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Sentimental/Romanesque
OiseauLyre : La nuit est belle
 Publié le 19/09/19  -  9 commentaires  -  7398 caractères  -  72 lectures    Autres textes du même auteur

Une bonne partie de la vie nous échappe pendant notre sommeil.


La nuit est belle


La nuit s'était faufilée pour surprendre les passants, mais il n'y avait plus d'espace entre les voitures. Il s'alluma une deuxième cigarette. Dans cette rue l'éclairage manquait et c'était un point incandescent qui dérivait dans le néant. Son ami tituba.


– On n'aurait peut-être pas dû prendre une deuxième bouteille.

– C'est juste le trottoir.

– Je ne pensais pas qu'il ferait aussi froid. Une cigarette ?

– Non. C'est ironique. J'ai toujours détesté cette ville et maintenant que tout dort, je commence à l'apprécier. Ça doit être le calme ou la lenteur des choses.

– On n'aurait vraiment pas dû prendre cette deuxième bouteille.


Un rire posséda les deux hommes. Le monde cachait bien ses crocs et ses serres. Il semblait presque docile dans l'obscurité. La lumière chaude de quelques réverbères créait une sérénité qui n'existait pas.


– Tu aurais pu mieux finir qu'entre ma fumée et ces façades. Comment elle s'appelle déjà ?

– Si je suis ici avec toi c'est que je n'ai pas pu.

– Comment tu as géré ces... concurrents ?

– J'ai attendu.

– Et ?

– Puis j'ai fait une blague sur les banquiers. Tout le monde sait que les banquiers sont ennuyeux.

– Mais elle est banquière ! Je ne comprends pas.

– Justement. Une femme comme elle a l'habitude de se faire draguer. Il fallait faire preuve de retenue.

– Ensuite ?

– Tu as ouvert une deuxième bouteille et la suite tu la connais.


Ils étaient dans une de ces villes construites par des morts, sur lesquelles avaient poussé des parkings et des centres commerciaux. Une demi-lune se tordait le cou à essayer d'apparaître entre deux immeubles. Une gargouille triste surplombait un parc à vélos.


– J'ai cru que cette fois c'était la bonne. J'en ai marre, je veux autre chose que ces clopes entre mes lèvres.

– C'est vrai que tu progresses peu ces temps-ci. Tu es encore allé trop vite. Je t'ai prévenu pourtant.

– Elle avait l'air ouverte pourtant j'ai l'impression, non ?

– Elle a dû te sourire une paire de fois et toi tu t'es mis à l'imaginer à poil dans ton lit.

– Tu es piquant.

– Je veux ton bien.


Il essaya de s'allumer une troisième cigarette mais le feu ne prenait pas. Le béton dessinait des lignes droites qui découpaient le noir en gros morceaux. Les étoiles avaient déserté depuis longtemps. Il n'y avait rien à se mettre sous la dent à part cette conversation.


– J'ai essayé de faire comme Bruno ce soir. Il finit jamais ses soirées seul lui.

– Bruno se rase le torse et fait du kitesurf en hiver, tu ne peux pas être Bruno.

– Qu'est-ce que tu proposes d'autre ?

– Quand elle a voulu jouer avec ton briquet, fallait laisser faire, attendre que ça prenne, être tactile. Toi, tu te jettes sur ses lèvres sans préparation, bien sûr qu'elle va te repousser. Quand l'autre t'a proposé d'aller fumer à deux sur le balcon, il fallait y aller au lieu de courir après la première.

– Et toi t'étais où pour m'orienter ?

– Derrière toi pour te botter le cul mais il fallait que j'apparaisse civilisé.

– Rien d'autre ?

– Y a du boulot. Comme on le dit tout le temps aux perdants, l'important est de participer.

– Je vais fumer pour oublier.


Ils étaient en lisière de banlieue comme s'ils étaient en lisière de forêt mais les arbres avaient une sale gueule. De grands entrepôts allumés diffusaient une lumière métallique. On la voyait se refléter sur le ventre de quelques nuages.


– Ton problème est que tu es comme certains enfants à Noël.

