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Science-fiction
Pepito : Hiver [concours]
 Publié le 01/02/22  -  13 commentaires  -  20638 caractères  -  153 lectures    Autres textes du même auteur

« Sans la douleur et le désespoir des enfants, comment pourrait-il exister un Enfer comme il faut ? » Dino Buzzati

« Sous la lumière d'un Futur imaginaire, s'allongent les ombres du présent. » Pohal Audan


Hiver [concours]


Ce texte est une participation au concours n°31 : Elle, lui, eux et... l'hiver !

(informations sur ce concours).



Mika


De longs cheveux blonds masquent en partie sa bonne petite bouille. Il doit avoir huit ans tout au plus. Je m’approche. Au travers des boucles emmêlées, je reconnais les yeux bleus d’Harald, le fils du chef de guet.


En fin d’après-midi, au moment où je traversais le coron en direction des zones de chasse, ce garnement a entraîné ses camarades, Mei y comprise, dans une offensive en règle contre mon chariot.


– C’est Mika, c’est Mika ! Feu à volonté.


Une seconde plus tard, les boules de neige pleuvaient dru.


En réponse à l'attaque, j’ai sauté du glisseur en marche et après un roulé-boulé d'anthologie me suis relevé, bras en crochets au-dessus de la tête, imitant le cri du terrible Ver des neiges. Les gamins ont détalé dans toutes les directions, poussant des hurlements de terreur presque aussi bien imités que les miens. Dans la précipitation, Harald a dérapé sur une plaque de glace. Avant qu’il ne se relève, je l’ai attrapé par les mollets et, tandis qu’il braillait de plus belle, j’ai commencé à l’avaler tout cru avec force bruits de succion et de déglutition. Vexé d’avoir été aussi facilement capturé, il a secoué les pieds avec énergie, appelant à l'aide ses petits copains.


Comme aucun d'eux ne s'approchait, déçu de ne pouvoir me mettre d’autres enfants grassouillets sous la dent, j'ai lâché ma proie avec un dernier grognement de dépit. Le gosse est parti à la vitesse d’un Kangloo au galop, pour se retourner au bout de quelques pas, soulever une seconde son masque grand froid et me tirer un petit bout de langue rose. Puis, dans un concert de cris joyeux, toute la meute a détalé pour disparaître derrière une serre géothermique. En riant, je suis remonté sur le glisseur.


Bien plus tard, de retour vers le village après une longue nuit de chasse, la lumière de mon lamparo a accroché l’extrémité de chaussures dépassant d'une congère. Ornées d’une paire d’oreilles et d’une grande bouche de monscre, elles m’ont rappelé les bottes d’Harald. Surpris de trouver un enfant dehors en pleine nuit froide, j'ai stoppé mon glisseur en travers de la piste. Après avoir posé les pieds sur le sol gelé, j’ai relevé la tête dans sa direction. Ma frontale a découpé un cercle dans la nuit, illuminé son visage. Avec stupéfaction, je me suis rendu compte qu’il n’avait pas son masque. À son âge, pour un enfant né sur Hiver, protéger sa bouche et ses yeux du grand froid est un geste aussi automatique que gonfler ses poumons pour respirer.


Je suis maintenant devant lui, à le toucher et pourtant incapable d'accepter l'évidence. L’absence de réaction, ses mains serrées sur sa poitrine, ses yeux légèrement voilés… La neige a fondu au contact de son visage, avant de regeler en petites perles translucides, signe qu'il a couru un long moment avant d’arriver là. Dans un réflexe imbécile, je tente d'essuyer son front. Une mèche de cheveux se brise net, tandis que le bout de mes gants glisse sur la surface devenue dure et grenue de son visage. La mousse rosâtre figée au coin de ses lèvres m’oblige enfin à admettre la vérité. Pour une raison quelconque Harald a couru sans son masque de protection. Au bout de quelques foulées, l'air gelé de la nuit, avalé à grandes goulées, a lacéré ses poumons, déchiré ses bronches. Je ne veux même pas penser à la douleur d’une telle agonie. Poitrine serrée, je retire mon propre masque avec l’illusion de mieux respirer. Mes larmes gèlent avant même de commencer à couler. Ses yeux bleus me fixent toujours, définitivement écarquillés par la surprise de sa propre mort.


