Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Réalisme/Historique
Malitorne : Les Eaux-Bonnes
 Publié le 01/03/23  -  13 commentaires  -  47596 caractères  -  129 lectures    Autres textes du même auteur

Les Eaux-Bonnes : station thermale des Pyrénées-Atlantiques qui connut son heure de gloire au XIXe siècle.


Les Eaux-Bonnes


Dans un grincement de freins métalliques qui sciait les tympans, la locomotive fumante s’arrêta en gare de Laruns. Des grappes de gens descendirent des wagons, bagages à la main, accueillis par des proches enjoués. Élisabeth et sa fille fouillèrent les quais du regard, à la recherche d’un visage connu. Elles n’eurent pas à attendre longtemps quand un monsieur rondouillard, moustaches et chapeau melon sur la tête, vint à leur rencontre les bras grands ouverts.


— Hé bonjour mesdames ! Avez-vous fait bon voyage ?


En même temps il se saisit de leurs valises.


— Interminable. C’est le bout du monde ici.


Il sourit, compréhensif.


— La montagne ça se mérite Élisabeth, vous n’êtes pas en plaine. Mon Dieu, comme tu as grandi Odile ! Tu as quel âge maintenant ?

— Dix-sept ans, vous devriez le savoir cousin Louis, fit-elle taquine.

— Oui, certes, les années passent tellement vite !


Elles le suivirent alors qu’il se dirigeait vers la sortie. Il reprit en s’adressant à sa cousine :


— Alors votre médecin bordelais a prescrit une cure pour Odile.

— En priant le ciel pour que ça donne des résultats.


Elle jeta un regard appuyé à sa fille, au teint pâle, qui ouvrit de grands yeux étonnés une fois à l’extérieur, face aux pics majestueux qui surmontaient Laruns.


— Oh maman, tu as vu comme c’est haut !


Elle fut prise de la même admiration, il y avait bien longtemps qu’elle n’avait vu un tel relief.


— Oui Odile, c’est très beau. Et on va encore s’en approcher, n’est-ce pas Louis ?


Celui-ci accrochait les valises à l’arrière de la Panhard.


— En effet, la station thermale se situe aux Eaux-Bonnes, à environ sept kilomètres d’ici. La montée n’est pas trop raide, heureusement pour elle, fit-il en tapotant le capot de la voiture. Mettez-vous derrière, la capote vous protégera du soleil.


Quelques vigoureux tours de manivelle pour démarrer le moteur, et l’automobile s’élança à l’assaut des premiers contreforts. Après avoir accompagné le cours d’une rivière elle se mit à grimper, doubla au passage des charrettes tractées par de lourds chevaux. Un nuage de poussière obligea les passagères à se couvrir le bas du visage. Odile ne cessait de se pencher par la portière pour mieux voir des paysages totalement nouveaux, impressionnée par des ravins abrupts ou de se dévisser le cou pour distinguer l’extrémité des montagnes. Une forêt dense de sapins, aux émanations de résine et d’humus, lui laissait pourtant peu de visibilité mais finit par s’élargir pour donner sur un bourg bâti tout en longueur. Leur conducteur se retourna :


— Les Eaux-Bonnes !


Élisabeth, qui craignait un lieu austère en ces coins reculés, fut agréablement surprise de découvrir le contraire. À cause de la pente, un jardin public joliment fleuri descendait par paliers, bordé de chaque côté par de grands hôtels de style Second Empire. Elle reconnut un casino, de fort belle facture, sans doute à disposition des curistes pour meubler leur temps et dépenser leur argent. Distractions qu’elle goûtait peu, de plus elle ne venait pas s’amuser mais soigner son enfant. Cette station thermale pouvait-elle retarder l’inéluctable ? Les médecins de Bordeaux s’étaient retrouvés démunis devant l’avancée de la maladie, n’avaient pu que conseiller d’aller prendre les eaux et respirer le grand air, aveux d’impuissance. La constitution fragile de sa fille empêchait une lutte efficace contre la forme grave de tuberculose qui rongeait ses poumons.

Louis se gara devant l’hôtel des Princes, aida les dames à descendre du véhicule. Après avoir confié les valises à un employé il les accompagna à la réception. Les formalités faites, elles purent s’installer dans une chambre cossue. L’adolescente sur le balcon, Louis en profita pour interroger sa cousine :


— Alors, comment va-t-elle ?

— Pas bien Louis, pas bien du tout. La maladie gagne du terrain, les traitements n’y changent rien. Elle a des quintes de toux terribles, si tu savais…


Ses yeux se mouillèrent de détresse. Il lui posa une main affectueuse sur l’épaule.


— Courage Élisabeth, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.

— Il faudrait un miracle, soupira-t-elle.

— Et Hubert ?

— Il est en poste à Saïgon, nous ne pouvions le rejoindre avec le climat détestable qu’il fait là-bas. J’évite de lui donner des nouvelles trop alarmistes, il a déjà beaucoup de soucis avec ses responsabilités.

— Je comprends.


Ils furent coupés par Odile, qui allait d’extase en extase.


— Maman, il faut que tu viennes voir ! Il y a plein de moutons sur la montagne, je me demande bien comment ils font pour ne pas tomber !

— Ah ! Ah ! s’esclaffa Louis, tu es vraiment une citadine Odile. Si tu voyais les isards, tu serais encore plus impressionnée, crois-moi.

— Les isards ?

— Une espèce de chèvre sauvage, j’essaierai de t’en montrer si nous en avons l’occasion.

— Oh oui, ce serait tellement bien ! N’est-ce pas maman ?


Rien que pour son enthousiasme, Élisabeth se rassura d’être allée contre ses réticences à faire entreprendre un long voyage à Odile. Si ça pouvait lui apporter cette vigueur qui lui manquait tant…


— On verra ma chérie.


* * *


Les jours se suivirent et se ressemblèrent, triste monotonie d’un patient en cure. Le matin consacré aux soins : inhalations, gargarismes, bains, massages, où deux sources minérales, l’une froide, l’autre chaude, faisaient agir leurs propriétés. Quand on entrait dans l’établissement thermal, situé en amont du village, on était d’emblée frappé par l’odeur fétide d’œuf pourri qui y régnait, caractéristique d’eaux à haute teneur en soufre. Odile eut beaucoup de mal à s’y faire les premiers temps, multipliait les hauts-de-cœur au moment de boire les doses prescrites. Puis elle parvint à surmonter son dégoût, adopta des stratégies comme se pincer le nez et avaler d’un trait.

L’après-midi était libre, des promenades aménagées tout autour des Eaux-Bonnes permettaient aux curistes de se détendre après les épreuves nauséabondes du matin. Longées par des rangées de buis soigneusement taillés, des chemins en pente douce menaient soit à une cascade, soit à un lieu pittoresque ou de jolis points de vue, avec des bancs placés à intervalles réguliers pour un public souffreteux.

Mère et fille avaient adopté un petit circuit, suffisant pour les capacités amoindries de la malade et qui offrait un panorama incomparable sur la vallée d’Ossau. Sur une éminence baptisée la Butte au Trésor et où un kiosque avait été construit, elles passaient de longues heures à lire, à discuter de tout et de rien avec d’autres habitués.

Louis ne quittait la préfecture des Basses-Pyrénées qu’en fin de semaine pour les rejoindre, apportait avec lui sa jovialité qui contrastait avec la morosité de sa cousine qu’elle essayait pourtant de dissimuler. On lui avait certifié que les effets d’une cure ne s’appréciaient que sur le long terme, ce qu’elle constatait c’était l’aggravation de la santé d’Odile. Encore la nuit passée au chevet de son enfant torturée par la toux, elle avait frémi à la vue des draps tachés d’expectorations sanglantes.

Ce fut donc à rebours de la joie d’Odile qu’elle reçut la nouvelle de Louis, qui leur annonça réjoui une marche en montagne pour observer les isards. Il avait tout prévu assurait-il, l’automobile les conduirait au plus près, ensuite des autochtones les mèneraient aux pelouses d’altitude. La montée ne serait pas un problème puisque la petite serait prise en charge par des porteurs.


— Tu seras telle une reine Odile ! Les gars ont confectionné une espèce de chaise en bois qu’ils fixeront à leur dos pour que tu puisses t’asseoir.


Odile sauta d’excitation, ravie d’aller à la rencontre de ces animaux emblématiques, une occasion aussi de rompre avec les soins routiniers. Sa mère se montra beaucoup plus circonspecte, prudente :


— Vous êtes sûr Louis ? Il va falloir monter haut.

— Forcément, mais ne vous inquiétez pas. Ça se fera dans les meilleures conditions.


Il envoya un clin d’œil à Odile qui priait de toutes ses forces pour que sa mère accepte.


— Bon, soit. J’espère qu’on ne le regrettera pas.