– Quoi ?

– Ils ouvrent les cadeaux à minuit et vont se coucher au lieu d'attendre le matin. Ils ratent le plus important, la venue du père Noël.

– Mais le père Noël n'existe pas, qu'est-ce que tu me racontes ?

– Ce soir le père Noël offrait une petite culotte noire ou bleu marine. Oui, je l'imagine bien en bleu marine.

– Tu m'épuises.


Ils traversaient les nouveaux quartiers sans savoir que la modernité était en fait un empilement de cubes et de cylindres. Et ces constructions très ingénieuses portaient le nom de planètes inconnues ou de dieux grecs.


– Il faut que tu trouves ton propre style. Tu ne peux pas imiter les autres parce que ce qui marche sur eux ne marche pas forcément sur toi. Et arrête la cigarette aussi.

– J'ai cru que ça me donnait un petit air...

– Ça te donne une haleine désagréable et les dents jaunes. Par contre, tu peux garder le briquet.

– Le briquet ?

– Pour dépanner les filles qui veulent fumer en ta présence. Tu pourras toujours dire « je suis en train d'arrêter » ou « ça fait trois semaines et deux jours que je n'ai pas fumé », c'est élégant.

– Je commence à comprendre.

– Et puis détends-toi, tout ça est un jeu. Ça ne sert à rien de prendre un air détaché quand on tremble des mains et des genoux. Il faut vraiment être détaché et pour ça rien de mieux que d'être clair avec soi et les autres.

– Euh... oui.

– Je veux dire qu'il ne faut pas s'inventer une vie.


Cette ville ne ronflait pas. On pouvait écouter parler les deux hommes des kilomètres à la ronde. Quelques fenêtres s'allumaient parfois pour disparaître plus tard dans le noir. Le matin en embuscade tendait l'atmosphère de cette fin de nuit.


– Je répète ma question. Pourquoi tu es ici avec moi au lieu d'être ailleurs ? Je ne te nargue pas, je suis curieux de savoir où ça a pu merder.

– Je suis comme toi, je ne peux pas être Bruno, je ne peux pas me permettre de payer un taxi pour deux à cette heure.

– Tu veux dire que c'est juste un problème de logistique ?

– C'est le plus important.

– Je te trouve détendu malgré tout.

– Il ne faut pas s'énerver pour les choses qui ne dépendent pas de soi, j'ai appris ça d'un Grec. C'est pas moi qui fixe les tarifs des taxis et c'est pas moi qui décide de mon salaire. Par contre, on aurait dû attraper ce dernier train de banlieue au lieu de traîner.

– J'aurais appris moins de choses.


Ils sourirent. L'excitation de la soirée était retombée, les bâillements devenaient incessants. Le monde perdait de temps en temps de sa réalité ce qui le rendait plus sordide que d'habitude.


– Je veux revenir sur cette histoire d'aller trop vite.

– Je t'écoute maître.

– C'est une sale habitude. Tu es en face d'une fille qui te plaît, qui sourit, qui se caresse les cheveux et toi tu ne penses qu'à la conclusion de la rencontre, bonne ou mauvaise.

– Je devrais penser à quoi ?

– Au plaisir d'être là et d'avoir une jolie fille près de toi. Un conseil, la prochaine fois tais-toi cinq minutes et prends le temps de savourer ses traits et sa voix. Tu verras, tu seras détendu et tu diras moins de conneries. Sans compter tous les bons compliments que tu pourras sortir, pour une fois ils seront sincères.

– Et la conclusion ?

– Elle vient ou elle ne vient pas, il faut juste être prêt à l’accueillir. À trop vouloir forcer les choses, tu gâches tout. Déjà que nous allons tous tôt ou tard mourir, s'il fallait penser à la fin en compagnie d'une jolie fille, quel ennui. Ici c'est la même chose, il faut savoir faire abstraction. Prendre ce qu'il y a à prendre.

– Rentrer avec toi à pied était une bonne idée, j'ai appris des choses. Le vin te rend bien philosophe ce soir.