Je détourne le regard. Dans le cercle de lumière de ma frontale, dérangés par le courant d’air de la turbine, les flocons de neige s'affolent. Hypnotisé par leur ballet d’insectes captifs, je reste immobile, un long moment, jusqu’à ce qu’un frisson me secoue, m’oblige à bouger.


Même si je sais que plus rien ne pourra ramener l’enfant à la vie, je ne peux me décider à l’abandonner dans le froid nocturne. Je me penche pour saisir son petit corps avec délicatesse. Dans l’effort pour l’arracher à sa gangue de glace, mes gants glissent sur ses vêtements givrés. Quand je le repositionne pour mieux assurer ma prise, son corps roide résonne comme un morceau de verre. Il est trop fragile pour le poser sur le plateau du glisseur. Je décide de continuer à pied, le poste de guet n'est qu'à quelques centaines de mètres. Par peur de trébucher, je marche avec précaution, au rythme d'une procession funèbre.


Par une étrange délicatesse la neige cesse de tomber, l'obscurité en devient transparente. Sur le côté de la piste, au-delà du mur de neige, la ligne des drapeaux de sécurité caquette dans le vent. Comme un voyageur perdu dans la nuit noire ou le brouillard impénétrable, aveuglé par la peine, je me fie à leur chuchotement pour trouver mon chemin.


Il va falloir annoncer la nouvelle aux parents du petit, mais aucune de ces phrases toutes faites ne me vient à l'esprit. Comment pourrait-il exister une façon acceptable d’annoncer la mort d’un enfant à ses père et mère ?


L’est s’éclaircit quand j’arrive aux premiers baraquements de la mine. Avec effort, je contourne une ultime congère et découvre un paysage d’apocalypse.


Du poste de guet, il ne reste qu'un amas de tôles noircies noyé au milieu d'une flaque de glace bleutée. Une fumée sombre s’élève pesamment d'un monticule de débris pour se perdre dans un ciel aux reflets rosissants. Je comprends maintenant ce que l'enfant fuyait. Un rayon thermique ou un missile a réduit le poste en cendres. Comme aucun autre baraquement n’a été touché, j’en déduis que le tir visait l'émetteur-com, le feu a ensuite dû se propager. Dès que son habitat a commencé à brûler, Harald est sorti par le sas de secours pour partir en courant le long de la route. Dans l’affolement, il a oublié de prendre son masque.


Abasourdi par la scène s’étalant sous mes yeux, le corps du petit toujours serré dans mes bras, je n'ai aucune réaction quand ils surgissent de derrière un amas de neige. Ils sont quatre, curieusement équipés pour lutter contre le froid de notre planète, mais armés et cuirassés. Sans un mot, ils se déploient rapidement autour de moi pour stopper toute velléité de fuite. Des soldats, à n’en pas douter. Avant même d'avoir peur, j’ai une étrange impression ; le sentiment que beaucoup trop d'yeux m'observent.


Il répète son ordre mais je ne réagis toujours pas. Depuis combien de temps hurle-t-il dans ma direction ? Tétanisé, mon cerveau refuse de prendre la moindre décision. Je ne remarque même pas un des gars me contourner pour revenir dans mon dos. De la crosse de son arme, il frappe un grand coup contre mon épaule. Sous l'effet de la surprise autant que de la douleur, je desserre mon étreinte et le corps de l'enfant m'échappe. Comme dans un de ces mauvais dram-holo, le temps se dilate et la suite semble se dérouler au ralenti. Le corps du garçonnet exécute presque un demi-tour sur lui-même avant de percuter la glace dure de la piste. Au choc, un bras se détache, explose en projetant une multitude de paillettes rosées. Le buste ricoche ensuite dans un bruit cristallin tout en perdant d'autres morceaux à chaque rebond. Après un instant d’effroi, un profond dégoût me tire de ma torpeur. Choqué par la profanation, je me jette sur mon agresseur, faisant fi de la menace de son arme. Je tire sur son curieux vêtement grand froid dont la capuche s'écarte d’un coup. La surprise est si grande que j’en reste un instant interdit, toute colère anesthésiée. J'ai trop souvent entendu parler des soqols et plus encore de leurs parasites, mais c'est la première fois que j’en vois un. Posé sur l'épaule du gars, sa longue queue enturbannée autour de son crâne, la chose me fixe de ses gros yeux globuleux. Je n’ai pas le temps d’en voir plus. Un coup de crosse sur ma nuque met fin à cette nuit de cauchemar.