* * *


La position était loin d’être confortable mais pour rien au monde Odile ne se serait plainte. La sangle de maintien lui sciait le ventre, l’armature en bois lui cognait les os. Elle avait tenu à faire le premier kilomètre d’ascension à pied, puis sur les injonctions maternelles avait dû se résoudre à utiliser la chaise à porteur. Dos à dos, elle ne pouvait voir le solide gaillard qui la trimballait, n’entendait que son souffle, ses godillots cloutés qui martelaient le sol. Devant eux le guide, chasseur qui connaissait les habitudes des isards. Louis et Élisabeth fermaient la marche. L’initiateur de l’expédition, désavantagé par son embonpoint, peinait et suait, en retard sur sa cousine qui gardait le rythme, un œil attentif sur sa fille.

Après avoir traversé une partie boisée ils progressaient maintenant sur un sentier dégagé, tout en lacets. Ici le relief devint exigeant, les pierriers fréquents, obligeant le porteur à redoubler d’efforts et d’attention. Heureusement sa charge n’était guère pesante, la maladie l’avait fait fondre comme neige au soleil.

Élisabeth s’inquiéta, l’environnement avait perdu son charme pour devenir rocailleux, âpre, battu par des bourrasques de vent. L’étage montagnard offrait toute sa rudesse, les hauteurs déchiquetées qui les surplombaient n’étaient pas là pour la rassurer.


— Nous sommes encore loin ?


Le guide se retourna.


— On arrive m’dame, on arrive ! Voyez le pin isolé là-bas ? C’est juste derrière.


Elle jeta un regard soucieux sur Odile qu’elle trouva pâle, les lèvres bleuies par un froid piquant.


— Mets mieux ton écharpe ma chérie, s’il te plaît.

— Ça va maman, ça va…


En vérité l’adolescente luttait contre l’engourdissement à force d’être assise, parfois une sensation de nausée la gagnait, due à la posture. Aussi fut-elle soulagée quand son porteur, soutenu par le guide, s’accroupit pour la faire descendre. Ils étaient arrivés sur une crête dominant un vallon étroit, au milieu duquel subsistait un reliquat de névé. Le guide invita la petite troupe à le suivre, leur fit signe de se baisser au niveau d’un amas de rochers. Il sortit alors d’une sacoche en cuir des jumelles, imité par Louis qui avait emporté les siennes. Odile scrutait le paysage mais ne distinguait rien. Le guide pointa une direction en lui tendant les jumelles, mit son index sur la bouche pour faire silence. À plat ventre, elle cala ses coudes pour stabiliser la vision, faillit lâcher une exclamation de surprise. Ils étaient là ! Une bonne douzaine, qui broutaient paisiblement, adultes et cabris mélangés. Elle s’émerveilla de leur forme harmonieuse, du bandeau qui ornait leur tête et des fines cornes recourbées en arrière. Juché sur une dalle, sa silhouette se découpant dans l’azur, il y en avait un qui semblait surveiller la harde. Deux cabris se mirent soudain à gambader comme des fous par des sauts désordonnés qui manquèrent la faire éclater de rire. Spectacle unique, comme si la nature levait un pan de voile pour autoriser la contemplation de ses habitants les plus farouches.

Élisabeth partageait l’extase de sa fille, reconnaissait que ces animaux avaient belle allure, mais des frissons incontrôlables de cette dernière la ramenèrent vite à la réalité. Odile avait froid, rien d’étonnant puisqu’ils devaient rester immobiles dans une température d’altitude. Louis avait également remarqué les tremblements qui agitaient le corps d’Odile, répondit par l’affirmative au souhait muet d’Élisabeth de repartir. L’adolescente s’accrocha encore un peu à ses jumelles, puis vaincue par le froid obtempéra à contrecœur et suivit ses protecteurs.

Le lendemain elle demeura alitée, incapable de se rendre à la cure.

Louis était navré. Il avait retardé son départ car il se sentait coupable d’avoir insisté pour mener à bien cette expédition, coupable aussi d’avoir présumé des forces de la jeune malade. Il se rendit compte à quel point elle était gangrenée par le mal.


— Je suis désolé Élisabeth.

— Ce n’est pas votre faute, c’est la maladie. Je savais que ça la fatiguerait mais elle était tellement heureuse ! Tellement…


Elle ne put achever sa phrase, secouée par des sanglots, le visage enfoui dans les mains. Ému, il la serra entre ses bras.


* * *


Odile s’était remise et, vaillante, avait repris le cours de ses soins. Il devenait pourtant évident que l’air des Pyrénées et les eaux minérales n’étaient pas en mesure d’enrayer la progression de l’infection. Sa perte de poids était alarmante, ses quintes de toux déchirantes. Sa mère en arriva à reconsidérer le bien-fondé de leur présence ici, se demanda s’il n’était pas préférable de regagner leur domicile girondin. Il fallait aussi avertir son mari, Hubert ne lui pardonnerait pas d’avoir été tenu dans l’ignorance. Son retour en métropole prendrait du temps, elle devait l’informer le plus rapidement possible. Elle en était à ce stade tragique de ses réflexions, seule dans sa chambre d’hôtel. À force les lieux lui devinrent étouffants, elle enfila alors son manteau, mit son chapeau et s’en alla dehors. Il fallait qu’elle marche, qu’elle s’enfuie de ces pensées douloureuses.

Le hasard de ses pas la conduisit à l’église, blottie dans un renfoncement du village. En quête de réconfort elle se décida à pousser les lourds battants. De piété bourgeoise, elle n’interpellait jamais Dieu de manière inconsidérée, réservait ses prières pour des moments qu’elle jugeait dignes de son écoute. Qu’y avait-il de plus précieux que la vie d’un enfant ? Les murs épais la coupèrent des sons extérieurs, elle n’entendait plus que sa respiration, ses souliers qui résonnaient sous les voûtes sacrées. Une alcôve éclairée d’une lumière tremblotante attira son attention. Il y avait là une statue de la Vierge Marie, face à une rangée de bougies, dont la douceur du visage semblait l’accueillir. Dans cette région l’on vouait un culte particulier à la mère de Jésus, la proximité de la grotte de Lourdes n’y était pas pour rien. Était-ce les traits si réalistes de la statue ? Élisabeth tomba à genoux sur le banc de prière, submergée par un accès de détresse.


— Je vous salue Marie, mère de miséricorde, bénie entre toutes les femmes. Je vous supplie du fond du cœur de sauver mon enfant, ma petite Odile qui souffre mille tourments. Elle n’a pas mérité ça, non, c’est tellement injuste ! Ô Marie, pleine de grâce, par pitié, faites quelque chose.


Le front appuyé contre ses mains jointes, des larmes dévalant ses joues, elle n’entendit pas venir une personne dans son dos :


— C’est grand’ misère qu’avoir un mainatge malade.


Élisabeth sursauta, fit volte-face.


— Je… qui… qui êtes-vous ? Je croyais être seule.


Une petite vieille rabougrie se tenait devant elle, revêtue d’habits sombres. Un foulard lui couvrait les cheveux, dessous un regard bizarre trahissait un œil éteint. Celui qui était valide fixait Élisabeth avec intensité.


— Mes excuses dauna, j’ai entendu tes prières à la bona Maria.

— Désolé si je vous ai dérangée, répondit Élisabeth, troublée par cette intrusion.

— Nani, nani. De quoi l’est atteinte ta hilha ?


Cette femme l’avait interrompue d’une façon plutôt inconvenante, posait maintenant des questions qui ne la regardaient pas. Élisabeth se redressa en réajustant sa robe, d’une voix sèche :


— Quelque chose de grave. Excusez-moi madame, je dois y aller.


Mais alors qu’elle s’apprêtait à la contourner, la vieille l’agrippa par la manche.


— Dauna, j’ai été mair aussi, je sais la dolor que tu vis. Crois-moi, je connais des rémèdis, pas ceux de ton monde, qui en ont sauvé plus d’un.


Elle la relâcha ensuite pour emboîter le cierge qu’elle portait sous le bras, s’agenouilla sans plus un mot devant la statue impassible.

Élisabeth eut un instant d’hésitation. Qu’est-ce qu’elle voulait dire ? Mais elle n’osa demander davantage de précisions à l’importune plongée dans ses prières. Sans doute une pauvre folle…

Néanmoins les paroles avaient porté, firent leur chemin, sur le trajet du retour Élisabeth ne cessa d’y penser. La vieille femme avait évoqué des remèdes, des remèdes qui auraient sauvé des gens. Se pourrait-il qu’elle dise vrai ou n’était-ce qu’élucubrations d’un cerveau sénile ? Elle aurait dû n’y prêter aucune importance, oublier cet incident, mais son désarroi était tel, cette rencontre devant la Vierge Marie tellement inattendue, qu’elle ne parvenait à se l’ôter de l’esprit. Pour en avoir le cœur net, sitôt rendue à l’hôtel, elle interrogea la réceptionniste qu’elle savait native du coin.


— Dites-moi, j’ai rencontré à l’église une drôle de personne, âgée, veuve très certainement, qui semble borgne.

