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Réalisme/Historique
Palimpseste : L'histoire (presque) vraie de Bernie Madoff
 Publié le 19/07/12  -  13 commentaires  -  21462 caractères  -  96 lectures    Autres textes du même auteur

Âmes romantiques s'abstenir – Vous souvenez-vous de Bernard Madoff, l'escroc aux 65 milliards de dollars ? Mais que sait-on de sa jeunesse et de l'instant où il a basculé d'une honnête vie à une existence scandaleuse ? Voici la genèse de ce moment. Comme toujours, « cherchez la femme » !


L'histoire (presque) vraie de Bernie Madoff


La grande salle d'audience est pleine à craquer. La Cour face à Bernard Madoff est composée de magistrats raides aux visages sévères.


Le temps des débats arrive et Madoff se souvient de ses débuts, avant qu'il ne devienne le gourou le plus écouté de la finance, avant qu'il ne soit acculé à devoir entretenir une mécanique qui a broyé la fortune de ses meilleurs amis, de ses plus confiants coreligionnaires, de ses mieux intentionnés gestionnaires.


* * *


Tout commence dans les années 60, durant une des journées en Floride qui dispensent un soleil généreux sur les plages de la côte, remplies de vacanciers et de touristes étrangers.


Avant de prendre son poste, Bernie va voir son chef, le dispatcher du centre de secours qui gère le planning des maîtres-nageurs sauveteurs de plusieurs plages du littoral.


– Bonjour, chef, commence le jeune homme bien élevé.

– Ah ! Te voilà, Bernie ! répond le superviseur, visiblement content de le voir.

– Chef, je voulais vous demander une faveur.

– Laquelle ?

– J'aimerais aller travailler à la plage de Sarbanes Beach, car ils ont là-bas une station de lavage de voitures. J'aimerais inviter ma copine à dîner ce soir. Il me faudrait cinquante balles de plus pour la soirée. Là-bas, il y a toujours quelques Cadillac poussiéreuses : je pourrais me rendre utile.

– Bad luck, Bernie. Je t'ai réservé quelque chose de bien : le premier siège sur Oxley Creek, c'est une plage avec des rupins. Tu pourras sans doute te faire quelques bons pourboires.

– Sans blague, chef ? Je la sens mal, Oxley Creek, j'y ai été une fois la semaine dernière et je ne m'y sens pas bien. Une vieille folle m'a fait du gringue et franchement, je préférerais éviter le secteur pour un moment.

– Je sais… C'est d'ailleurs à elle que tu dois ta journée là-bas.

– Oh non ! Je vous le dis pourtant, chef, j'ai sacrément besoin de mes cinq tickets pour emmener Emma au TGI Fridays et ensuite au cinéma.

– Désolé, Bernie… Mais vois-tu, j'ai eu la visite de madame Hathaway qui a bien insisté pour que je t'envoie à Oxley Creek. Elle m'a donné cinquante dollars pour changer le planning… C'est donc moi qui vais aller au cinéma et au TGI Fridays. J'irai avec Suzy, tu diras bonjour à Emma de ma part.

– Je vois que c'est cuit, alors.

– Tu vois très bien… Je suis désolé pour tes Cadillac à astiquer, mais direction Oxley Creek.


Bernie est ennuyé pour la soirée promise à cette fille, Emma. Elle n'a pas l'air d'être le genre à trop aimer les fast-foods, mais « elle va bien devoir s'en contenter », pense-t-il en montant dans sa voiture pour aller prendre son poste.


Oxley Creek est une petite plage retirée dont la clientèle fortunée apprécie non seulement le sable fin, mais également la cuisine typique du bar, les installations sportives et, bien sûr, le style du personnel à sa disposition.


À peine prend-il sa place en haut de la chaise du surveillant de plage que celle qu'il avait affublée du peu charitable surnom de « vieille folle » lui rend visite.


– Hello Bernie, lance-t-elle. Ravie de te voir revenu à Oxley Creek.

– Merci madame Hathaway, répond le garçon, l'air un peu pincé.

– Allez… Ne fais pas cette tête-là. Notre plage ne te plaît pas ?

– Si, si, madame Hathaway, assure Bernie, pas très à l'aise.

– Ne sois pas si formel. Appelle-moi plutôt Rebecca… Rebec' pour les intimes. Tu es un bel homme, et tu pourrais très bien m'appeler Rebec'.