Inaya


Réveillée en sursaut par la première explosion, je me suis précipitée sur le réseau des caméras de rues piraté par Mika. Abasourdie et impuissante, j'ai suivi en direct l’invasion de la mine et du coron.


Quand le double soleil s’est levé sur notre petite colonie d'Hiver, les soqols avaient pris possession de tous les points-clefs, détruit les antennes et coupé les communications par satellite. Raflés et rassemblés manu militari dans le hall de la maison commune, la majorité des habitants sont maintenant à leur merci, sans la moindre possibilité de demander de l’aide aux planètes primaires. Même si je doute que le gouvernement des Néo-Terres se préoccupe un jour des malheurs de notre planète gelée, perdue au milieu du grand rien.


Je suis la seule habitante d’Hiver à avoir déjà côtoyé les soqols, la seule à avoir la certitude de leur folie. Alors institutrice sur un autre planétoïde d’extraction, j’ai pu observer comment, par un savant mélange de sabotages et de corruption, leur secte a pris possession de la mine, avant de s'imposer dans tous les rouages économiques de ce petit monde, allant même jusqu'à prélever un impôt religieux. J’ai réussi à fuir avant qu’ils n'obligent toute la population à adopter leurs coutumes.


Les soqols sont des adeptes du transhumanisme. Ils portent tous sur l’épaule une hérésie génétique, un parasite dont la queue enroulée autour du front génère des hyphes qui traversent le crâne pour s’enraciner dans le cerveau. Ces créatures enregistrent la vie de leur hôte, perceptions sensitives et émotions comprises, et la stockent dans un monde parallèle. En cas de mort du porteur, ils peuvent transférer son essence vitale dans un nouveau corps choisi parmi les populations asservies. Pour les soqols, nous ne sommes guère plus que des enveloppes charnelles de rechange.


Heureusement, nous avons prévu une échappatoire et habiter en dehors de l’agglomération me laisse un peu de temps pour m’équiper. Pendant que je remplis mon sac, enfin réveillée par le bruit ambiant, Mei vient me rejoindre, tout ensommeillée et le doudou à la main.


Je m'abaisse à sa hauteur.


– Ma puce, écoute-moi bien, on va jouer à un jeu. Nous allons marcher jusqu'à l’astroport pour monter dans un grand vaisseau. Si on croise des gens, on va faire comme s’ils étaient méchants et se cacher. Puis on racontera l'histoire à papa qui va bien rigoler. D’accord ?


Elle me regarde sans broncher. Dans sa tête doit défiler tout un tas de questions, y compris savoir si je ne la prends pas pour un bébé. Cela dure deux ou trois longues secondes, puis, le doudou toujours coincé entre deux quenottes, elle donne son accord d’un hochement de tête. Émue, je la serre dans mes bras, résistant à l’envie de la serrer plus fort encore, de la protéger à l'intérieur même de mon propre corps. Au lieu de quoi, je l’habille en vitesse et, après avoir sanglé le sac sur mes épaules, nous sortons dans le blizzard.


Sans rencontrer âme qui vive, nous arrivons en vue de l’astroport. Un bien grand mot pour un simple espace dégagé et désert, utilisé pour l'envol et l'atterrissage de cargos entièrement automatiques. Tenant Mei par la main, j’avance avec circonspection, tout en cherchant Mika du regard.


Enfin je le trouve, près d’un pylône d’amarrage, affalé sur le siège de son traîneau. Il se lève à mon approche, tout en se massant la nuque d’une main. Mei se précipite pour l'étreindre et, quand il la prend dans ses bras, j'aperçois des traces rosées sur ses bottes.


– Que s'est-il passé ? Ça va bien mon chéri ?


Il m’entoure de son bras libre.


– Ça va aller, mais la nuit a été longue. Nous en parlerons plus tard, ajoute-t-il, tout en me faisant un signe discret en direction de la gamine.