— Borgne ? Ça ne peut être que Marthe, la sœur du guérisseur. Elle a perdu son mari l’année dernière. L’œil c’est quand elle était jeune, un mauvais coup de corne.

— Un guérisseur ?


La réceptionniste sourit.


— Ah, vous n’avez pas ça à Bordeaux ! Un guérisseur c’est un genre de médecin, sans diplôme, qui soigne toutes sortes de maux. Beaucoup de gens ici préfèrent aller les voir, surtout qu’ils paient en nature.

— J’en avais déjà entendu vaguement parler. Mais ils sont efficaces ces guérisseurs ?

— Ça madame, confia-t-elle l’air mystérieux, ça dépend de vous. Il faut y croire. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le Berard il a guéri mon beau-frère d’un zona, rien qu’en posant ses mains sur sa peau !

— Berard, c’est le guérisseur des Eaux-Bonnes ?

— Pas des Eaux-Bonnes, il n’y en a pas, mais du village d’à côté.


Des pensées contradictoires se bousculaient dans la tête d’Élisabeth. Fallait-il y voir un signe venu du ciel ou juste un évènement à classer dans l’insolite ? Elle était habitée d’une logique rationnelle, sa foi, sincère et profonde, n’était que sa seule relation avec l’invisible. Tout le reste, l’incompréhensible, partait dans la catégorie des croyances sans fondement, le domaine des superstitions. Odile apparut alors à l’entrée de l’hôtel, de retour de sa cure. Comme souvent à la suite des soins éprouvants elle affichait un teint livide, semblait une brindille prête à rompre. Élisabeth qui aurait dû aller la chercher, perturbée, n’avait pris garde à l’heure. Confrontée à l’extrême faiblesse de sa fille, elle ne réfléchit plus.


— Donnez-moi son adresse.

— Vous… vous êtes sûre madame ?


La réceptionniste avait suivi le regard de sa cliente, mesuré la détérioration d’Odile.


— Je n’ai plus que cette solution, lâcha Élisabeth dans un souffle.


* * *


— Un rebouteux ? Mais enfin ma cousine, vous perdez la raison !


Assise dans la cabine exiguë du bureau de poste, Élisabeth essayait de tempérer Louis à l’autre bout du fil.


— Pas un rebouteux, un guérisseur.

— C’est du pareil au même ! Des charlatans, des bonimenteurs qui exploitent la crédulité des gens ! Ça, ils sont très forts pour vous soutirer de l’argent, mais pour le reste…

— Écoutez Louis, Odile est au plus mal. Elle n’en a… elle n’en a plus pour très longtemps. Je compte arrêter la cure, ça l’épuise plus qu’autre chose.


Son interlocuteur qui avait perçu la cassure dans la voix se radoucit.


— Bon, Élisabeth, si c’est ce que vous voulez, soit. Mais il est hors de question que je vous laisse y aller seule. Quand avez-vous pris rendez-vous avec ce reb… ce guérisseur ?

— Je suis passée par sa sœur, elle m’a dit de me rendre à Aas, mardi soir, au lieu-dit Longas.

— Comment s’appelle-t-il ?

— Berard, c’est tout ce que je sais.

— Je vais me renseigner sur lui et je vous y conduirai. Par contre, je vous préviens, si je détecte le moindre risque pour la santé d’Odile, la moindre supercherie, nous repartirons aussitôt !

— D’accord Louis, d’accord. Merci de tout cœur.

— C’est normal ma cousine, je comprends que vous tentiez l’impossible, attention cependant à ne pas aller trop loin.


La route pour se rendre aux Eaux-Bonnes, fréquentée, n’avait que peu à voir avec le tracé en terre qui menait au village d’Aas, juste assez large pour le gabarit de la Panhard. Le faisceau des phares trouait difficilement une pénombre humide, obligeait Louis à rester concentré, le nez collé au pare-brise. Un brouillard de fines gouttelettes estompait les formes, rendait le trajet fantomatique. Il commença à pester :


— Ce bougre habite au diable Vauvert !


Élisabeth fouillait le dehors à la recherche des indications données, Odile serrée contre elle, toutes deux brinquebalées par les chaos.


— Nous avons dépassé l’intersection de la croix, on ne doit plus être très loin.

— J’espère bien, c’est un chemin pour les bœufs ! Manquerait plus qu’on s’enlise, fichtredieu.

— Là ! s’écria-t-elle. Le gros rocher, la murette, il faut la longer !

— Oui, ben ce sera à pied.


Il parvint tant bien que mal à faire demi-tour afin de placer la Panhard dans le sens du retour. Le moteur coupé, il sortit une lampe puissante et fit descendre ses passagères. La tournure que prenait le rendez-vous ne lui plaisait pas, déjà que les informations glanées sur le personnage n’étaient guère rassurantes : « pratique illégale de la médecine », « individu marginal » ; et le comble, obtenu auprès des gendarmes sur la base de témoignages : « sorcier » ! Il s’était hâté d’en prévenir sa cousine qui avait haussé les épaules, sourde aux mises en garde. Sa détresse l’aveuglait, lui non, et il comptait bien faire rempart de sa lucidité contre l’imposture. Que cet homme abuse de la situation et il verrait ce qu’il lui en coûterait !


— La lumière, ça doit être sa maison.


Ils avancèrent avec prudence, attentifs aux pierres qui jonchaient l’itinéraire. Les bottines de circonstance les aidèrent à franchir ce passage délicat mais alors de furieux aboiements retentirent. Ils s’arrêtèrent, inquiets, heureusement une voix forte se fit aussitôt entendre :


— Cara’t !


Les aboiements cessèrent, à la place un labri aux poils hirsutes sortit de l’ombre, vint renifler leurs bas de pantalons. Une lanterne oscillante s’approcha d’eux, Élisabeth reconnut celle qui la tenait et l’avait conviée, ses traits rendus inquiétants par les jeux de lumière.


— Bona serada m’sieur dames. C’est bien, c’est bien qu’vous êtes venus. Suivez-moi, mon frère vous attend.


Il n’était plus question de rebrousser chemin, le chien sur leurs talons et la vieille borgne qui les menait. Elle poussa la porte d’une bâtisse sans âge recouverte de lauzes, typique de ces contrées, les invita à rentrer. Il y régnait une odeur particulière, de plante, au parfum non identifiable. Elle devina leurs pensées :


— Carline et gentiane, sur le feu.


Accrochée à l’extrémité d’une chaîne, une marmite en fonte pendait dans l’âtre, son contenu en lente ébullition. Ils aperçurent alors sur un banc, leur tournant le dos, un homme qui fixait les flammes.


— Je vous présente Berard.


Le nommé se retourna vers les visiteurs. Une chevelure blanche tombait sur ses épaules, les yeux d’un bleu perçant, peu commun chez les gens du coin. Âgé, sans doute, pourtant contredit par la vigueur du corps qui se redressa. Sa haute stature toisa les arrivants, s’attarda plus longtemps sur Odile.


— Il cause pas francès, c’est moi qui va traduire.


Louis retrouva sa langue.


— D’accord, ça ne va pas être simple !

— Louis, s’il vous plaît.

— Enfin Élisabeth, un médecin a besoin de renseignements clairs !


Une voix rocailleuse articula alors des paroles en patois béarnais, reprises mot à mot par la vieille.


— Tout n’est pas dit par la parole.


Surpris, ils se regardèrent.


— Mais… il comprend ?

— En partie, oui.


La voix se fit entendre à nouveau, impérative, relayée par son assistante.


— Donnez-lui la gojata… la jeune fille.

— Comment ça ? s’indigna Louis.


Élisabeth lui serra le bras.


— Arrêtez, je vous en prie, vous allez tout faire rater ! Je suppose que c’est sa manière de s’exprimer, il faut faire avec.


De toute façon Odile s’était avancée vers le personnage, sans crainte, comme si elle avait déjà décidé de s’en remettre à lui. Il lui fit signe de se placer dans le halo d’une lampe à pétrole puis se positionna derrière elle. De ses mains aux doigts écartés il effleura alors toute l’anatomie d’Odile, jamais ne la touchait directement. On entendait sa respiration profonde, parfois il fronçait les sourcils, stoppait le déplacement de ses mains puis les refaisait courir autour du corps. Cette curieuse palpation à distance achevée, il se mit ce coup-ci en face d’elle, lui intima d’ouvrir la bouche. Il s’approcha tout près et inspira longuement l’haleine de l’adolescente, jusqu’à lui faire comprendre que ça suffisait.


— Parle, dit-il en français.

— Quoi ?

— Parle.

— Je… heu… bonsoir, je suis Odile Duchaussoy… j’ai… j’ai dix-sept ans.

— Encore.

— Je sais pas moi ! Vous… vous avez un beau chien. Il s’appelle comment ?


Élisabeth et Louis assistaient à la scène, médusés, ne sachant trop à quoi rimait tout ça. Une consultation pour le moins déconcertante ! En son for intérieur Louis commençait à fulminer, se demandait à quel moment il arracherait ses protégées à cette scandaleuse mascarade. Mais l’hôte des lieux semblait avoir tous les éléments à sa disposition, partit dans un monologue à l’adresse de sa sœur. Élisabeth en profita pour enlacer sa fille.