– Comme vous voulez, madame Hathaway… heu… Rebecca…


Le jeune Bernie s'empourpre devant les effets de poitrine de la femme qui pourtant souffre des outrages du temps et du passage de la terrible gravitation universelle. La tenue de ses seins laisse maintenant à désirer, malgré le bistouri attentif des meilleurs spécialistes de Miami. Mais n'était-ce pas elle qui avait déclaré l'année d'avant : « Je ne sors qu'avec des gens de ma tranche d'âge : trois gamins de vingt ans » ? Il est vrai que son état de riche veuve lui permet de recruter de beaux escort boys, peu scrupuleux mais bien bâtis.


– À tout à l'heure, mon petit Bernie, conclut la nymphomane décrépite.

– Au revoir, madame Hathaway.


Trois heures plus tard, Madame Hathaway manque de se noyer et, sous les regards goguenards des plagistes, Bernie est obligé d'aller lui porter secours, de la ranimer puis de la prendre dans ses bras pour la raccompagner à son bungalow.


En fait de se faire ranimer, la vieille bique n'a absolument pas perdu connaissance, mais simule parfaitement l'évanouissement pour retrouver les lèvres du jeune sauveteur sur les siennes.


Personne n'est dupe, et en les voyant s'éloigner, personne ne songe même à parier si Bernie va oui ou non passer à la casserole. Son chef n'a-t-il pas envoyé un deuxième maître-nageur en fin de matinée « au cas où » ? Ce salopard a été mis au parfum, c'est sûr !


Bernie est bien obligé de porter une madame Hathaway, frileusement serrée contre son prétendu sauveur, jusqu'à son lit, pour qu'elle se repose.


Évidemment, celle-ci a d'autres idées en tête et son regard chargé de concupiscence en dit long.


Bernie n'est pas très à l'aise. Évidemment, il n'a aucune envie de s'envoyer la – minimum – sexagénaire mais il sait aussi qu'il est parfois dangereux de se fâcher avec les mégères qui hantent les plages. Frustrées de leur chair fraîche, elles peuvent devenir sacrément salopes et répandre des horreurs sur le compte du pauvre type qui leur a résisté.


– Eh bien ? demande la femme. Un problème ? Tu restes à l'autre bout de la pièce comme si j'allais te manger.

– Non, madame Hathaway. Je n'ai pas peur de vous.

– Alors viens ici. J'ai mal aux épaules. J'aurais bien besoin d'un massage. Tu veux bien m'en faire un ? J'ai de la crème dans le tiroir de la table de nuit. Prends-en et viens t'occuper de moi.


Bernie ouvre le tiroir et découvre un alignement de crèmes diverses et coûteuses, ainsi que quelques gadgets érotiques de différentes tailles.


– Alors, demande-t-elle. Trouves-tu ton bonheur ? Ou bien le mien, peut-être ?


Bernie a soudain une inspiration.


– Madame Hathaway, je vous suis très reconnaissant de bien vouloir m'inviter ainsi. Mais je ne peux pas rester : j'ai une fiancée, Emma, que j'ai promis d'emmener au cinéma ce soir pour son anniversaire. Vous savez comme sont les femmes : je ne peux pas la priver de cette sortie. Et avant ça, je dois gagner un peu d'argent pour l'emmener dans un bon restaurant. J'ai prévu d'aller laver des voitures après mon service du midi. Et si je reste avec vous, je ne vais pas pouvoir le faire. Pourrais-je vous demander la permission de partir ?

– Bernie mon chéri… susurre madame Hathaway d'une voix sucrée. Tu veux me dire que tu ne veux pas me masser rien qu'à cause de l'argent que tu pourrais gagner en lavant tes voitures ?

– Oh non, s'exclame Bernie. Mais vous comprenez, ce n'est pas seulement que je voudrais qu'elle passe une bonne soirée. Mais il me faudra être en pleine forme. Vous comprenez ? Je veux qu'elle se souvienne longtemps de son anniversaire.

– J'imagine, dit la femme soudainement un peu affaissée. Tu veux qu'elle ait du mal à s'asseoir pendant deux jours. Ça doit me consoler que je puisse me mettre sur une chaise sans avoir les fesses à me cuire ?


