être resserré pour amplifier le sentiment oppressant de quelque chose de pas naturel dans la situation. Le décor est bien planté cependant, même si, je préfère le souligner, l’écriture mériterait d’être peaufinée pour insister sur certains points et donner du relief à la narration.

   Corto   
21/3/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Voilà un récit prenant. Les éléments se mettent en place progressivement, créent une oppression irraisonnée, sans qu'aucun véritable indice ne vienne clarifier la situation.
A moins que ce "vent", omniprésent, non maîtrisable par nature, ne soit à la fois cause du drame et élément indispensable à la perception de la scène.
Pour une fois je me passe de décryptage raisonné car chaque élément vient complexifier une situation dans une sorte de puzzle infaisable.
Chaque personnage a son mystère, du père moribond à la mère qui met un terme à sa vie, le frère et la sœur qui se connaissent peu avec chacun ses secrets sans envie de les partager: "Ils laissent s'installer un silence qui n'est pas si inconfortable. Ou plutôt laissent le souffle du vent occuper l'espace."

Etonnamment un semblant de rationalité apparait autour du miroir cassé: " Quand elle a découvert le miroir et le sang, ça lui a rappelé un autre miroir et un autre sang." On semble changer de registre à ce moment avec une explication psychologique qui peut avoir toute sa valeur "Parce qu’elle détestait la mère qu'elle était devenue". Mère et fille semblent ici porteuses d'un drame intime dont on ne saura pas tout, à moins que le "vent", encore lui ? Encore une fois la règle est l'absence de communication "Leur détresse est muette".

L'auteur semble ne vouloir donner la parole qu'au vent "Si tu rajoutes cet effroyable vent… on dirait qu'il chuchote. As-tu vraiment essayé d'écouter ce qu'il avait à dire ?" pourquoi pas mais cela devient un peu répétitif.
L'apparition du prêtre, un revenant puisque mort depuis longtemps n'apporte pas vraiment d'élément utile. Sauf pour appuyer encore sur ce vent, bruit de la folie, bruit du diable et finalement "terre maudite" confirmé plus loin par "La folie qui a toujours dicté ses lois sur cette terre".

Tout de même il me semble que l'auteur aurait pu éviter ce cliché de "forme vaguement humanoïde, avec des cornes sur la tête" au moment où l'on découvre les brebis éventrées.. Tout comme la scène de la crise d'épilepsie qui parait très opportuniste.

Le final se concentre sur un moment privilégié de rencontre entre le père mourant et sa fille. Faut-il y voir un sens subliminal à un drame familial si facilement attribué jusqu'à présent à un vent insupportable et une terre inhabitable ?

Cette nouvelle garde bien ses secrets et c'est là une de ses qualités.
L'auteur aurait peut-être pu présenter un déroulement où les clefs de compréhension auraient été plus faciles à saisir.

En tout cas je l'ai lue avec plaisir et la tension s'est maintenue du début à la fin.

   IsaD   
22/3/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Cette nouvelle que je l'ai lue d'un trait jusqu'au bout a le mérite d'être prenante, l'atmosphère lugubre et bien amenée incitant la lectrice (moi) à vouloir connaître le fin mot de l'histoire...

Je suis cependant un peu de l'avis de Socque quant au final et l'apparition de la bête cornue... peut-être aurais-je préférée finalement ne pas savoir et rester dans ce malaise, parfois le doute est meilleur que l'explication.

Je pense aussi que votre nouvelle aurait pu être un peu plus courte, le ton déjà (très bien) appuyé sur l'étrangeté de la situation, à force de répétition, est je trouve un poil "trop présent"... enfin c'est mon avis

   Angieblue   
22/3/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Le décor est bien posé. Vous amenez doucement et subtilement une ambiance étouffante de malaise et de huis clos. L'atmosphère inquiétante est également bien rendue, notamment avec la personnification du vent qui envahit tout l'espace et chuchote dans la nuit. C'est très fort, et il y a des fulgurances dans les descriptions qui sont très littéraires :

"C'est dans l'air. Quelque chose qui malgré l'air tiède vous colle la chair de poule. Quand les brebis bêlent dans la nuit. Que les chaînes du portail de l'enclos s'entrechoquent dans le vent. Quand le noir de la nuit se fait plus noir encore, plus désespéré."

"Allongée, la nuit, quand elle l'écoute, elle perçoit sa voix. Ce ne sont pas des mots, même pas des syllabes, à peine des sons : c'est la langue terrible chuchotée au cœur de la nuit. Il s'insinue entre les planches, il vient s'échouer sur ses bras nus, dépose un voile d'humidité sur son front, s'infiltre sous sa chemise de nuit."

"quand on commence à percevoir des mots dans le bruit du vent, la folie n'est plus très loin"

" Elle le regarde engloutir son café, les doigts noueux autour de la tasse qu'il repose sans un bruit."

L'écriture parfois saccadée avec des répétitions et des particularités dans la formulation des dialogues (ex. – Je veux que vous partiez demain, elle dit. ("elle dit" au lieu de "dit-elle") ) renforce cette atmosphère d'étrangeté. Tout est en concordance et le lecteur est happé voire envoûté par l'atmosphère maléfique qui se dessine et se fait de plus en plus pesante.

La figure du diable est également bien amenée avec la présence des insectes, le regard noir et vide du prêtre, puis avec l'ombre gigantesque et la métamorphose, la possession du père. Très bonne chute, effrayante sans tomber dans le gore.

J'ai vraiment apprécié votre style et la manière dont vous nous amenez brillamment et progressivement dans l'univers fantastique que vous avez créé.

   cherbiacuespe   
8/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une histoire glauque à souhait, noire, affreuse, flippante ! Bien racontée, bien construite, mystérieuse souvent, et palpitante. De bout en bout on se doute mais on cherche encore, incertain de ce qu'on suppute, comme le fils et la fille. L'enfer n'est jamais loin, réel ou rêve peu importe, jusqu'au bout de ce tunnel de terreur.

Très bon!


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