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Nat : Étude comparée Foucault/Deleuze
 Publié le 06/10/07  -  3 commentaires  -  39295 caractères  -  111 lectures    Autres textes du même auteur

Dans les études de Foucault et Deleuze, les livres écrits par les malades, véritables \"cas\" d’écriture, servent de matière de réflexion pour les deux philosophes contemporains qui se plongent dans les procédés langagiers-mêmes des malades étudiés. Ces malades produisent des signes rompant avec toute fonction de signification. Leurs discours ne forment pas de totalité légitime, désignante, mais constituent ce que l’on pourrait appeler des « anomalies langagières ».


Étude comparée Foucault/Deleuze


Deux textes français contemporains, l’un écrit par Gilles Deleuze, l’autre par Michel Foucault, ont de nombreux points communs, le principal étant la conviction des auteurs que pour comprendre ce qu’est la maladie mentale, il faut s’intéresser au système de pensée du malade, et plus exactement à son rapport au langage ; ne pas l’étudier de l’extérieur, mais de l’intérieur. À ce propos, dans une note de sa « Schizologie », Deleuze écrit qu’une analyse psychosociale des familles où vit un schizophrène passe par l’étude des règles de sa pensée. Le premier texte étudié, Sept propos sur le septième ange, de Michel Foucault, est principalement consacré à la pensée de Brisset, un auteur psychotique, et à son incroyable système d’analyse de la langue. Le second texte, préface au livre Le schizo et les langues, est une étude faite par Gilles Deleuze du « cas » Louis Wolfson, un schizophrène conscient de sa maladie qui a écrit un livre sur lui-même. Deleuze centre son travail sur la notion de « procédé » des « parler-fous » ; d’ailleurs, le philosophe donnera plus tard une autre version de ce texte intitulé, cette fois : « Louis Wolfson ou le procédé ». Dans les études de Foucault et Deleuze, les livres écrits par les malades, véritables \"cas\" d’écriture, servent de matière de réflexion pour les deux philosophes contemporains qui se plongent dans les procédés langagiers-mêmes des malades étudiés. Ces malades produisent des signes rompant avec toute fonction de signification. Leurs discours ne forment pas de totalité légitime, désignante, mais constituent ce que l’on pourrait appeler des « anomalies langagières ». Ces « anomalies » nous montrent que le langage n’est pas qu’un outil de désignation, qu’il existe d’autres formes de langage atteintes par les auteurs « grâce » à la maladie. Les études de procédés langagiers des deux philosophes étudiés étant très spécifiques et complexes, nous étudierons les deux textes l’un après l’autre. Avec Brisset, Wolfson et les autres auteurs étudiés, nous découvrons les limites de notre propre langage, limites qu’ils ont transgressé, et commençons à entrevoir les implications de ces transgressions.


Sept propos sur le septième ange


On connaît de Brisset sept publications. Dans l’une de ses conférences en 1906, il rédige un programme dans lequel il écrit : « L’archange de la résurrection et le septième ange de l’apocalypse, lesquels ne font qu’un, feront entendre leurs voix et sonneront de la trompette de Dieu par la bouche du conférencier. C’est à ce moment-là que le septième ange versera sa coupe dans l’air. » Il y eut une cinquantaine d’auditeurs et Brisset, en colère, affirma que « nul n’entendrait désormais la voix du septième ange. » Qu’est-ce que le septième ange ? L’apocalypse selon Saint-Jean, dans la Bible est un récit de la destruction de l’humanité et de la résurrection des morts : « Le jour du jugement », surviendra lorsque le septième ange aura libéré les sept coupes de la colère, selon le chapitre 16 de l’Apocalypse. Le son de sa trompette ressuscitera les morts et le temps n\'existera plus, le mouvement du ciel n\'existera plus également, il est écrit : « Votre Soleil ne se couchera plus, et votre Lune ne souffrira plus de diminution. ». C’est donc Brisset que Foucault évoque en parlant du septième ange, Brisset qui se fait la voix du septième ange et « ressuscite les morts » d’une manière bien particulière que nous évoquerons plus tard. Sept propos sur le septième ange est l\'étude du phénomène quasiment pathologique de rejet de l\'idée d\'une langue primitive, phénomène ayant eu lieu au XIXe siècle ; dans le cadre de l\'étude traditionnelle de l\'origine des langues. Certains penseurs refusèrent l\'idée d\'une histoire diachronique, linéaire des langues, ils élaborèrent, pour certains, des systèmes et des méthodes d’analyse que l’on pourrait qualifier de fous. Foucault centre son étude sur Brisset, auteur psychotique, et deux de ses ouvrages : La Science de Dieu et La Grammaire logique. En effet, Brisset se situe à l\'apogée du phénomène en question. Le livre de Foucault comporte sept parties :


1. Il s’agit d’une introduction à laquelle Foucault n’a pas donné de nom

2. Le principe de non traduction

3. L’enveloppement à l’infini

4. Le bruit des choses dites

5. La fuite des idées

6. Les trois procédés

7. Ce que nous savons de Brisset


Premier étonnement de Foucault : Brisset affirme que sa Science de Dieu n\'est pas entièrement traduisible. Le philosophe essaie de comprendre pourquoi Brisset affirme cela. Il relève un paradoxe : Brisset essaie de trouver les origines communes de toutes les langues et pourtant, il affirme que des choses sont intraduisibles. En effet, la tradition voulait que cette origine commune soit « un petit nombre d’éléments simples liés aux choses-mêmes et demeurés sous forme de traces dans toutes les langues du monde. », comme l’affirmait Court de Gibelin. Par conséquent, tous les éléments d’une langue devraient être réductibles à ces « atomes » langagiers, et donc, tout devrait être traduisible.