Je n’insiste pas. Nous devons faire vite, le temps de faire passer les cargos sous pavillons de complaisance et les expéditions vont reprendre. Tout en avançant, au travers des giboulées, j'aperçois au loin l'ombre effilée d'un transport de troupes posé sur le tarmac d’arrivée. Sur son flanc, une inscription en partie grattée : MAP ou NAP.


Le plus discrètement possible, nous continuons vers l’aire d’envol, un immense auto-cargo est à quai, prêt au départ pour les Néo-Terres. Nous grimpons dans la superstructure, ouvrons une des soutes sphériques pour nous laisser glisser sur le minerai en contrebas. À la lueur des frontales, l'ensemble prend l’apparence d’une immense coupole au sol caillouteux. La lourde porte du sas se referme avec un bruit sourd dont l’écho se répercute en tournoyant. Je lève les yeux vers ce seul point d’accès, taraudée par deux émotions contradictoires. Un sentiment de sécurité et une peur diffuse. Même si je sais qu’aucune autre solution n’était possible pour sauver notre famille, je sens planer l’ombre du doute. Le verrou claque à son tour et balaie tout sentiment de quiétude. Heureusement, Mika interrompt mes pensées.


– Tu as vu le vaisseau des soqols ? Sûrement financé par des intégristes de la diaspora.

– Je ne crois pas trop aux guerres de Religion, pour moi, une conquête ne sert qu’à devenir plus riche ou plus puissant. Il y a autre chose derrière cette attaque. Et puis c'est quoi ce NAP ?

– Pas la moindre idée…


Mika, assis à même le minerai, déroule un fin anneau métallique tout autour de nous. Tandis qu’il le branche au matériel contenu dans le sac, j’observe la gamine se tortiller sur place. Son doudou, pressé contre son masque dans un substitut de succion, fait des allers-retours sous son menton.


– Alors c’est vrai, nous allons faire un grand voyage ?


Son innocence me redonne du courage et le sourire. Je lui tends les bras, elle vient dans mon giron et nous nous serrons tous les trois autour du générateur de stase. Pour nous, le voyage sera quasi instantané, mais il faut que la batterie dure jusqu'à notre arrivée sur une planète… C’est là que réside le plus gros risque de notre échappée.


Mika nous observe tendrement une dernière fois, abaisse un levier et le temps s'arrête.


Niki


– Quelle est la situation ?


Sans qu’il n’ait besoin d’élever la voix, une vague d’empressement parcourt la salle de contrôle. Je retiens un sourire en observant mes camarades de travail. C’est à qui prendra l’air le plus affairé. Il est vrai que l’arrivée d’un Contrôleur-Central dans la station d'aiguillage n’est pas chose courante. Bien sûr, le premier à se précipiter est mon chef de poste, encore plus mielleux qu’à son habitude.


– Bonjour monsieur le Contrôleur, vous tombez bien, nous avons une arrivée non répertoriée. Un auto-cargo.

– Je sais, je suis même ici pour voir de quoi il retourne. Qui a lancé l’alerte ?


Là, ça va être pour ma pomme. Ce mollasson de chef va se défausser comme une grosse baderne.


– C’est ellui, là-bas, sur le poste d’aiguillage de droite. Iel s’est sûrement un peu affolé, cela n’a pas l’air d’être grand-chose.


Et voilà, comme prévu je me retrouve en première ligne. L’autre arrive déjà vers moi de sa démarche martiale, sans un salut pour mes collègues cachés derrière leurs nuages de mouches numériques. Je dois reconnaître qu’il a de l’allure, même si je ne goûte pas trop le genre militaire. J’abandonne mon siège et me lève pour me présenter dans les règles.


– Bonjour monsieur le Contrôleur, aiguilleur de l’espace Nikki, pour vous servir.

– C’est donc vous qui avez lancé cette alerte ?

– Effectivement… Hmmm… Désolé de vous avoir dérangé mais le balayage thermique a détecté plusieurs sources de chaleur dans la soute de cet auto-cargo, dis-je, en pointant mon index vers une mouche jaune fluo dans l’amas 3D de mon poste de travail.


Aussitôt la mouche grossit à la dimension d’un ballon et devient un auto-cargo interstellaire grisâtre tournant lentement sur lui-même. À chaque rotation, trois taches d’un rouge sombre apparaissent au haut d’une des sphères de stockage.


