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Horreur/Épouvante
Lu-k : Cette voix derrière la chose
 Publié le 20/09/11  -  7 commentaires  -  18523 caractères  -  216 lectures    Autres textes du même auteur

Ceci constitue un début seulement.


Cette voix derrière la chose


La merde n'a rien de relatif. On s'y trouvait complètement, et rien n'était plus insensible au temps, plus universel, plus animal. Lorsque la poche anale éclata, nous eûmes devant nous le miroir qui nous manquait, que nous redoutions. Qu'est-ce qui est plus sincère que la merde ? De tous temps, les hommes ont chié, sans savoir qu'enfin ils cessaient de recourir au mensonge. La merde outrepasse les limites de l'espace ; organique et spéculaire, elle est la concrétisation d'une identité dont la poursuite ne cesse jamais, le rejet spontané et quasi affectif d'une figure inatteignable. On continue à chier, sans penser un instant que ces déjections peuvent être la seule véritable réunion des éléments qui caractérisent ce que nous sommes.

Voilà où notre désespoir nous mena. Je le voyais dans ses yeux : ma camarade et moi en étions arrivés à la même conclusion. Qu'est-ce qui se trouvait là, devant nous, en nous, et comment avons-nous pu y arriver, jusque-là, puisque là ça veut finalement pas dire grand-chose ? On était dans la merde, elle se roulait en dedans et à l'extérieur de nos corps, les corps de tout un chacun, le grand corps bouleversé de l'humanité, et nous ne pouvions que pleurer face à cette image terriblement essentielle, face à la découverte de ce que chaque homme rejette depuis la naissance, cette glaise infernale, cette genèse maladive de notre violence, de notre faiblesse, de nos angoisses et de l'oubli.


La première apparition date d'il y a quatre ans. Parfois, au beau milieu de la nuit paisible et bleue, mes rêves me font sursauter. Je me réveille brutalement, je m'accroche aux barreaux en bois du lit, et j'inspecte mes bras, ma poitrine et mon sexe — les plus douloureux de mes membres. Je cherche sur ma peau des ecchymoses, des stigmates que je pressens énormes, ovales et violacés. Mais je m'étonne de la trouver toujours immaculée, comme si des objets invisibles ou perdus s'étaient emparés de mon corps. Alors je gueule un peu, je me bouche les oreilles, incapable d'échapper à cette chose indéfinissable et secrète. Après que les songes m'ont réveillé, il est proprement impossible de me rendormir ; je sors un temps dans la rue pour rencontrer l'air frais et l'apaisement caractéristique de la nuit, son silence entrecoupé des doux râles de la nature et de l'imagination. Mais je ne peux plus trouver cette impression de gravité tranquille, comparable à la nonchalance des cimetières l'été ; je vois des visages émaciés, des rognures d'os, des filaments couverts de graisse, un emmêlement de formes dégueulasses qui n'ont rien de surnaturel. Des passants aux corps vieux mais étrangement lascifs me regardent fixement avec un air halluciné, des flammes vertes au fond des yeux. Puis ils s'approchent de moi, les épaules voûtées. Leur démarche est boiteuse mais érotique, le dégoût qu'ils m'inspirent comme une parade du peu de raison que je conserve. Car au fond de moi, dans les travers de mon être et de mon corps, qui sont des entités bien plus anciennes que la civilisation, leurs membres dégénérés me font frissonner de désir. Mon sexe, ce chaton, s'étire, mais je m'en vais vite, affolé, alors que leurs mains me touchent presque, que leurs pupilles, vides et froides telles des bêtes battues au-delà de la peau, sont prêtes à m'aspirer tout entier. Je m'en retourne en courant chez moi, je ferme la porte à clé ; je regarde par la fenêtre, tétanisé, et ne vois que des ombres entre les murs de pierre. Je regagne mon lit, les draps sont chauds comme des lèvres. Je me rendors et l'apparition d'il y a quatre ans continue de provoquer les mêmes rêves qui viennent me terroriser jusque dans le monde prosaïque des vivants.