Brisset, étrangement, ne recherche pas cette langue originelle mais, dans une optique qui n’est pas diachronique mais synchronique, étudie la langue dans son présent et y recherche son fondement. Cela se passe comme si la langue française était « sa propre origine », qu’elle était toujours composée des mêmes mots, mais ordonnés différemment.

Premier exemple : le mot pouce. Brisset écrit : « Ce pouce = ce ou ceci pousse. Ce rapport nous dit que l’on vit le pouce pousser, quand les doigts et les orteils étaient déjà nommés. Pous ce = prends cela. On commence à prendre les jeunes pousses des herbes et des bourgeons quand le pouce, alors jeune, se forma. Avec la venue du pouce, l’ancêtre devint herbivore. » Il y a primitivité de la langue pour Brisset, « un état fluide ». On peut la transformer à l’infini, et son pouvoir de désignation est originellement multiple. La langue d’aujourd’hui est, pour Brisset, sa propre origine. Cette langue est comme un jeu. Elle subit des transformations intrinsèques, se situe au paroxysme de l’idée de synchronie, à tel point qu’elle en devient absurde. Les mots changent de forme, ils sont découpés autrement, mais ce sont toujours les mêmes mots. Prenons par exemple l’analyse par Brisset du mot « démon » : « Le démon = le doigt mien. Le démon montre son dais, ou son Dieu, son sexe... La construction inverse du mot démon donne : le mon dé = le mien dieu. Le monde ai = je possède le monde. Le démon devient ainsi le maître du monde en vertu de sa perfection sexuelle... Dans son sermon il appelait le serf mon. Le sermon est un serviteur du démon. Viens dans le lit mon : le limon était son lit, son séjour habituel. C’était un fort sauteur et le premier des saumons. Voir le beau saut mon. » Foucault extrait une folle histoire du texte de Brisset, pour aider le lecteur à comprendre la pensée de ce dernier. Cette incroyable fiction servira de support de compréhension : le langage est en émulsion, comme le seraient des marécages primitifs. Les mots y sautent comme des grenouilles représentant des ancêtres, des atomes primitifs ; et elles y sautent de manière aléatoire. C’est comme si un jeu de dé constituait l’origine même du langage.

Par conséquent, il ne faut pas qu’il y ait d’origine étymologique du langage, il faut un système clos synchronique excluant toute diachronie. Donc, Brisset s’est évertué à montrer que le latin n’existe pas. Avec cette démonstration, il peut affirmer qu’il n’y a pas de langue élémentaire ; le primitif du langage étant juste un « coup de dé » dans une langue ayant surgi spontanément de rien.


Foucault compare les théories traditionnelles, antérieures, incluant l’idée d’une langue originelle, comme celles de Duret, de Brosses ou Court de Gébelin, et la théorie de Brisset. Que croyaient les penseurs traditionnels ? Quelles étaient leurs méthodes d’analyse ? Ils essayaient de réduire le langage à peu de mots, à peu de règles sémantiques et de règles syntaxiques. Leur but était de former une racine commune. Le langage serait comme un cornet, il aurait la « forme » d’une pyramide inversée dont le langage s’écoulerait dans sa multiplicité. En haut de cette pyramide il y aurait le cri ; si l’on suit la règle de simplification. Or, Brisset ne suit pas cette règle de simplification. Il décompose et démultiplie. Par conséquent, ses descriptions de la langue sont illimitées et impossibles à achever. Pourquoi procède-t-il ainsi ?

Il décompose, explose le mot analysé en combinaisons élémentaires. Un mot unique devient donc plusieurs mots considérés archaïques. Ces mots différents ont été tassés, contractés et globalement modifiés pour finalement aboutir au mot étudié ; celui-ci les contenant tous. Brisset appelle « science de Dieu » l’art de faire réapparaître ces mots archaïques à partir du mot de base. Foucault emploie une métaphore pour expliquer cette idée : tous ces mots forment un grand anneau autour du mot de base. La science de Dieu consiste alors à faire le tour de ce grand anneau.

Voici un exemple de l’application de cette « science de Dieu », l’étude du mot société : « En ce eau sieds-té = sieds toi en cette eau. En seau sieds-té, en sauce y était ; il était dans la sauce, en société. Le premier océan était un seau, une sauce ou une mare, les ancêtres y étaient en société. » Les états antérieurs d’une unité, cristallisés en elles, prolifèrent. Ils ne sont lisibles, perceptibles qu’aux initiés à la « science de Dieu ».