Je sors mon plus beau sourire avant de continuer.


– Comme vous le voyez, il semble que des êtres vivants se soient glissés dans la soute. Vu que la procédure nous oblige à placer en quarantaine tout vaisseau n'ayant pas de pavillon officiel, j’ai trouvé plus prudent de lancer une alerte intrusion avant d’aller plus loin.


Le Contrôleur se penche pour observer de plus près la simulation holo du vaisseau.


– Cela ne peut pas être un court-circuit ou une inflammation spontanée de la cargaison ?

– Je ne pense pas, au début de la détection, l’une des taches thermiques s'est légèrement déplacée. Mais il est impossible de certifier quoi que ce soit avant d’ouvrir la cale.

– Humm… et d'où vient ce cargo ?


Je relance mon clavier holo à la recherche d'une info que je connais déjà parfaitement.


– Heu… voyons voir, d'après sa ligne de vol… voilà, il vient en ligne directe de la planète Hiver.


Je vois ses sourcils se froncer, ses mains se crisper. Il est au courant, bien sûr. Comme nous tous sur la plateforme d’aiguillage. Depuis des heures, malgré plusieurs relances, nous sommes sans nouvelle de cette station. L'hypothèse la plus probable est qu'une catastrophe quelconque a poussé des habitants affolés à trouver refuge dans ce cargo. Et j’ai une petite idée sur la catastrophe en question, les réseaux d’infos parallèles ne sont pas remplis que d'invraisemblables complots.


Prenant l'air le plus ingénu possible, je demande :


– La ligne transluminique IGP en provenance de la supernovæ SASSN-15lh doit traverser ce coin de l’espace, non ? Si je ne me trompe pas, le dernier relai-miroir avant d'alimenter en énergie les Néo-Terres est justement prévu dans l’orbite de la planète Hiver.


Pour le coup, la crispation de son corps m’en dit beaucoup plus qu’un long discours. J’ai touché dans le mille. En tant que Contrôleur-Central il est au parfum de tous les coups fourrés géopolitiques. Accessoirement, il doit aussi posséder pas mal d’actions de grands monopoles.


– Où voulez-vous en venir ? me répond-il.

– Il me semble que le monopole de la ligne TANAP est menacé par ce projet, non ?

– Possible, et alors ?

– Je me demandais juste si TANAP n'avait pas intérêt à ce que la situation sur Hiver se dégrade. Avec la puissance dont elle dispose, organiser un conflit quelque part dans la galaxie est un jeu d’enfants. Je ne sais pas si…


L'apparition d’une image sur l'écran de contrôle secondaire m'interrompt tout net. Branché depuis le matin sur un fil info, officiel celui-là, il affiche maintenant la face d’une femme au regard halluciné avec sur l’épaule une espèce de bestiole poilue aux gros yeux globuleux. Le son est coupé, mais le bandeau de glyphes défile en continu : Paul, leader de la secte soqol, revendique la prise de possession de la colonie minière d’Hiver. Après un frisson de dégoût, imaginant ce genre de bestiole lovée contre mon cou, je me tourne vers le Contrôleur. Il n’a pas l’air très affolé par l’information, tout au plus une légère torsion du nez, comme si l’odeur du parasite le dérangeait. Je reprends la parole.


– Eh bien voilà une bonne raison pour expliquer la présence de réfugiés dans la soute de cet auto-cargo, non ?


Son regard s’écarte de l’écran, me fixe un bref instant avant de se tourner vers la simulation du vaisseau en déshérence.


– Votre soi-disant problème de réfugiés tend à se résoudre de lui-même, non ?


À mon tour, je jette un œil sur l'avatar numérique. Il continue de tourner sur lui-même, indifférent au sort de ses passagers virtuels. J’ai un sursaut quand je remarque que seule la plus petite des trois taches reste maintenant visible. Je m’approche, le ventre retourné par le drame en train de se jouer en orbite, à des milliers de kilomètres de mon confortable poste de travail. Sous mes yeux le troisième halo thermique commence à s'assombrir lentement, avant de disparaître à son tour. Avalant ma salive, je me tourne vers le Contrôleur.