Trouvant quand même un peu de solidarité pour cette Emma qui allait profiter des abdominaux avantageux du beau Bernie, elle ajoute :


– Et si tu fais un bel anniversaire à ton Emma ? Tu viendras me réconforter de ce vilain après-midi où je vais devoir te laisser m'abandonner alors que mes épaules me font souffrir le martyre ?


Bernie saute sur l'occasion de se défaire de la bacchante vieillissante qui a de plus en plus l'air d'un sac d'os.


– Oui, madame Hathaway, je vous le promets. Je viendrai vous faire un massage.

– Seulement un massage ? demande-t-elle avec un regard lourd de sous-entendus.

– Heu… Oui… balbutie Bernie. Mais vous savez, il paraît que je m'en sors bien.

– Tu n'as pas l'air décidé à me faire un grand massage, dit-elle en insistant sur le mot « grand ». Tu sais, les petits tripotages des épaules ne me suffisent pas et j'aimerais bien goûter à ce que tu fais de mieux en matière de pétrissage de ma chair consentante.

– C'est-à-dire ? questionne le maître-nageur, en déglutissant péniblement.


La femme se redresse et plonge la main dans son sac. Quand elle la retire, un billet de cent dollars apparaît entre ses doigts.


– Écoute mon garçon. Tu es gentil et je ne vais pas priver ta petite Emma de ton énergie. Par contre, tu vas devoir me consoler après. Je te donne cent dollars et tu lui fais une belle soirée… Mais à une seule condition : tu reviens après-demain dans une forme éblouissante pour t'occuper de moi ! Tu me raconteras ce que vous avez fait et tu me referas tout ce qu'elle a eu. C'est d'accord ?


Bernie est assez ennuyé, mais avec un tel billet, il pourrait emmener Emma non pas au TGI Fridays, mais dans un endroit plus chic, comme « Chez Francis », le restaurant français qui se trouve face à la plage. Et après, ils pourraient louer un bateau et aller à quelque distance de la plage, face à la rade illuminée. C'est une promenade romantique qui devrait mettre Emma dans de bonnes dispositions pour qu'il puisse conclure.


– Madame Hathaway, avance prudemment Bernie, je vous remercie de cette offre très généreuse, qui me tente beaucoup. Mais vous savez comment j'ai été éduqué. Ma mère est juive et refuserait que j'utilise votre argent comme ça. Elle trouverait ça indécent.

– Ça va, jette sèchement la femme. Évite les leçons de morale de la part de ta mère. Tu veux me rembourser autrement qu'en nature ? Eh bien d'accord. Reviens après-demain, en début d'après-midi avec deux cents dollars, et tu seras dispensé de me sauter. Mais je te préviens : s'il manque le moindre cent, tu restes avec moi jusqu'au lendemain, et c'est moi qui mène la danse. Compris ?


Bernie, pas habitué à un tel ton, acquiesce sans comprendre vraiment le piège. Il ne réalise que trop tard qu'il n'aura aucune échappatoire aux assiduités de madame Hathaway, laquelle contemple déjà sa proie en imaginant les mille et un tourments délicieux qu'elle compte en tirer.


Quand Bernie reprend son poste quelques minutes plus tard, tout le monde est étonné de le voir sorti aussi rapidement : aurait-il envoyé promener Mme Hathaway ? Pourtant, c'est une garce de première : ceux qui se sont refusés à elle n'ont eu qu'à se plaindre de la façon vipérine dont elle les a cassés pendant tout le reste de la saison.


Le soir, Bernie propose à sa jolie Emma un dîner Chez Francis. Elle ouvre des yeux ronds car elle n'espérait pas tant de ce garçon dont la réputation n'est pas celle d'un amant prodigue.


Pendant tout le repas, la jeune femme pose mille questions au maître d'hôtel pour comprendre la carte qui égrène en français des noms fantastiques de plats qui éveillent les papilles et, de là, tous les sens.


Mais Bernie a l'esprit ailleurs que dans son assiette : face à lui, il ne voit pas Emma avec ses petits seins durs et haut perchés, mais la silhouette de Rebecca Hathaway, avec son sourire trouble et sa chair flasque.


Il n'est pas un compagnon de table bien agréable, et pas davantage ensuite un bon compagnon de jeux. Sans cesse absorbé dans ses pensées, il besogne mécaniquement la jeune femme en donnant tous les signes d'un énervement sourd.


Le lendemain, Bernie a déjà oublié Emma. Seules Rebecca Hathaway, sa poitrine triste et sa peau dix fois retendue occupent son esprit.


