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Réalisme/Historique
ludvik : 4 lettres
 Publié le 14/11/10  -  14 commentaires  -  7763 caractères  -  127 lectures    Autres textes du même auteur

Une maladie en 4 lettres.


4 lettres


Bruxelles, un jour de décembre 1997


Salut,


Il m’arrive une sale histoire.


C’était bien avant Judith. Une fille m’a fait tourner la tête. Elle prenait celle de tous les mecs du club de judo. Un à un, elle les toisait et les faisait valser dans ses recoins les plus cachés.


Elle soignait les blessures de son existence en déversant toutes ses provisions d’amour et de sensualité. Pour être aimée. Recevoir un regard, un sourire, un geste qui soit un peu moins animal que les autres. Un geste qui compte. Elle se perdait dans cette débauche de corps et faux-semblant.


Perdue qu’elle était. Trop pour voir venir l’inéluctable et surtout l’éviter.


C’est comme quand on tombe amoureux. On se pince pour se dire que c’est vrai, qu’on est toujours en vie. On arrête de boire et de manger. On a envie de le dire à tout le monde mais on préfère le garder pour soi.


On me l’a annoncé au détour d’une petite visite de routine pour le boulot. Blouse blanche et peu de psychologie.


- On a fait d’énormes progrès. C’est surtout une question d’hygiène de vie.


Je n’ai pas su le regarder dans le blanc des yeux. D’ailleurs pourquoi faut-il toujours tenir le regard des gens ?


Cette charogne s’est donc tapie en moi. Il m’aura fallu toutes ces années pour m’en rendre compte. Temps perdu sur la maladie ou moments gagnés sur la vie ? On verra.


Je dois en parler à Judith. Sans doute le moment le plus difficile. Après tout ce temps, comment penser qu’elle y ait échappé…


Affronter et puis partir. Je vais sans doute quitter Bruxelles.


Voilà. Tu sais maintenant. Je suppose que je trouverai la force pour t’en parler un de ces quatre au détour d’une charmante réunion de famille.


Je t’embrasse.


++++


Fès, le 4 juillet 1998


Salut toi,


J’ai chaud. Très chaud. Je suis toujours chez Benoît et Sarah. Je passe mes journées dans leur jardin à regarder les oranges tomber les unes après les autres des arbres du verger. Je joue aussi avec le chat et le petit Jules qui marche et court dans tous les recoins de la maison.


Je vais passer quelques jours à Rabat la semaine prochaine. C’est le seul endroit dans ce pays où l’on peut prononcer les 4 lettres fatidiques devant un médecin sans susciter une forme de haine et de rejet.


J’ai rencontré une anglaise assez sympa au festival des Musiques Sacrées il y a quelques semaines. On s’est longuement regardés pendant le concert de Nusrat Fateh Ali Khan puis on s’est parlé. Elle s’offrait ses premières vacances depuis des années au Palais Jamaï (cet hôtel magnifique où nous avons été boire un thé quand tu es venu en mai). Je l’ai emmenée voir El Bali puis on est sortis de la ville quelques heures pour aller jusque Sefrou. Là, on a marché dans l’ancien quartier juif pendant des heures et on s’est reposés en prenant le pouls de la petite place qui jouxte l’entrée de la médina. On a repris la voiture pour aller se mettre au frais à Ifrane. Le lendemain on a visité Moulay Idriss. Je rigole un peu en écrivant ça mais je pense de plus en plus que je vais me muer en guide touristique.


Il ne s’est rien passé avec elle. Et pour cause…


Pour le reste, je lis, j’écris et je fais du vélo dans les rues de la ville nouvelle.


Ce qui me frappe le plus, c’est la liberté que j’ai gagnée depuis ces quelques mois.


Je n’ai plus de nouvelles de Judith, par contre. Je suis heureux que le miracle se soit produit. Je ne veux pas imaginer comment j’aurais pu vivre avec ça…


Sarah rentre à l’instant. Elle nous a ramené un magnifique gigot de la boucherie, on va le découper et le passer sur le feu de bois. On invitera probablement la Belge qui habite seule à côté.


Reviens me voir quand tu peux, tu me manques. Beaucoup.