— Ça va ma chérie ?

— Oui, oui, je ne sais pas ce qu’il voulait.

— Moi non plus.

— C’est bizarre maman, quand il a passé ses mains, j’ai ressenti une drôle de chaleur dans mon ventre.

— Ah bon ?


Elles furent interrompues par la vieille qui paraissait contrariée.


— Berard dit que le mal a pris racine, la gojata ne finira pas l’année.


Un trop-plein qui fit déborder Louis :


— Merci, on ne le savait pas ! Si c’est pour nous annoncer cette bonne nouvelle, on aurait mieux fait de rester chez nous que se perdre dans ce trou !


Le guérisseur demeura impassible.


— Le mal est plus fort que Berard, poursuivit la traductrice, mais il peut se faire aider.


Elle se montra mal à l’aise.


— Y aura un prix à payer.

— Peu importe le prix s’il est capable de guérir ma fille ! lança Élisabeth sous le regard interloqué de son cousin.

— Dauna, lui répondit la vieille, émue, ce n’est pas une affaire de sous.

— Quoi donc alors ? pesta Louis.

— Il existe… il existe des forçàs, dans la montanha, qui réclament autre chose.

— Nom de Dieu c’est quoi ces boniments ! Allez, ça suffit, venez, on a trop perdu de temps ici !


Il avait déjà saisi Odile par la main, furieux il l’entraîna en direction de la porte.


— Attendez Louis, attendez ! cria Élisabeth en se jetant aux pieds du guérisseur. Elle leva un visage éploré vers lui.

— Monsieur, je ferai tout ce que vous voudrez si vous promettez, si vous promettez de sauver mon enfant !


Le feu léchait de flammes vives la marmite qui continuait d’exsuder une vapeur odoriférante. Berard s’agenouilla pour se mettre à hauteur d’Élisabeth, darda ses yeux clairs dans les siens.


— Je le promets.


Une sensation la pénétra, indéfinissable, la conviction qu’elle pouvait avoir confiance en lui. Elle se releva, un sourire d’optimisme aux lèvres, se hâta d’aller rejoindre ses proches à l’extérieur. Alors qu’ils allaient disparaître dans la nuit, la vieille les héla du perron :


— Odile ! Odile !


Ils se retournèrent.


— Le chien, y s’appelle Diablo !


Le retour fut orageux, Louis se fustigeait d’être allé contre sa volonté, maudissait tous les charlatans et les crédules qui gobaient leurs sornettes. Réflexion à peine voilée en direction d’Élisabeth qui le laissait tempêter, transportée d’un espoir qu’elle savait illogique mais auquel elle s’accrochait corps et âme. Elle caressait les cheveux d’Odile, endormie, dont la tête reposait sur ses cuisses.


* * *


Louis regagna la préfecture des Basses-Pyrénées, non sans mettre en garde une fois de plus Élisabeth contre ses tentatives déraisonnables. Quand elle argua que le guérisseur n’avait réclamé aucun paiement, il rétorqua goguenard :


— Ma chère, recevoir une bourgeoise ça lui suffit !


Pourtant elle refusait de croire à l‘imposture, se persuadait qu’il y avait de la sincérité chez cet homme. Maintenant demeurait une inconnue, que faire ? Sous la pression de Louis ils avaient pris congé précipitamment, n’avaient pas eu le temps de programmer une deuxième rencontre. Fallait-il qu’elle aille voir Marthe ? Attendre que le guérisseur prenne contact ? Mais attendre, ce n’était plus possible, les jours d’Odile étaient comptés, lui-même l’avait confirmé ! Elle rongea son frein quelques jours, jusqu’à ce que l’angoisse l’entraîne hors de l’hôtel pour se rendre au domicile de la sœur de Berard. Elle seule pouvait la renseigner sur la procédure à suivre. Ses questions se brisèrent sur une porte close, qu’elle eut beau toquer avec insistance, personne n’ouvrit. Indécise elle resta bras ballants, envahie d’une immense solitude.


— Dauna.


Élisabeth n’aurait su exprimer son soulagement au son de cette voix. Juchée sur une carriole, à côté d’un villageois coiffé d’un béret qui tenait les rênes, la vieille était là, arrivée dans son dos sans qu’elle n’y fasse attention, perdue qu’elle était dans son désarroi.


— Monte Dauna.

— Mais je… et Odile ?

— Nous allons la chercher, elle est aux bains ?

— Oui, elle n’a pas fini.

— Y a plus le temps.

— D’accord, d’accord, approuva Élisabeth en grimpant à l’arrière, gênée par sa longue robe.


Dès qu’elle fut installée, la carriole repartit au rythme lent du cheval de trait. Ses sabots martelèrent les pavés jusqu’au bâtiment thermal, sous les yeux étonnés de clients de voir ainsi une belle dame en pareil équipage. Élisabeth n’était plus à ça, se dépêcha d’aller récupérer sa fille en train d’endurer les inhalations quotidiennes.


— Mais où on va maman ?


Elle était bien incapable de la renseigner, le guérisseur avait envoyé des émissaires, c’est tout ce qui comptait pour l’instant. Les choses s’accéléraient, enfin, certainement pas comme imaginées au début de la cure mais aucune importance si cette voie se révélait bénéfique.

Le cocher claqua la croupe du cheval, celui-ci repartit muscles tendus en lâchant une ribambelle de crottins. Ils s’engagèrent dans une rue qui filait vers la montagne, mère et fille la reconnurent pour l’avoir maintes fois empruntée à l’occasion de leurs promenades. Mais bientôt la carriole bifurqua sur une piste forestière, à partir d’ici elles se trouvèrent en parfait terrain inconnu. Les bancs opposés, Élisabeth dut se dévisser le cou pour questionner sa guide.


— Marthe, où nous emmenez-vous ?

— Berard nous attend à la Hont-des-Mòrts.


Le nom ne la mit pas en confiance.


— La quoi ?

— Dauna, ta gojata se soigne dans des eaux, mais y en a d’autres.

— Des eaux thermales ?

— Des eaux qui soignent, cachées, pas pour ceux de la ville.


Une vague inquiétude commença à s’emparer d’Élisabeth, l’urgence de guérir Odile ne devait pas lui faire emprunter des chemins dangereux.


— Mais nous sommes de la ville !

— Diu, je sais ! Pourtant t’as eu le coratge d’aller chez Berard, de quitter tes médecins. Et Berard lit dans les còrs, il aide les gens qui méritent.


Elle avait fait bonne impression auprès du guérisseur, c’était déjà ça, en contrepartie elle était engagée dans des circuits pour le moins obscurs.


— Qu’est-ce qu’elle a de spécial cette eau ?


La vieille ne dit mot, regardait droit devant.


— Marthe, qu’est-ce qu’elle a de spécial cette eau ? répéta Élisabeth.

— Tu verras dauna.


De toute évidence elle ne voulait rien lâcher, ce mutisme ne rassura pas Élisabeth, d’autant que la carriole progressait maintenant sur une piste rétrécie, ombrée par un plafond de hêtres immenses. Ils avaient atteint un secteur reculé de la forêt où résonnait le chant plaintif d’une bondrée. Était-ce la transition brutale entre l’atmosphère tropicale des thermes et la fraîcheur des sous-bois ? Odile partit alors dans une terrible quinte de toux, rauque, qui la secoua de spasmes déchirants et la plia en deux. Les affres de la tuberculose se manifestaient, comme si portées en ces lieux pour être vaincues elles avaient décidé de résister avec vigueur. Le mouchoir qu’Élisabeth tint devant la bouche de l’adolescente se constella de points rouges à chaque contraction douloureuse des poumons. D’une telle ampleur qu’un filet de sang finit par s’échapper des lèvres pour glisser sur le menton. Impressionné, le cocher avait stoppé sa bête, Marthe affichait un visage grave. La crise se calma progressivement mais laissa Odile exsangue, quasi inanimée.


— On doit la ramener, qu’elle voit un docteur ! s’effraya sa mère de la voir à ce point.


La vieille était passée derrière, lui prit la main avec chaleur.


— Ça n’y fera rien, il faut continuer. Nous y sommes presque.

— Mais elle va mourir Marthe, elle va mourir !

— Non dauna, garde confiance.


D’un signe de tête au cocher elle fit repartir le cheval. Élisabeth se sentit piégée, à la merci de ces deux individus qui la menaient vers un endroit secret. En même temps Marthe n’avait pas tort, qu’aurait pu faire un médecin ? Au moins, à l’hôtel, Odile se serait remise de cette crise violente plutôt que de s’enfoncer dans une forêt sinistre ! Mon Dieu, qu’avait-elle fait ? Les avertissements de Louis lui revinrent à l’esprit…

Une falaise que l’on distinguait à travers la futaie l’extirpa de ses pensées. La carriole s’y dirigeait, s’immobilisa quand l’étroite piste forestière se transforma en sentier. Trop faible pour marcher, le cocher souleva la malade comme un sac de plumes. Marthe passa devant et ils avancèrent jusqu’à la masse rocheuse, la longèrent sur une centaine de mètres pour parvenir à une entaille profonde dans son flanc.