Le second facteur de multiplicité qui empêche la complétude de toute analyse d’un mot est que, chez Brisset, un même mot peut être analysé plusieurs fois et différemment. « À la limite, écrit Foucault, on pourrait imaginer que chaque mot de la langue peut servir à analyser tous les autres [...]. Si nous faisions passer n’importe quel mot d’aujourd’hui au filtre de tous les autres, il aurait autant d’origines qu’il y a d’autres mots dans la langue. Et bien plus encore, si on se rappelle que chaque analyse donne, en groupe inséparable, plusieurs décompositions possibles. » Paradoxalement, pour Brisset, rechercher l’origine de la langue amène à la démultiplier par elle-même.

Troisième et dernier facteur d’empêchement d’une analyse complète : l’analyse d’un mot mène, non seulement à une multiplicité de mots transformés, mais surtout à une multiplicité d’énoncés. Foucault cite comme exemple la double analyse étymologique d’ « origine » et « d’imagination » par Brisset : « Eau rit, ore ist, oris. J’is nœud, gine. Oris = gine = la gine urine, l’eau rit gine. Au rige ist nœud. Origine. L’écoulement de l’eau est à l’origine de la parole. L’inversion de oris est rio ou rit eau, c’est le ruisseau. Quand au mot gine il s’applique bientôt à la femelle : tu te limes à gine ? Tu te l’imagines. Je me lime, à gine est ; on ce, lime à gine ai, on se l’imaginait. Lime a gine a sillon ; l’image ist nœud à sillon ; l’image ist n’ai à sillon. » À l’origine, il y a des énoncés indéfinis, de toutes sortes, et des mots qui sont des fragments de ces énoncés. Les énoncés seraient donc, paradoxalement, antérieurs aux mots. De la même manière, avant les sons, il y a les mots. La parole est antérieure à tout, à la langue ou encore à la sortie, par l’homme, de l’animalité. En fait, pour Brisset, la création, par Dieu, de la parole, et la création de l’homme sont deux choses différentes : « démontrer la création de l’homme, écrit Brisset, avec des matériaux que nous allons prendre dans ta bouche, lecteur, où Dieu les avait placés avant que l’homme fut créé. » Tout ce système repose donc sur des conceptions religieuses.


Foucault sélectionne un passage significatif pour déterminer la manière dont Brisset procède lors de son étude de la langue ; il choisit l’étude comparative des mots « saloperie » et « duperie » : « Voici les salauds pris ; ils sont dans la sale eau pris, dans la salle aux prix. Les pris étaient les prisonniers que l’on devait égorger. En attendant le jour des pris, qui était aussi celui des prix, on les enfermait dans une salle, une eau sale, où on leur jetait des saloperies. Là on les insultait, on les appelait salauds. Le pris avait du prix. On les dévorait et, pour tendre un piège, on offrait au pris du prix : c’est du prix. C’est duperie, répondait le sage, n’accepte pas de prix, ô homme, c’est duperie. »

On passe de « saloperie » à « duperie » par épisodes narratifs multiples. Brisset fait passer d’un terme à l’autre par la partie commune : « pris ». Mais ce mot est démultiplié en plusieurs puisque des sens multiples sont distingués. À ce propos, Foucault écrit : « flexion du verbe prendre, abréviation de prisonnier, somme de monnaie, valeur d’une chose, récompense aussi (qu’on donne le jour du prix). » Donc, les mots sont éloignés par des scènes, des événements et des figures. Ils subissent une décomposition et une recomposition aléatoires, dans un mouvement chaotique infini. Finalement, et comme par miracle, tout se stabilise en un mot. Pourtant, à chaque fois que le mot était évoqué, il désignait une chose différente. Alors, qu’est-ce qui fait l’unité d’un mot ? Juste le son, sa phonétique, c’est pourquoi Foucault écrit : « c’est la série improbable du dé qui, sept fois de suite, tombe sur la même face. Peu importe qui parle et quand il parle, pour quoi dire, et en employant quel vocabulaire : le même cliquetis, invraisemblablement, retentit. » L’interrogation habituelle, conventionnelle, est celle-ci : quand le son est-il devenu langage, symbole ; à quel moment clé ? La démarche de Brisset est inverse : il se demande comment, dans la multiplicité infinie des scènes, le mot est devenu unique ; il veut comprendre comment un son unique a jailli de la multiplicité des situations langagières, des énoncés. Sa réponse est la suivante : le mot naît de tassement, de compression d’énoncés. Quand le mot jaillit, il a alors tous ses sens. C’est pour cela que Foucault écrit que « Brisset a inventé la définition du mot par l’homophonie scénique. » (L’identité de sons dans des scènes)


Les notions que nous venons d’évoquer sont issues de la pratique de ce que Foucault appelle l’« à-peu-près ». Le poète Raymond Roussel emploie également l’ « à-peu-près ». Comment s’y prend-il ? Foucault relève deux procédés chez ce dernier.


1. Roussel relève une phrase, un syntagme ou un mot. Ensuite, il répète cet élément dans des formulations légèrement différentes. C’est dans cet interstice qu’il glisse une narration, pour faire le lien.

2. Roussel prend aléatoirement un fragment de texte et extrait des motifs qui n’ont aucun lien entre eux. Ensuite, il relie ces motifs à l’aide d’histoires censées être des passages obligatoires entre eux.