Il vint un jour où Jyoti cessa de m'envoyer des lettres. Terribles, claires, pragmatiques, elles m'ont achevé trois ans durant, me firent m'effondrer progressivement sur moi-même. Elle y parlait du passé et des monstres inertes que nous embrassâmes sans vergogne et sans protection, dans cette douleur qui nous caractérisait et à laquelle nous ne voulions échapper, nous complaisant dans l'observation de notre propre torture, de nos propres larmes. Pendant huit ans nous vécûmes des jours malheureux ensemble. Nous nous reprochâmes mutuellement cette décadence, cette souffrance pompeuse qui nous poursuivait, tout en sachant que nous n'y ferions jamais rien, que nous préférerions toujours l'entretenir, comme une vache blessée que nous ne cesserions de maintenir en vie en lui frottant les plaies de nos mains rêches, épineuses, pour qu'elle meugle plus fort, pour qu'elle se torde un peu, pour que son muscle s'écarquille dans l'herbe ensanglantée, dans la noble puanteur de l'éternel. Pendant huit ans nous nous tûmes ainsi face à notre capacité à changer l'état des choses.


C'est moi qui parvins à partir le premier. Jyoti, elle, s'en est allée naturellement de mon existence, de mes bras, de mes mains et de mes joues, après que je pris la résolution de m'enfuir. Elle s'effaça de tous les recoins où elle avait pu laisser sa trace, sa bave : des jours, des nuits, de la voix, de la table, des yeux.


Comme une empreinte dans l'ombre, elle reparut sept mois après. Ce fut la première lettre. Elle y énonçait, dans un style si limpide qu'il oscillait entre vérité et émotion, nos fautes respectives, nos chiures tombées à l'eau. Je ne sus saisir avec certitude le degré de lucidité que contenaient ses mots, coups lents répartis habilement sur la surface du souvenir, s'ils étaient purs, s'ils l'étaient trop. Elle calculait le passé, le retournait, dans l'obstination propre aux femmes qui pleurent ; la sévérité et la roideur masquaient sa frustration d'avoir été meurtrie, je le savais ; la maladresse imprégnait la perfection, je pouvais voir au-delà du froid manifeste la chaleur bestiale de son anxiété. L'assurance de sa prose, son mouvement systématique vers des regards que nous eûmes et qui nous tuèrent et que nous recouvrîmes vite d'une douce chape de langueur — ces choses essentielles qu'une fois roulées dans la terre morte on abandonne au silence de l'instant révolu —, me faisaient comprendre que je l'avais touchée entre les seins, autour du sexe, dans le crâne. Que je le sache ou non, cela ne changeait rien : je restais le même, vulnérable. Les lettres s'accumulèrent. Je les lisais toujours, n'y répondais jamais. Les murs de mon appartement prenaient les teintes des collines où autrefois nous nous assîmes, sans rire, sans chialer, sans rien, juste à prendre le paysage comme si nous en avions quelque chose à foutre, juste pour nous donner la consistance du vide.


Les jours traînaient leur patte molle. Je me regardais avec dégoût les traverser, et les ombres, grandissantes, semblaient se débattre dans l'appartement, dans les pièces olivâtres et crasseuses. La mémoire allait et venait, me fustigeait sans bruit, trace où se mêlaient couleurs, bruits et parfums. Mon lit, coucher glacé aux laits rudes et maternels, m'amenait là où je n'étais pas, et le mal, défendu, s'emparait de mes jambes lassées, les obscurcissait de sa rumeur pénétrante. Je restais parfois des journées entières à me gangréner dans ma chambre, à m'infecter de mes scandales, de mes défaites. Les lettres de Jyoti m'abrutissaient totalement, et je m'en rendais compte, sans pouvoir rien y changer. Puis la dernière arriva. Brutale et sanguine, elle m'invitait en quelques phrases à la rejoindre dans une montagne que nous connaissions bien, où nous allions marcher parfois. Elle invoquait soudain un événement dont, selon ses mots, nous nous débarrassâmes à tort. Je ne devais en aucun cas rejeter ce rendez-vous ; elle me priait de croire en sa bonne conduite et argua que la nôtre fut, en des temps reculés, trop mauvaise pour que notre lâcheté l'occultât. Elle se refusait à évoquer la chose par lettre.

J'eus un frisson en parcourant ces lignes. Je tâchai de considérer la situation raisonnablement, mais je sombrai très vite dans une démence incontrôlable. Je succombais à des spasmes et à des cauchemars sans nom, sans forme. D'anciens démons, de ceux qu'on enterre dans les limbes de la honte et du sanglot, revenaient à la charge.


