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Hiraeth : Éloge de la puanteur
 Publié le 18/04/21  -  14 commentaires  -  2524 caractères  -  229 lectures    Autres textes du même auteur

"Là où ça sent la merde, ça sent l'être." Antonin Artaud


Éloge de la puanteur


Voilà bien longtemps que je ne me suis pas lavé. J’avais peur ; j’ai trouvé refuge dans ma puanteur. Si le monde pue, arrangez-vous pour puer plus, et couvrir son odeur : à la fin on ne sent plus rien. Juste nos relents, qui parfois se réveillent, s’étirent, tendent les bras vers nous et se taisent comme de vieux amis. C’est ce que je dirais à mes semblables, s’ils ne fuyaient pas ma compagnie (non, rangez vos mouchoirs, de peur qu’ils ne me nettoient par mégarde). Ma saleté me rassure, c'est mon chez-moi qui me suit partout, comme un chien fidèle. J’habite beaucoup mieux mon corps à présent ; mes vêtements inchangés me collent à la peau dans une chaude étreinte, ils ne m’ont jamais été aussi propres qu’aujourd’hui : je m’y sens bien, ils sont entièrement miens.


Avant, je vivais seul ; maintenant, j’ai la responsabilité d’innombrables petits êtres dont je suis le Seigneur. Une douche serait pour eux un injuste déluge. Je n’ai jamais connu le toucher d’une femme, pas même celui de ma mère, qui selon la rumeur aurait d’ailleurs manqué l’événement de ma naissance ; je ne perds donc rien à héberger cette multitude, et j’y vois même un grand honneur. Là encore, gardez votre pitié : j’ai voulu tout cela, aussi sûrement que l’anachorète a choisi son austère et voluptueuse retraite. Jamais plus l'eau doucereuse ne me dé-salira. L’hygiène est fasciste par essence, et moi, j’aime me croire démocrate. Les hommes sont égaux dans la crasse. Rien ne les rapproche davantage que de fouiller ensemble les poubelles.


L’âme peut-elle puer ? Aussi pur que soit son monde, un certain degré de pesanteur est inévitable même pour elle. On dit qu'elle est immortelle : c’est vrai, mais elle n’est pas incorruptible. Elle naît ; en naissant, elle tombe ; en tombant, elle cherche ; en cherchant, elle gratte ; en grattant… Elle gratte. Elle gratte et finit par se gratter elle-même. Certains disent qu’elle cherche Dieu ; soit. Dieu devient un prurit, puis une plaie purulente. C’est là que l’esprit se met à puer. Ce n’est pas une bonne puanteur. On ne dira jamais assez à quel point certains corps parfaitement propres cèlent une âme pourrissante. En l’absence d’un traitement profond, le mieux que l’on puisse faire, c’est d’ouvrir les fenêtres.


Chers congénères, filles et fils d'Apollon au teint éclatant, quand vous aurez pris votre douche quotidienne, que vous discernerez à peine votre visage devant le miroir embué, posez-vous cette question : de votre corps ou de votre esprit, lequel est le plus sale ?


 
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   Anonyme   
20/3/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un point de vue autre, je ne dirai pas rafraîchissant, le mot me paraît mal adapté, mais... stimulant, paradoxal, pas si aberrant que ça. C'est vrai qu'il y a une espèce de volupté à se baigner dans son essence "propre" (joli usage de la polysémie), et je note
L’hygiène est fasciste par essence
qui me parle dans sa caricature.

La clôture me semble bien amenée même si j'ai tendance à regretter que ce texte qui apporte, donc, un point de vue autre, se termine sur l'antique et à mon avis égarée dichotomie corps vs. âme. En tout cas, j'apprécie la rigueur de l'enchaînement des arguments. Un éloge bien bâti, je trouve, sur un sujet insolite, et le narrateur qui se réjouit de régner sur tout un peuple de petites bébêtes m'apparaît franchement cocasse ! (Du reste nous sommes tous rois et reines de nos innombrables bactéries commensales, même en nous lavant.)

   Anonyme   
22/3/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Voici un éloge du manque d'hygiène... ok, mais, le texte pose la question : hygiène du corps ou de l'esprit ? Grande question, culturelle, intellectuelle, voire même politique... ce texte me rappelle un documentaire vu récemment : la question est posée, l'âme a t'elle elle-même une hygiène ?

Le texte n'a semble t'il pas la prétention de répondre à cette question, mais à tout au moins le mérite de la poser !

   SaulBerenson   
24/3/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je comprends mieux mes longues et brulantes ablutions qui laissent tant de buée sur le miroir de la salle de bains !
Les odeurs sont une vérité de nous mêmes et c'est bien pour cela que nous rivalisons tant à les chasser.
Eternel balancement entre la perfection et la merde, le faux et le vrai, l'imaginaire et le réel...clin d'œil à Kundera.