++++



Paris, le 9 décembre 1999


Salut vieux,


Ça fait un bout de temps que je ne t’ai plus donné de mes nouvelles. Benoît m’a prêté son appartement dans le 11e. C’est plus pratique qu’au Maroc. Les nouvelles ne sont pas top. J’ai perdu pas mal de poids. Mes analyses sont assez mauvaises. Rien de dramatique mais mon nouveau référent me dit de me surveiller. C’est un jeune type assez sympa. Il a l’air de savoir de quoi il parle. En tout cas, il ne juge pas. De toute façon, je vois mal sur quelle base on devrait me juger. Mais c’est fou ce que les gens ont encore un blocage. Tu sais, les maladies honteuses…


J’avais programmé une petite virée au ski à Serre Chevalier mais j’ai plus des masses d’argent. La Sécu me donne juste assez de quoi bouffer et vivre décemment. Sans Ben, je ne sais pas très bien où j’en serais.


Comment ça va à Bruxelles ? J’ai envie de revoir Thérèse et Paul. Tu me les emmènerais pour un week-end ? T’inquiète, je dis ça en rigolant, je sais qu’elle n’a pas digéré l’affaire. Dans un sens je la comprends, je peux pas imaginer qu’elle ne se soit pas mise dans la peau de Judith.


Elle m’a appelé, à propos. Ce ne fut pas très chaleureux mais l’intention y était. Je suppose que tu sais avec qui elle est ? Au début, j’ai un peu râlé mais finalement c’est de bonne guerre.


Ici, je survis. Ni plus, ni moins. J’essaie de garder une hygiène de vie correcte mais je commence à vraiment avoir du mal. Paraît que c’est normal. Je roule toujours à vélo, ceci dit. Le médecin dit que tant que je sais toujours faire mes dix kilomètres quotidiens dans le bois de Vincennes, je dois pas trop m’inquiéter.


Je ne sais pas t’en dire beaucoup plus. Je pense que ma vie n’a vraiment plus grand-chose d’intéressant.


Fais-moi signe à l’occasion.


++++



Paris, un jour de l’été 2001



Je t’écris de nulle part, en fait. J’aurais dû t’appeler mais tu sais à quel point je suis allergique au téléphone. Et puis, écrire me permet de prendre du recul. Même si cela m’est très pénible de prendre un bic, de sortir de mon lit et de m’attabler devant mon Clairefontaine. Surtout pour t’écrire ce que je vais t’écrire.


Excuse-moi de planter ainsi le décor mais l’heure n’est pas à la rigolade et c’est le moins que je puisse dire.


On appelle ça un échec thérapeutique. Il paraît que les traitements ne fonctionnent pas dans tous les cas. Je sais que mon référent a essayé beaucoup de combinaisons. Il m’a même proposé un protocole sur une nouvelle molécule qui est, paraît-il, hyperprometteuse. Mais je sens qu’il n’y croit plus trop. Moi non plus, à vrai dire.


La suite ? Pas réjouissante. Je rentre à Cochin, lundi. J’ai un Kaposi et mon immunité est telle que je suis capable de me choper le moindre microbe traînant à 1 km à la ronde. Je veux pas t’alarmer mais ça sent la fin. Je voudrais que tu le dises à Papa et à Maman. Elle a appelé hier et je n’ai pas décroché. Je pense qu’elle se doute de quelque chose.


La semaine passée, j’ai participé, pour la première fois, à un groupe de parole avec d’autres malades. C’est fou ce que les histoires se ressemblent. Dans le groupe il y a un papa de deux enfants qui a contaminé sa femme à cause d’une petite passade. Je relativise vachement tous les discours sur la prévention. C’est triste à dire. On y pense tout le temps sauf au moment où l’on devrait y penser. Ou bien, on a cette espèce d’instinct de mort dont on ne veut pas se détourner. Comme si inconsciemment, on se disait : « Maintenant, c’est à moi ». De toute façon, pour moi, plus de marche arrière possible.


Ceci dit, promets-moi de faire attention si la vie te détourne ne serait-ce que quelques heures de ta Thérèse adorée…


Je te fais signe dès que je peux. Je te joins les coordonnées de ma chambre et de mon médecin. Si tu n’as pas de nouvelles de moi d’ici un mois, ne reste pas les bras croisés et viens. Ça voudra dire que j’aurai besoin de toi. Vraiment.