Je me rappelle avec précision ce matin où je partis à la rencontre de Jyoti. Ma rationalité se fissurait en deux ; je longeais les canaux et leurs arias en supportant son déhanché funèbre. Les canaux, eux, avaient le mérite de la suffisance. Bordés de gravats contre lesquels la chair se heurte, ils se ruaient solennellement à l’intérieur d’eux-mêmes, ne poussant jamais au-delà de la rive, et semblaient puiser dans cette castration une puissance respectueuse du monde. Le respect, sous le couvert ridicule du vivre-ensemble, m’a toujours paru receler son exact contraire, que je tiens pour un des plus grands trésors de l’humanité : l’hypocrisie. Ainsi les visages affables répandaient leur sang marron sur la pierre : les canaux transportaient des corps d’enfants et révélaient la monstruosité de l’innocence, comme nous projetons d’un regard la prétendue beauté de l’autre pour admirer la nôtre dans ses yeux. Sur les berges s’amassaient les robes grises des enfants, je le voyais bien. La rue grouillait de vermines pareilles aux courants de l’eau calme, ce matin-là, de christs dont le sourire signifiait massacre. Les jours d’autrefois m’habitaient, passagers goguenards pénétrés de lumière. Je me faisais l’effet d’un œil malade voulant observer les cavités de sa propre orbite ; parmi les passants masqués de la rue, je fus, sans doute, le pire.


Les montagnes se dressaient, folles, identiques en tout point aux simulacres qui me revenaient par-delà l’autre monde. Je gravis sans peine les pentes connues et je les confondis avec leur fantasme, comme si les paysages d’une réalité perdue se surimposaient à la réalité de nouveau conquise. Un oiseau passa dans le ciel ; je lui lançai une pierre ; des plumes volèrent, brisant l'espace, et elles tourbillonnèrent en tombant autour de la bête parmi le mystère des atomes.

J'arrivai au sommet où autrefois nous allions à pied. La mécanique lancinante de la marche, les beautés de la campagne, nous permettaient de garder le silence plus aisément — en nous, la lenteur de la pensée qui, comme morte, s'oubliait dans les vestiges de sa négation et de la vanité. Les nuages passant et repassant dans les ténèbres, le génie des contrebas qui dans la perspective se dessinent telles des offrandes, l'orage comprimé dans la terre poisseuse et les pins ; nous nous perdions dans la contemplation ironique de l'univers et de son symbole. Les substrats mythiques et populaires de la nature servaient à camoufler ce vers quoi notre imagination se tournait véritablement : la formulation secrète de phrases faites d'écailles, de déchirements, destinées à blesser l'autre au plus profond. Puis nous nous demandions finalement où était la colère — ce peu de raison sur un visage froid. Nous retrouvions rapidement nos corps respectifs et nous continuions à prétendre la passion et l'intérêt de la vie pour échapper à tout ce qui l'a désertée.


Son visage ne changea pas. Tel un arbre sans âge dont la banalité reflète toutes les délicatesses de la peine, il mourait encore devant moi, à sa façon, sans vieillir, accusant un poids intérieur qui ne devait en rien se rapprocher de l'avant, de l'après, du toujours. Jyoti se tenait, pataude, grise de mensonges, pierre jonchée sur son propre corps. Je m'assis à côté d'elle, lui pris la main de façon misérable. Je me sentais honteux, gros, suintant. Alors je lui pris la main de façon misérable, je la traitai comme un chien moche et malade, et nous pûmes revenir sur cet événement qui finit de transmuer nos deux existences en ballots calcinés d'effroi.


Nous vécûmes un temps dans un endroit reculé. Cet endroit, nous le détestions tous les deux ; nous y passâmes quatre années, et les deux dernières furent les pires — elles amenèrent notre séparation. Nous vivions en haut d'une falaise, reclus : les seules habitations, en omettant un étrange village de pêcheurs où quelques baraques lugubres et vétustes s'étaient ancrées à la roche, se situaient à plusieurs dizaines de kilomètres. Dans les renfoncements profonds de la montagne, si profonds que toute lumière s'y éteint, se trouvait un lacis de grottes marines et inconnues où, disait-on, le corail se mêlait à la chair.