De cette béance fuyait un ruisseau, au fil des millénaires celui-ci avait creusé une ouverture assez grande pour y laisser pénétrer le groupe. Légèrement courbés, ils n’allèrent pas bien loin dans les entrailles de la terre, s’arrêtèrent au bord d’une large vasque où des fumerolles s’élevaient. Comme dans les thermes on reconnaissait une odeur soufrée, rehaussée ici de notes acides d’eaux ferrugineuses. La lumière du jour parvenait encore à se faufiler, avec la forte humidité rendait les lieux nébuleux. Appuyé sur un long bâton à la manière des bergers, les attendait le guérisseur. Sans prononcer un mot, à leur vue, il s’approcha d’Odile, posa sa main sur son front. Elle écarta alors les paupières, le reconnut et esquissa un triste sourire. Il parut soucieux, s’adressa aux deux accompagnants qui comprenaient ses phrases. D’être ainsi tenue à l’écart amplifia le malaise d’Élisabeth.


— Qu’est-ce qu’il dit ?


Marthe laissa finir son frère.


— Il faut se dépêcher.


Sur ces paroles, elle commença à dénouer les souliers d’Odile.


— Mais… que faites-vous ?


La vieille n’interrompit pas le déshabillage qu’elle avait entrepris.


— Dauna, arrête tes questions ! Aide-moi, vite, ou le mal va tuer !


Le teint cadavérique d’Odile, sa respiration difficile, entrecoupée, chassèrent les dernières résistances d’Élisabeth, l’incohérence de dévêtir une souffrante dans le froid d’une grotte. Elle n’était plus qu’une peur maternelle à l’état brut, archaïque, une peur de perdre sa progéniture qu’elle chérissait par-dessus tout. Elle mit sa raison de côté et obéit, aveuglément. En même temps Berard retira aussi ses chaussures, sa chemise paysanne, laissant apparaître sur son torse un lauburu tatoué à l’encre noire. Vêtu de son seul pantalon, il tendit les bras vers le porteur d’Odile qui lui passa avec délicatesse son fardeau dénudé.

Berard était grand, pour son âge musculeux, une peau hâlée de montagnard ; contre lui la pâle fragilité d’une jeune femme à l’agonie formait un contraste saisissant. Il avança jusqu’à rentrer les pieds dans la vasque d’eau chaude, formula une demande que sa sœur traduisit :


— La Hont-des-Mòrts a besoin du sang de l’enfant.


Élisabeth émergea de sa léthargie.


— Vous êtes folle !


La vieille la fixa de son regard à demi vitreux.


— Le mouchoir, jette le mouchoir dans l’eau.


Hébétée, l’impression de vivre un cauchemar, Élisabeth lança le tissu sanglant au milieu des fumerolles. Le geste fit repartir le guérisseur qui s’enfonça davantage. L’eau à hauteur du nombril, il leva la tête vers la voûte suintante de stalactites, se mit à crier :


— Démònis de las montanhas, sauvà a sa amna !


Alors il s’immergea en totalité, Odile dans les bras, dans la vasque bien plus profonde qu’elle n’y paraissait.

De surprise, Élisabeth resta tétanisée. On n’entendait plus que le clapotis du ruisseau qui remplissait la vasque, tourbillonnait, puis continuait paisiblement son cours.


— Qu’est-ce qu’il fait ? s’inquiéta-t-elle.


Pas de réponse des autres, les secondes continuaient de s’égrener.


— Mais… il va ressortir ?


La grotte aux parois brillantes d’humidité retenait son souffle. Dans les tréfonds de la terre grondaient des torrents de lave, des frottements de plaques en fusion. Une nuée de chauves-souris jaillit des ténèbres en vol désordonné, frôla Élisabeth qui scrutait avec une inquiétude grandissante la nappe liquide.


— Ça suffit, sortez ! Sortez !

— Dauna, n’approchez…

— Mais dites-lui de sortir de là, elle va se noyer !


Emportée par la panique elle allait se jeter à l’eau, fut retenue in extremis par le cocher qui la ceintura fermement.


— Ne touchez surtout pas la hont, il ne faut pas.

— Lâchez-moi ! Odile ! Au secours ! Au secours !


Élisabeth se démena avec l’énergie du désespoir, cherchant à se défaire de l’étreinte puissante. Le cocher avait reculé sur la berge pour l’écarter, se prit des coups mais ne lâcha pas.


— Calme-toi dauna, laisse Berard faire son travail, supplia la vieille.

— Vous allez la tuer ! Au secours, à l’aide !


Elle continuait de se débattre comme une furie, hurla à fendre l’âme mais le cocher tint bon. Puis il libéra son étau d’un coup, quand des eaux troubles surgit enfin le guérisseur, Odile toujours pelotonnée contre sa poitrine. Emportée par sa lutte Élisabeth tomba en avant, se releva aussitôt pour accourir auprès de son enfant qu’elle arracha férocement à Berard. Il paraissait épuisé.


— Ma chérie, réponds-moi !


Ruisselante l’adolescente ne remuait pas, semblait ne plus respirer. Sa peau était chaude, son visage sans trace de combat désespéré.


— Assassin, vous l’avez tuée !


Berard n’eut pas de réaction, incapable de tenir debout il s’était assis sur une pierre, tête basse, sa longue chevelure blanche s’égouttant au sol.


— Maman…


L’adolescente avait ouvert les yeux, regardait sa mère, incrédule, qui fondit en larmes avant de la couvrir de baisers. Les mots étaient trop faibles pour décrire son infini soulagement. Marthe, les affaires dans les mains, interrompit ces effusions.


— Il faut la rhabiller dauna.


Bousculée de sentiments contraires, Élisabeth bredouilla entre pleurs et incompréhension.


— Mais… je… c’est fini ?

— Oui, maintenant allez-vous-en. Aimeric va vous ramener, dit-elle en montrant le cocher.


Elle aurait eu d’autres questions à poser, mais encore sous le choc, Élisabeth ne désirait qu’une chose : quitter au plus vite cet endroit. Elle ne savait si elle devait blâmer ou non la scène éprouvante qu’elle venait de vivre. Ensemble elles rhabillèrent Odile, après l’avoir essuyée, puis la confièrent à nouveau au cocher. Elle était retombée inconsciente, néanmoins animée d’une respiration ample et régulière, semblable au sommeil, qui rassura sa mère.

Avant de laisser derrière elle la grotte aux exhalaisons minérales, Élisabeth se retourna, mue par une voix intérieure. Elle distingua Marthe qui soutenait son frère pour l’aider à se redresser, lequel, elle en était sûre, regardait dans sa direction. Malgré la distance qui les séparait elle eut la sensation qu’il était là, tout proche, à graver dans son esprit la certitude de l’espoir.


* * *


Sa fille plongée dans un profond sommeil dont elle ne sortait pas, Élisabeth appela le médecin qui assurait ses soins aux thermes. Le stéthoscope écouta l’organisme endormi, le pouls mesuré avec précision, température prise, pour conclure en fin d’auscultation que tout allait bien.


— Elle se repose, c’est qu’elle doit en avoir besoin.


Et le médecin s’en alla, laissa Élisabeth dans une attente anxieuse. Plusieurs fois par heure elle se rendait au chevet d’Odile, penchait son oreille vers sa bouche pour vérifier la respiration. Elle remarqua que le souffle n’était plus grésillant comme auparavant, symptôme de bronches encombrées. Se put-il qu’il y eut une accalmie ? Elle voulut y croire de toutes ses forces mais aurait aimé d’abord que son enfant émerge de cet interminable endormissement. Ce qui se produisit le deuxième jour, à l’aube, où une petite voix qui la réclamait lui fit faire un bond dans son lit. Elle se précipita dans la chambre de son enfant, éclairée par un rayon de soleil qui se jouait des rideaux.


— Maman, j’ai faim.

— Tu… tu as faim, articula Élisabeth, saisie d’un bonheur incommensurable. Qu’est-ce que tu veux manger ma chérie ?

— Je sais pas, de tout.


La guérison d’Odile fut fulgurante, désarçonna le corps médical qui invoqua, faute de mieux, les bienfaits prouvés des Eaux-Bonnes. D’aucuns se hasardèrent à faire un rapprochement avec la source bénie de Lourdes et ses miracles qui défiaient l’entendement. Ils coulent des eaux en ces montagnes, disaient-ils solennels, hors des compétences de la science ! Toujours est-il que la tuberculose était bel et bien vaincue, radiographie à l’appui. Non seulement l’affection avait disparu mais de surcroît n’avait laissé nulle séquelle. Les poumons de l’adolescente semblaient neufs comme à ses premiers jours.