Bye…


 
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   Anonyme   
4/11/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un sacré texte que je ne peux que saluer! C'est fort, très bien écrit, plein de subtilités et de recherche. Je tique un peu sur le titre qui n'est pas bon, et sur la mise en page des lettres très moyenne, mais c'est un texte franchement de très bonne qualité. J'aime!

   doianM   
7/11/2010
 a aimé ce texte 
Bien
Un peu court mais ça dit assez.

La sobriété sert l'histoire de ce drame personnel.

Judith jooue le rôle d'une figurante. On ne sait pas grande chose sur elle. Vous avez certainement pensé que ce n'est pas nécessaire. Une victime collatérale.

Bonne continuation

   Anonyme   
8/11/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour,

Une histoire épistolaire unilatérale : j'aime bien, je suis une adepte. Cela permet, entre autres, de rester proche de la langue orale, et de faire passer des éléments sans longuement les expliquer (ici, notamment, qui sont les protagonistes de l'histoire). C'est efficace -ce qui est le cas de votre texte. L'essentiel passe.

Quelques remarques, toutefois. Je suppose que vous avez suffisamment d'éléments scientifiques pour que ce texte soit crédible, mais je me pose des questions : les lettres couvrent une période de 5 ans environ. Thérèse, si j'ai bien compris, est supposée être la fille du narrateur, qui écrit à son "gendre". Donc, a priori, Thérèse avait au maximum 13 ans lorsque le narrateur a découvert sa séropositivité, qui date "d'avant Judith", la mère de Thérèse. Je sais qu'on peut être asymptomatique un bon bout de temps, mais dans notre société bien médicalisée, c'est une sacrée performance de ne pas s'en être rendu compte avant, non ? Et de n'avoir pas contaminé Judith ? Bien sûr, ça peut se faire (pleine santé, pas de mariage, pas de voyage dans des zones où le test est obligatoire, et usage exclusif des préservatifs). Mais précisément, ça aurait pu faire l'objet d'un tout petit développement.
De plus : on parle du syndrome de Kaposi, et pas de Karposi...

Autre chose : oui, effectivement, le passage au Maroc fait guide touristique !

Merci tout de même pour la sobriété et l'efficacité du texte, je pense que vous avez rempli le contrat que vous vous étiez fixé.

   Flupke   
11/11/2010
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Une histoire intéressante (malheureusement d'une logique implacable).

Titre très bien trouvé, jeu de mots sur l'acronyme et le résumé de la situation en 4 missives.

Attention aux répétitions (Comment, moment, vraiment) et aussi aux adverbes en -ment qui ne sont pas indispensables. (longuement, probablement, décemment, vachement, insconsciemment, finalement).

Un texte simple, sobre, sans fioritures. Un ressenti sur une réalité cruelle. Informatif et moral.

   Maëlle   
12/11/2010
 a aimé ce texte 
Un peu
J'aime bien la forme, les creux, ce qu'on devine de l'interlocuteur. La première lettre, à mes yeux, sonne faux (trop grandiloquente, trop littéraire).
Mais dans l'ensemble, c'est plutôt un bon texte.

   shanne   
14/11/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

J'aime le titre, quatre lettres, un peu comme cette maladie que l'on n'ose pas nommer, qui reste une maladie honteuse...J'apprécie ces fragments de correspondance, une bonne idée, je trouve...il me montre bien la difficulté d'en parler vraiment, la fuite dans nos relations, la difficulté financière qui s'ajoute, et la résignation: le traitement ne marche pas....
Merci, j'ai lu plusieurs fois cette nouvelle, je suis passée par plusieurs étapes avant de réussir à mettre un petit commentaire, je ne peux dire que bravo

   widjet   
14/11/2010
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Ce qui m'a plut c'est le refus de nommer. Pas seulement la maladie, mais surtout le malade. Il n'a pas de nom et donc il peut être tout le monde et surtout n'importe qui. Beau procédé d'identification. Ca rattrape un peu le titre (et la phrase en sous titre) que je trouve presque "outrancier" par rapport à la sobriété du reste du texte.