Les mots sont partie intégrante des scènes chez Brisset comme chez Roussel. Ce dernier fait surgir une infinité de narrations à partir de simples différences phonologiques, comme entre « p » et « b », par exemple (« les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard » devient « les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard »). C’est cette infinité qui relie les sons. Tandis que Brisset, lui, fait du son le dénominateur commun de scènes infiniment multiples. Foucault écrit à ce propos : « Autour du son qui demeure aussi proche que possible de son axe d’identité, les scènes tournent comme à la périphérie d’une grande roue [...] elles forment, d’une manière absolument équivoque, une histoire de mots [...]. »

Un autre auteur emploie l’ « à-peu-près », il s’agit, comme nous le verrons plus précisément plus tard, de Wolfson. Son but est de renverser sa propre langue maternelle avant qu’elle ne l’emplisse, ne l’agresse. Il veut en effet la neutraliser grâce au passage par la langue étrangère vécue comme « neutre » car non chargée émotionnellement. L’ « à-peu-près » constitue le lien entre la langue maternelle « mauvaise » et la langue étrangère « neutre ». L’étudiant en langue psychotique fuit sa langue natale. Brisset fait l’inverse de Wolfson. Un mot en appelle une infinité d’autres ainsi qu’une infinité de scènes narratives. Les mots redeviennent des bruits insérés dans des histoires, des histoires qui leur rendent leurs sens : « tous les mots étaient dans la bouche, ils ont dû y être mis sous une forme sensible, avant de prendre une forme spirituelle. Nous savons que l’ancêtre ne pensait pas d’abord à offrir un manger, mais une chose à adorer, un saint objet, une sainte relique qui était son sexe le tourmentant. »

Brisset ne veut pas se libérer du lien entre les mots et les choses, mais, comme l’écrit Foucault, il « enfonce au contraire les syllabes dans le corps » c’est-à-dire qu’il re-matérialise le langage grâce à des histoires violentes, sexuelles, sauvages, cannibales, et donc on ne peut plus terre-à-terre. Pour Foucault, « il s’agit d’une scénographie phonétique indéfiniment accélérée ».


Foucault cite Deleuze et met en évidence l’importance du procédé dans la réflexion du malade mental sur le langage. Le procédé prend le pas sur la signification ou le refoulement. En changeant le procédé langagier, le psychotique veut changer les choses. Le procédé est la condition de possibilité des folles histoires, il constitue le passage entre le langage et la matière. À ce propos, Foucault écrit que « Brisset fait jouer la dévoration des hommes sous la griffe des mots redevenus sauvages. ». Voici les trois procédés des auteurs étudiés :


- Avec Wolfson, le procédé prend la forme d’une série « bouche-œil-oreille ». Wolfson veut purifier le langage d’éléments maternels, par conséquent, il met l’accent sur un procédé purificateur qui passe par les langues étrangères. Les mots maternels, l’élément « bouche », sont vite transformés en mots étrangers appris dans des livres, élément « œil », qui prononcés ou encore entendus par le biais de médias, font intervenir l’élément « oreille ».


- Avec Roussel, nous avons affaire à une autre série, la série « œil-oreille-bouche ». Roussel commence par observer les failles qui séparent des mots ou des termes similaires, ces failles constituent un véritable abîme aux yeux de Roussel, tout commence par l’élément « œil ». Puis, ce dernier joint ces termes grâce à des sonorités, c’est l’élément « oreille ». Et enfin, il les relie bel et bien grâce à des scènes, des histoires qu’il raconte, c’est l’élément « bouche ».


- Dans le cas de Brisset, nous trouvons en guise de procédé langagier la série « oreille-œil-bouche ». Il y a d’abord l’oreille, les sonorités répétitives, comme nous l’avons vu. Ensuite arrive la visualisation de scènes, c’est l’élément « œil », et dans ces scènes, il y a l’entre-dévorement des personnages, c’est l’élément « bouche », qui forme un pseudo-mythe généalogique du langage.


La caractéristique du rapport psychotique au langage est l’érection d’un organe qui domine les autres lorsqu’un autre organe est affecté par la psychose. Il résulte de cette domination d’un organe sur les autres l’apparition d’un nouveau procédé qui réorganise la pensée, l’esprit du malade. Avec Wolfson, par exemple, il y a domination de l’élément « bouche » qui mène à la traduction systématique de sa langue maternelle et à la symbolisation à l’extrême des langues. À ce propos, Foucault écrit : « À l’effacement d’une des dimensions du langage correspond un organe qui s’érige, un orifice qui entre en excitation, un élément qui s’érotise. »


L’étude de Brisset par Foucault met en exergue un rapport au langage différent du rapport normalisé, un rapport qui se situe au-delà de la signification ou de la désignation, un rapport narratif enfin. Ce dont nous parle Brisset, c’est de violence, de sexe, d’amour, de mort, tant de choses centrales dans nos existences et omniprésentes dans le langage de tout un chacun. Brisset rend au langage sa matérialité. Cette omniprésence est explicitée dans le travail de Brisset qui ne fait que dire ce que nous-mêmes disons, mais d’une manière infiniment plus riche et plus vive, vivante même. En dépassant nos frontières langagières, Brisset dit, du fond de sa maladie, et avec vivacité, ce que nous ne pourrions dire que maladroitement : le langage est « habité » de scènes vivantes et violentes.


