Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Science-fiction
Oscar_Van_Buren : Projet Darwin
 Publié le 16/09/11  -  8 commentaires  -  21796 caractères  -  90 lectures    Autres textes du même auteur

Plus l'humanité se déshumanise, plus elle cherche à se rapprocher de l'œuvre de Dieu.


Projet Darwin


En 2192, pour faire face à une surpopulation de 10,5 milliards d’habitants et à un taux de criminalité et d’incivilité dépassant tous les résultats historiques, toutes les nations se mirent d’accord pour déclencher le « plan Darwin », un programme destiné à une évolution non naturelle de l’espèce humaine vers une société meilleure. De nombreux centres privés furent chargés de gérer cet élevage humain à des prix prohibitifs, seulement accessibles aux citoyens les plus fortunés. À Londres, l’un des plus importants centres du plan Darwin, SafeSociety Inc., est réputé pour son personnel infaillible et ses résultats spectaculaires en modernisation de l’espèce.


***


[…] Depuis la prohibition de la conception naturelle et de l’élevage traditionnel en foyer, nous ne travaillons que sur conception in vitro. Ce procédé, bien plus sain et hygiénique que la méthode animale, permet également à nos biologistes et génomistes de travailler sur un fœtus seul, sans être gênés par la mère. Ainsi, nos commandes sont à 99 % respectées quant à l’apparence physique de l’enfant et ses prédispositions sensitives, professionnelles et sociales. Depuis le lancement du plan Darwin, en 2192, SafeSociety Inc. est le seul centre d’élevage humain à obtenir ces résultats. […]


Extrait d’interview de Gene Chapman, directeur du centre SafeSociety Inc. de Londres, jour 350 de l’an 2216.


***


Harry regardait les enfants s’ébattre dans le local stérile. Arborant son air le plus studieux, il rapportait, sur sa tablette tactile, ses observations.


----------------------------------------

Date : Jour 113 de l’an 2225

Sélecteur : Harry HOLDEN

Département : 3-4

Observations :

- Le numéro 73 semble développer une forme classique d’éloignement social, ses rapports avec les autres sujets se font plus distants et moins fréquents. À surveiller.

- Le numéro 125 est visiblement très doué pour les arts plastiques. C’est un virtuose de la pâte à modeler. À transférer dans le département des créatifs.

- Les numéros 109 et 237 se sont aujourd’hui battus à deux reprises pour la possession d’un cube de bois. Le 109 a par ailleurs révélé un comportement agressif envers tous les autres sujets qu’il croise. Tous deux sont à évacuer dans la journée.

----------------------------------------


Depuis douze ans qu’il occupait le poste de sélecteur en chef, ce spectacle quotidien ne le touchait plus. À dire vrai, il ne voyait même presque plus les enfants, il ne distinguait en eux qu’ADN, graphiques comportementaux et psychostatistiques.

Il rangea sa tablette dans l’étui qu’il portait à la ceinture et quitta le département des 3-4 ans. Il traversa brièvement celui des 0-1, celui-ci ne le passionnait pas outre mesure, sa fonction ne s’y résumait qu’à étudier les pleurs et déterminer les prémices d’agressivité, le plus gros du travail étant laissé aux biologistes, radiologues, biotechnologistes, médecins et génomistes.


***


[…] Notre travail se divise en neuf paliers depuis la conception du sujet jusqu’à sa sortie du centre 2880 jours plus tard.

Le premier de ces paliers, que nous nommons -1/0, est tout particulier puisqu’il se déroule durant les 270 jours qui précèdent la naissance du sujet. Le fœtus est, durant toute cette phase, plongé dans un bain de liquide amniotique de synthèse. Dès les premiers jours du développement de l’embryon, il est confié à des équipes de génomistes dont la tâche est d’œuvrer directement sur l’ADN du sujet. Pour des raisons médicales tout d’abord, tels que le renforcement immunitaire, l’ablation de la zone colérique du cerveau ou la stimulation de la mémoire. Pour des raisons esthétiques ensuite. Il ne faut pas perdre de vue que l’enfant est un produit de luxe et que les parents sont en droit de le commander sur mesure. Il est donc primordial de pouvoir, le plus tôt possible, définir la couleur des yeux, des cheveux et de la peau, le sexe bien entendu, la taille, la masse musculaire future, les aptitudes primaires, les goûts olfactifs et gustatifs et, pourquoi pas, la densité pileuse (rires). N’oublions pas que dans les années 30 (2230 Ndlr), la mode des parents socialement « marginaux » (il mime les guillemets avec ses doigts. Ndlr) était d’avoir des enfants extrêmement velus. Heureusement cette tendance est désormais passée de mode et les épilations définitives sont aujourd’hui monnaie courante et peu coûteuses. Mais je m’égare.