– Nous n’allons rien tenter pour sauver ces pauvres gens ?

– Personnellement, je n’ai vu là que quelques points de surchauffe dus à un simple incident technique. Je vous conseille donc de suivre la procédure. D’autant que d’autres cargos réclament votre attention, non ?


La menace est tout juste voilée. Il a le pouvoir de me licencier ou de m’envoyer pourrir dans un placard d’un simple mot. Pour la forme, la gorge sèche, j’ajoute :


– Il faudra s'attendre à ce que d’autres habitants d’Hiver tentent le tout pour le tout afin d'échapper à leur sort.

– C’est possible, mais que voulez-vous, les Néo-Terres ne peuvent pas accueillir toute la misère du monde.


 
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   Anonyme   
5/1/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Je n'ai absolument pas compris comment Mika, dont l'intervention comme narrateur dans le récit se termine ainsi :
Un coup de crosse sur ma nuque met fin à cette nuit de cauchemar.
pouvait retrouver après l'invasion sa famille, Inaya et Mei, pour embarquer clandestinement dans le vaisseau cargo. Là, je vois un gros hiatus dans l'action.

Et je trouve cela vraiment dommage, parce que par ailleurs j'ai pris grand plaisir à découvrir l'univers riche dans lequel vous avez su m'immerger avec efficacité et élégance, sans lourdeur didactique. C'est à mon avis un aspect important, voire primordial, quand on raconte une histoire de science-fiction. Chapeau pour ça.
J'ai bien aimé aussi la fin ; tout change et rien ne change, les "petits" payent les manœuvres géopolitiques des multinationales. Très bonne idée, aussi, la secte transhumaniste terroriste avec ses parasites qui servent au stockage de la psyché !

Bref, une nouvelle intelligente et intéressante pour moi, un univers foisonnant. Je déplore d'autant plus la grave lacune que je crois discerner dans l'intrigue.

   plumette   
1/2/2022
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Cette nouvelle est bien écrite. elle respecte la contrainte du concours quant à la notion d'hiver et au(x) prénoms employés.
j'aime assez son démarrage: les jeux des enfants , la focalisation sur le jeune Harald, puis la découverte du drame.

Pour moi, c'est après que cela se gâte, sans doute parce que ce monde ne me "parle" pas! mais aussi parce que la narration s'est complexifiée et que je me suis égarée.
j'ai trouvé la dernière partie quasiment illisible, trop de sigles et une incompréhension ( pour moi) des enjeux.

La nouvelle aurait pu s'arrêter aux deux premiers récits! et aurait ainsi pu garder une sorte d'unité.

Et pourquoi tous ces personnages ? Je suis surprise de cette interprétation de la consigne.

   Donaldo75   
20/1/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Une nouvelle en trois tableaux ? C’est ce qui est ressorti de ma première impression. Tableau 1 : Mika ; la lecture est facile, agréable, l’histoire est bien racontée et je me projette dans le tableau du début à la fin. En ce qui concerne les contraintes du concours, elles me semblent plus que respectées, en plus il y a plusieurs personnages dès ce premier tableau. Et la catégorie « science-fiction » me semble très adaptée. Oui, c’est une première très bonne voire excellente impression. J’ai hâte de lire la suite, du coup, je dégusterai encore plus le concerto pour clarinette de l’ami Wolfgang Amadeus. Tableau 2 : Inaya ; ici également la lecture est facile et agréable. Il y a moins de rythme que dans le premier tableau mais c’est légitime vu qu’Inaya explique plus le contexte. La fin permet de revenir sur ce qu’a vécu Mika sans pour autant le dévoiler, une bonne manière de lancer la troisième partie, je suppose. Tableau 3 : Niki ; là, je suis surpris, dans le bon sens du terme car c’est une toute autre perspective qui s’ouvre, dans un autre style narratif – déjà que stylistiquement les deux premiers tableaux étaient différents – et avec une écriture plus nerveuse, plus basée sur des dialogues, avec l’utilisation de la première personne du singulier qui la rend plus directe. La perspective est double mais extérieure à ce qu’ont vécu Mika et Inaya. Et cette dualité, le chef et le subordonné, le cynique et l’humain, se résume bien dans la phrase de fin, empruntée me semble-t-il à feu Michel Rocard quand il était premier ministre de feu François Mitterrand. Cette phrase résonne d’un timbre particulier à l’aune de ce que nous vivons en ce moment sur notre planète bleue, en Europe, en France, avec les vagues de migrants. En cela aussi, ce texte est fort.