Préface de Gilles Deleuze nommée « schizologie » au livre de Louis Wolfson : Le Schizo et les langues


J.B. Pontalis, directeur de la collection \"Connaissance de l’Inconscient\" chez Gallimard, découvre un jour le manuscrit du Schizo et les langues, dont l’auteur, Louis Wolfson, se surnomme lui-même \"l’étudiant en langues schizophrénique\". Étonné et fasciné, il accepte de publier ce livre mais demande d’abord à Gilles Deleuze de le préfacer. L’ensemble parut en 1970, Deleuze avait donné un nom à sa préface : \"Schizologie\". Celle-ci comporte neuf parties que voici :


1. Le procédé linguistique de Louis Wolfson

2. Ressemblance avec le « procédé » de Raymond Roussel

3. En quoi un document n’est ni œuvre d’art, ni œuvre scientifique

4. L’écart pathogène et la totalité non légitime

5. L’impersonnel, le conditionnel et les disjonctions schizophréniques

6. L’équivalence mots-nourritures

7. Inversions, écart pathogène et mère : logique de l’objet partiel

8. Transformation, totalité non-légitime et père : logique de l’objet complet

9. Schizophrénie, langage et sexualité


Wolfson invente un protocole de traduction de sa langue maternelle, l’anglais, basé sur la proximité phonologique. Son objectif est de faire correspondre à la langue qu’il ne supporte pas un équivalent langagier pioché dans toutes les autres langues qui constituent alors une véritable « tour de babil » (selon son écriture réformée). La langue refusée est alors morcelée en « à-peu-près » sonores et en fragments phonétiques.


L’auteur se nomme lui-même, dans son livre, « l’étudiant en langues schizophrénique » et il parle de lui-même à la troisième personne du singulier. Selon Deleuze, ce procédé indique à la fois :


1. le vide de son propre corps

2. un combat où le héros est obligé de parler de lui-même à la troisième personne, sous l’identité d’un « jeune soldat ».


C’est une entreprise dans laquelle Wolfson est réduit à une combinaison moléculaire et phonétique. Ce livre est un « protocole d’activité ou d’occupation », comme l’écrit Deleuze, dans la mesure où l’auteur raconte ce qu’il fait au quotidien.

Wolfson est américain, mais il écrit Le Schizo et les langues en français. Voici le procédé général de Wolfson : il prend un mot étranger de sens proche d’un mot de sa langue maternelle ou bien ayant des sons similaires ou des phonèmes communs. Les langues étrangères qu’il utilise sont surtout le français, l’allemand, le russe et l’hébreu. Son but est de convertir le plus vite possible une phrase maternelle en une ou plusieurs langues étrangères au son similaire. Les transformations passent par des intermédiaires selon des règles phonétiques censées couvrir un maximum d’espace phonétique. Le gros du problème se situe au niveau des consonnes car elles forment l’ossature du mot alors que les voyelles sont pour Wolfson comme une masse indifférenciée, malléable.

La traduction peut obéir à des règles d’inversion, par exemple, l’anglais « wire » donne l’allemand « zwirn » qui devient le russe « provoloka » où « wir » est inversé pour donner « riv » ou plutôt « rov ». Nous commençons à entrevoir que les problèmes de traduction doivent être nombreux et complexes pour Wolfson.

Pour résoudre ses problèmes, Wolfson perfectionne son procédé dans deux directions :

1. Il amplifie son procédé de base en s’autorisant des associations de mot plus libres

2. Il fait évoluer son procédé en démembrant, dissolvant le mot anglais à traduire par le biais d’un morcellement phonétique


Il y a des analogies évidentes entre le procédé schizophrénique de Wolfson et celui du poète français Raymond Roussel. Celui-ci reste dans le cadre de la langue française et transforme une phrase en une autre de sonorité proche mais de sens différent, en voici un exemple : « les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard » devient « les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard ». Les divers sens de ses phrases sont associables et ses phrases sont disloquées.


Mais les analogies s’arrêtent là. Wolfson ne fait pas de littérature et ne prétend pas en faire. Chez Roussel, la faille psychologique est comblée par des histoires merveilleuses, c’est dans ces histoires que naît l’art, l’esthétisme. Chez Wolfson, il subsiste un écart dit pathogène par Deleuze entre le mot maternel et le mot de conversion. Rien d’esthétique ne naît du procédé de l’auteur, il n’y a que de l’accidentel et des tentatives pour le surmonter. C’est d’ailleurs pourquoi il fait le récit de circonstances externes ; on trouve la description d’accidents réels et des transformations linguistiques qui en résultent.

