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Fantastique/Merveilleux
Malitorne : Pictes
 Publié le 07/09/23  -  8 commentaires  -  9218 caractères  -  65 lectures    Autres textes du même auteur

À l'origine du mur d'Hadrien.


Pictes


Une nuée sombre de corbeaux tournoyait au-dessus du champ de bataille d’où s’élevaient râles et plaintes après le fracas des armes. Corps mutilés, fendus, sol rougi de sang, blessés implorant de l’aide au milieu de débris épars de fer et de boucliers brisés. Galanan arpentait cette désolation l’esprit vide, son épée au bout d’un bras lourd d’avoir tant frappé. Pour rien. La défaite, indiscutable, aux conséquences tragiques pour son peuple. Ses troupes constituaient le dernier rempart contre l’avancée de l’armée romaine, laquelle n’avait maintenant plus d’obstacle pour se déverser sur leur territoire. Il ne sentait pas la flèche fichée dans son épaule, sa douleur morale plus vive que la souffrance physique. L’adversaire s’était replié par stratégie, n’allait pas tarder à revenir pour écraser les derniers reliquats de résistance.


— Mon roi, que fait-on ?


Il se tourna vers le guerrier à la mine abattue.


— Ramassez les blessés, vite, il faut partir. Nous regagnons O’Noth, je dois parler aux chefs de clans.


Bientôt un long convoi d’hommes à pied, de chariots tirés par des bœufs, s’étira à travers une morne lande de genêts et de bruyères. Un temps maussade se joignit à l’humeur des vaincus. Les portes imposantes de la palissade d’O’Noth apparurent, s’ouvrirent en silence à la place des clameurs de joie espérées. La population, tête basse, resta muette au passage des combattants ; honte, désespoir.

Le bras en écharpe, Galanan pénétra dans la demeure royale. Dans la grande salle, debout devant le trône adjoint à celui de son époux, Meroflede l’attendait, vêtue d’une longue robe pourpre. Elle avait le regard fixe, un visage sans émotion. Avant qu’elle n’ouvre la bouche, il annonça d’emblée :


— Nous avons été vaincus.

— Je sais.

— Il faut abandonner les lieux, se mettre à l’abri dans les Hautes-Terres. Je vais convoquer l’assemb…


Il ne finit pas sa phrase, giflé avec force par Meroflede. Il resta hébété, sa main contre une joue écarlate.


— Femme, comment oses-tu ?

— J’ose, car c’est ainsi qu’on traite les lâches !


L’opulente chevelure rousse de Meroflede semblait gonflée de colère, encadrait une figure embrasée.


— Nous nous sommes battus jusqu’au bout ! Il est impossible de leur résister, impossible !

— Ce n’est pas une raison pour baisser les armes et fuir comme des pleutres, dit-elle en attrapant brutalement une esclave saxonne à ses côtés.


Elle lui tira les nattes en arrière, déchira sa tunique, exhiba ainsi aux yeux de tous la poitrine de la malheureuse. Elle sortit un poignard effilé de l’intérieur de sa manche, l’enfonça de plusieurs coups rapides sous un sein. Le sang inonda la peau pâle de la servante qui s’écroula au sol.


— Voilà Galanan ! Voilà, roi, comment nous finirons si tu cesses le combat !


Les spectateurs demeurèrent paralysés d’effroi, sous le choc de cette exécution imprévisible. Ébranlé, Galanan bredouilla :


— Mais… Meroflede… comment faire ?


Elle essuya son poignard sur sa robe, articula d’une voix dure :


— Quand l’épée ne suffit plus, il faut utiliser d’autres moyens. N’oublie pas d’où je viens.


* * *


Le jour commençait à s’assombrir quand un petit groupe d’individus, monté à dos de poneys, parvint au bord du loch Doon. Une passerelle partait de la rive pour atteindre une plateforme érigée au-dessus des eaux où se dressait une habitation en bois. La brume du soir effleurait la surface, comme de fins nuages posés sur le lac.

Une personne descendit de sa monture, traversa la passerelle jusqu’à la porte d’entrée de l’habitation surmontée d’un crâne de bélier. Elle eut une hésitation de courte durée, puis disparut à l’intérieur. Elle fut accueillie par un vieil homme, le visage et les mains tatoués de motifs aux couleurs bleues, qui ne parut pas étonné de cette visite tardive.


— Salut à toi Meroflede, fille de Dal Riata, je t’attendais.


La dénommée retira la capuche de son manteau en fourrure.


— Tu sais donc ?

— Bien sûr, la douleur des Pictes est portée par le vent.


Elle s’approcha d’un maigre feu alimenté par des blocs de tourbe.


— Ces ennemis sont puissants, organisés, mon époux ne réussira pas à les rejeter à la mer.