   Anonyme   
1/2/2022
 a aimé ce texte 
Passionnément
Cet écrit construit avec maîtrise et précision prête un charme certain à des personnages improbables, mais c’est parfois plus profond que ça en a l’air. Car la foisonnance d’idées de ce délire déchaîné, excessif, terrifiant, mouvementé et en apparence invraisemblable est, à mon avis, en fait très simple à comprendre : il s’agit là d’une très légère anticipation – j’exagère à peine- de la situation actuelle de notre monde qui s’emballe de plus en plus et échappe à la raison. Cette volonté d’appeler la science-fiction à la rescousse pour tenter d’expliquer les dérives de nos sociétés actuelles est franchement ÉPOUSTOUFLANT !

CLAP ! CLAP ! CLAP ! à l’auteur.

   LenineBosquet   
1/2/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Je ne sais si c'est voulu mais j'ai vu dans ce récit quelques correspondances avec un classique de la SF qu'est "La main gauche de la nuit" de Ursula K. Le Guin. Le nom de la planète notamment (Hiver ici, Nivôse dans "La main gauche..."), ainsi que le genre des protagonistes dans votre 3ème partie (sur Nivôse que des "iels" et "ellui").
A part ça un texte original aux résonnances bien actuelles, le business avant tout et cette phrase de clôture si insupportable dans sa fausse évidence "on ne peut pas accueillir toute la misère du monde".
Je n'ai pas compris comment Mika s'est réveillé libre après son coup sur la nuque.

   Anonyme   
3/2/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La S.F. et moi, d'habitude, c'est plutôt bof !... mais ici, et surtout dans le premier tableau ''Mika'', elle a su distiller en finesse ses codes tout en brossant une scène des plus réalistes. Je me suis entièrement laissée captiver par l'histoire.

Le tableau ''Inaya'' vient compléter celle ci avec brio. Abordant un nouvel angle de vue on va découvrir ce qui se trame, car l'auteur sait faire monter le suspens comme il faut.

Sauf que, gros bémol, on ne comprend plus du tout pourquoi Mika se retrouve dans le cargo avec Inaya et leur fille alors qu'on l'avait laissé assommé par les soqols ???...

Je m'attendais à ce que cette incongruité, cette absence d'indices, fasse partie intégrante du scénario, pour tenir le lecteur en haleine en le préparant à des rebondissements flamboyants. Du genre, Mika a été ''contaminé'' par les Soqols, mais quand Inaya s'en apercevra, il sera trop tard...

Bref, il n'en est rien, ou alors je n'ai pas su lire comme il faut. Et cela gâche un peu ma lecture. Surtout que le troisième tableau, même si le cadre, avec l'ambiance qui y règne, sont restitués avec un réalisme certain, me déçoit un tantinet en devenant simple leçon de morale.

En résumé, l'écriture est superbe, c'est très bien mis en images, très bien raconté. Dommage que la suite du menu ne tienne pas la promesse de la divine mise en bouche.

Cela aurait pu être du passionnément...

Bonne chance pour le concours.


Cat

   Annick   
6/2/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai été happée par l'écriture cinématographique et les deux premiers paragraphes. Le narrateur met en scène deux tableaux qui se heurtent et se ressemblent : la fausse peur et puis la vraie, celle qui marque à jamais.
Le rire, l'espièglerie se prolongent par la tragédie, sans transition. La rupture, l'opposition entre les deux parties sont cinglantes. Il y a des détails réalistes à glacer le sang.
On comprend que là où vivait Harald n'est pas un long fleuve tranquille. "Un missile ou un rayon thermique a réduit le poste en cendre".
Non seulement le climat est d'une hostilité effrayante mais le lieu où vit Harald est vulnérable. Je commence à me poser des questions : Où se situe l'action ? Qui a attaqué le poste de guet ? Pour quelles raisons ?
Certaines images sont poétiques, (la neige), l'introspection du narrateur est pleine de sensibilité, de finesse.
Celui ci donne un tour de vis à l'intrigue à l'arrivée de soldats. On glisse dans l'épouvante quand le petit corps se disloque et que, je cite, "la chose me fixe de ses gros yeux globuleux".
Puis c'est le trou noir quand le coup de crosse tombe.
Il y a une rupture dans le récit, avant d'entamer le second tableau. Mais la petite phrase, par la suite "Il se lève à mon approche, tout en se massant la nuque d’une main"me rassure. On sait que le coup de crosse n'a pas tué Mika.