Les économies du maître-nageur ne s'élèvent qu'à cent vingt dollars. Il est prêt à les sacrifier pour éviter d'être acculé à se livrer aux caprices de la vieille, mais malheureusement, il va falloir trouver une rallonge.


Espérant trouver les quelques dizaines de dollars qui lui manquent, il traîne au Yacht-Club, dans le vague espoir de trouver un service lucratif à rendre à un des riches habitués. Il en est là de ses recherches quand il tombe nez à nez avec Arty Bernstein, une vague connaissance avec qui il a pris une ou deux bières dans les dernières semaines.


– Salut Bernie, commence Arty. Comment vas-tu ? Je te cherchais justement.

– Ça va, ça va… Et toi ? Quoi de neuf ?

– Moi ? Du tonnerre ! Je suis sur une bonne combine qui pourrait me rapporter gros. Mais j'ai besoin de trouver une façon de financer le démarrage d'une nouvelle société pour les sports de glisse. J'ai repéré un local juste en face du débarcadère. Je compte y ouvrir un comptoir de location de planches de surf et de vente d'accessoires de plongée. Je vais faire des affaires en or.

– C'est bien, répond Bernie. Meilleurs vœux de réussite. Mais pourquoi disais-tu que tu me cherches ?

– Eh bien, j'ai appris que tu connaissais madame Hathaway. C'est elle la propriétaire du local. Et je voudrais lui demander un mois d'occupation gratuit, le temps de refaire les peintures et d'installer le stock. Toi qui la connais, tu crois qu'elle acceptera ?

– Je peux lui demander. Combien te loue-t-elle l'emplacement ?

– Douze cents dollars par mois.


Bernie a une idée qui pourrait peut-être sauver sa vertu.


– Écoute, je la connais effectivement très bien. Jamais, elle ne te laissera un mois complet gratuitement. Par contre, je pourrais sans doute te négocier un rabais pour le premier mois. Mettons que tu loues pour trois cents dollars, ça t'irait ?

– Oui, ce serait déjà pas mal. Tu peux me faire ça ?

– Sans problème, fais-moi confiance. Envoie la monnaie et je t'arrange le coup.


Topant avec Bernie, Arty sort de son portefeuille trois billets de cent dollars. En récupérant l'argent, la seule pensée qui vient à l'esprit du garçon est : « Je suis sauvé ! »


Le lendemain, Rebecca Hathaway est très étonnée de recevoir un Bernie avec le sourire, et plus encore, de le voir sortir deux cents dollars.


Ravalant sa frustration, elle lui demande :


– Je ne savais pas que tu avais de telles ressources. Tu vois que j'ai encore beaucoup à apprendre sur les hommes. Avant-hier, tu n'avais pas de quoi inviter ta copine Emma et maintenant, tu rends à ta petite Rebecca son capital et ses intérêts. Quel est ton secret ? Tu as piqué le sac d'une petite vieille ?

– Non, madame Hathaway. Mais il faut savoir que j'ai fait un placement judicieux. C'est pour cela que je peux vous rembourser. L'échéance pour rentrer dans mes fonds était justement hier. J'avais investi cent cinquante dollars, et j'en ai touché deux cent cinquante.

– Hmmm… Tu es doué, petit. Et quelle est cette combine qui te permet de toucher aussi gros ?

– Un de mes meilleurs amis crée un magasin de sport en ville. Son affaire est tellement bien montée que dès maintenant, alors que la boutique n'est pas encore ouverte, tout le monde s'arrache les titres de sa future société. Mais comme il me doit pas mal de services, c'est à moi qu'il réserve ses meilleures affaires. Je me suis associé.

– C'est intéressant, ça. Les plaisirs de ma vie sont devenus simples : les hommes et le fric. Gagner de l'argent a été longtemps un simple passe-temps, mais c'est maintenant devenu une drogue : tailler des rosiers, ce n'est pas mon truc !

– Oui madame Hathaway, je vous comprends bien. C'est pareil pour moi.


Le grand sourire de Bernie plaît à la femme qui le regarde, songeuse. Habituellement, les surfeurs qui passent dans son lit n'ont en tête que de gagner facilement quelques billets grâce à son appétit. Et elle sait que la pente ira toujours dans le même sens : ils resteront mais seront simplement de plus en plus chers.


