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Réalisme/Historique
happymamy : Couarail chez la Mélie
 Publié le 03/03/09  -  8 commentaires  -  11731 caractères  -  44 lectures    Autres textes du même auteur

Une petite réunion entre amies, au coin du feu.


Couarail chez la Mélie


L’hiver grimaçait rudement en ce novembre 1904. Un vent glacé fouillait la campagne, la retroussait, la bousculant dans ses moindres recoins, indiscret, tapageur. Le village, bon enfant sous la lumière crayeuse de ce jour d’automne, redevenait méfiant, hermétique à la nuit tombante.


La terre gercée résonna d’un bruit de sabots claquant sec. Un autre lui répondit, puis un autre, un autre encore. De points différents ils venaient, se cherchant s’appelant, se répondant.


Comme un signal une lanterne troua la nuit. D’autres lanternes s’avancèrent, feux follets dansant dans l’obscurité. Contournant la masse sombre et fumante de ce symbole lorrain qu’est le tas de fumier, elles se rejoignirent sur le seuil d’une maison basse.


Les femmes, en cette fin d’après-midi, se réunissaient chez la Mélie. Le travail est maître à la campagne et pendant les longs jours d’été on n’a guère le loisir de bavarder et de rêvasser, bien content d’aller se reposer quand arrive l’heure toujours tardive du coucher. Mais en automne, la vendange terminée, vient le joyeux temps du couarail. Le cinq à sept de ces Dames de la Haute société. On tient salon dans la salle commune sous la présence odorante des jambons fumés et des saucisses qui jouent à la courte échelle le long des poutres noircies. On y papote, on y médite avec ce petit brin d’humour qui lubrifie ce qui est un peu raide. On s’y « chapouille » quelques fois. On s’y réconforte aussi et l’on y prie régulièrement.


Les formes noires encapuchonnées, évoquant des toupies géantes, se déchaussèrent et, sabots en mains, descendirent trois marches. Négligeant le long couloir humide qui béait elles passèrent une porte entrouverte sur la gauche.


Devant son fourneau, coiffe en bataille, la Mélie s’affairait. Une forte femme brune aux yeux noirs dans lesquels pétillaient souvent des lueurs de malice. Elle accueillit les arrivantes avec un large sourire qui éclaira sa face rougie par le feu d’enfer qu’elle avait allumé. Les mains aux hanches, elle les dévisagea, les dénombra.


- Ben v’là qui manque la Marie ! Ça s’rait-y qu’elle s’rait malade ?

- Pour sûr que non ! répondit, d’une voix chevrotante, Eugénie la plus vieille du groupe, petite femme toute rétrécie et fripée. Al viendra sur l’heure quand le p’iot de la Jeanne s’ra arrivé !


La Marie était quasi la Providence du village, son bon sens, son calme, sa compétence en de nombreuses situations, en avaient fait la confidente de chacun. De plus, mieux que personne, elle savait lire les cartes, ce qui lui donnait énormément d’influence sur toutes ces braves femmes. Pour le bien de chacune elle trichait un peu. Une soirée sans elle perdait beaucoup de son charme.


- Pourvu qu’il tarde pas trop le p’tit gars ! En attendant débarrassez-vous donc de vos affaires et avancez par icite.


La salle basse éclairée par une lampe à pétrole, évoquant un tableau de Georges de la Tour, se gardait des coins d’ombre. Près de l’âtre, où flambait un feu clair et chantant, un fauteuil, pour Eugénie, et des bancs avaient été tirés. Les plus âgées allèrent s’y asseoir, les autres s’installèrent autour de la lampe. La Mélie bouscula un peu le foyer de sa cuisinière qui lui postillonna des étincelles et prit place enfin face

son monde. Un chat, tout gras dans son bel habit noir, vint se pelotonner dans son giron, ronronnant son plaisir. La grande horloge perchée dans son armoire de chêne, se berçait de la cadence de son balancier. Sur le coin de la cuisinière, une marmite de fonte toute mijotante, exhalait le parfum savoureux de la potée lorraine. Le feu chantait allègrement. Il faisait bon dans cette salle tiède. Au dehors, la bise, méchante, sifflait sa hargne.


Les jeunes avaient pris leurs métiers et faisaient naître cette jolie dentelle de Lunéville. Les plus âgées, entrechoquaient leurs aiguilles avec agilité, tricotant les grands bas de laine.

On commença par la récitation d’une dizaine de chapelet.


- Pour la Jeanne ! avait dit La Mélie.


Puis ayant prié pour plaire à Dieu, on s’occupa de son prochain.