Les paliers d’un an vont ensuite se succéder, les génomistes laissant peu à peu la place aux psychologues et éducateurs, sans oublier les sélecteurs en charge de l’écrémage. […]


Extrait d’interview de Gene Chapman, directeur du Centre SafeSociety Inc. de Londres, jour 350 de l’an 2216.


***


Le sélecteur passa les lourdes portes coupe-feu qui le séparaient du département 2-3. Cette zone du complexe était celle qu’il préférait, on y trouvait le plus gros pourcentage de dérèglements comportementaux et les premiers stades avérés de dégénérescences sociales et psychologiques. Les bambins de ce local étaient alors au nombre de cent quarante-cinq. Les sélecteurs Alexander Finn, Rodrigo Kahn et Thomas MacKenzie étaient déjà là.


- Messieurs, fit Harry en entrant dans la pièce.


Ses trois confrères le saluèrent d’un commun :


- Harry.


Tous trois étaient plongés dans l’observation des enfants, seul MacKenzie détaillait ses observations sur papier. C’était sa marque de fabrique, cet Irlandais devait être la dernière personne à Londres, voire même dans toute l’Europe, à continuer à se servir de papier et de crayons. Il les fabriquait lui-même depuis la fermeture de la dernière usine de papeterie en 2217.


- Où en sont-ils ? demanda Harry en s’approchant de la vitre les séparant de l’espace aseptique.

- Nous avons perdu le numéro cinquante et un, lui répondit Thomas d’un ton neutre. Un M.I.N. dans la nuit. Nous t’attendions pour entrer les données dans la centrale.

- Rare, à son âge… Bien, quoi d’autre ?

- Les dix-sept et cent seize présentent une forme commune de jalousie, ils se sont battus à trois reprises ce matin et présentent des troubles sociaux avérés. Le cent seize est incapable de tisser quelque lien de cordialité que ce soit.

- Les parents ?

- Même père, d’après sa fiche il a été interné une fois à dix-sept ans pour une agression verbale.

- Les mères ?

- Aucun problème notable.

- Rodrigo, procédez à leur évacuation.

- Tout de suite.


Le sélecteur Kahn quitta la salle d’un pas rapide.


- La quarante-quatre a développé un impétigo, intervint Alexander, les pédiatres sont sur le coup. J’ai demandé une analyse des anticorps, ses résultats sont à 74,00 % de résistance supposée.


Harry fronça les sourcils.


- Hm… c’est trop peu, comment a-t-elle pu passer les sélections de premier niveau avec une résistance si basse ?

- Elle était passée avec un score à 97,3 %, affirma Thomas.

- Isolez-la et bloquez tous ses tests hebdomadaires. Si c’est un état passager elle pourra toujours passer l’écrémage de fin de cycle et réintégrer le programme. Si ses résultats ne se sont pas améliorés d’ici quinze jours, évacuez-la.

- La quarantaine a été prononcée ce matin.

- Bien. Comment se porte le quarante-deux ?

- À merveille. Ton fils est parfait, Harry.


Harry se tourna vers l’ordinateur central et s’assit sur l’unique siège métallique. Il entra ses codes confidentiels et ouvrit le logiciel d’annonce des décès. Thomas MacKenzie lui donnant oralement les informations nécessaires, il remplit les champs un à un.


----------------------------------------

Date : Jour 113 de l’an 2225

Sélecteur : Harry HOLDEN

----------------------------------------

Numéro d’identification : 2223-1-471152803

Département : 2-3

Numéro d’étude : 51

Sexe : M

Âge : 776 jours

Cause du décès : Mort Inattendue du Nourrisson

----------------------------------------

Père : Leonard Simmons

Numéro d’identification : 2194-1-213589668

Âge : 11400 jours

----------------------------------------

Mère : Mary Simmons née Aldrin

Numéro d’identification : 2196-2-658923634

Âge : 10772 jours

---------------------------------------

Envoi automatique : SafeSociety Inc. vous présente toutes ses condoléances. Merci d’avoir fait confiance au plan Darwin. En espérant vous revoir bientôt, merci de votre fidélité. Harry Holden pour SafeSociety Inc.