Bernie lui semble différent : il est séduisant et a l'air de réussir dans les affaires. Finalement, plutôt que d'en faire un amant qui cherchera constamment à quitter sa couche ou à augmenter ses tarifs, pourquoi ne pas en faire un pourvoyeur d'argent, son autre plaisir ? Au moins il lui rendra visite sans rechigner et, avec un beau costume, elle pourra l'emmener dîner sans entendre dans son dos « Rebecca est encore en train de sortir un de ses gigolos ».


Quant à Bernie, il sent le regard de la femme le sonder. Ne sachant pas exactement à quoi pense Rebecca, il lui fait son sourire le plus engageant, celui qui fait craquer les femmes et donne confiance aux hommes. C'est le détail qui décide finalement Rebecca Hathaway à reprendre l'initiative : elle se lève et va à sa coiffeuse. Du tiroir, elle sort une épaisse liasse de billets.


– Bernie… Il y a là trois mille dollars. Tu coucherais avec moi pour une telle somme ?


Le garçon est pétrifié. Il ne s'attendait pas à une proposition aussi directe. Regardant la silhouette anguleuse et flétrie de la femme, il n'a aucune envie d'elle. D'un autre côté, ces trois mille dollars lui permettraient d'emmener Emma non plus Chez Francis, mais directement au restaurant du Grand Majestic, le palace de la ville. Et là, dans une chambre luxueuse, il pourra lui faire oublier sa minable prestation de l'autre jour. Mais voilà : avant d'en arriver là, il va falloir se taper Rebecca Hathaway. Sa gorge se serre, et il ne parvient pas à articuler vraiment sa résignation.


– Madame Hathaway… Rebecca…

– Oui, Bernie ?


Dans un geste d'une absolue vulgarité, elle lèche un billet et le colle entre ses seins tombants…


– Alors, mon petit Bernie… Veux-tu de Rebecca et en prime de ses billets ?


Bernie ne se tient plus et se demande s'il va pouvoir penser à Emma assez fort pour réussir à bander pendant qu'il limera cette garce. Finalement, c'est trop glauque et il décide de renoncer à emmener Emma au Majestic : il trouvera bien une autre fille qui se contentera du McDonald's. Il lui faudra aussi trouver un arrangement avec Arty, parce qu'il sent bien que la discussion avec Rebecca sur la boutique ne se fera pas. Déjà, il imagine la longue file de voitures qu'il lui faudra laver pour le rembourser. Zut !


– Madame Hathaway… Je ne veux pas que vous pensiez ça de moi. Je ne suis pas comme ça. J'ai fait de bons placements et l'année prochaine, je serai assez riche pour ne plus être maître-nageur mais vivre de mes intérêts. Votre offre me flatte, mais je ne vais pas l'accepter. Aussi bien vous que moi valons mieux que ça.


Rebecca a un sourire carnassier qui étonne Bernie, qui s'attendait plutôt à une bordée d'insultes. Elle lui prend la main et y fourre la liasse. Le contact des billets sur la paume de Bernie a un effet immédiat sur ses scrupules : finalement, il va se laisser faire pour repartir avec ces trois mille dollars. Avec une telle somme entre les doigts, il se découvre prêt à lui prodiguer toutes les caresses qu'elle voudra.


Mais avant qu'il n'ouvre la bouche, Rebecca fait un pas en arrière.


– Petit saligaud, tu m'as bien fait mariner. Mais tu les as gagnés. Acceptes-tu de t'occuper de ces trois mille dollars et me faire profiter de tes placements ?


Bernie n'en croit pas ses oreilles.


– Hmmm… Bien sûr, madame Hathaway. C'est un plaisir de vous permettre de bénéficier de mes compétences et de mes bons plans.

– J'y mets une condition, Bernie. Et si tu l'acceptes, je peux même arrondir tout de suite la somme à cinq mille dollars.

– Laquelle ?

– Si tu me ramènes moins de 20% d'intérêts par an, je te forcerai à coucher avec moi. Et ne t'inquiète pas que je trouverais bien le moyen de te faire amener dans mon lit, consentant ou pas. C'est d'accord ?

– Rebecca, croyez-vous que j'aurai besoin de ça ? Non… Vous pouvez compter sur vos intérêts. Je connais une boutique qui a besoin de vos capitaux, mais aussi un hôtel qui est en train de se monter et qui va rapporter de l'or.