- C’est pas pour dire du mal de la Marguerite (celle-ci était absente), mais...


Et les voilà lancées sur la pente verglacée de la médisance...


- Si elle était pas si bavarde...

- Eh souillon ! renchérit une bonne âme.

- Ben sûr ! Mais que voulez-vous, avec une mère comme la sienne ! Une peute femme celle-là !


La porte s’ouvrit brusquement les faisant toutes sursauter. Marie parut, visage bienveillant, encadré de cheveux blancs dépassant de la coiffe.


- Qué temps ! Fait pas bon mettre le nez dehors ! On est ben mieux icite, pas ?


On se resserra pour lui faire place.


- Alors ? La Jeanne ?

- L’a un garçon, un beau p’tit gars. Pas doyot j’vous prie d’croire ! Mais c’est l’Adrienne qui va pas fort !

- Ah ! la pauvre ! l’avait eu un pressentiment ! Al disait à la Toussaint...


Pressentiment, Toussaint, on en vint vite aux Trépassés. Et tout l’au-delà fut bientôt présent dans la pièce. À voix basse on s’entretint des Revenants. Certaines savaient des choses... Les autres écoutaient, captivées, délaissant dentelle et tricot.


La Mélie s’arracha lourdement à cette angoisse merveilleuse qui les étreignait toutes. D’une main distraite, elle repoussa le chat qui s’agrippa au tablier empesé. Une pirouette gracieuse remit la bête sur ses pattes.

Tandis que les autres contaient leurs peurs, la Mélie prépara le goûter. Elle partagea l’énorme brioche fine et légère ; servit dans ses tasses de Lunéville dont elle était si fière, le café brûlant dont l’arôme supplanta l’odeur de la soupe.

Voulant distraire ses compagnes, la Marie proposa de tirer les cartes.

Dans un brouhaha joyeux, toutes se rapprochèrent, délaissant l’âtre. Le gros matou, dérangé à nouveau, s’en fut mettre le nez dans son écuelle puis, faisant trois petits tours sur lui-même, se mit en boule près du feu.


Le vent ronflait dans la cheminée.


L’horloge, théâtralement, sonna six fois. La Marie sortit de son grand fourre-tout noir le jeu de cartes qu’elle débattit soigneusement. À l’une, à l’autre distribua un peu d’espoir et de bonheur. On se taquinait, les rires montaient...


Vint le tour de La Mélie.


Là, fallait jouer serré. Elle avait l’œil celle-là. Près de ses sous, autoritaire, elle rudoyait bien son pauvre homme.


La Marie aligna les cartes et calmement annonça :


- Un, deux, trois, quatre, cinq ! j’vois un homme, brun, bien bâti.

- Mon Constant, pour sûr ! coupa la Mélie.

- Un, deux, trois, quatre, cinq ! seul, sur la route !

- À c’t’heure, y revient de Lunéville, c’est ben lui !

- Un, deux, trois, quatre, cinq ! de l’argent, je vois de l’argent. Il rapporte des sous !

- Eh ben oui, c’est jour de paie !

- Un, deux, trois, quatre, cinq ! Hum ! Hum !

- Quoi donc la Marie ? Quoi qu’elles disent les cartes ? s’inquiéta la Mélie.

- J’peux m’tromper, mais j’crois ben qu’y a deux hommes, des mandrins qui lui veulent du mal !

- Mon Dieu ! Mon Constant, mon pauv’homme !


Chacune s’apitoyait sur la pauvre femme qui faisait peine à voir. Le vent au-dehors, devenait ouragan étouffant tous les bruits. Personne n’avait entendu le pas hésitant de l’homme qui se tenait là, collé à la petite ouverture du volet, regardant avidement ce qui se passait un peu en contrebas. La fenêtre entrebâillée lui permettait d’ouïr ce qui s’y disait. La Mélie avait la voix forte et lorsqu’elle criait pouvait rivaliser avec le vent. L’homme, l’oreille attentive saisissait les paroles, fermant son entendement aux clameurs de la tempête. Ce qu’il entendait avait le don de le réjouir fortement.


Il avait décidé de revenir un peu plus tard ce soir-là, afin de ne pas déranger les commères. Où rester par un temps pareil ? Avec des camarades il s’était installé au café et généreux comme il est, avait largement entamé son petit pécule par des tournées amicales.


La Marie, faisant taire les doléances, poursuivit :


- Un, deux, trois, quat’ cinq ! c’est à ses sous qu’ils en veulent !