Dans ces lieux cauchemardesques nous cultivâmes notre mépris de nous-mêmes, de la race humaine, nous entretînmes le dégoût de notre naissance et de notre rencontre. Nous ne sortions jamais. Les jours nous paraissaient vides et précaires, et nous faisions face chaque matin à une horreur immense. Nous nous confrontions jusqu’à l’épuisement, lassés, transis. Les soirs j’allumais une petite lanterne devant notre porte, alors que Jyoti se déshabillait lentement dans la chambre ; la lueur orangée se diffusait sur les racines et la terre, sur le puits, sur les bêches ; un vent secret faisait palpiter l’humus et des forces lointaines se soulevaient dans les arbres ; je restais là, contemplatif, tremblant, et rien ne pouvait me faire plus peur que cette puissance mystique agitant les cailloux et les branches, si ce n’est la perspective du corps de Jyoti, allongé sous les draps, brunâtre et amoureux.


Un jour s’annonça si triste et sombre que je sortis dès mon réveil. Jyoti dormait encore. Dehors, un crachin battait le sol insidieusement, et les plantes s’éveillaient avec lenteur, femmes à la nudité hostile. Je levai la tête pour regarder les sommets qui nous surplombaient, leurs versants titanesques venus d’un autre espace et qui semblaient cacher d’occultes pratiques, des animaux encore, des hommes sans nombril, des condamnés à la joie. Tout à coup, j’entendis la porte de notre habitation s’ouvrir. Je me retournai brusquement, surpris, mais ne vis personne. Je scrutai alentour ; rien, le silence, si ce ne sont le recueillement de la végétation, le bruissement des ombres, qui rappelaient la porosité de la membrane entre le monde des vivants et celui des morts. Les insectes étaient visiblement en pleine commémoration et je repensais à l’infamie des derniers jours, à Jyoti que je me mis à insulter avec hargne à l’intérieur de moi. Je lui reprochai ses regards théâtraux, son masque de vanité et de démence qu’elle abandonnait le soir venu pour écarter les cuisses et me sourire, me caresser, me chuchoter des mots d’amour. Dès la première heure du matin ses yeux étaient cernés de mensonges, de crachats, de malheur, mais jamais elle ne se soucia de la douleur qu’elle me causait, jamais elle ne voulut m’écouter. Nous ne nous écoutions plus depuis longtemps et je contenais sa froideur dans mon ventre, je la roulais comme une petite boule de peau et de sang qu’on se retient de vomir, et je lui obéissais, je me taisais, j’allais dans les coins, je me faisais petit, je me faisais enfant, sans lumière, sans pénis. Je me soumettais jusqu’à devenir de la laideur qu’on gratte, piteusement, à genoux, raclant la boue de ses talons, ou devant soi, assis sur une couche avec ses pleurs et son monstre aux côtés, rieur, dansant. Parfois, je ne me tenais plus, alors je criais des choses dégénérées ou bien je parlais lentement, d’une voix douce, des heures et des heures, et Jyoti remontait ses genoux, se grattait les seins, se mettait à pleurer, se camouflait dans mes bras – je ne dominais pas, car j’avais toujours pitié d’elle.


Une secousse brève mais puissante me frappa au dos et je tombai à la renverse, face contre terre. Jyoti, plaquant un genou sur ma colonne vertébrale, me tirait les cheveux vers l’arrière, me baffait, me rabattait la figure dans les feuilles, me mordait aux épaules. Paniqué, je tentai de me débattre, réussis à libérer mes bras, lui pris la cuisse et lui fis perdre l’équilibre. Tandis que je me relevai, elle sauta sur moi et je retombai, contre le dos cette fois. Elle se jeta sur mon corps avec une force inouïe, s’asseyant en tailleur sur ma poitrine, me coupant la respiration et me bloquant les bras. Elle se mit à crier, à fermer les yeux, et tenta de m’étrangler. Je sentis mes lèvres devenir bleues, mes oreilles saigner, la peau de mon cou se tendre jusqu’à la fissure, déjà mes pupilles embuées peinaient à distinguer le soleil morne ; je n’entendais plus Jyoti hurler, ses cheveux de jais m’effleuraient les joues comme un gosse l’âpreté de la solitude. Puis elle relâcha son étreinte, les traits inhabités. Je toussai violemment, la tête sur le côté, et elle resta assise sur moi.