Quelques instants plus tard, Bernie repart avec cinq mille dollars et une sordide tape sur les fesses.


Le soir même, il dîne au restaurant du Grand Majestic, non pas avec cette petite oie d'Emma, mais en compagnie de Liz, une jolie fille de bonne famille qui se faisait dorer à la piscine et dont le père est l'un des avocats les plus en vue de San Francisco.


Et dans la suite la plus luxueuse de l'hôtel, il sait où il ira trouver les intérêts de Rebecca, et comment l'inciter à ne pas lui demander de rendre un capital qui, pour l'instant, est effectivement investi dans un hôtel, mais sous la forme de deux bouteilles de champagne et d'un lit avec draps de soie.


* * *


Le Président de la Cour regarde Madoff d'un air sévère.


Les chefs d'inculpation sont énormes : une fraude gigantesque, des montages tellement grossiers que personne ne les a vus, des mensonges empilés sur des mensonges à tel point que tout le monde a réussi à s'y perdre pour finalement s'en remettre à la réputation de l'escroc auprès de gens eux-mêmes réputés pour être bien informés.


– Eh bien, demande le Président d'une voix glacée. Qu'avez-vous à invoquer pour votre défense ?


Bernard Madoff, maintenant plus âgé que n'était Rebecca Hathaway quand il a mis le doigt dans son infernal engrenage, se racle la gorge et s'apprête à lâcher, pour la première fois de sa vie, une vérité. Il goûte l'enivrant moment car dans les cinquante dernières années, il n'a jamais eu l'occasion de le faire.


Malheureusement, cet instant est gâché par un horrible pressentiment : alors que ses odieux bobards ont été crus par des milliers de personnes, dont certaines parmi les plus méfiantes d'un milieu professionnel connu pour sa suspicion congénitale, la première vérité qu'il sort depuis des lustres sera prise pour une fable.


– Monsieur le Président, commence Bernie. Ce jour-là, j'étais sincèrement prêt à aller laver les voitures à Sarbanes Beach.


 
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   Anonyme   
25/6/2012
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
J'aime assez cette idée d'un empilement de mensonges de plus en plus monstrueux, chacun entraînant l'autre... En fait, cette histoire me rappelle les légendes sur le banquier Laffitte ou Rockefeller à leurs débuts, version n'importe quoi. Un ressort comique bien usé, quand même.

La dernière phrase est sympa, pour moi, parce que j'imagine bien l'ahurissement de la cour à cette déclaration liminaire.

Bon, cela dit je trouve que l'anecdote a du mal à soutenir la longueur du texte ; tout cela sonne un peu creux à mon goût. Je crois que j'aurais pu apprécier avec un tiers de moins en volume. Notamment, les considérations sur les prouesses ou non prouesses sexuelles de Madoff, ses inappétences devat la chair flasque de Rebecca, me paraissent trop appuyées et ressassées.

"tu rends à ta petite Rebecca son capital et ses intérêts. Quel est ton secret? Tu as piqué le sac d'une petite vieille" : la répétition se voit, je trouve.

   macaron   
29/6/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Une fable croustillante, inattendue; une histoire qu'on aimerait véridique. Le pauvre Madoff! escroc malgré lui, pour échapper à une vieille harceleuse, pourquoi pas? Votre nouvelle, simplement écrite, d'une lecture agréable et souriante m'a fait passer un moment de détente toujours profitable. La morale est sauve, la cupidité pour une fois punie. J'aime beaucoup la dernière phrase où l'innocence du personnage était pourtant bien réelle au départ. A quoi tient notre destin!

   matcauth   
4/7/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Une histoire agréable à lire, une sorte de : "Madoff pour les nuls" qui s'arrête peut-être un peu trop tôt, avant qu'on ait une perspective vraiment large du système qui a causé la perte de ce financier.

Mais, effectivement, la démonstration est assez claire, bien que tirée par les cheveux (ce qui est probablement voulu, à l'image de ce même système Madoff, qui a fonctionné pendant des années, pourtant) et agréable à lire. Les exemples sont concrets, les tiraillements psychologiques du jeune Madoff réalistes, bref, c'est bien expliqué et intéressant.

L'écriture est forcément pour beaucoup dans tout ça, et, bien qu'elle soit parfois un peu trop scolaire, le rythme est suffisamment soutenu, ça se lit bien.