- Mon pauv’homme ! Mon Constant ! donne-z-y tes sous, donne-z-y et sauv’toi ! s’écria la Mélie dont le cœur aimant bondissait.


Là, le Constant tout ému dut essuyer une larme. Chère femme l’est ben bon’ tout d’même !


- Alors ? questionna le groupe curieux et angoissé.

- J’vois plus ren, la Mélie, dit Marie qui ramassa les cartes.

- Ah, mon Constant !


Le brave homme en question, remerciait le Ciel qui l’avait amené là au bon moment. Il savait ce qui lui restait à faire. Remontant le col de son gros manteau, furtivement il s’éloigna.


Les femmes reprenaient leurs affaires, disaient leur gratitude à l’hôtesse, lui prodiguaient des encouragements, voire même des condoléances. Elles prirent congé, allumèrent leurs lampes-tempête et ployées sous les rafales, claquant le sol de leurs sabots, s’enfoncèrent dans la nuit.


La Mélie, toute remuée, mesurait d’un œil inquiet le retard de son mari. « Pour sûr, les cartes disaient vrai ! Devrait-il pas être là à c’t’heure ? ». L’horloge, tristement acquiesçait.

À l’extérieur, une accalmie se fit qui creusa le silence de la pièce. La Mélie se sentit désemparée. Son Constant... c’était son Bien… fallait pas qu’on y touche ! Un si brave homme, si bon, si doux ! Parfois elle l’avait rudoyé du bout de son balai... Mais c’était sa faute aussi... quand elle se mettait en colère, il riait toujours et ça la fâchait plus encore. Mais promis, juré al le battrait plus ! mauvaise femme qu’elle a été ! Pardon, mon Dieu... permettez qu’il revienne !!! Des larmes roulaient sur ses joues rebondies. C’était bien rare de la voir pleurer. Égarée dans son chagrin elle reniflait oubliant de se moucher.


Un pas sonore un peu irrégulier, la fit se redresser vivement. Retroussant sa jupe, elle saisit le coin du grand mouchoir épinglé à son jupon, s’en essuya le visage et courut à la porte.


- Constant ! Te voilà ! s’extasia-t-elle.

- Ah ! ma Mélie ! Oui c’est moi, mais j’ai ben cru que je reviendrais jamais ! Ah j’suis ben aise d’être chez nous. Y en a-t-y du ben vilain monde !

- Oui mon pauv’homme ! La Marie l’avait lu dans les cartes. Mais raconte !

- Ben v’la : j’rev’nais de bon pas, rapport à c’qui fait pas chaud nem ! quand sur la route, après l’pont, deux grands lascars me barrent le ch’min et me sautent dessus. J’m’défends comme j’peux mais y z’étaient deux et habitués à faire leur coup. Ils m’empoignent, me s’couent, me détroussent... Et v’là...

- T’ont y fait du mal ?

- Point trop mais y z’ont pris tous mes sous, soupire le Constant en calculant la petite somme que le reste va lui faire.


À ce moment, que se passa-t-il dans l’esprit de la Mélie ? Que vit-elle dans les yeux de son mari qui lui fit deviner la supercherie ?


La malice, soudain étincela dans son regard.


- Mon pauv’Constant ! dit-elle d’un ton apitoyé. T’as été volé ?... Eh ben !... V’la seulement que t’es attaqué !


Et saisissant son balai, oubliant les bonnes résolutions que son angoisse avait fait naître, elle lui en appliqua une volée.


Lui, se protégeant la tête des coups qui tombaient drus, offrit son dos que garantissait sa carapace de vêtements.


Comptant les coups, il s’esclaffait :


- Ah, la mâtine ! la madrée ! c’qu’elle est maligne tout d’même ! 21... 22... Aïe ! Arrête ! Aïe ! Ça suffit !


_____________________________________

Couarail, subst. masc. : Réunion, notamment à la veillée, de personnes du voisinage qui bavardent à bâtons rompus, tout en s'occupant à de menus travaux.


Peût, peute (adj. et n.) : vilain, laid, mais aussi méchant (oh, les peutes gens !).


Chapouiller (se) (v.) : se taquiner entre enfants.


Doyot : chétif, maladif (expression locale)


Icite : Déformation pour ici


 
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   Nongag   
3/3/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Petite histoire sympathique et savoureuse. Les personnages et les situations m'ont parus bien typées. Dans quelle région cela se passe-t-il exactement? Le "icite" très familier est encore employé dans le langage populaire au Québec.

Les dialogues sont très caractérisés.