----------------------------------------


Tandis qu’il envoyait le rapport sur la messagerie personnelle de Leonard et Mary Simmons, le sélecteur Kahn refit son entrée dans la pièce.


- Les sujets dix-sept et cent seize sont prêts pour l’évacuation, Harry, annonça-t-il, ainsi que les sujets deux cent trente et un et cinq cent quatre du département 3-4, si tu veux bien venir superviser la procédure.

- Je te suis.

***


[…] À la fin de chaque année, le sujet est soumis à une série de tests, que nous appelons dans notre jargon « écrémage » visant à évaluer un certain nombre de points de contrôle. Les biologistes, psychostatisticiens et médecins calculent ainsi la résistance virale et microbienne, les taux d’agressivité génétiques et acquis, de relations sociales, de cordialité, et d’adaptabilité. Les résultats doivent obtenir des minimales strictes. Le moindre écart porte le sujet à évacuation (nous admettons une marge de 0,10% pour chaque score). En dehors des tests finaux de chaque phase, certains événements peuvent entraîner l’évacuation d’un sujet en cours de phase. Ces événements sont clairs et précis, il s’agit des cas de :

- violence

- tentative d’évasion

- maladie contagieuse

- maladie génétique

- maladie incurable

- troubles psychologiques avérés

- Évacuation des deux parents au cours des 8 années du plan Darwin […]


Extrait d’interview de Gene Chapman, directeur du centre SafeSociety Inc. de Londres, jour 350 de l’an 2216.


***


La salle d’évacuation était une grande salle blanche. Contre le mur ouest, le panneau de commande clignotait sur non moins d’une demi-douzaine de panneaux de contrôle. Les quatre sujets étaient allongés dans quatre des nombreuses couveuses placées au centre de la pièce. Tandis qu’Harry s’installait aux commandes, Rodrigo se plaça entre les enfants afin de prévenir tout incident durant l’opération.

Le sélecteur en chef rentra ses codes personnels et sortit d’une poche intérieure de sa blouse une petite clef d’acier. Il inséra l’objet dans le réceptacle et d’un geste vif du poignet, déclencha le processus.


Le spectacle avait beau être connu de Rodrigo, les évacuations étaient courantes et il devait en superviser une bonne dizaine par jour, il le dégoûtait toujours autant. Les couveuses étaient tout d’abord emplies d’éther éthylique, un gaz soporifique puissant les plongeant dans un état semi-comateux. Une fois les sujets endormis, elles s’emplissaient de monoxyde de carbone, un autre gaz, ayant pour but de créer une impotence musculaire et pulmonaire et de provoquer une mort rapide et totalement indolore. Les corps sans vie étaient ensuite plongés dans un bain d’eau bouillante afin de séparer les chairs et les organes des os. Ces derniers étaient ensuite recueillis et broyés pour être revendus sous forme de poudre à des usines de cosmétiques. Les parties molles, une fois nettoyées de toute impureté, finissaient généralement dans les boîtes de nourriture pour animaux.

Une fois la procédure terminée, Harry remplit les formulaires électroniques nécessaires et quitta la salle, il n’était pas non plus friand des évacuations mais son statut de sélecteur en chef lui imposait ce rôle.


Le trouble de l’évacuation ne dura, chez Harry, pas plus de temps qu’il n’en fallut pour sortir de la pièce et fermer celle-ci à clef. L’heure du déjeuner était arrivée et c’est avec une joie non dissimulée qu’il intégra la foule de scientifiques qui se pressaient vers le réfectoire. Là, il se servit une copieuse portion de mêlât de légumes protéinés et de viande de volaille reconstituée et il s’installa à sa table habituelle où déjà l’attendait son épouse.


- Comment s’est passée ta matinée ? lui demanda-t-elle tandis qu’il prenait place.

- Très bien, quatre évacuations seulement, les résultats de l’année s’annoncent bien meilleurs que l’an dernier. Et la tienne ?


Sarah Holden était également employée du centre SafeSociety mais était rattachée au département des admissions et des sorties.