— Il ne peut y arriver sans l’aide des dieux.

— C’est la raison de ma présence ici, ô mage, il nous faut la force du ciel !

— J’ai bien compris Meroflede, mais tu en connais les conséquences. Les dieux n’assistent pas les mortels sans un dû en retour. Et les dieux sont cruels…


Elle se tut, pensive, son regard enfoui dans la lumière de l’âtre, puis s’exprima animée d’une détermination farouche.


— Je l’accepte.

— Soit. Tu es femme, Ogme refusera l’appel de ton sexe, j’invoquerai donc la volonté de Mórrigan.


Mórrigan, la déesse guerrière, destructrice des mondes, à cette évocation la visiteuse frémit de tout son être.


* * *


Les deux armées se faisaient face sur la pelouse verdoyante du glen Comhann. Réparties en carrés proprement alignés, les légions brillaient de leurs armures étincelantes. Disposition rigoureuse en contraste avec le désordre des tribus Pictes, mobilisées tant bien que mal par Galanan. Il avait dû user de toute sa persuasion, de menaces même, pour rallier les dernières forces vives du royaume. Les clans les plus reculés et les plus sauvages, tels les Selgovae qui combattaient entièrement nus, s’étaient joints, forcés, à l’ultime tentative de repousser l’agresseur. Ce qui était certain, c’est qu’une défaite signifiait à jamais la fin de de l’autorité de Galanan. S’il avait pu réunir ces indomptables, c’était aussi grâce à l’aura de Meroflede, descendante d’une lignée prestigieuse de mages. L’on murmurait avec crainte, à travers l’immensité des landes, qu’elle avait noué un pacte avec l’invisible. C’était bien à elle que pensait Galanan, évaluant les effectifs en présence avec angoisse, se raccrochant aux paroles de son épouse : « Quand tu verras une étoile en plein jour, dis aux nôtres de baisser la tête. »

Elle avait prononcé cette phrase énigmatique pour l’assurer de la victoire et, alors qu’il réclamait davantage de précisions, s’était contentée de rajouter :


— Nul ne supporte de contempler le divin.


Puis elle l’avait enserré dans ses bras, empreinte d’une émotion inhabituelle.


La légion s’était mise en branle, ses premiers rangs hérissés de pilums en direction des Pictes, accompagnée d’un essaim de flèches meurtrières, certaines enflammées. Malgré les boucliers brandis en l’air, beaucoup touchaient leurs cibles en retombant, perforaient les chairs. Impuissants, les bouillants Caledonii voulurent se ruer à l’attaque pour contrer cette pluie mortelle, Galanan hurla pour qu’ils tiennent leur place. Mais la tâche devint bientôt impossible, les légionnaires dangereusement proches.

Le chef n’avait d’autre choix que de donner l’assaut, ne pouvait laisser ses troupes se faire décimer sans réagir. Au moment où il allait lancer la riposte, l’épée levée, il distingua au milieu des nuages un point brillant, grandissant : l’étoile !


— Baissez la tête ! Baissez la tête ! Ne regardez pas !


L’ensemble de ses combattants avaient été prévenus, d’un mouvement collectif tous penchèrent leurs yeux vers le sol. La piété sans borne des Pictes ne contestait pas l’intervention des dieux, prêts à remettre leur sort entre leurs mains. Si Meroflede avait ordonné d’agir ainsi, alors il fallait obéir.

Perplexes, les centurions aux manœuvres se retrouvèrent devant une masse hirsute courbée, soudain passive. Se pouvait-il que ce soit un signe de soumission ? Victoire facile, commençaient-ils à croire, jusqu’à ce qu’une luminosité de plus en plus forte ne leur fasse cligner des paupières. Ils constatèrent que ce n’était pas le soleil qui irradiait de la sorte mais une boule de feu en train de fondre sur eux. Les Romains s’arrêtèrent, perturbés par cette lumière maintenant insoutenable. Les rangées perdirent leur bel alignement, chacun tentant de se protéger d’un éclat brûlant les rétines. Pareil à la foudre, retentit alors une énorme déflagration qui diffusa une onde luminescente sur le glen Comhann. Mórrigan ! Mórrigan descendue parmi les hommes !

Ce fut une débandade totale, les envahisseurs complètement aveuglés se heurtant les uns les autres, trébuchant, tombant à terre, pagaille de panique et d’incompréhension. Aux cris de douleur, Galanan comprit que c’était le moment, hurla à pleins poumons :


— À l’attaque ! Tuez-les tous !


Raz-de-marée furieux, les Pictes se déchaînèrent, taillèrent et massacrèrent à tour de bras l’ennemi divagant. Les lieux se couvrirent d’amas sanglants de Romains, des trous charbonneux en guise d’orbites oculaires. Du passage de la déesse guerrière ne subsistait qu’un cratère aux contours noircis.