Nous étions devenus de grandes bêtes et nous le sentîmes, alors nous partîmes marcher. Nous ne dîmes rien. Nous descendîmes la pente qui menait aux baraques des pêcheurs et aux côtes moirées. Nous entendions la mer vrombir sa querelle solitaire, les vagues se jeter sur les à-pics. Le crachin devint la bruine et puis l’averse vint inonder nos gueules et les terres abandonnées. Nous me faisions l’effet de poulpes indignes et méphitiques qui gigotent misérablement dans le sable et la vase. Poussées trop loin, notre fierté et notre humanité s’étaient enfuies ensemble, main dans la main. Les yeux de Jyoti étaient bas et noirs.

Arrivés en bas, quelque chose en nous ne s’était pas assoupi. C’est à ce moment que je compris que le monstre resterait inerte.

Nous avancions avec une fièvre indomptable, esclaves qui n’ont de peau et d’ossements que l’esprit qu’il leur reste. Mais si la marche de nos corps semblait bien comme ces ilotes aux muscles creusés par l’effort, notre raison avait fini de disparaître, à l’instar des barques échouées et ensevelies dont nous voyions au loin la tête poindre. Nous allâmes sur les côtes, longeant la mer. Un homme était là, au bord de l’eau. Le pêcheur pêchant, les rochers gueulant leurs pointes hérissées, les yeux de Jyoti et les miens se croisèrent. Elle prit délicatement une pierre au sol, et je la regardai faire. Elle s’approcha de l’homme, cria, et lui eut le temps de voir l’arme s’abattre sur son crâne. Maculé de sang, il gisait, un trou dans le front, et se contorsionnait. Jyoti ne bougea plus, comme si elle s’était enracinée. J’avançai lentement, pris la pierre qu’elle avait lâchée, et la brisai à plusieurs reprises sur le corps, qui cessa de se tordre. Nous le laissâmes ainsi sur le rivage, remontâmes en silence jusqu’à notre maison. Une fois là-bas, nous fîmes l’amour avec tendresse.


Nous n'avions pas bougé tous deux, assis côte à côte, nous touchant presque, tandis que nous nous étions remémorés cet événement. Jyoti m'assurait que quelque chose d'étrange avait ressurgi.


 
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   Lunar-K   
15/8/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
"Ceci constitue un début seulement." : Effectivement, ce texte semble appeler une suite (j'y reviendrai), cependant il reste suffisamment compréhensible et "complet" pour pouvoir être apprécié en et pour lui-même.

Un texte dérangeant, malsain même par endroit. Et ce à la fois grâce à l'histoire et à la psychologie des personnages (de même que par leur relation assez particulière), et grâce à l'écriture, principalement dans les premiers paragraphes, avec ses métaphores, ses comparaisons, ses images, etc. pour le moins "spéciales".

Le sujet est assez évident : la réclusion d'un "couple" (d'un genre un peu particulier, certes) et la "folie" qui en découle. Cependant, ce qui m'intéresse davantage, ce sont les relations que se jouent au sein de ce couple et la réflexion, que je qualifierais de "primitiviste", qui sous-tend cette "folie".

Les relations, d'abord. Ce qui me choque c'est l'inégalité entre l'homme et la femme. J'ai l'impression que cette dernière est plus gravement atteinte que le narrateur. Peut-être même est-ce la seule véritablement atteinte, du moins au départ. Mais, et c'est là toute la subtilité des relations et de la psychologie que vous développez dans ce texte, de cette inégalité naît une sorte d'émulation. Pour je ne sais trop quelle raison (amour, admiration, ou autre), le narrateur est comme tiré vers le bas par cette femme, Jyoti, et s'enfonce avec elle. Ou plutôt "est enfoncé" avec elle car, et c'est là l'un des seuls reproches que j'ai à formuler à ce niveau, il manque une certaine progression. On est directement posé face au fait accomplit, sans savoir d'où ils viennent, les raisons qui les poussent à agir de la sorte, à s'isoler et haïr l'humanité. D'un côté, cette ignorance ajoute à l'aspect malsain de cette histoire : ils haïssent sans raison. Mais, d'un autre côté, nous donner au moins quelques indices sur les origines de cette décadence permettrait de renforcer la cohérence et la crédibilité du tout.

Ainsi, il semble manquer un début à ce "début"... Même si celui-ci n'est pas véritablement indispensable et que son absence même est signifiante et apporte quelque chose au texte.

