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Sentimental/Romanesque
jypel34 : Purple Rain
 Publié le 17/11/24  -  4 commentaires  -  5056 caractères  -  27 lectures    Autres textes du même auteur

Une rencontre ratée.


Purple Rain


Elle l’a rencontré à un concert de reprises des années 80. Des types dans la soixantaine, fatigués, en costume pailleté, tentaient d’imiter Prince et Madonna avec la souplesse d’un balai-brosse. Le public, visiblement nostalgique de sa propre jeunesse, bougeait en cadence, mais sans conviction, avec ce petit déhanché prudent de ceux qui savent que demain matin, ça pourrait faire mal au dos.

Lui, il l’a accostée entre deux reprises bancales de Purple Rain et Like a Virgin. « J’ai une collection de vinyles chez moi », avait-il annoncé, le visage solennel. Elle avait hoché la tête, vaguement amusée, en se disant qu’il fallait un sacré culot pour utiliser ce genre de réplique en 2024.

Le lendemain, ils se sont retrouvés dans un restaurant « rétro », un endroit où le chef semblait s’obstiner à servir des plats qui avaient connu leur heure de gloire au moment de la première victoire de Clinton. Des coquilles Saint-Jacques nappées de crème « à la façon du chef », ce genre de truc qui colle au palais et laisse un goût de regret. En face d’elle, il attaquait son plat avec le sérieux d’un type qui pense que mâcher est une forme de méditation.


– T’écoutes quoi en ce moment ? lança-t-elle, cherchant une accroche pour briser le silence qui devenait aussi épais que la sauce du chef.

– Les Beatles, toujours les Beatles. Rien n’a jamais égalé Revolver, répondit-il avec la même intensité que s’il lui avait confié un secret d’État.


Elle haussa un sourcil. Revolver, hein ? Ça faisait vingt ans qu’elle n’avait pas entendu quelqu’un prononcer le nom de cet album. Elle n’eut pas le cœur de lui dire que, pour elle, ce disque avait surtout servi de fond sonore à sa première rupture. D’ailleurs, rien dans les Beatles ne lui avait jamais donné envie de déchirer sa robe et d’embrasser la vie. Elle préféra laisser couler.

Elle lui parla alors des clubs où elle allait danser, ces endroits où la musique électro frappait comme un poing sur la table, où elle pouvait se déhancher jusqu’à l’épuisement, portée par des basses profondes qui effaçaient toutes les pensées. Des endroits bruyants et surchauffés où la musique l’envoyait dans des transes sans qu’elle ait besoin d’un gramme de substance.

Il la regarda, mi-amusé, mi-horrifié.


– Ah, la techno… c’est un peu brutal, non ?


Elle haussa les épaules.


– Peut-être, mais au moins ça me réveille. T’as jamais eu envie d’écouter quelque chose d’un peu plus… moderne ?


Il fronça les sourcils.


– Moderne ? J’ai essayé, bien sûr. Mais rien ne vaut un bon disque des Beatles. Aujourd’hui, tout est bruit. De toute façon, les jeunes n’écoutent plus, ils consomment.


Elle faillit lui demander si quelqu’un l’avait récemment informé qu’on avait passé l’an 2000, mais elle se retint. À la place, elle lui parla de Berlin. Pour lui, Berlin, c’était probablement synonyme de musées poussiéreux et de cafés littéraires.

À la fin du repas, elle jeta un coup d’œil à l’addition qu’il inspectait avec l’attention d’un notaire.


– Je prends ma part, proposa-t-elle, cherchant à écourter l’affaire. Il acquiesça en repliant soigneusement la facture dans son portefeuille.


Ils sortirent du restaurant et échangèrent un sourire poli. La conversation s’étira un moment, fade et hésitante, avec en guise de conclusion un « on se revoit ? » murmuré sans conviction. Ils savaient déjà que c’était un adieu.

De retour dans sa voiture, elle alluma la radio. Et là, comme pour achever le désastre de la soirée, Purple Rain explosa, une fois de plus. Elle se cala dans son siège, et dès les premiers accords de la Cloud Guitar du Kid, quelque chose se mit à vibrer en elle. Elle sentit une vague ondulante et familière lui traverser le corps de la tête aux pieds. Ce mélange de mélancolie exacerbée et de tragédie kitsch que seul Prince savait distiller. Ces accords, lents et lourds comme des marteaux de forge, cette passion déchirée qu’on trouve seulement dans les clips au ralenti ou les rêves de minuit, quand tout est foutu et que plus rien n’a de conséquences.

Elle monta le son, laissa cette voix flamboyante et brûlée se déployer, chaque note était comme une prière lancée dans le vide. La chanson tournait, et elle se sentit happée par cette mélodie – immense, absurde, merveilleusement excessive. Purple Rain résonnait comme une confession ultime, l’écho de la passion qu’elle n’avait même pas effleurée.

Elle se mit à mimer les paroles, une main levée dans un geste théâtral, l’autre sur le volant comme pour garder pied. Elle surjouait chaque mot, chaque intonation, lançant un regard dramatique au rétroviseur.

Quand le solo final éclata, elle s’abandonna entièrement, rejetant la tête en arrière, jouant la diva. Purple Rain touchait à sa fin, et dans ce cri final de Prince, elle comprit tout ce qu’elle avait manqué.