- Agréable, dit-elle en piquant fermement ce qui semblait être un morceau de bœuf. Cinq admissions de niveau 8, rien que ce matin, du bébé grand luxe, vous avez intérêt à nous les choyer et à ce qu’ils sortent achevés dans huit ans, c’est le genre de client qu’il ne faut pas perdre.

- Tout dépendra des antécédents génétiques ma chérie. Tu sais bien que certaines tares génétiques peuvent sauter plusieurs générations.


Sarah posa ses couverts et prit les mains de son mari dans les siennes.


- Comment va le nôtre ?

- Il est parfait. Score de résistance à 99,7%, son langage s’améliore de jour en jour, il sait déjà dire « merci » et « s’il vous plaît ». MacKenzie m’a montré sa courbe comportementale, elle est supérieure de 7 points à la courbe-référence de Irsch. Ce sera un petit génie.

- Ça ne m’étonnerait pas qu’il sorte citoyen de niveau 7 ou 8, approuva Sarah en souriant. Tu sais…

- Oui ?


Harry avait penché sa tête sur le côté comme il en avait l’habitude quand son épouse paraissait anxieuse.


- J’ai pensé… j’ai pensé qu’on pourrait l’appeler Jason, comme mon père.


Harry s’affola et regarda autour de lui avant de prendre une voix sèche.


- Sarah ! Es-tu folle ? dit-il tout bas. Tu sais ce qu’il en coûte de nommer un enfant avant sa sortie du centre ? Tu veux qu’on nous le retire du programme ?

- Non mais… mais c’était juste une idée comme ça.

- Il lui reste 2106 jours avant de sortir et j’entends bien que jusque là tu continues de l’appeler par son numéro. Je ne tiens pas avoir la police des imparfaits sur le dos.

- Oui… tu as raison… excuse-moi.


Sarah baissa les yeux, penaude. Son mari lui caressa affectueusement la main.


- Je ne disais pas ça pour être méchant, lui dit-il, rassurant. Mais c’est dangereux de parler de ça. Finis ton plat, il va falloir y retourner.


Le reste du repas se déroula dans le silence.


***


[…] Le déroulement de l’élevage humain de nos centres est totalement sûr, efficace et tout à fait conforme aux normes légales internationales du plan Darwin.

Notre accessibilité à la majeure partie des foyers de niveau 4 et supérieurs est due à des tarifs compétitifs, après tout, pourquoi les couples de niveau 6, 7 ou 8 seraient-ils les seuls à pouvoir avoir des enfants ? Les statistiques de sortie en fin de programme, sur des individus âgés de 2880 jours, rapportent que dans 85 % des cas les enfants entrent directement dans des castes sociales de niveau au moins supérieure d’un cran à celle de leurs parents. […]


Extrait d’interview de Gene Chapman, directeur du centre SafeSociety Inc. de Londres, jour 350 de l’an 2216.


***


Lorsqu’Harry réintégra le département des 2-3 ans, Thomas et Alexander l’attendaient d’un air nerveux.


- Qu’y a-t-il les gars ? demanda-t-il d’un air faussement décontracté.

- Le numéro quarante-deux, Harry, ton fils… il y a eu un incident, annonça MacKenzie.


Harry se précipita contre la vitre de plexiglas qui le séparait du local stérile.


- Il… il m’a l’air en parfaite santé, qu’est-ce que vous racontez ?

- Pas ce genre d’incident. Il… comment te dire… il a mordu un de ses congénères.

- Mordu ? comment ça ?

- Eh bien… le numéro soixante lui a demandé s’il pouvait lui emprunter un crayon rouge, ton fils a refusé, prétextant qu’il en avait l’usage mais le soixante s’en est quand même emparé et le quarante-deux l’a… mordu… à la gorge.

- Comment se porte le soixante ?

- Il est en soins intensifs, mais si nous ne parvenons pas à le sauver ou à effacer totalement la cicatrice, ses parents ont menacé de s’adresser à un autre centre Darwin. Ce sont deux citoyens de niveau 7 fortunés, des clients précieux.

- Je vois.


Harry entreprit de faire les cent pas le long de la baie vitrée, se frottant les yeux du pouce et de l’index.


- Harry, il faut que tu prononces l’évacuation du quarante-deux, lui dit Thomas.

- Oui, je sais mais…

- Il a beau être ton fils, il n’en est pas moins défaillant. Et l’agression physique fait partie des incidents nécessitant une évacuation sous 24 h.