Pour en revenir à l'émulation dont je parlais, les rapports entre l'homme et la femme semblent s'inverser à un moment. Au moment du meurtre, pour être précis. Jyoti n'a alors pas la force, ni le courage de ses idées (ce qui me fait penser que, peut-être, il ne s'agit finalement pas de folie mais plutôt de convictions). C'est le narrateur qui achève le pêcheur et qui va jusqu'au bout, jusqu'à la conclusion somme toute logique de tout le texte : la destruction de l'humain (cela dit, le suicide m'aurait paru bien plus logique encore).

C'est en cela que ce texte appelle une suite. "Quelque chose d'étrange resurgit" alors chez Jyoti... Un sentiment d'humanité je suppose, alors que l'état du narrateur, lui, paraît irrémissible. Sentiment d'humanité qui se traduit, au début du texte qui en est la fin chronologique, par des reproches et, surtout, le seul contact humain entre les deux personnages : des lettres.

En effet, jusque là, les rapports entre eux étaient caractérisés par une bestialité presque sans défauts : silence, solitude, violence,... Je passe ici à l'aspect "réflexion" du texte qui est davantage développé au début puis précisé et rappelé à certains endroits.

Je qualifiais tout à l'heure cette réflexion de primitiviste. Et il m'est difficile de ne pas voir, dans le premier paragraphe, l'influence certaine d'Antonin Artaud et, plus particulièrement, de son texte fameux : "A la recherche de la fécalité". Des expressions comme "poche anale" m'y font immanquablement penser. Moins anecdotiquement, la conscience presque obsessionnelle de la corporéité et de l'animalité qui traverse tout ce texte et la "folie" des personnages est certainement à rapprocher de la démarche particulière de cet auteur.

C'est en cela que la réflexion est primitiviste (ce qui ne signifie évidemment pas primitive) : un rejet prononcé pour tout ce qui constitue l'humain au profit de la bestialité, si pas de quelque chose de plus "fondamental" encore (à certains moments, les personnages deviennent plantes, ou rochers). C'est en cela qu'il s'agit bel et bien d'une folie puisque, le rejet de l'humain, se traduit nécessairement par un rejet du rationnel. Vous le dites très explicitement quelquefois. Rejet du rationnel afin de se focaliser sur ce qui n'est ni universel, ni atemporel : le corps (c'est-à-dire, de façon assez provocatrice, la "merde").

D'où, à mon avis, ce silence, cette solitude et cette violence qui caractérisent les relations du couple. La parole étant indice de raison, il est tout à fait logique qu'elle soit entièrement absente du récit si ce n'est au sein de ces lettres envoyées après le meurtre, donc après que ce "quelque chose d'étrange" ait resurgi chez Jyoti.

C'est aussi la raison pour laquelle le suicide m'aurait paru plus approprié que le meurtre, symboliquement plus fort en ce qu'il aurait marqué plus encore ce rejet radical de l'humain et ce "dégoût d'être né". Mais bon, une suite aurait alors été impossible je suppose...

J'ai, ici, un autre reproche à formuler sur la cohérence et la crédibilité du texte. L'écriture me parait globalement trop intellectualisante pour traiter adéquatement de ce sujet, de ce rejet de la rationalité. A nouveau, ce choix peut se justifier assez facilement par la position rétrospective du narrateur (ce qui traduirait, finalement, une rémission de celui-ci). Néanmoins, j'aurais bien vu une écriture plus viscérale, moins réfléchie, laquelle aurait, à mon sens, renforcé l'aspect dérangeant du texte. Je pense qu'il aurait gagné à ne présenter cette réflexion que dans les premiers paragraphes avant de peu à peu se laisser emporter par la folie des personnages plutôt que de continuer sur ce ton réfléchi tout au long.

Bref, je ne vais pas m'étendre davantage. J'ai beaucoup aimé ce texte. Une grande qualité d'écriture (bien que pas toujours totalement adéquate, selon moi) et une force assez impressionnante, renforcée, bien sûr, par l'aspect malsain de cette histoire et par, surtout, la psychologie dérangée des personnages (psychologie qui manque peut-être d'un "background" plus fouillé, mais cela se défend).

   Anonyme   
14/9/2011
 a aimé ce texte 
Bien
Au début j'ai été rebuté par l'aspect scatologique de l'introduction. Je me suis dit encore un qui n'a pas dépassé le stade anal ou qui cherche par tous les moyens a attiré l'attention. Heureusement la suite du récit devient plus subtile mais reste difficile à suivre malgré tout. Une symbolique étrange se dissimule derrière chaque phrase. Il faut souvent relire un passage plusieurs fois, décortiquer les mots, soupeser les adjectifs pour être sûr ne pas faire fausse route.