Si la volonté de Wolfson est d’opérer des transformations phonétiques d’ordre scientifique, son travail n’est malgré tout pas œuvre scientifique. En effet, le travail de Wolfson n’a pas de légitimité formelle car la totalité de référence de Wolfson est illégitime. En voici les raisons :


1. Elle est l’ensemble indéfini de tout ce qui n’est pas anglais

2. Aucune règle syntaxique ne définit cet ensemble ; il n’y a pas de correspondance entre sens et son, ni de règle de base de transformation de l’anglais


Par conséquent, le symbolisme du système de Wolfson est insuffisant, l’écart pathogène n’est pas comblé et une totalité émerge (tout ce qui n’est pas anglais) qui en fait n’en est pas une car elle n’est pas définissable. C’est ainsi que Louis Wolfson vit sa propre pensée ironiquement, il l’envisage comme un simulacre.


Deleuze affirme que ce que fait Wolfson a un sens, son procédé symbolise quelque chose : la destruction de sa langue maternelle. La décomposition de cette langue passe par les autres langues, toutes ensemble réunies, en quelque sorte, contre l’anglais. Wolfson veut « tuer » sa langue maternelle. Deleuze écrit à ce propos : « La linguistique comme meurtre rituel et propiatoire de la langue maternelle. Tout part de là : l’auteur ne supporte pas d’entendre sa mère parler. » De là émerge un nouveau problème pour Wolfson : comment apprendre les langues étrangères sans passer par l’anglais ? Il utilise des dictionnaires inter-langues.


Wolfson utilise des moyens de défense complexes contre la voix de sa mère tout comme la mère combat « pour le bien de son méchant fils dément », comme l’écrit Wolfson. Lui se protège en se répétant des phrases étrangères dans la tête quand elle parle ou bien en lisant un texte en langue étrangère ou encore en utilisant des moyens de ne pas l’entendre, comme la radio, par exemple (toujours sur des fréquences étrangères, évidemment). La mère combat avec son agressivité et son autorité. Par exemple, elle entre brutalement et bruyamment dans la chambre de Louis Wolfson, parfois elle met une radio anglaise à plein volume ou encore elle entre silencieusement dans la chambre et « crie très vite une phrase en anglais ». De plus, Wolfson doit toujours être très vigilant puisque même dans la rue, sa langue maternelle peut surgir à tout moment.


L’étudiant en langues s’adonne à des orgies alimentaires en réponse aux agressions de sa mère, quand celle-ci n’est pas là. Le problème est qu’il s’interdit de lire les étiquettes en anglais, sauf pour les termes faciles à convertir en langues étrangères. Par conséquent, comme en général il ignore ce que les boîtes contiennent, il ingurgite tout sans discernement. Et c’est la même culpabilité qui l’envahit quand il mange et quand il entend sa mère parler. Alors il couvre son sentiment de culpabilité en répétant des dizaines de fois des phrases apprises par cœur, il fixe son esprit sur un nombre de calories ou sur des formules chimiques. Purifiée, c’est-à-dire intellectualisée, la nourriture devient supportable. Il y a, de plus, correspondance entre structure chimique et mots étrangers car Wolfson fait correspondre une association de mots à une absorption de calories, ou il identifie les éléments phonétiques étrangers à des formules chimiques de transformation.

Nous avons donc une équivalence « mots maternels - nourritures mauvaises » et une équivalence « mots étrangers de transformation - formules, liaisons atomiques instables ». Voici le problème fondamental de Wolfson : les mots maternels et les nourritures sont la vie tandis que les langues étrangères et les formules atomiques sont le langage, comment penser le rapport entre vie et savoir ? Wolfson cherche la justification de la vie qui, pour lui, n’est que « souffrance et cri ». Et cette justification est le savoir qu’il identifie au Beau et au Vrai. Les langues étrangères sont réunies contre l’anglais, tout comme les combinaisons atomiques sont réunies contre le corps vécu dans la souffrance. À ce propos, Deleuze écrit que « seul un « exploit intellectuel » (il cite Wolfson) est Beau et Vrai, et peut justifier la vie [pour Wolfson] ». Mais l’étudiant en langues emploie des « totalités grotesques » qui ne suffisent pas à réduire la faille entre vie et savoir. En fait, les langues étrangères désamorcent la langue maternelle, la rendent inoffensive ; tout comme la table périodique des éléments permet un retour au corps et à des aliments « purifiés ». On en arrive finalement à une union de la vie et du savoir. Deleuze fait alors une comparaison more-geometrico :


mots maternels = nourritures = (vie)

langues étrangères = structures atomiques = (savoir)


Les numérateurs sont des objets partiels, donc des fragments redoutables ; ils ont une importance capitale dans la maladie du schizophrène. Mais attention, pour Wolfson, le fragment n’est pas le fragment d’un tout, mais il est plutôt fragment primordial, originel et impossible à totaliser. Les fragments sont rebelles car ils n’appartiennent à aucun tout et ne passent dans rien d’autre. Ils n’ont pas réellement de sens car sinon ils seraient déterminés et donc catégorisables. Les fragments sont donc rebelles à la symbolisation et tout ce qu’ils représentent devient fragment. Ils sont multiples, mais d’une multiplicité qui n’est pas numérique. À leur propos, Deleuze écrit que « les objets partiels sont eux-mêmes des morceaux numériques qui se disputent les morceaux organiques de ce qu’ils représentent, chaque morceau emportant de son côté un morceau du représenté [...]. C’est ce rapport « morceaux sur morceaux » qui exclut toute totalité, transformation ou totalisation. » Le fragment est divisible par lui-même, on obtient des morceaux hétéroclites d’objets hétéroclites partiels. L’objet partiel renvoie au système « bouche-anus » et renvoie au corps de la mère considéré comme boîte, réceptacle.