"Nos habits impropres nous sont propres". Au moins c'est clair !
Bravo.

   dream   
25/3/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
L’incipit, superbe d’obscénité, symbolise L’existence de l ’Etre dans toute « sa splendeur », donc la VIE.

« Avant, je vivais seul ». Le narrateur fait référence à Jésus, l’être humain mortel, et à sa mère Marie. Puis on le retrouve sous l’apparence d’un dieu devenu un immortel.

Sous ce déluge excrémentiel, se cache un grand pessimisme, un immense désespoir et beaucoup de souffrance ; en même temps qu’un profond dégoût de lui-même et des êtres qui l’entourent. Dire que l’être humain serait parfait ne serait donc possible qu’en apparence ; il serait plutôt vulgaire, puisque d’après lui, même son âme pue. Tous pourris ! Semble-t-il nous dire. En outre, j’ai bien le sentiment que ce personnage au demeurant très lucide, paraît bien déçu par le Grand Architecte de l’Univers qui se plaît « à tirer et emmêler les ficelles » et en qui il ne croit sûrement plus : « Dieu devient un prurit, puis une plaie purulente ».

Très beau texte aux relents putrides, certes, mais tellement bien vu ! Un grand BRAVO !

dream en EL

   Malitorne   
18/4/2021
 a aimé ce texte 
Un peu
Ça fait plaisir Hiraeth de vous voir du côté des nouvelles. Votre entrée en matière est surprenante, m’a fait penser à ces malades mentaux qui refusent de se laver, non pour célébrer une quelconque vue de l’esprit mais pour se protéger. La crasse est une carapace, partie intégrante de leur corps qui les laisserait exposés aux agressions si on la retirait.
Votre style est efficace mais je ne peux pas dire que j’ai réellement aimé. Le sujet ne m’emballe guère, on devine une forme de provocation derrière les effluves, et j’apprécie peu qu’un auteur s’adresse directement à moi ( « non, rangez vos mouchoirs » « Là encore, gardez votre pitié »), d’autant plus quand je n’y vois pas l’intérêt. Je considère qu’un récit se place dans une dimension intime où nous le traduisons avec nos ressentis, si l’auteur m’interpelle il me force à revenir vers lui et alors brise l’osmose. Son texte n'est plus livré à tous mais orienté.

   Anonyme   
18/4/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Hiraeth,

Surprise de vous voir du côté nouvelle, j'ai cliqué, ouvert et vu 25 caractères et des brouettes et Antonin Artaud, c'est bon, je reste et commente.
En première lecture, j'ai vu Lautéamont, Queneau et Michaud qui rigolaient un peu et se moquaient, ou pas de ce narrateur, ni de Artaud, non, d'eux-mêmes et de vous avec eux.
Faust aussi.
De ma part, nouvellement plongée dans l'eau du bain Poésie, après tant d'autres, c'est un compliment.

Juste un détail
la puanteur, pèse-telle ?
"L’âme peut-elle puer ? Aussi pur que soit son monde, un certain degré de "pesanteur" est inévitable même pour elle." ?
Je dois remonter sur la balance, elle me ment.
signé :
une con-génère toujours .

Pourquoi pas en récit poétique ?
Ah ! à cause de la barre des 3000 ? Qui est je viens de vérifier abaissée à 2500 ou qui l'a toujours été.

Merci du partage,
Éclaircie

Beaucoup , sans plus, car j'aurais bien conclue seule, suis pas con-....

   Ioledane   
18/4/2021
 a aimé ce texte 
Bien
C'est grinçant à souhait. La puanteur et la saleté comme protection envers le monde, la solitude ... et écrin pour une belle âme ? La seconde partie m'a moins plu, un peu trop moralisatrice à mon goût.
Dans la première, j'ai particulièrement apprécié :
"mes vêtements (...) ne m’ont jamais été aussi propres qu’aujourd’hui"
""Avant, je vivais seul ; maintenant, j’ai la responsabilité d’innombrables petits êtres dont je suis le Seigneur. Une douche serait pour eux un injuste déluge."
"Je n’ai jamais connu le toucher d’une femme, pas même celui de ma mère, qui selon la rumeur aurait d’ailleurs manqué l’événement de ma naissance".
Une solitude qui fait frémir, quand même.

   plumette   
19/4/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Déroutant mais intéressant.

Provocant et très convaincant pour moi dans les deux premiers paragraphes.

Après, j'ai moins aimé les digressions sur l'âme puante.

pour moi, le narrateur ne fait pas vraiment l'éloge de la puanteur en général, il communique sur sa méthode de "protection" et ne dit rien du plaisir qu'il pourrait prendre à se vautrer dans une puanteur qui ne serait pas la sienne.