- Laissez-moi un petit moment, le temps de l’annoncer à Sarah.

- Comme tu voudras, mais dépêche-toi.


Le sélecteur en chef traversa le centre aussi rapidement qu’il le pouvait sans courir. Lorsqu’il pénétra dans le bureau de son épouse, celle-ci était en plein rendez-vous avec un jeune couple.


- Je… c’est urgent, bafouilla-t-il, si vous me le permettez.


Sarah s’inclina vers ses clients.


- Veuillez m’excuser une seconde.


Elle sortit derrière Harry, ferma la porte, et entraîna son époux à l’écart.


- Que se passe-t-il ?

- C’est le numéro quarante-deux, il… il a blessé un autre sujet, il l’a presque tué.


Sarah tâtonna derrière elle jusqu’à trouver un siège sur lequel elle s’affala.


- Il faut que je l’évacue… reprit Harry. Je suis désolé.

- Non, il doit y avoir un moyen.

- Il n’y a aucun moyen, c’est la procédure. C’est un imparfait.

- Tu, tu peux passer ça sous silence, tu es le sélecteur en chef, tu dois pouvoir faire quelque chose !

- Je ne peux rien faire Sarah, Finn et MacKenzie sont au courant, j’ai les mains liées.

- Emmenons-le !

- Quoi ?

- Emmenons-le hors du centre. On peut partir avec lui. Nous ne pouvons pas nous permettre financièrement d’en faire un deuxième, emmenons-le.

- Mais où veux-tu que l’on aille ? Nous serons poursuivis par la police !

- Aux États-Unis ou même moins loin, en Allemagne, il paraît qu’il y a des communautés d’imparfaits qui se cachent, on peut trouver un passeur ! Il faut qu’on le fasse.

- Et si on nous attrape ? As-tu seulement conscience des méthodes d’évacuation pour adultes de la police des imparfaits ? Même si nous sommes des citoyens achevés en programme Darwin, le seul fait de se déplacer en possession d’un enfant de moins de huit ans, non tatoué et non achevé est passible de la peine capitale.


De lourdes larmes roulèrent sur les joues de Sarah Holden.


- Harry, je t’en prie, fais quelque chose. Sauve mon Jason.

- Je… Je ne peux rien faire, Sarah. Je suis désolé.

- Si tu ne fais rien, je le ferai, moi.


Sarah se leva d’un bond, bousculant son époux au passage, et fusa dans les couloirs en direction des bâtiments d’élevage.

Diable qu’elle courait vite, Harry finit par être semé. Il dégaina son émetteur-récepteur et composa le numéro de MacKenzie.


- Thomas, nous avons un problème. Sarah s’est mise en tête de partir avec Jas… le sujet quarante-deux. Arrête-la s’il te plaît, sans faire de vagues, j’arrive immédiatement.

- Bien reçu, je m’occupe de la calmer.


Harry reprit sa course dans les couloirs du centre.

Lorsqu’il arriva dans le département 2-3, Sarah était à genoux au milieu de la pièce, Thomas tentait de la calmer avec des mots apaisants et cinq robots-vigiles la tenaient en joue de leurs fusils.


- Thomas ! Je t’avais dit sans faire de vagues ! Pourquoi ces satanés robots sont-ils là ?

- Elle a frappé Alexander et il a déclenché l’alarme, je n’y suis pour rien Harry.


Harry se tourna vers sa femme.


- Viens chérie, ce n’est rien, ça va s’arranger.

- S’arranger ? elle était visiblement en colère. Nous avons dépensé toutes nos économies pour Jason et tu veux l’évacuer comme un vulgaire imparfait ? Tu m’as dit toi-même qu’il avait des résultats hors du commun !

- Ce n’est pas si facile Sarah.


Elle le gifla, il tomba à la renverse et les cinq fusils détonèrent de concert.

Harry serrait fort le corps de son épouse. Ses larmes se mêlaient au sang et Sarah était secouée de soubresauts.


- Ha… Harry… Sauve... Sauve… Sauve Jason. Je t’en p… je t’en p… supplie.


Un dernier sursaut et Sarah cracha une gerbe de sang plus forte que les précédentes, c’en était fini.