Victoire acquise, Galanan rentra ventre à terre à O’Noth pour annoncer la bonne nouvelle à celle qui en était responsable. Il courut à la salle royale où Meroflede l’attendait, dos tourné.


— Ils sont battus ! Gloire aux Pictes et à toi, mon amour, qui a rendu la chose possible !


Elle se retourna, lui sourit malgré des yeux éteints obscurcissant son beau visage.


— J’en suis heureuse mon roi. Je ne verrai plus le monde mais au moins vivrai-je en liberté.


 
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   cherbiacuespe   
18/8/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Chronique historique plutôt bien écrite, sans forcer le trait. Le déroulement du récit en trois phases est cohérente, ainsi que la violence entre deux peuples qui ne se comprenaient pas. Il est vrai, néanmoins, que les romains n'étaient pas tendre avec les celtes, qu'ils fussent de l'ile ou du continent. La lecture est agréable, facilité par le choix d'un vocable simple. Appréciable et reçu 5 sur 5!

Cherbi Acuéspè
En EL

   Vilmon   
21/8/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,
Hola ! Très bien réussi ce récit ! J’ai adoré. Quelques améliorations mineurs pour certaines phrases, mais le ton est bon, l’ambiance est palpable, le rythme est entraînant. Je crois que les personnages sont bien campés, j’ai pu me les imaginer. Un peu extrême cette démonstration avec l’esclave saxonne. À savoir quelles parties tient de l’histoire réelle, je ne le sais trop. Je connais l’affrontement entre ces deux peuples et le mur d’Adrien, mais pas les détails. Une fiction basée sur des faits historiques que j’ai bien aimé.

   jeanphi   
7/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,

Je découvre un excellent récit legendaire où se retrouvent trivialité et exotisme à travers des décors obscures dépeints de main de maître. Je trouve les descriptions très denses, ramenant par le choix des mots et les tournures dépouillées d'artifices à la confrontation des univers celtes et romains d'une part, et à la noirceur d'un champs de bataille au premier millénaire par ailleurs.
On découvre également un superbe équilibre entre dialogues/narration et révélation des enjeux. J'ai l'impression que vous avez réfléchi cette courte nouvelle comme une pièce de théâtre classique, en respectant parfaitement vos propres règles de temps, de lieux et d'actions. L'abnégation désincarnée et le sens du sacrifice sont amenés depuis les premières lignes : "La population (...) honte, désespoir.", et ce jusqu'à l'issue finale.

   papipoete   
7/9/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Malitorne
9000 caractères, allez j'y vais !
Meroflede reine des pictes, reine de son mari Galanan roi sans gloire, qui rentre de la bataille, contrit et sûr que contre les romains, on ne peut rien. Une gifle magistrale lui fait comprendre le contraire !
Les pictes ( avec l'aide du Ciel ) baisseront le regard, mais pour mieux le relever, et finir par vaincre...
NB pas un instant, je ne fus tenté de lire en transversale, tant le récit flamboyait !
Se trouver " pleutre " devant sa reine, essuyer un camouflet et voir sacrifier une servante sur le champ, dut lui remettre les idées en place !
La visite au gourou, qui accepte la demande de Meroflede, lui fera gagner la guerre contre Rome, mais contre un " dû " en retour, que la dernière ligne semble signifier ? elle devra mourir...
Je ne sais si le texte est d'inspiration personnelle, ou tirée de faits réels ? mais je me suis senti prendre la baffe, et dresser les poils à vous lire jusqu'à la dernière ligne !

   Famineur   
7/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
L'écriture de ce récit est telle que je l'ai lu facilement. Je suis resté tout du long curieux de connaître la suite. Belle atmosphère expressionniste.

   Tadiou   
8/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Je n'ai pas vraiment accroché à ces histoires de combats, d'intervention divine et de sang. Mais bon, c'est bien raconté, avec force et pittoresque.
La petite panoplie de noms imprononçables m'a fait sourire... (Tout le monde ne peut pas s'appeler Dupont {Antoine} )

A une prochaine lecture.

Tadiou

   Lariviere   
11/9/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Bonjour Malitorne,

Certes cette nouvelle n'a pas vocation à révolutionner l'écriture pourtant j'ai pris plaisir à la lire d'une seule traite au point qu'arriver à la fin, je me suis dit mince et zut c'est trop court...

La qualité de ce texte c'est sa force d'évocation comme des bulles sorties tout droit d'un album d'astérix, sur fond et forme ce n'est pas une insulte bien au contraire !

merci pour cette lecture et bonne continuation

   Malitorne   
12/9/2023


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