   Myo   
21/4/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
L'avantage quand on a eu le Coronavirus, ( ce fut le cas pour moi ) c'est que pendant un certain temps, on ne sent plus rien .... et même si ça pue fort, on "s'en fout".

Ce qui est intéressant pour la lecture de cette nouvelle ;-)

Une idée originale que cette carapace de l'odeur pour se protéger du monde extérieur, comme une coquille dans laquelle on se recroqueville.

Puis cette question, l'âme peut-elle puer ?
Une question qui pousse à la réflexion car contrairement au corps qui nous prévient par l'odeur de sa saleté, rien ne définit l'âme "polluée" si ce n'est l'introspection.

Beaucoup d'originalité et de poésie dans cet écrit.

   Pouet   
22/4/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Slt,

ou le destin des pu(A)trides...

Peut-être que pour nettoyer l'âme faut-il une lame de fond. (un comble!)

Peut-on être propre comme un sou neuf lorsqu'on se goinffre d'argent sale?

De là à dire que l'humanité cultive le nauséabond dès la naissance d'où la puer-iculture...

Enfin.

Si vous ne vous sentez pas bien, faites-vous sentir par un autre.

   in-flight   
2/5/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
La deuxième moitié du texte met en lumière une reflexion intéressante, surtout vu le contexte sanitaire actuel: l'époque nous permet d'observer des gens propres sur eux avec leur petit masque, leur gel hydro-alcoolique et leur gestes barrières, mais qui ont l'esprit en lambeaux, terrorisés par le contact réel et lobotomisé par le narratif de la doxa.
À mon sens, ce sont d'abord les esprits qu'il convient de nettoyer de toute la crasse qu'ils ont accumulés. Une crasse tellement épaisse qu'elle en vient à obstruer le bon sens.

Merci pour ce texte qui pose une bonne question.

   Anonyme   
15/6/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément
Sublime. Vive la crasse. Au Brésil, on dit que les Français ne prennent pas de bain. Ton texte explique clairement pourquoi. Continue de puer et d'âme et de corps. Après tout si tu te sens bien, c'est ce qui compte. Ton texte est provocateur et on ne peut que le lire en entier. Tu as du talent.
Eric

   Anonyme   
21/7/2021
Sincèrement, je trouve malheureux de personnifier ces vêtements, de les qualifier de petits êtres, et de s'en dire Seigneur, pas tellement parce que l'idée est mauvaise que parce qu'elle encombre le propos sans l'enrichir de beaucoup : il y a suffisamment de vitalité dans le texte pour avoir recours à ces lamartinades à mon goût.
Certes la dichotomie (le dualisme) — c'est un point de vue, et je ne comprends pas qu'il y ait des lecteurs en quête de vérité quand il peut y avoir tant de sincérité dans le mensonge.
Ô folle passion destructrice des fleurs, amour, amour ! Je me vomis dessus de rire, c'est flagrant, c'est flagrant, non ? — des rires de poëte, des rires verts et comme les trémolos hachés d'une foudre fluette : le crachat d'un démon pur ; être propre de l'homme, n'en rien pouvoir toucher que d'un regard de bête ; mais, n'est-ce pas, je donne trop à voir. Vous n'osez pas peindre cette puanteur ou ne le désirez pas. Cela m'aurait plu, je crois, en plus du propos affolé du Puant déglingué, au-dedans, quelque part, possiblement lyrique et acrobate d'oxymorons douteux. Mais c'est beau, c'est votre Boue, et je lis votre texte dans la baignoire où j'ai noyé la prostituée à l'émeraude. Votre angle, votre Pente, est extrême : il y a une puissance affamée dans votre verbe, et la chute, quelles qu'en puissent être les variantes formelles important peu au Puant des concepts, porte tout le désastre d'un — l'œil parle au nez — ciel au parfum irréel.

   Miguel   
5/9/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Amené à lire ce texte, qui m'était passé inaperçu, par un récent poème dédié à son auteur, je le découvre donc tardivement mais avec intérêt. Écriture magistrale, belles trouvailles, un bel "éloge paradoxal", comme on dit. De l'authentique poésie.
Toutefois j'ose une réponse à la question rhétorique et moralisatrice de la fin : oui, j'affirme hautement que mon esprit est aussi propre que mon corps après la douche et le gant de crin. Cela ne me gêne pas d'avoir bonne conscience, il me semble que je me conduis suffisamment en honnête homme pour ça.
Et, allez, j'y vais d'un petit coup de provoc comme moi seul en ose sur Oniris (choquer les bourgeois, c'est trop couru, j 'aime mieux choquer les choqueurs) : une bonne confession de temps en temps et vous ressortez l'âme aussi clean que si vous l'aviez passée au karcher.


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