***


Harry était installé au poste de commandes de la salle d’évacuation. Cela faisait à peine deux heures que les robots-nettoyeurs avaient emmené le cadavre de sa femme et la direction lui avait refusé son après-midi. Thomas surveillait le bon déroulement du processus d’évacuation. D’un geste machinal, mais aujourd’hui beaucoup plus difficile que d’habitude, Harry sortit la petite clef d’acier de la poche intérieure de sa blouse. Il l’inséra dans le réceptacle.


- Thomas ?

- Oui Harry ?

- Tu peux y aller, je vais faire ça seul.

- Je ne peux p…

- S’il te plaît, le coupa Harry.

- Bien.


MacKenzie sortit et ferma la porte derrière lui.

Harry se leva et s’approcha de la couveuse où le petit numéro quarante-deux battait frénétiquement des bras et des jambes. À la vue de son géniteur, l’enfant sourit.


- Salut Jason, dit-il tout bas.


Ce soir-là Harry ne fit pas d’heures supplémentaires et regagna son domicile avec précipitation.


***


[…] Il va sans dire que le personnel de SafeSociety Inc. est un personnel qualifié, trié sur le volet, totalement intègre et lui-même issu avec succès du plan Darwin. Aucune défaillance n’est à déplorer depuis la création du centre et je me tiens pour garant qu’aucune ne le sera. […]


Extrait d’interview de Gene Chapman, directeur du centre SafeSociety Inc. de Londres, jour 350 de l’an 2216.


***


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Anonyme   
16/9/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bien vu, je trouve. Une logique implacable d'"amélioration" de l'humanité. Toutefois, si on prend en compte l'adaptabilité de l'espèce humaine, je pense qu'entre deux et trois ans les petits humains de cette société (du moins les plus intelligents, comme semble l'être le fils de Harry) auraient déjà remarqué que les éléments agressifs du groupe disparaissaient pour ne jamais revenir et se seraient abstenus de tout geste de violence. Mais enfin, ça se discute.
J'aime bien que la fin soit ouverte, qu'on ne sache pas si Harry rentre très vite chez lui parce qu'il a tué son fils ou pour s'enfuir avec lui...
Sinon, la situation me paraît bien présentée, de manière naturelle. L'abondance des dialogues bloque peut-être l'essor de l'écriture (j'ai l'impression que le texte manque d'un style affirmé).

"N’oublions pas que dans les années 30 (2230. Ndlr), la mode des parents socialement « marginaux » (il mime les guillemets avec ses doigts. Ndlr) était d’avoir des enfants extrêmement velus. (...)

Extrait d’interview de Gene Chapman, directeur du centre SafeSociety Inc. de Londres, jour 350 de l’an 2216." : contradictoire, non ? Pourquoi le directeur parlerait-il au passé d'une mode qui va se développer dans quinze ans ?

   Anonyme   
26/8/2011
 a aimé ce texte 
Pas
Bonjour,

Je ne suis pas un adepte de SF. Est-ce pour ça que je ne suis pas parvenu au bout de ma lecture ?
Peut-être, mais je vais expliquer aussi pourquoi :
Le fait d'évoquer un futur que le lecteur ignore oblige le narrateur à en donner de nombreux détails pour fixer le contexte. Le danger est alors de tomber dans une narration essentiellement descriptive, en perdant la force du "vécu". Je trouve que ce danger n'a pas pu être évité dans ce texte. Les sections "vécu" sont essentiellement (et presque exclusivement) portées par des dialogues et j'en éprouve une sensation lourde et artificielle. Je n'arrive pas à trouver une substance aux personnages. Je reste complètement en dehors de l'histoire. Du coup, je me suis petit à petit désintéressé du texte pour finalement en abandonner la lecture.