En face de sa tasse de thé, Louis se lissait la moustache, pensif.


— Vous dites qu’elle est complètement guérie ?

— Complètement, oui. Vous verriez comme elle cavale maintenant !

— Incroyable, il y a une semaine elle était mourante.


À travers la fenêtre Élisabeth observa un rassemblement d’hirondelles, prémices d’un été qui tirait sur sa fin.


— Je sais, c’est grâce au guérisseur, Berard.

— Vous n’allez pas recommencer, cousine !

— Pensez ce que vous voulez, je vous ai expliqué. Tout s’est produit dans la grotte. Odile allait mourir, il l’a sauvée.

— Hum, peut-être… le fait est qu’il y a de l’extraordinaire. Vous la retrouveriez cette grotte, que j’aille me rendre compte par moi-même ?

— Je ne sais pas, il y a quelque chose qui n’est pas normal là-bas. Nous avons eu la chance d’y avoir accès mais elle appartient aux gens du coin. Ce n’est pas notre place. J’ai voulu remercier Berard de nous y avoir emmenées, de la guérison de ma fille surtout, mais il n’est plus chez lui.

— Ah ?

— Selon sa sœur il serait au Pays basque, il y fait souvent des séjours. Vers Iri… Isira…

— Irissarry.

— C’est ça.


À cet instant la porte d’entrée de la chambre d’hôtel claqua, fit apparaître Odile, rayonnante, qui à la vue de Louis se jeta dans ses bras.


— Oncle Louis !

— Ouch, quelle énergie ! Quel plaisir de te voir comme ça ! Tu as les joues toutes fraîches, tu viens d’où ?

— Je suis avec Peïo, il m’attend en bas. Je change de chaussures et je repars, on doit conduire son troupeau au pré des Serres.

— Tu n’es pas encore un peu fatiguée ?


Tout en enfilant ses chaussures ferrées, acquisitions récentes, elle lui adressa un sourire coquin.


— Fatiguée de quoi mon oncle ?


Elle bondit sur ses pieds, l’embrassa encore d’un bisou fougueux, sans oublier sa mère, qui eut à peine le temps de lui demander avant qu’elle ne ressorte et dévale les escaliers :


— Tu rentres quand ?

— Ce soir !


Louis resta interloqué, quant à Élisabeth elle avait un drôle d’air.


— Ah ben ça, ben ça alors ! J’ai du mal à la reconnaître.

— En effet.

— Qui est-ce, ce Peïo ?

— Un petit berger du village, elle ne le quitte plus d’une semelle.


Louis termina son thé d’une gorgée.


— Faudra bien, vous allez rentrer prochainement je pense ?


Élisabeth pencha la tête, accablée.


— Elle refuse de rentrer avec moi.

— Quoi ?

— Vous venez de le constater, ce n’est plus la même. Depuis sa guérison un feu brûle en elle, il a métamorphosé ma petite fille.


On sentait sourdre une émotion difficilement contenue.


— Soyons sérieux, Odile est mineure, elle n’a pas son mot à dire ! Qu’est-ce que c’est que ces sottises ?

— J’ai réagi comme vous, alors elle m’a répondu que si je la ramenais à Bordeaux elle se laisserait mourir.

— Après ce que vous avez traversé ? En voilà un comble ! s’offusqua Louis.


Entre résignation et douleur, Élisabeth poursuivit :


— Vous auriez vu ses yeux quand elle m’a dit ça… J’ai compris… j’ai compris que je ne devais pas heurter ce qui m’était inconnu.

— Là ma cousine, je tombe des nues ! On nage en plein délire ! Je crois surtout qu’il faut appeler son père, qu’il remette de l’ordre dans tout ça. La maladie, ce diable de guérisseur, la grotte, beaucoup de choses pour encore presque une enfant ! Elle doit être chamboulée, perdue.


Élisabeth s’était levée de sa chaise, debout devant la fenêtre contemplait les collines tapissées d’une pelouse émeraude.


— Rappelez-vous Louis, j’avais été prévenue qu’il y aurait un prix à payer. La montagne a sauvé Odile de la mort mais aussi me l’a prise. C’est dur, très dur, mais je l’accepte. Rien ne m’importe davantage que sa santé et son bonheur.

— Mais…

— J’ai déjà tout organisé. La chambre est louée jusqu’à la fin de l’année, après on verra. Une pension lui sera versée chaque mois, et je compte sur vous pour veiller sur elle.

— Bien sûr, bien sûr.


Les yeux d’Élisabeth brillaient.


— Je vais tenter de convaincre Hubert de s’établir dans la région. Pas à Pau, Biarritz sans doute, ou Bayonne, il existe une garnison. Ce ne sera pas une mince affaire mais il devra s’y résoudre, s’il tient à sa fille. Je ne crois pas qu’il parvienne à lui faire entendre raison.

— Enfin qu’est-ce qu’elle va faire ici, toute seule ?

— Vous ne comprenez donc pas ? fit-elle en désignant les monts d’un large mouvement de la main. Elle n’est plus de la ville, n’est plus complètement mon enfant, elle n’appartient maintenant qu’à ça.


* * *


La chaudière à charbon, remplie jusqu’à la gueule, rejetait au-dessus des toits de la gare une épaisse fumée noirâtre. Frémissante, la locomotive n’attendait qu’un ordre pour lâcher toute la puissance de sa vapeur. Les derniers passagers se pressaient sur les quais, avant de s’engouffrer dans les wagons embrassaient avec effusion les membres de leur famille. Prête à monter, Élisabeth faisait face à Louis et Odile, laquelle avait bien du mal à retenir ses larmes.


— Maman, je…

— Chut, ne t’excuse pas ma chérie. Les choses sont ainsi, je reviens te voir dès que j’ai réglé mes affaires à la maison.

— Ne vous inquiétez pas Élisabeth, je m’en occupe comme si c’était ma propre fille, ajouta Louis, autant ému.

— Je sais Louis, je sais.


Un coup de sifflet strident la fit refluer dans les entrailles du monstre d’acier, les deux battants de la porte se refermèrent d’un coup sec. D’abord en douceur puis de plus en plus rapidement, bielles et pistons entraînèrent les roues motrices. Derrière la vitre embuée, Élisabeth agitait la main vers l’homme et l’adolescente qui pouvaient encore accompagner l’avancée du train. Puis la locomotive s’arracha de la gare, fila au nord à toute vapeur. Un paysage s’éloignait, bientôt plus qu’une ligne d’horizon de pics et de sommets étincelants qui tutoyaient les cieux.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Anonyme   
12/2/2023
trouve l'écriture
perfectible
et
aime bien
Une belle trajectoire pour cette histoire, je trouve, je dois dire que je ne m'attendais pas à cette fin (même si je me doutais que le guérisseur allait mettre la honte à la science positiviste) et me dis aussi que le sacrifice réclamé par les forces montagneuses est somme toute bénin, je pensais à du vrai sang versé pour ma part.

J'ai plusieurs réserves sur l'écriture que je trouve par moments rapide, inattentive. Exemples :
Trop faible pour marcher, le cocher souleva la malade (j'ai l'impression que c'est le cocher qu a du mal à marcher)
Elle ne savait si elle devait blâmer ou non la scène éprouvante (je ne pense pas que le verbe "blâmer" soit bien choisi ici)

La nouvelle prend son temps, il me semble qu'il faut ça pour laisser se déployer l'intrigue, pour que je m'attache aux personnages ; à aucun moment la longueur ne m'a lassée. Un récit bien mené à mon avis, simple et solide mais dont l'écriture mériterait un polissage.

   Marite   
1/3/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Une bien belle histoire, réaliste et historique si j'en crois la catégorie de publication. Il existe tant et tant de choses que nous ignorons et que nous sommes incapables de percevoir même avec nos richesses acquises en sciences et technologies. Dans certaines civilisations le "monde invisible" et les puissances, bénéfiques ou maléfiques qui s'y trouvent ne sont pas remises en question par la modernité, mais, seuls des initiés peuvent y accéder, avec toujours un "prix" à payer et ce n'est pas seulement de la monnaie sonnante et trébuchante. Il faut y avoir été confronté une fois pour ne pas prendre à la légère ce genre de traitement. Très belle écriture qui nous porte, sans heurt jusqu'à l'heureuse conclusion.

   Asrya   
19/2/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Le texte est relativement bien écrit.
Il y a beaucoup de dialogues ceci-dit, peut-être gagnerait-il à être plus narratif.
C'est en tout cas ce que je retire des nombreux commentaires que l'on me renvoie, j'imagine qu'il en serait donc de même pour vous.

L'histoire est globalement sympathique. Bon, rien de neuf sous le soleil, mais est-ce nécessaire ? Pas certain.

Le miracle associé tend au surnaturel, suis-je prêt à l'accepter ? Le sommes-nous ? C'est une question que chacun sera libre de se poser à la lecture.
S'il s'agit d'une histoire "vraie", je vous prie d'excuser la maladresse de l'esprit cartésien qui sommeille sur ses lignes.