Finalement, ce que je peux reprocher à cette histoire, c'est justement ce côté un peu scolaire, ce manque de dimension qui me fait dire que lis ici un texte un peu trop dépouillé et pas assez travaillé au niveau de la forme.

Critique un peu facile, je l'avoue car le fond de l'histoire, pour être limpide, avait besoin de cette simplicité dont manquent souvent les auteurs qui cherchent à expliquer un système complexe.

   Anonyme   
19/7/2012
 a aimé ce texte 
Un peu
Je suis un peu déçu.
D'abord, je ne suis pas fan de ce style un peu plat, qui à force d'être linéaire finit par devenir creux. L'histoire semble racontée à des enfants :
- " Bernie est bien obligé de porter une madame Hathaway... ".
On s'attend à une suite du genre : "...dit la maman à ses trois petits cochons."

- " Le jeune Bernie s'empourpre devant les effets de poitrine de la femme qui pourtant souffre des outrages du temps ".
Cette phrase à elle seule me ferait refermer le bouquin que je commence. Parler des outrages du temps dans un texte qui se veut drôle et iconoclaste, me paraît manquer cruellement d'inspiration et d'anticonformisme. Je crois que même Katherine Pancol a abandonné ce genre de politesse.

- « Je ne sors qu'avec des gens de ma tranche d'âge : trois gamins de vingt ans »
Ça rappelle un peu trop le " Echange une femme de 60 ans contre trois de vingt ".

Sur le fond, l'histoire ne fait que dupliquer au passé l'escroquerie d'aujourd'hui. C'est à dire que Madoff jeune bénéficie d'emblée (par une pirouette sexuelle) de la même confiance qu'il a mis des décennies à bâtir. On comprend qu'il va escroquer Liz pour payer la miss Hataway. Donner comme père à cette nymphette de bonne famille le meilleur avocat de San Francisco est peut-être un peu présomptueux pour un jeune débutant. J'aurais préféré m'en tenir à la location du local commercial, et savoir comment Madoff se sortait de ça.

Palimpseste, vous avez une plume souvent efficace, drôle, pleine d'ironie et de dérision.
J'apprécie la plupart du temps.
Ici je me sens un peu infantilisé. Le texte cède à la facilité, à une sorte de complaisance narrative. Peut-être aussi l'auteur n'a-t-il pas voulu s'impliquer plus que ça dans cette histoire.

Cordialement
Ludi

   alvinabec   
19/7/2012
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour Palimpseste,
Le fond de l'histoire est exploitable, c'est une bonne idée. Néanmoins le traitement m'en semble laborieux et assez plat. Impossible de faire une liste de tous les poncifs suremployés ici! Vous nous avez habitués à une verve plus caustique, plus drôle, plus enlevée. L'auteur des billets doux par SMS, des tongs en cuir fin comme en rêve Christian L. est-il en vacances de tout?
Et puis vous utilisez un style binaire trop convenu, une abondance d'adjectifs qui ne relèvent en rien votre prose. Auriez-vous oublié de corriger votre ponte?
A vous lire...

   brabant   
19/7/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Palimpseste,


J'ai bien aimé ce '"Madoff le commencement"', finalement aussi crédible que '"L'histoire tout à fait vraie de Bernie M"', ce tristement célèbre escroc ici devenu expert en cavalerie pour n'avoir pas voulu faire le cavalier.

La fin est subtile :
" - Monsieur le Président, commence Bernie. Ce jour-là, j'étais sincèrement prêt à aller laver les voitures à Sarbanes Beach."
J'ai apprécié à sa juste valeur.


Lecture agréable, style aéré et accrocheur, vous contez avec facilité. Fluide.
Ceci dit je garde mon flouze.

   placebo   
19/7/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Un texte qui se lit facilement, assez léger et plaisant. J'avoue avoir trouvé quelques longueurs moi aussi sur l'aversion de Bernie pour le physique d'Hataway ; peut-être pour renforcer un argument (il a fait tout ça pour échapper à la vieille) somme toute peu crédible ? Mais la crédibilité n'a pas à être un des buts du texte pour moi, l'histoire est "presque vraie" et si elle est plaisante, peu importe importe où se situe la vérité, voire la crédibilité.

Malgré l'idée un peu trop tirée en longueur, des dialogues parfois un peu lourds (j'ai trouvé le premier manquant de naturel par exemple), l'histoire m'a plu.