Désolé
Incognito

   jaimme   
5/9/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↓
L'idée d'eugénisme est loin (très loin, malheureusement) d'être une nouveauté. Et ici le background est bien pensé (je suis assez d'accord sur le chiffre de 10 milliards d'habitants pour cette période, après un pic à 12 milliards vers 2100; pourtant je ne vois pas le rapport immédiat entre ce chiffre et la "nécessité" d'une éducation contrôlée...).
Mais ce texte présente deux défauts:
- l'histoire en fait se résume à peu de choses, il aurait fallu des parents plus "vivants", mieux connus du lecteur pour que leur douleur soit mieux perçue, que la lecture suscite plus d'empathie. Pour la mère mais aussi pour le père. Le ton assez neutre, de plus, ne va pas dans ce sens.
- En SF l'écriture est particulièrement complexe car on doit supposer que le lecteur lit a posteriori. Je m'explique: le narrateur est au XXIIIème siècle, il vit dans une société qu'il ne va pas expliquer toutes les deux lignes. C'est SA société. Alors la parenthèse après "les années 30" ne peut pas exister. C'est comme si, dans un texte de 2011 on précisait "de ce siècle". Non, c'est évident. Dans le même registre, par exemple, il y a un anachronisme social: les guillemets avec les doigts. C'est une nouveauté de ces vingt dernières années, c'est une mode sociale. Elle aura certainement disparu en 2200. Là, au contraire il aurait fallu inventer un nouveau code social.
Quelques détails encore: "sur non-moins d'une..." ne me semble pas correct. Et j'ai relevé deux fois des abus de "et" qui se suivent dans la même phrase.
Enfin sur le fond il y a un point fondamental qui n'est pas clair pour moi: est-ce que l'auteur est favorable ou est-ce qu'il dénonce le fait que l'agressivité est de l'ordre de l'acquis? J'ai nettement l'impression que l'ensemble tend à dénoncer cette "croyance" néfaste qui a fait débat il y a peu de temps en France, mais ce n'est pas vraiment clair en définitive. Il aurait fallu trouver une façon de l'exprimer clairement, peut-être par la bouche de la mère qui est désespérée.
Voila, désolé d'avoir était pointilleux et j'espère que ces quelques remarques auront été utiles. Si j'ai pris la peine d'être précis c'est qu'il y a un potentiel évident derrière cette écriture.

   Palimpseste   
16/9/2011
J'ai bien aimé, alors que je lis très peu de SF, un genre qui me laisse souvent froid.

Je rejoins un peu les critiques ci-dessus: l'un des principaux pièges de la SF (et c'est pour ça que j'en lis si peu) réside dans le dosage entre "plein de descriptions pour que le lecteur visualise exactement le contexte de 2192" et "trop de descriptions du contexte qui noient l'intrigue et distraient l'attention du lecteur".

Sur l'histoire, j'ai eu un peu de mal à raccrocher le wagon "modernisation de l'espèce" et "eugénisme familial", cette différence entre un projet global de société et des services offerts aux parents pourrait être mieux "huilée".

Autre petit point: j'ai cru dans les deux premières lignes que le récit serait humoristique (à cause du "taux d'incivilé qui déclenche le plan Darwin", et donc laisse croire à un comique d'exagération). Or, la suite n'est pas dans cette tonalité. Je pencherais pour passer à 19 milliards d'individus (au lieu de 10,5) et une grosse criminalité pour planter un décor résolument dramatique.

Les inserts de Gene Chapman seraient à retravailler. Par exemple, l'interview du président qui parle de "écrêmage" ne reflète pas les propos habituels d'un patron de pharma: ces big boss-là sont toujours hyper-policés et ne s'abaisseraient pas à parler publiquement de leur jargon de paillasse.

J'ai bien aimé le Sélecteur "Khan"... Si c'est un clin d'oeil, il est "Axel-lent" !

bon... les critiques ci-dessus sont quand même à relativiser: j'aime bien ce texte alors que généralement j'arrête la SF au bout de vingt lignes (et pas de coke).

Donc merci pour ce bon moment !

Dernier point: ce texte écrit par un jeune marié me laisse songeur... L'auteur a-t-il pris le risque de le faire lire par sa récente épousée ? :-)

   Gerwal   
16/9/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Fichtre...
Un texte d'anticipation criant de réalisme, de détails insignifiants mais significatifs (si vous voyez ce que je veux dire ?... -par exemple, et ce n'est qu'un exemple... cette façon de calculer en jours, plutôt qu'en années, l'âge des individus... juste un peu étonnant, mais il doit y avoir de bonnes raisons à ça, qui échappent à un pauvre lecteur du XXIe siècle.)
En fait, un futur pas si improbable que ça, si on tient compte du contexte évoqué (surpopulation, incivilités, criminalités... -une pure fiction, pour nous, en 2011, évidemment- ) mais qui nécessiteraient effectivement une prise en main de la situation par des laboratoires fort soucieux du bien-être et de l'avenir de l'humanité, cela va de soi...