L'introduction de la femme de la région est intéressante, son langage d'autant plus. Le fait qu'elle parle dans son patois donne quelque chose de plus vivant et plus réaliste à la nouvelle. C'est une bonne chose de l'avoir fait parlé de la sorte.
Peut-être que le cousin de votre personnage principal devrait également avoir quelques expressions de ce type, à moins qu'il ne soit dans la région depuis trop peu de temps.

La fin me paraît très précipitée. Le fait que la jeune fille décide de rester sur place et de ne pas partir avec sa mère. Cela tombe un peu plat à mon avis. Soit cela manque de résonnance, soit de détails pour que l'enfant soit amenée à s'émanciper de cette manière ; soit il faut ancrer davantage la relation qui unit la mère et la fille, montrer que cette séparation soit un réel crève cœur pour la mère. Je ne sais pas.
Je ne suis pas totalement convaincu.

Ce n'est sans doute pas le registre de nouvelle que j'affectionne à la base, ce n'est pas mal écrit, mais cela ne m'a pas retenu plus que cela.

Merci pour le partage,
Au plaisir.

(Lu et commenté en EL)

   cherbiacuespe   
21/2/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Laruns, assiégée par les pics montagneux, les Eaux-Bonnes, ses thermes et son immense bâtiment. Je replonge loin dans le temps derrière moi...

Je note un ou deux passages courts qui m'ont laissé circonspect, mais insignifiants. C'est superbement écrit, attachant et palpitant à la fois, le suspense est total jusqu'aux dernière lignes, mené par un style attrayant, un verbe précis, riche (d'autres le jugeront peut-être vieillot). L'attention du lecteur gagne en intensité de paragraphe en paragraphe et de presque soporifique au début, devient rapidement entêtant. Les personnages sont attachants, et le mystérieux Bérard... Un excellent moment de lecture.

Cherbi Acuéspè
En EL

   Catelena   
1/3/2023
trouve l'écriture
perfectible
et
aime bien
Je me suis laissée prendre par l'histoire, malgré quelques lourdeurs dans l'expression. Elles seraient facilement rectifiables :

« des draps tachés d’expectorations sanglantes. » pourquoi pas tout simplement : des draps tachés de sang.

« Ce fut donc à rebours de la joie d’Odile qu’elle reçut la nouvelle » L'idée se comprend, mais la formule est trop alambiquée.

« Il y avait là une statue de la Vierge Marie, face à une rangée de bougies, dont la douceur du visage semblait l’accueillir. » Le satellite du pronom, en l'occurrence ''la statue'' se trouve trop loin de son groupe ''dont la douceur du visage'' donnant l'illusion que l'on parle ici de la ''rangée de bougies''.

« Trop faible pour marcher, le cocher souleva la malade comme un sac de plumes. » Là encore, il y a inversion des éléments laissant penser que c'est le cocher qui est trop faible pour marcher. Et ce, malgré la virgule.

Je n'ai pas tout relevé, mais il est évident que ce texte mérite qu'on le laisse reposer pour le reprendre en gommant les aspérités qui nuisent à la fluidité de la lecture. Je sais d'expérience que repérer une syntaxe qui devient bancale à force de trop la tourner en bouche n'est pas chose facile lorsque l'on a la tête dans le guidon.

Le style de la narration colle parfaitement à l'époque fin dix-neuvième. Du coup, pour moi, il y a moins d'empathie avec les personnages. D'ailleurs, c'est plus un tableau que je viens de lire, avec une grande partie décernée à la beauté de ce paysage de montagne. Habituellement c'est le paysage qui sert de décor, ici j'ai eu l'impression du contraire, que c'était la tranche de vie qui servait de prétexte pour parler du lieu.

Ceci dit, j'ai bien aimé le thème et la façon de l'aborder, ainsi que la chute avec son prix à payer, ma foi, plutôt bien trouvé.

Quant à croire au surnaturel, je me dis que tout ce qui peut faire du bien ne fait pas de mal.

Merci pour le partage, Malitorne.

   Corto   
1/3/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Malitorne,
Connaissant bien ces lieux et cette ambiance, je me suis régalé à la lecture de cette aventure. Le style est robuste comme un montagnard, les événements semblent racontés par un montagnard, bref on vit montagne, on galère montagne, on admire la montagne. Tout cela est très plaisant et les villes semblent bien éloignées.

Les personnages qui sauvent Odile ne doivent pas descendre souvent dans la vallée, mais hantent plutôt les sommets et les chemins de contrebande. Ils font vivre leurs pratiques et les ressources de leur "païs", ils sont étrangers aux pratiques citadines, et usent du langage local. Ils sont généreux.

Bref vous avez construit une ambiance impeccable, une intrigue bien constituée. Les personnages sont bien campés, notamment la mère "de Bordeaux" et l'oncle de la ville proche qui ne veut pas s'en laisser conter.
La seule réserve dans le déroulement qui m'étonne, est qu'un médecin bordelais ait pu envoyer en cure aux Eaux Bonnes une malade qui devait cracher ses bacilles tuberculeux tout autour d'elle ! Il me semble que l'heure était plutôt à l'isolement dans un sanatorium. Mais ne gâchons pas notre plaisir avec ces broutilles médicales...
Je ne regrette pas de m'être lancé avec hardiesse dans la lecture d'une si longue nouvelle ni de m'être immergé dans l'époque où la tuberculose flambait et où un train desservait Laruns.
Bravo.

   plumette   
2/3/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Malitorne

Un vrai plaisir de lecture pour cette nouvelle dont le cadre montagnard parle à mon coeur!
Et puis, j'aime ces récits qui nous font voyager dans un passé qui reste accessible à notre mémoire vivante: je veux dire par là que si nous n'avons pas connu personnellement cette période, nous avons pu avoir des récits et des photos dans les albums de famille ! C'est peut-être cette mémoire transmise et accessible qui nourrit ce type d'imaginaire et nous fait retrouver une forme et une langue qui colle à l'époque.
Parce qu'il y a là un travail de la langue que je reconnais même s'il pourrait être encore plus affûté.
J'ai beaucoup apprécié la première partie qui installe tranquillement les personnages dans le cadre. L'excursion pour découvrir les isards est très bien conduite, l'angoisse de la mère face à la détérioration de la santé d'Odile sonne juste et introduit habilement sa quête d'une solution qui va sortir des sentiers battus et de la médecine traditionnelle.
Tu nous diras si cette nouvelle a été écrite dans le cadre d'un concours et si oui, quel en était le thème?

j'ai une petite réserve: je pense que la nouvelle pourrait être un peu resserrée: en particulier la partie entre la rencontre avec la vieille femme dans l'église et la séance chez le guérisseur. Même si je comprends qu'il faut montrer l'hésitation de la mère et les réticences de l'entourage , cette partie m'a moins intéressée, je trouve qu'elle freine un peu trop l'élan narratif.

Au final, un texte de qualité qui nous fait revivre habilement une époque, sans prise de tête!

   papipoete   
2/3/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Malitorne
Par mon habitude à lire très peu à la fois ( chaque soir, je parcours 3 à 4 pages d'un roman ), et surtout écrire en format minimaliste, je me suis engagé dans cette aventure, qui put faire grincer les dents d'un ponte médical, comme celles d'un chanoine effarouché !
Cette fille qui souffre d'une maladie, que la médecine n'arrive pas à juguler, même pas trouver ce qui pourrait empêcher Odile, de tousser, s'époumoner... qu'on emmène voir un " génie " des montagnes, qui lui parviendra à la soulager, si ce n'est vraiment guérir !
NB 47000 signes, faut les écrire ! ne pas lasser le lecteur, le tenir en haleine du premier caractère jusqu'au dernier ; c'est une gageure que l'auteur parvient à tenir, entre petits détails de rien et présence déconcertante de cet homme et femme des montagnes.
J'ai sûrement perdu pied en chemin, trébuché sur les cailloux d'un dévers, mais le récit est très riche ; on sait de quoi il retourne malgré tout !
Des clins d'oeil à des films, où le héros mourant rencontre une sorcière, aux onguents magiques, et contre toute logique se relève, et sauve l'opprimé...
Pardon pour mon analyse hésitante, je n'ai aucune compétence en " nouvelle ", mais crois qu'elle est réussie !
PS l'mage jointe en diffusion, est belle avec son côté suranné

   Disciplus   
2/3/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Bonjour Malitorne,
Rubrique "Historique" pourquoi pas : l'ancien hôtel des Princes, la station thermale des Eaux-Bonnes, ses lieux de promenade, les thermes. Très convaincant. Réalisme? Petit doute. Je verrais ben "Fantastique/Merveilleux" : le surnaturel au secours de la pauvre fillette tuberculeuse. L'histoire est touchante, bien que prévisible.
Nombre de dialogues alourdissent la lecture sans apporter de plus-value à l'histoire. L'excursion aux izars mériterait d'être élagué. Ce n'est après tout qu'une anecdote. Bon point pour la description de la guérison miraculeuse. C'est le point fort du récit qui devrait prendre plus de place au détriment des rencontres avec la petite vieille et des multiples dialogues "interpersonnages" de la première visite, par exemple.
La chute de la nouvelle, si elle n'est pas la guérison, doit être le prix à payer. Le reste (épilogue) est, pour moi, superflu. A méditer : "La force de la nouvelle, c'est que les choses sérieuses commencent à la fin"
Lecture intéressante. Merci.