Bonne continuation,
placebo

   Leo   
19/7/2012
 a aimé ce texte 
Bien
L'histoire est marrante et plutôt bien écrite. Le sujet n'est pas anodin, le personnage est tout de même un cas assez particulier d'escroc grandiose, qu'on peut haïr quand on s'est fait plumé, mais qu'on ne peut qu'adorer quand on pense que le seul moteur des plumés était la cupidité. L'auteur visait à faire sourire, c'est réussi, et ce n'est déjà pas si mal.

Mais je dois avouer que ce qui fera que ce texte me restera en mémoire n'est pas l'histoire, mais les lieux : envoyer Madoff à "Sarbanes Beach" et "Oxley Creek", fallait oser ! Il est vrai que ce sont des plages très fréquentées par les anciens d'Enron ou d'Arthur Andersen, entre autres...

   Pepito   
20/7/2012
Plat-plat pour le style, avec des phrases oups : "Ça doit me consoler que je puisse me mettre sur une chaise sans avoir les fesses à me cuire ?" et "pour finalement s'en remettre à la réputation de l'escroc auprès de gens eux-mêmes réputés pour être bien informés." ??

Pouet-pouet pour l'idée, peut être mieux avec la surprise de découvrir qu'il s'agit de Madoff en toute fin ?
Faire arriver le gout de l'argent de Rebecca un peu plus tôt, dans sa description par exemple ?

Hargh, dure rançon de la gloire ! Un niveau tellement élevé en forum que l'on s'attend à du top Palimpseste pour une nouvelle, et ...

Au plaisir d'en lire rapidement une autre.

Pepito

   AntoineJ   
23/7/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
top !!

bon, on sent que l'histoire a pris le pas sur le style, et que cela aurait peu être plus travaillé. Mais le tout est très bien trouvé, consistant et cohérent. le ton général est aussi croustillant et ce dépucelage financier est tout à fait plaisant !!!

   Dunkelheit   
30/7/2012
 a aimé ce texte 
Pas ↑
L'histoire en soit est pas si mal, et on se surprend à la fin à avoir de la compassion pour ce garçon trop beau et trop innocent pour son propre bien.

Mais ce qui me chagrine ici est le style. Il y a beaucoup trop de dialogues à mon goût et ils sont mal maîtrisés. Les dialogues sont, je trouve, ce qu'il y a de plus difficile à écrire. Il faut qu'ils aient l'air vraisemblable, que les mots collent à la personnalité du personnage... C'est un véritable challenge, et ici il n'est pas relevé, le tout premier dialogue notamment me paraît bien maladroit.

Avec moins de dialogue ce texte s'étofferait à mon sens, il gagnerait en profondeur et en facilité de lecture.

Une bonne idée de départ et un traitement à retravailler selon moi, bonne continuation dans tous les cas !

   Anonyme   
27/1/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Je trouve l'histoire de ce texte vraiment bien , Tu arrive a Vulgarise si je peux me permettre ce monstre sacré de la finance . Bien que malgré que je ne sois pas un expert en matière de style , je partage les mêmes opinions que les autres concernant la qualité des dialogues .

   Laroche   
4/2/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La littérarité d'un texte est sans doute sa dimension la plus difficile à définir: nous savons que ce concept, forgé par Roman Jakobson il y a pas loin d'un siècle, ne s'est guère popularisé, tant il "échappe" sans cesse à mesure que l'on veut le cerner.
La littérarité, qui n'est pas une perception subjective d'une oeuvre, n'est autre que la certitude ressentie, face à un texte, qu'il est littéraire ou qu'il ne l'est pas. Et là où la littérarité nous apparaît comme un concept bien difficilement utilisable, c'est le fait que de tel texte écrit en dehors -ou même àl'opposé- des règles canoniques du bien-écrire puisse se dégager une intense littérarité, alors que de tel autre écrit, non seulement rédigé "dans les clous", mais offrant même des petits plus (élégance, fantaisie, gravité touchante...) n'émane aucune "vibration" que l'on puisse appeler littérarité.
Que ce texte sur Madoff soit trop long, trop dialogué et trop maladroitement dialogué, qu'on y trouve des ruptures de tonalité préjudiciables à l'économie même du récit, tout cela a été relevé avec justesse; j'ai peur qu'outre ces défauts, qui pourraient être corrigés, cette nouvelle manque singulièrement de littérarité.


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