La mère est dite s’adresser à Wolfson avec « un accent de triomphe ». Elle a un rôle de femme phallique face auquel ses deux maris font pâle figure. Elle est borgne et Wolfson associe son œil de verre à un pénis artificiel ; il considère même le pénis comme un organe féminin. Wolfson, selon Deleuze, désirerait être possédé « fémininement par la mère aux multiples pénis, la Méduse borgne, et avoir des enfants d’elle », c’est comme cela que le philosophe explique l’érotisme anal de Wolfson et sa phobie des vers et des larves.


Le problème de Wolfson n’est donc pas un problème de désignation, de sens. Le rapport entre morceaux verbaux et organiques est un rapport d’imbrication violente, Deleuze parle d’un « puzzle dont il faudrait forcer les pièces ». D’où l’équation deleuzienne :


Mots éclatés = vie injuste et douloureuse

Nourritures morcelées


Choses et mots ont un rôle bien spécifique oral et les règles de l’objet partiel les imbriquent de force et suspendent tout rapport de désignation et de signification.


Deleuze se demande ensuite comment le schizophrène réagit à ce morcellement. Wolfson lui oppose un corps complet, comme l’écrit Deleuze : « clos, lèvres serrées, oreilles bouchées, corps de musique fluide et immortel, organisme sans organes et sans parties, radio-fermée. » Aux mots morcelés, il oppose des mots entiers venus des autres langues. S’il pâtit des mots morcelés, il agit réellement lorsqu’il les intègre aux langues étrangères. Alors, Deleuze pose un nouveau problème : Comment Wolfson passe-t-il de la passion à l’action ? L’écart entre le morceau, que nous avons vu non-totalisable doit être intégré dans une totalité étrangère, ce qui semble impossible. Un principe totalisant extérieur doit intervenir. L’étudiant passe par deux circuits d’introduction à la langue étrangère :


1. Il emploie un dictionnaire de langues étrangères

2. Il mémorise une phrase dans une langue et essaie de retrouver les sons sur un disque


Selon Deleuze, la totalité, en tant qu’objet complet, se construit toujours sur deux circuits, « à deux vitesses ou suivant deux directions à la fois, comme les deux cercles du ciel en sens inverse, ou comme les deux dimensions d’un espace du tout et d’un temps de la totalisation ». Il y aurait des cercles intérieurs et un cercle extérieur. Les cercles intérieurs sont les mots étrangers et les techniques de transformation qui font d’éléments épars les parties d’un tout. Le cercle extérieur est l’élément commun de la totalité. C’est en ce sens que Deleuze écrit qu’il « introduit une commune mesure dans toutes les règles et impose une période à tous ses éléments. » C’est ce double circuit qui intègre de force les éléments rebelles. La schizophrénie de Wolfson se manifeste donc dans un problème de transformation et de totalisation. Pour traduire, l’étudiant a besoin d’un ensemble périodique totalisateur, ce qui explique qu’il mette en rapport les mots étrangers avec des formules chimiques et des éléments radio-périodiques.


Les mots étrangers entrent dans le cercle intérieur de la totalisation tandis que la table périodique constitue le cercle extérieur, les deux ne pouvaient qu’être extrêmement liés pour Wolfson. Il faut penser leurs rapports en terme de forces qui s’intriquent, qui travaillent ensemble, qui se répondent. C’est pourquoi Deleuze écrit qu’ « à la loi de l’objet partiel « morceaux sur morceaux », répond le principe du tout comme objet complet « flux dans flux » ». Voici donc une nouvelle équation deleuzienne :


mots étrangers = savoir (reformation et restitution de l’objet complet)

structures atomiques


D’après l’analyse psychanalytique que fait Deleuze, il serait « naturel » de chercher le principe de totalité et de transformation du côté du père de Wolfson. Mais celui-ci en a deux (premier mari et beau-père), il n’y aurait donc pas de totalité légitime. Les deux pères seraient plutôt le signe de l’absence de cette totalité, d’autant plus qu’ils sont « fluides », insubstantiels face à une mère phallique.

Wolfson assimile ses deux pères à des formules chimiques et radio-éléments ce qui, d’après Deleuze, dénonce « le caractère illégitime du tout », une fausse totalité comme l’est celle de tout ce qui n’est pas anglais. Il semblerait que mère et père ne remplissent pas leurs fonctions idéales, le « symbolisme du tout et des parties » est touché. L’écart pathogène attribué à la mère ne peut pas être comblé car le père est absent. Mais attention, la responsabilité de la maladie n’est pas à attribuer à ce cadre familial, plutôt au filtre du malade qui interprète les événements. C’est pourquoi il fallait s’intéresser au mode de raisonnement du schizophrène même.