   Angieblue   
5/3/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Et bien, quelle belle inspiration ! On n'est pas loin de l'excellence.
J'ai vraiment apprécié l'écriture. Les descriptions des lieux sont très réussies et même parfois poétiques ce qui est la patte d'un vrai écrivain.

"La grotte aux parois brillantes d’humidité retenait son souffle. Dans les tréfonds de la terre grondaient des torrents de lave, des frottements de plaques en fusion. Une nuée de chauves-souris jaillit des ténèbres en vol désordonné, frôla Élisabeth qui scrutait avec une inquiétude grandissante la nappe liquide."

Il y a beaucoup de passages que j'aurais aimé citer, mais pas simple de les retrouver vu la longueur du texte.

Les personnages aussi sont bien décrits, on arrive facilement à se les représenter et même à s'y attacher.

Personnellement, j'aurais classé cette nouvelle dans la catégorie "fantastique/Merveilleux" car il y a de la magie avec l'histoire du sorcier et celle de la source miraculeuse cachée dans les montagnes.
Cette histoire de "Démon de la montagne" que l'on invoque pour guérir l'enfant malade m'a beaucoup plu, et aussi le fait que la jeune fille ne quittera plus cette montagne, sorte de prix à payer pour sa guérison, mais un prix sain car il s'agit d'un vie en harmonie avec cette nature merveilleuse.

Pour la forme, j'ai juste relevé dans la première partie du texte quelques bricoles d'erreurs dans les virgules. C'est simple, il faut juste retenir que l'on met entre virgules les groupes de mots que l'on peut supprimer ou déplacer dans la phrase.
Vu la longueur du texte, je ne retrouve pas les passages.

Il y a aussi une phrase avec un et/où qui ne sonne pas bien.
Je ne la retrouve pas non plus…

Et dans la dernière phrase du texte, pourquoi avoir écrit "Un paysage s'éloignait" et non "Le paysage s'éloignait" puisqu'il est défini ?

En tout cas, un grand bravo. Je suis épatée. On ressent le travail. c'est vraiment une nouvelle qui a le niveau pour remporter un concours.
Tu t'es surpassé. Félicitations !

   Cyrill   
9/3/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Malitorne,

Voilà une nouvelle qui m’a tenu devant l’écran sans problème. D’abord elle est aérée, ça compte. Des personnages bien campés, des dialogues qui coulent très naturellement.
J’ai apprécié que vous preniez le temps de poser le décor. Ainsi je me suis senti immergé dans la région et l’époque, dans la ville d’eaux, au point que je me demande si elles ne sont pas elles-même des personnages. Du moins semblent-elles avoir une importance certaine pour l’auteur que vous êtes. Le thème de la médecine parallèle ne me paraît abordé, finalement, que pour donner au lecteur une petite histoire et un peu de suspense à quoi s’accrocher... Quoiqu’on n’imagine pas vraiment que ça se termine mal pour Odile. Ce petit peu de magie fait écho à celle des paysages qui ont la part belle dans le récit, en contraste avec la relativement sage bourgeoisie du couple mère/fille.
J’ai beaucoup aimé la partie, qui fait le cœur du récit, où le guérisseur met en œuvre son art, la progression est vraiment bien menée.
La question de l’inexplicable face à la science médicale est posée sans peser.
J’ai relevé quelques accrocs mais comme les lecteurs précédents les ont notés aussi, je n’y reviens pas. C’est une écriture agréable globalement, un récit documenté qui a dû demander un travail que je salue.

Merci pour la lecture.

   Keanu   
12/6/2023
Bonjour Malitorne,

Une histoire immersive et visuelle qui ne manque pas d'ampleur ! J'ai senti un certain savoir-faire dans l'écriture sans fioritures et dans la conduite de la narration. Globalement, j'ai passé un agréable moment à vous lire, merci.

Le texte pourrait, selon moi, gagner en intérêt en en épaisseur en dépassant certains stéréotypes ou en prenant davantage de risques du point de vue stylistique, narratif et thématique.

En effet, si l'écriture est de bonne facture, je trouve qu'elle demeure assez générique et convenue. Un certain nombre d'expressions me semblent ainsi toutes faites, manquent soit de singularité, soit de précision, et donc de pouvoir d'évocation, que ce soit dans la description des lieux et des corps (« des paysages totalement nouveaux », « joliment fleuri », « lieu pittoresque », « solide gaillard », « sa silhouette se découpant dans l'azur », « gambader comme des fous », « spectacle unique », « teint livide », « brindille prête à rompre », « il y régnait une odeur particulière, de plante », « en parfait terrain inconnu », etc.) ou dans celle des événements et comportements/émotions des personnages, notamment de la mère (« agréablement surprise de découvrir le contraire », « ses yeux se mouillèrent de détresse », « qui allait d’extase en extase », « les épreuves nauséabondes du matin », « elle avait frémi à la vue des draps tachés d’expectorations sanglantes », « secouée par des sanglots », « stade tragique », « pensées douloureuses », « des larmes dévalant ses joues », « des pensées contradictoires se bousculaient », « un événement à classer dans l’insolite », « une consultation pour le moins déconcertante », « elle leva un visage éploré vers lui », « l’énergie du désespoir », « se débattre comme une furie », « hurla à fendre l’âme », etc.). Malgré une maîtrise certaine du rythme et un squelette narratif solide, cet aspect générique de l'écriture m'empêche d'être touché par les paysages et les personnages, qui ressemblent selon moi davantage à des décors et à des silhouettes de papier qu'à des réalités profuses et vivantes.

Je crois que cela tient également à un aspect trop direct, trop explicite ou exhaustif dans la manière dont vous distillez les informations et dépeignez les enjeux. Comme je l'ai dit, la narration se tient bien, mais je trouve qu'elle manque de creux, de reliefs, d'ambiguïtés, de non-dits ; la montée de l'intensité, bien gérée, peine à m'emporter dans la mesure où elle me paraît cousue de fil blanc. D'après moi, votre récit gagnerait en puissance si certaines choses étaient suggérées, montrées, voire passées sous silence, plutôt que démontrées, expliquées, alors même qu'elles semblent parfois évidentes au lecteur... Est-il par exemple nécessaire d'écrire, dans les différents passages concernés, qu'il s'agit de la « triste monotonie d’un patient en cure », que « ce mutisme ne rassura pas Élisabeth », que « portées en ces lieux pour être vaincues elles [les affres] avaient décidé de résister avec vigueur », qu'Élisabeth « n'était plus qu'une peur maternelle à l'état brut [...] une peur de perdre sa progéniture qu'elle chérissait par-dessus tout », etc. ? Les pensées des personnages et les étapes clés du récit paraissent ainsi souvent soulignées à mes yeux, trop vite et trop pleinement données, là où j'aimerais un peu d'espace pour engouffrer mon doute, mes impressions, mes incertitudes sensorielles.

Certains motifs me semblent également assez cliché et binaires, comme des images d'Épinal (le cousin grassouillet jovial fatigué de monter, l’enthousiasme candide de l’enfant malade envers les merveilles de la nature, la vieille guérisseuse borgne et bizarre dans l’église, l’opposition entre la bourgeoisie urbaine rationnelle et le petit-peuple païen des campagnes, entre le scepticisme de Louis et « l’espoir illogique » de la figure maternelle, etc.). Je trouve l'ambiance vraiment bien rendue par endroits, mais fondée un peu trop à mon goût sur des lieux communs. Comme leur nom l'indique, les lieux communs peuvent servir les histoires dans la mesure où l’imaginaire collectif, les mythes puisent en eux ; mais il faut alors, selon moi, leur donner un certain souffle, une certaine densité ou une certaine étrangeté à travers l’écriture.

Merci beaucoup pour ce texte que j'ai pris plaisir à parcourir !

   Zultabix   
13/10/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Malitorne,

Je n'irais pas par quatre chemins, je me suis véritablement immergé dans ces Eaux-Bonnes, tel un petit sucre se laissant fondre dans l'absinthe ! Tout cela pour dire que j'ai adoré de bout en bout votre nouvelle.
Et je m'arrêterais là, car ce matin dès l'aube à l'heure où blanchissent les montagnes, pendant plus d'une heure, j'ai lu attentivement et commenté ce texte, je l'ai envoyé, le site a mouliné, et mon commentaire, malheureusement, s'est évaporé dans les tuyaux.

Bien à vous !


Oniris Copyright © 2007-2023