La qualité et l'intelligence de l'écriture sont indéniables mais cette même écriture devient vite excessive, fatigante à décrypter, comme si l'auteur était dépassé par lui-même et incapable d'exprimer les ressentis de ses personnages de façon simple. Nous sommes clairement dans un registre intellectuel, alambiqué, qui me parait diablement manquer de spontanéité.

Les relations entre Jyoti et le narrateur ne sont pas évidentes à comprendre. Attraction, répulsion, il y a une forme de masochisme dans cette liaison tourmentée. L'amour ne servant plus la paix des sens mais devenant l'expression d'un dégoût de l'humanité.

Cette fascination pour le morbide finit d'ailleurs par peser, l'auteur insistant parfois lourdement pour instiller une ambiance poisseuse. Mais en catégorie Horreur/Epouvante, cet effet est donc plutôt réussi.

Je suis vraiment partagé ; admiratif des réelles qualités littéraires, submergé par l'outrance et la démesure de cette nouvelle.

   Perle-Hingaud   
16/9/2011
 a aimé ce texte 
Bien
Un style affirmé, une écriture puissante. Le rythme derrière les mots parfois obscurs ou grandiloquents, sans doute excessifs pour moi. Il faut accepter de mettre de côté nos lectures habituelles pour entrer dans ce texte. Une histoire concentrée, donc, trop peut-être pour le lecteur de passage, inattentif. On pourrait facilement s’ennuyer, décrocher – et le début est particulièrement rebutant. Le texte réclame de l’attention, beaucoup. Ou alors, simplement, se laisser bercer et admettre que des choses nous échappent. Je l’admets volontiers.
Tout de même, le sens dérange. On y revient encore et encore, sur le glauque, le malsain.

Ah, une dernière chose : le passé simple à la première personne du pluriel est indigeste : « Nous ne dîmes rien ».

Un texte d’excès, dans le fond, dans la forme : impossible de noter, mais merci pour ce moment étrange. (PS : en EL, note indispensable, mais non significative).

   Anonyme   
20/9/2011
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour Lu-k,

Je ne partage pas l'engouement suscité par votre texte. Pour des raisons techniques. On est dans la catégorie épouvante, or on démarre faiblement et l'ambiance de départ ne fabrique pas la tension nécessaire. Pour moi, l'introduction est une trop longue digression.

"Les jours traînaient leur patte molle." Le texte aussi.

C'est dommage, l'écriture est bonne. Peut-être que votre passé-simple contribue à ne pas provoquer cette nervosité, ce climat que j'attends dans un texte de cette catégorie.

La deuxième partie du texte : "J'eus un frisson..." est bien plus captivante. Mais j'ai dû patienter jusque-là avant de...

   brabant   
20/9/2011
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour Lu-k,


Tout d'abord je tiens à préciser que le dialogue que je vais entretenir se fait avec le héros et que je ne confonds pas l'auteur avec celui-ci. J'ai conscience que ce texte est avant tout un exercice littéraire.

Re-bonjour Lu-k,

Désolé, mais je n'aime pas. Mes mots pour le dire paraîtront peut-être forts ; mais pas autant que ceux du personnage principal de ce récit.

Texte outrancier.

Votre qualité d'écrivain n'est pas en cause, Lu-K, pour moi, ce sont les limites où vous voulez pousser l'écriture, la façon de dire, que je n'aime pas. Même si je sais que vous pourriez écrire des bluettes ou des contes de Noêl, car, quand on ose écrire de cette façon-là, 'choquante' est un euphémisme, on est aussi capable d'écrire autrement. On maîtrise.


Bon, je vais dire ma progression dans cette lecture. Mes réflexions, mon dégoûts, mes erreurs de déchiffrement, mes espoirs et mes désespoirs.

2 1ers pg : Je ne comprends pas, si la merde est l' 'essence', où est le problème ?
Je vois une plus que certaine complaisance à se rouler dedans. Dans quel but ?

3ème pg : Le pire est là, que je redoutais sans vouloir y croire. Le mot 'ordurier' me vient à l'esprit parce que tout cela m'apparaît gratuit, spongieux, fangeux.
Si le but est de révulser, c'est réussi !
Pour moi ça n'est qu'un délire post-adolescent (toujours le héros hein) provocateur.