Wolfson expose finalement ses certitudes : « le savoir ne peut pas s’opposer à la vie parce que même quand il prend pour objet la formule chimique la plus morte de la matière inanimée, les atomes de cette formule sont encore de ceux qui entrent dans la composition de la vie organique, et qu’est-ce que la vie sinon leur aventure ? Le savoir ne peut pas davantage justifier la vie, parce qu’il n’a pas la continuité ni la totalité nécessaire. D’autre part, la vie ne s’oppose pas non plus au savoir, car qu’est-ce que le savoir sinon l’aventure de la vie dans le cerveau des grands hommes [...] ? Et la vie n’a pas à être justifiée par le savoir, car les plus grandes douleurs sont déjà justifiées par ceux-là mêmes qui les éprouvent, et qui en tirent un merveilleux enseignement de martyre, d’intelligence et de charité ; quant aux petites douleurs, celles que nous nous donnons pour nous prouver que la vie est supportable, c’est elles qui nous apprennent un jour que la vie se dérobe à toute justification. » C’est ainsi que l’étudiant accepte l’idée que la vie soit injustifiable et qu’elle n’a pas à être justifiée. Cette révélation est apparue alors qu’il était malade mentalement, tout son cheminement y trouve son accomplissement. L’usage non-conventionnel du langage a des choses à apprendre, il est même précieux ; qui est le plus aliéné, celui qui se cantonne à un rapport de désignation ou de signification du langage ou celui qui, volontairement ou sous la contrainte s’en extrait ? Deleuze et Wolfson interrogent donc notre rapport au langage.


Le langage lui-même est en effet, selon Deleuze comme selon Foucault d’ailleurs, rempli d’histoires de sexe et d’amour dont on parle de manières diverses. Il existe une « histoire sexuelle du langage » abordée, consciemment ou inconsciemment, grâce à des procédés linguistiques particuliers. Le langage et la sexualité, cessant d’avoir un rapport de désignation, ont un rapport de « signification » et c’est sous cette forme qu’ils s’expriment dans la névrose. Mais dans la psychose, le rapport de signification même est abandonné même si le discours du malade parle toujours d’amour et de sexualité. Les choses sont « imbriquées » dans les mots et le savoir y est insufflé, relativement aux lois du fragment et de la totalité que nous avons évoquée. Le procédé prend alors la place de la désignation et de la signification même si l’objet dont il est question est toujours le même, même si le malade n’est pas toujours conscient du procédé mis en place. C’est parce qu’il a su découvrir le procédé de sa propre psychose que Wolfson est exceptionnel et que son œuvre est riche d’enseignement dans le domaine de l’étude du langage.


Dans cette première version du texte, Deleuze insiste sur le lien de causalité entre le procédé de Wolfson et sa maladie. C’est à ce niveau que Deleuze fait des modifications importantes dans la seconde version du texte, celle publiée vingt ans plus tard dans Critique et clinique. Il réduit les analyses psychanalytiques et s’éloigne de tout « modèle psychotique ». En revanche, son propos politique est nettement plus perceptible. Deleuze pose plus explicitement le problème d’un modèle langagier à suivre en s’interrogeant sur sa normativité, sur la nature de ses lois et sur ses conditions de possibilité. Le cas Wolfson étant un cas isolé, Deleuze tente alors d’en extraire ce qui n’est pas qu’individuel et peut donc avoir un véritable poids politique. La parole de Wolfson devient un combat contre toutes les totalités enfermantes et non plus seulement contre sa mère.


 
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   studyvox   
7/10/2007
Merci pour cette étude sur le langage et la folie.
Je suis loin d'avoir tout compris, mais cette discussion m'a ouvert l'esprit, sur le problème de l'autisme et de la communication.
Pour un domaine aussi difficile, il faudrait avoir lu des documents supplémentaires.
Je suis allé consulter la page sur Gilles Deleuze, dans "wikipédia" :
Gilles Deleuze, sur wikipédia
Cela m'a aidé pour la compréhension de cet article très intéressant.

   Anonyme   
6/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J’ai trouvé cette "Etude comparée" passionnante. C’est intrigant et paradoxal : la maladie mentale est une sorte de dépassement infernal de l’esprit ; et l’étude de cette anomalie permet de mieux comprendre notre propre rapport au langage, qui s’avère limité par rapport à celui d’un névrotique, par exemple.
En te lisant, je crois avoir compris que le langage n’est pas seulement un moyen de désignation équivoque et abscons, mais que c’est aussi un outil qui permet de donner un autre sens au monde, de créer ou de découvrir d’autres univers. La maladie mentale n’est donc pas seulement un handicap puisqu’elle permet d’explorer de "nouveaux horizons".

   Anonyme   
12/9/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je me demande si, ayant moi-m^me usé de procédés langagiers se rapprochant de ceux qui sont décrits ici, je ne serais pas ... Docteur ? ^^
C'est un ""exercice" à la fois affolant, c'est le cas de le dire, et jubilatoire. J'ai eu l'occasion de lire Foucault à propos d'Antonin Artaud. Je n'en ai gardé que le souvenir assez vague d'une réflexion très pointue, et difficile à comprendre. Il en est de même pour celle-ci, qui cependant m'a beaucoup intéressée.
Il me semble avoir déjà entendu parler de Wolfson (fils de loup ??? Tiens tiens !)

Le procédé de Brisset est celui qui m'a le plus plu !


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