– J'espère que la prochaine fois tu me devanceras en taxi.


Il lui tapota dans le dos. L'horizon s'alluma d'un trait, comme l'embrasure d'une porte, et le jour y pointa son gros nez de voyeur. Les deux amis accélérèrent le pas. Ils voulaient éviter l'aube et sa lumière sur la laideur de leur quartier.


 
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   cherbiacuespe   
21/8/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Mazette, quel spectacle! Ou l'élève finit par être convaincu par le professeur, la leçon de philosophie en supplément : "Il ne faut pas s'énerver pour les choses qui ne dépendent pas de soi". Un conseil qui s'applique à tout, et un excellent conseil qui peut aussi se dire à l'envers "Il ne faut pas s'énerver pour changer en bien les choses qui dépendent de soi".

Intercaler la description d'un environnement pitoyable qui entourent nos deux sympathiques lascars est une belle trouvaille. C'est une mise en valeur des dialogues très astucieuse et qui fait mouche.

Écrit avec des tournures simples, cette nouvelle se lit facilement et avec plaisir. On progresse lentement sans s'ennuyer alors que, manifestement, le sujet est d'une banalité sans intérêt. Et pourtant... L'art de l'artiste! On est surpris de continuer à lire et désirer connaître l'ultime conseil.

   Corto   
24/8/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Nous avions déjà 'L'école des Femmes' de Molière, voici maintenant L'Ecole des Hommes. Evidemment ce n'est pas du même niveau...

Ce retour des deux hommes un peu ivres rentrant dans leur banlieue pourrie à la fin de la nuit ne manque pas de piquant. Disons que quelques conseils basiques de vie en société ne peuvent pas faire de mal.

Néanmoins côté style il semble que les dialogues restent au ras du trottoir tandis que dans les intervalles descriptifs on remarque quelques images bien trouvées.

Ainsi on lit avec plaisir "Le monde cachait bien ses crocs et ses serres. Il semblait presque docile dans l'obscurité"
ou "Le béton dessinait des lignes droites qui découpaient le noir en gros morceaux. Les étoiles avaient déserté depuis longtemps"
et plus loin: "Le monde perdait de temps en temps de sa réalité ce qui le rendait plus sordide que d'habitude."

On est donc amené à se demander ce qu'a voulu faire l'auteur. Si son accent porte sur les dialogues, on restera circonspect. Si le principal est la description de la ville et sa vie nocturne, on sera plus satisfait.
Mais l'assemblage des deux ne m'enthousiasme pas vraiment.

Bonne continuation.

   Donaldo75   
4/9/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

J'ai trouvé ce texte bien écrit et surtout bien raconté, avec de beaux passages entre les dialogues. En effet, l’histoire est finalement le support de cette discussion de fin de soirée, de cette atmosphère particulière quand deux individus partagent leurs points de vue alors qu’ils sont dans un état presque désinhibé. Les interludes entre les dialogues sont autant de balises poétiques qui ajoutent à l’ambiance, enrichissent le décor, amène de la couleur à l’ensemble. Je suis très content de lire ce type de nouvelle qui rompt la monotonie des écrits linéaires au pitch sans surprise, à la narration autocentrée sur la vie de monsieur ou madame Toulemonde, quand Marie-Georgette a perdu son chat, que Charles-Etienne se souvient ses années yé-yé et que le plus très jeune Victor rencontre sa future et fantasmée Victorine. Je ne suis pas certain que la catégorie « Humour / Détente » soit réellement le bon tiroir où caser cette nouvelle mais qu’est-ce que ça change à mon impression de lecture, au plaisir que j’ai eu de savourer ces mots et ces dialogues ? Rien.

Merci pour le moment de lecture.
Je vais rejoindre Victorine qui a perdu son chat dans le hangar de Charles-Etienne.

   maria   
19/9/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour OiseauLyre,

J'ai eu l'impression de lire du théâtre, mais il m'a manqué le visuel.

J'aurais, je crois, apprécié davantage la lecture de cette nouvelle, avec une typographie différente pour la description de la ville et la vision sur le monde qu'elle inspire ?
Pourquoi pas en italique ?