Les Beatles ? Gentils, bien peignés, avec leur monde en trois minutes trente, bien rangé dans ses harmonies. Prince, lui, n’avait jamais rien rangé : son amour, sa fureur, sa passion, tout était un déluge.


 
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   Dameer   
2/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Une rencontre entre un homme et une femme plus tout jeunes au hasard d’un concert des années 80. Aucun des deux n’est nommé, On reste sur "elle" et "il".

Le point de vue du récit est celui de « elle ».

Ils se retrouvent le lendemain dans un endroit rétro, mais leurs goûts musicaux ne s’accordent pas : lui est définitivement resté au temps des Beatles, elle a évolué vers la musique électro. Peu gentleman, il lui laisse payer sa part du restaurant… Rencontre sans lendemain !

De retour à sa voiture, elle tombe sur "Purple rain" de Prince à la radio. Elle se laisse emporter par le rythme. Et c’est pour elle la révélation, elle réalise tout ce qu’elle a manqué dans sa vie : amour, fureur, passion. Elle a vécu une vie trop rangée !

Nouvelle qui a le mérite d’être courte, l’intrique est simple, bien ordonnée, sans blabla inutile.

Quelques bonnes descriptions avec juste ce qu’il faut d’ironie, bien dans le fil du texte, des années ‘80 '90: "le chef semblait s’obstiner à servir des plats qui avaient connu leur heure de gloire au moment de la première victoire de Clinton. Des coquilles Saint-Jacques nappées de crème « à la façon du chef », ce genre de truc qui colle au palais et laisse un goût de regret. En face d’elle, il attaquait son plat avec le sérieux d’un type qui pense que mâcher est une forme de méditation."

J’aurais tout de même aimé voir une strophe de Purple Rain :
"I only wanted to see you bathing in the purple rain
I never wanted to be your weekend lover
I only wanted to be some kind of friend
Baby I could never steal you from another
It's such a shame our friendship had to end"

L’auteur aurait pu aussi étendre sa réflexion : que la musique est la bande son d’une vie, le bruit de fond d’une génération. Elle colore nos émotions, nos souvenirs, les induit parfois.

Mais telle quelle, la nouvelle est agréable à lire, avec une dose d'humour discret, un peu ironique, un rien nostalgique.

   Vincente   
20/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'ai trouvé au texte une vraie concordance entre l'évocation mélancolique, assez sage de ces deux locuteurs bien dans leur acceptation de leurs préférences musicales qui "meublent" sensiblement leur quotidien, et le ton du texte, modeste, mais doté du recul d'une maturité qui ne se fait plus trop d'illusions ; ce qui pourtant sera un peu chamboulé dans le final. Le tout est plaisant à lire, pas mal coloré, avec un humour à peine décalé, juste ce qu'il faut pour qu'il sonne juste, sans geste forcé. Les deux personnages s'avèrent sympathiques et crédibles dans le récit.

Ce qui est un plus pour la teneur du propos, par contre laisse un peu sur sa faim le lecteur qui sera peut-être un peu déçu par la fin qui rebondit pourtant joliment par ce retour dans la voiture, où la radio offre un insoupçonné Purple rain. J'aurais trouvé propice que cela porte plus loin le rebond, que l'histoire se prolonge, là on reste sur un dernier paragraphe qui se contente d'une modeste opposition en Beatles et Prince…

   papipoete   
20/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
bonjour jypeI34
5000 caractères, j'adhère... et me promène avec bonheur entre ces deux-là, que la musique pourrait rassembler devant une platine, où un pseudo musicien s'agite alors que les basses assourdissent, le coeur oppressé palpite.
NB le retour du resto est même plus emballant, que la soirée elle-même où l'on parla des Beatles, du Mur de Berlin, et un peu de
Prince...
au volant de sa Trabant peut-être, elle nous hypnotise les oreilles avec
" Purple Rain "
à fond les bananes, et ça tape sur le volant, ça chante à tue-tête sur ces fameux riff...à Fender déployée.
et je me remettrais bien un coup de Purple Rain !
j'ai passé un agréable moment à vous lire... loin de l'affreuse techno !
une rencontre pas si ratée que cela finalement, car elle et lui aiment la musique " jouée " sur un instrument !

   Cleamolettre   
23/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonsoir,

Les goûts musicaux ça ne se discute pas, surtout quand ils sont si différents. J'ai beaucoup aimé le style, l'humour et les répliques du début, le déhanché prudent, les plats datés, la mastication/méditation. Et puis la conversation se lance sur la musique, logique pour deux personnes qui se sont rencontrées à un concert, et le fossé se creuse.

La scène de la voiture m'a emportée aussi, j'avais la chanson en tête, tout était parfait, mieux qu'une transe de techno, et puis PAF, la dernière phrase m'a déconnectée du plaisir pris jusque-là. Peut-être parce que je lis trop la pensée de l'auteur dans cette phrase et non plus les pensées de "elle". Peut-être aussi parce que je trouve que cette phrase ne colle pas avec la fin de la précédente : "elle comprit tout ce qu'elle avait manqué". A mon humble avis, le texte devrait s'arrêter là.


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