Quelques phrases m'ont apparu un peu trop appuyées, surtout dans les descriptions. Par exemple:
"Contournant la masse sombre et fumante de ce symbole lorrain qu’est le tas de fumier..." Symbole lorrain, un peu lourd.
"Négligeant le long couloir humide qui béait elles passèrent une porte entrouverte sur la gauche." Même commentaire, béait, je n'aime pas l'effet.

Bon, on ne peut pas parler d’un thème très novateur mais c’est traité avec une jolie allégresse et un bonheur certain. La finale est charmante même si j'aurais aimé savoir ce qu’elle découvre dans les yeux de son mari.

Beau travail!

   Anonyme   
3/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Freiner mon enthousiasme va être difficile.
Ce texte est mignon, mignon tout plein. Les décors sont tellement bien plantés que j'ai senti la chaleur de cette pièce. J'ai vu les personnages et si dans un premier temps je me suis méfiée des expressions patoises, très vite j'y ai pris goût. C'est un tableau, rien n'a été omis, même pas le chat et ses mimiques. les couleurs, la chaleur, le détail du mouchoir accroché à la jupe, tout y est ! La malice est tendre, savoureuse comme la brioche que sert la Mélie et que j'ai goûtée. Les personnages, j'ai envie de les rencontrer. J'ai envie de les entendre. C'est nostalgique, et cette veillée j'aurais voulu y être. Il fait froid dehors mais si bon dedans !
Merci pour ce moment très doux, très agréable.
Happymamy, j'en veux encore des comme ça ! Raconte mi encore une s'il te plaît !

   Ariumette   
3/3/2009
 a aimé ce texte 
Un peu
Une histoire sympatique, un peu cliche mais pourquoi toujours faire dans l'original ! En lisant je me voyais lire le script du "Retour de Martin Guerre" !
"ce petit brin d’humour qui lubrifie ce qui est un peu raide" Je trouve que lubrifie, casse un peu
"La Mélie bouscula un peu le foyer de sa cuisinière qui lui postillonna des étincelles et prit place enfin face

son monde" La, je me suis dis que peut-etre il manquait un bout de texte !!!

Une jolie histoire merci !

   xuanvincent   
3/3/2009
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai apprécié dans l'ensemble le style de cette nouvelle, qui m'a paru presque sortir tout droit du terroir.

Les dialogues en particulier, à la manière de celles de paysans (de je ne sais trop quelle région), m'ont plu.

L'auteur m'a semblé avoir le souci de soigner son style et j'y suis sensible.
Le premier paragraphe, soigné, m'a donné envie de lire la suite.
A quelques endroits du texte toutefois, certaines phrases curieusement m'ont paru un peu trop jolies, un peu plus de simplicité pour ces passages m'aurait davantage plu (il s'agit d'un avis personnel et subjectif), afin de rester suffisamment concentrée sur le déroulement du récit.
exemple : "un chat, tout gras dans son bel habit noir".

L'histoire m'a amusée. Toutefois, le passage où une des commères s'aperçoit du mensonge de son mari (vers la fin) m'a paru, peut-être, vite amené.

La fin, contrastant avec le début du récit, m'a plu.

   Anonyme   
4/3/2009
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai aimé la forme
la première phrase déjà est accrocheuse au niveau du style. Les dialogues sont vivants et il y une rupture de ton avec les descriptions qui me plait.
J'aurais aimé que tu nous dise de quel patois sont tirées les expressions.

Au niveau du fond, la description du monde paysan n'est pas très originale mais elle est réussie.
Sinon l'intrigue en elle même est bien menée mais elle est aussi attendue

Merci en tout cas
Xrys

   jensairien   
5/3/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
C'est plutôt assez bien écrit, le trait un peu forcé peut-être. mais l'histoire n'est pas convaincante et ne laisse pas de surprise.
De plus il aurait peut-être fallu prendre plus de temps sur la toute fin. Car si l'épouse comprend que son mari a mentit, nous on ne comprend vraiment pas pourquoi. Du coup ça tombe un peu comme un rond de flan.
Les dialogues aussi ressemblent à des caricatures. Ils veulent tellement faire "terroir" qu'ils perdent tout naturel.

   myrtille   
9/3/2009
Je n'ai pas grand chose à dire de constructif, je trouve que le récit est bien mené, une fois qu'on est rentré dedans on a envie de suivre jusqu'au bout.

   Anonyme   
29/4/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Jolie petite histoire, qui nous fait voyager sans aucun souci. Je trouve que les phrases étaient si fluides et tellement bien dites qu'elles nous transportaient dans cet autre univers...libérant notre esprit et nous faisant rêver! Bravo!


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