Le détachement affiché éloigne le pathos certes, et j'ai apprécié ce refus d'en faire trop. Le début m'a fait craindre le pire et puis finalement je me suis habitué à ce style assez simple mais qui permet là aussi de s'identifier sans mal, l'auteur refusant pour le coup de "poétiser" sa souffrance pour qu'il soit proche de nous.

Pas de misérabilisme en dépit de cette fin inéluctable. Tout est donc assez intériorisé, mais ça manque peut-être d'un petit supplément d'âme, une émotion qui peine à effleurer (absence de formules qui fassent mouche, qui touchent en plein cœur, même une ou deux) malgré la dignité du personnage et son refus de s'apitoyer.

Un peu trop neutre, trop en retrait pour ne pas tomber dans ce fameux piège qu'est le pathos ? Possible...Comme quoi, il est bien difficile de trouver le bon dosage lorsqu'on parle des sentiments humains.

Mitigé donc, mais à suivre...

W

   marogne   
14/11/2010
 a aimé ce texte 
Un peu
Le titre, et la phrase qui le suit, donne un petit air de charade au texte, mais comme on comprend dès la première ligne de quoi il s'agit, cela fait presque, à mon goût, déplacé.
La forme choisie, 4 lettres (à part le jeu de mot là-aussi) est intéressante mais prive sans doute le lecteur de s'identifier "un peu" soit au destinataire soit au rédacteur, ce qui rend la lecture assez froide in fine, un peu en écart par rapport au thème.
Un texte un peu distancié donc, qui ne laisse pas de place au pathos, ce qui n'est pas mal pour un thème assez utilisé et usé, mais qui fait trop clinique.

   Anonyme   
15/11/2010
J'ai bien aimé la brièveté, la sobriété du texte.

Le début (la première lettre surtout) parait hésitant, presque emprunté, décalé, un peu faux. Et puis au fur et à mesure, on a l'impression que l'auteur se projette plus intimement dans son personnage, qu'il gagne en sincérité, et la fluidité s'installe.

   alvinabec   
15/11/2010
Discours un peu flouté, on ne sait trop à qui s'adresse le locuteur ni se qu'il tend à exprimer par la forme de prose choisie laquelle semble volontairement froide et détachée. Est-ce bien cohérent avec le thème évoqué?

   Anonyme   
16/11/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Texte très intéressant. J'ai bien aimé. Le fait d'aborder ce thème par des lettres, donnent un véritable fond humain et accrocheur à votre texte.
Seul petites critiques personnelles, tout comme widjet, je regrette le fait que l'auteur de ces lettres n'est pas clairement nommé.
De plus, le passage au maroc avec cette amie rencontrée est maladroitement traité à mon avis.
Sinon bon récit.

   Raoul   
17/11/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Lu ce texte hier soir…
Et ce matin, comme il est encore dans ma mémoire, je mets ce petit mot.
À part le titre qui pour moi ne fonctionne pas avec la teneur de la nouvelle, je trouve le reste très fort. Ces silhouettes qui ne font que passer, et le côté très désincarné sonne juste.
Pas d'apitoiement, de désir de compassion… Et cette dernière phrase, qui achève de son "Vraiment", touche par la nudité de l'expression, exprimant la force du lien qui existe entre le personnage et son lecteur. Tout en pudeur.

   victhis0   
18/11/2010
 a aimé ce texte 
Un peu
si j'ai bien perçu la volonté de justesse sur un sujet casse-gueule, la peur de jouer des violons pleurnichards, je reste quand même un peu étranger par cette distance un peu trop subtile pour moi.
Pas mal, ok, bel exercice. Mais au final, parler des petites choses pour ne pas hurler les grosses me laisse un peu de glace. Il manque jute une 5éme lettre "ben il est mort maintenant" et l'affaire sera bouclée...

   wancyrs   
29/11/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
parler d'un sujet sans jamais le dévoiler, tenir en haleine le lecteur, le laisser deviner de quoi on parle mais en maintenant un soupçon de doute, voilà ce que je ressens à la fin de ma lecture. La première lettre balbutie un peu, mais les autres coulent. Voilà une façon, assez légère, de parler d'un sujet tragique sans tomber dans le mélodrame.

Bonne continuation à l'auteur.

Wan


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