4è pg : ses "mains rêches" sur le cuir d'une vache. On voit qu'il n'a jamais touché une vache. C'est plus rêche que sa main ne le sera jamais.

5è pg : Ouf ! Une de moins. Je parle de l'héroïne, seconde lame.

6è pg : Merde ! :) La voilà de retour avec ses "chiures". C'est Fantômette ? lol
Formulations absconses.
Auto-apitoiement. On y arrive... La rédemption pointe le bout de son nez. Je parie pour une sorte de quête du Graal. J'essaie de me raccrocher...

7è pg : ... la montagne que l'on gravit.

8è pg : le déni.

9è pg : La traversée de l'Achéron. Se dirige-t-on vers le Purgatoire.
Pardonnez le vieux fond chrétien.

1oè pg : La montagne. Les dernières dénégations avec l'oiseau que l'on tue. Symbole de ...?... Ne voudrait-on pas ne pas se repentir. Là j'ai l'impression que l'auteur a réussi son coup, qu'il me mène en bateau.

11è pg : Le sommet... Changement de point de vu(lv)e. lol

12 : La prise de conscience. Quel (r)éveil ?

13 : Laitance/Lactation/Jactance.

14 : L'amour païen.
Quand ai-je été eu ?...

15 : Le purgatoire. La femme péché. Faiblesse.

16 : Le combat. La révolte de la femme.

17 : Les "poulpes méphitiques"... possible ça ?

18 : Echec. Pas de transmutation.

19 : Le meurtre : De qui ? De quoi ? Que représente ce pêcheur/pécheur ?
Paganisme fondamental ?
S'agit-il de se libérer de son créateur?

20 : L'innocence retrouvée en tuant le géniteur/assassin qui sort et tue la vie dont le berceau est la mer...


Fumeux, essoré,... Oui, je sais...


Bon, pour conclure je n'aime pas trop le vomitif, je n'aime pas quand Depardiou pisse sur la moquette dans un avion au vu et au su de tous. Il y a des sacs à vomi/pipi pour ça ! lol :)))

Je ne mets pas en doute vos qualités d'écrivain ; l'exercice m'a seulement paru extrême, limite.


A un prochain texte. Pourquoi pas ?...

   widjet   
23/9/2011
L’avantage des « photographies », précédent opus de l’auteur, était qu’on pouvait – car le texte était court - sans problème supporter et même être touché par les lamentations du personnage. Le texte allait assez vite à l’essentiel et les phrases chocs étaient assez rares (sur tout une) pour marquer la rétine.
Ici, je n’ai pas pu aller au-delà de la troisième page. Cela m’a semblé trop laborieux. L’entrée en « matière » (hum hum) est trop insistante (on avait compris le message) et assez « chiante » (pourtant notre rapport avec notre corps est un sujet passionnant).

Le reste – longue complainte ou branlette intellectuelle, c’est selon - peine à progresser, les métaphores – sexuelles ou pas - (« les draps sont chauds comme des lèvres ») ne sont guère inspirées et tout ceci bande plutôt mou. En dépit de la volonté d’installer une ambiance assez poisseuse, voire crasseuse, je me suis senti extérieur aux états d’âme et au mal de vivre du héros.

Bref, je n’évalue pas.

W.

   Anonyme   
30/12/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'aurais préféré : "La merde n'a rien de relatif, on s'y trouvait complètement."
Sinon, c'est un bath début.
Entre parenthèses, pour ce qui est de l'art de chier, je vous recommande vivement James Joyce. Parenthèse fermée.
Un texte que l'on ne pourrait qualifier que de malsain, avec quelque chose de jubilatoire.
Je dirais un très bon texte pour qui aime le glauque.
Drôle de personnage, cet auteur-teuse de ce machin-truc.
Gainsbourg sentait très fort et la pisse et la merde et il était violent à sa façon débile. Le rapport ? Votre texte. Et génial et débile.
Ah, j'adore le "Des passants aux corps vieux...". Très visuel.
Un don remarquable pour la narration.
Je note l'écriture.
Pour le reste, je fais comme les trois petits singes, sauf que je me bouche le nez au lieu des lèvres.
Sinon et à part ça, j'ai bien rigolé.
Merci.


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