Sinon, un texte d'une froideur objective (on est dans un labo de pointe, en 2192...), tant sur le déroulement de l'intrigue et des caractères des personnages que sur les extraits d'interviews du célèbre G. Chapman, qui explicitent sans exagération l'intrigue et ses épisodes successifs...

Une petite critique (il en faut au moins une par commentaire): la rapidité d'intervention des robots-vigiles (je sais bien qu'un robot, ou qu'un vigile, à plus forte raison un robot-vigile... mais je m'égare...).
Une suggestion (...) un clin d'oeil à "Soleil-vert" (le film d'anticipation) aurait été bienvenu au moment de l'"évacuation" des sujets déficients...
Une question (), pourquoi ce prénom de Jason ? (son grand-père... oui, mais encore...), hasard ou nécessité (allusion ou référence qui m'échappe ?)
Un point fort, la pérennité de l' "amour maternel" qui subsiste, encore et toujours, dans ce monde déshumanisé et qui transparait avec force dans la phrase de cette maman éplorée :"Nous avons dépensé toutes nos économies pour Jason et tu veux l’évacuer comme un vulgaire imparfait ?"

A bientôt pour un texte de ce niveau...

   monlokiana   
16/9/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bien aimé ce texte qui s'est laissé lire facilement. J'ai aimé cette histoire de bébés et de profils:
"Il est donc primordial de pouvoir, le plus tôt possible, définir la couleur des yeux, des cheveux et de la peau, le sexe bien entendu, la taille, la masse musculaire future, les aptitudes primaires, les goûts olfactifs et gustatifs et, pourquoi pas, la densité pileuse (rires)."

J'ai trouvé touchante la partie où leur bébé doit être évacué et que sa femme se fasse tuer. Ses derniers mots très touchants.

Un texte qui sort du commun. Quand il s'agissait des enfants des autres, on ne s'en préoccupait pas trop, mais il s'agit de son sang, les choses se passent autrement. Très réaliste et normal.

Merci pour cette lecture.

Monlo (qui attend impatiemment un autre texte.)

   Anonyme   
16/9/2011
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Cette nouvelle, dans la ligne de l'anticipation, est très intéressante par le problème qu'elle veut traiter et par la solution qu'elle propose : une association d'eugénisme et d'interventionnisme biologique destinée à faire "évoluer l'espèce humaine vers une société meilleure".
Cependant, rien n'est dit sur les 10.5 milliards d'habitants de la planète, non issus de ce "plan Darwin". Et c'est là une difficulté majeure de ce problème, dont l'auteur ne parle pas : l'intégration des "nouveaux humains" dans ce tissu social ancien. Ou alors, ces "nouveaux humains" doivent-ils former une caste totalement séparée du tissu social ancien, pour ne pas en subir l'influence négative ?
Ou bien encore, l'ancien tissu social a-t-il été "évacué" en masse pour laisser la place aux humains du "plan Darwin" et mettre en place cette humanité parfaite ?
La rédaction de cette nouvelle est assez bonne. J'aurais aimé voir la tragédie de Harry et de son épouse davantage creusée. Là, elle n'est traitée que comme un à-côté de l'ensemble.
Enfin, je n'aime guère les fins d'histoire qui n'en sont pas. Harry a-t-il sauvé son rejeton ou non ?
On peut imaginer, peut-être, que l'auteur a évité de prendre position afin de ne pas courir de risque :
- ou bien de montrer un héros plus royaliste que le roi, qui "fait son boulot" jusqu'au bout et donc un héros horrible, inhumain !
- ou bien, si Harry sauve son enfant, de voir l'histoire non terminée, puisque le lecteur se demandera toujours comment le héros et son rejeton s'en seront sortis face à la "police des imparfaits" ?

   brabant   
16/9/2011
 a aimé ce texte 
Bien
Bonne soirée Oscar Van Buren,


J'ai lu d'une traite !

Il y a dans votre texte quelques incorrections et/ou impropriétés, des "imparfaits" en quelque sorte. (lol)

Mais vous avez un sens certain :
- et de l'intrigue
- et du découpage scénique

Je vous ai donc lu avec un intérêt et une attention non démenties, votre récit est logique dans sa froideur monstrueuse au point de ne pas même paraître monstrueux dans sa banalité coutumière, au point de devenir crédible.

Terrible pseudo-fiction haletante !

A quand la suite ?


Oniris Copyright © 2007-2023