Merci pour le partage et à bientôt.

   Anonyme   
19/9/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour OiseauLyre,

Bon texte et belle leçon de séduction, je n'ai eu aucun problème à m'identifier à un des deux protagonistes (mais je tairai lequel), sans compter qu'on reconnaît tout le long du texte l'environnement où se situe ce dialogue noctambule : une banlieue morne et déshumanisée, je dirais même mornissime, comme on en a tous connu à un moment ou un autre de notre existence.

Une lecture fluide et agréable.

Dugenou.

   plumette   
19/9/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Oiseaulyre
il me semble que je vous lis pour la première fois et c'est bien agréable!
Je trouve que vous arrivez à tenir votre lecteur avec un sujet somme toute assez mince, ce qui est la marque d'un talent d'écriture.
Jolie construction aussi, en intercalant entre les dialogues des descriptions assez poétiques de cette banlieue sans âme.
il y a aussi de l'humour ( Bruno!)
Et puis, j'aime bien aussi que le texte propose une sorte de leçon de vie. Cela pourrait paraître un peu prétentieux, mais non! car cela me semble bien amené dans le dialogue qui est crédible de bout en bout.

A vous relire, si vous revenez parmi nous!

   Pouet   
21/9/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bjr,

j'ai bien aimé l'ambiance. Il y a comme un léger voile surréaliste dans les dialogues, une incompréhension partagée, un monologue à deux voix.

Les passages plus descriptifs de l'urbain, entre les dissertations des deux compères éméchés sur l'approche et la vie, sur l'approche de la vie, sont ma foi fort bien écrits et, encore une fois, légèrement décalés.

J'ai trouvé un peu de Vladimir et Estragon attendant l'Amour.

   Lulu   
28/9/2019
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour OiseauLyre,

J'aime beaucoup le titre qui donne très envie de découvrir le texte.

Cependant, j'ai dû m'y reprendre à trois fois pour entrer dans cette lecture, en des moments différents. En effet, le début ne m'a pas donné envie de poursuivre vraiment, mais c'est là affaire de goût, relativement à l'histoire. Deux personnages ivres discutant, et tout au long de la nouvelle, ne m'a pas du tout touchée. Mais j'y suis revenue, au vu de ce titre interpellant…

Ainsi, après m'être défaite de mes premières impressions, j'ai parcouru l'ensemble, mais je n'ai pas trouvé d'intérêt vraiment. C'est un moment qui est décrit à partir d'un dialogue, pourquoi pas, mais il manque quelque chose pour dynamiser l'ensemble, je crois. Peut-être la part du dialogue est-elle trop présente alors qu'elle ne dit rien d'extraordinaire ? Même dans cette réplique, où l'un des protagonistes voit l'autre comme "philosophe", je trouve que ça manque de reliefs. Certes, ils sont ivres…

Je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages, et je crois que c'est là un des problèmes que j'ai rencontrés.

J'ai bien aimé cette phrase au départ du texte "Dans cette rue l'éclairage manquait et c'était un point incandescent qui dérivait dans le néant." Elle met bien en perspective cette beauté de la nuit… avec ce verbe "dériver" qui annonce un peu la suite, mais le récit est juste ponctuel, trop rare dans l'ensemble pour que j'en apprécie le déroulement de la conversation.

De même, j'ai l'impression que, comme le début, la fin a été soignée, au contraire du dialogue, mais ce ne sont là que mes impressions.

   mirgaillou   
14/10/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Ce qui me paraît frappant, c'est pourquoi ce docteur en conseils amoureux termine-t-il la soirée avec le copain esseulé plutôt qu'avec une de ces jolies filles dont il sait si bien parler...Parler oui, mais convaincre?
L'ambiance urbaine, celle d'une fin de soirée décevante, d'une légère ivresse sont particulièrement bien rendues.

Tout est juste, de l'échec partagé, je maintiens que le donneur de conseils ne s'en sort pas mieux, à une mélancolique fin de nuit.
On verrait bien cette nouvelle en BD


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