Dans le second tableau, avec la narratrice, on entre véritablement dans la Science-fiction : les deux soleils qui se lèvent, les planètes primaires, le gouvernement des néo-terres, et dans l'horreur avec la description des Soqols et leurs intentions envers leurs esclaves qu'ils considèrent comme de simples enveloppes.
La fuite de la famille vers une autre planète me sécurise un peu. J'en ai bien besoin après toutes ces descriptions et explications qui donnent une idée précise de ce que veulent ces envahisseurs.

Dans le troisième tableau, j'apprends que la petite famille à laquelle je m'étais attachée est sacrifiée.
Le ton des protagonistes est détaché, le vocabulaire très technique. L'indifférence sereine éclate dans toute "sa splendeur".
Ce monde est horrifique, cruel. Peut-être présage-t-il celui de demain ?

Un contenu dense mais qui laisse de la place au lecteur. Le thème est respecté. L'écriture au service du fond est maîtrisée, précise, tout en restant naturelle, sans artifice inutile.

Ce récit souffle le chaud et le froid si je puis dire avec une habileté qui déstabilise. C'est réussi !

   aldenor   
5/2/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un récit prenant. Le découpage en triptyque déploie progressivement les éléments du drame.
Le signe d’une bonne chute est d’imposer une relecture. C’est le cas ici. Le texte est parsemé d’allusions aux dérives du monde d’aujourd’hui, que l’on prend pour de vagues « clins d’œils »… Et puis, sur la dernière repartie, on s’avise que c’est bien de notre actualité terrienne qu’il s’agit !

La scène heureuse des jeux de neige du début représente le paradis perdu.
Une image forte, l’enfant fracassé.
Ellui, iel... Ingénieux pronoms unisexe !

   wancyrs   
8/2/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Salut,

Je ne suis pas fan de SF, et j'ai terminé ce texte avec peine, même si l'écriture est fluide. Le problème avec la SF c'est qu'il faut avoir des repères pour la comprendre, repères que je n'ai pas toujours. Restait donc l'intrigue ; je dirais que la fin du texte a réussi a susciter une petite émotion au fond de moi, car je serai toujours revolté de voir repousser des personnes qui ont besoin d'aide.

Merci pour le partage !

   Luz   
15/2/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,
Je ne suis pas un fervent lecteur de science-fiction, je me suis arrêté à "Dune", il y a bien longtemps.
Il y a de gros vers de sable sur Dune ; sur Hiver, de terribles Vers des neiges...
Il ne doit pas être aisé d'écrire une nouvelle de science-fiction, car il faut que le lecteur absorbe rapidement tout un univers spécifique. Dans ce texte, cela fonctionne très bien. J'aime beaucoup les références au monde dans lequel nous vivons.
Bravo pour cette nouvelle !

   hersen   
15/2/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Une nouvelle que je trouve très intéressante, la construction met vraiment en valeur l'histoire telle que l'auteur veut nous la faire découvrir.
Ces petits points rouges qui vont s'éteindre, ces Néo-Terres qui se refusent à accueillir toute la misère du monde... nous met devant une évidence : l'Histoire se répète, à moins que le futur nous surprenne.
je veux dire nous surprenne vraiment.
Un bon sujet, complètement en accord avec le thème et les contraintes.
Bon boulot !

   Pepito   
28/2/2022

   Anonyme   
8/3/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Nouvelle lue ce matin, et qui m'est restée toute la journée en tête. L'écriture est précise et claire, les informations bien organisées, juste ce qu'il faut d'étrangeté pour planter le décor, mais pas trop jusqu'à surcharger.
Un petit quelque chose sur les dialogues : à mon avis, manque de fluidité, pas assez intuitifs dans le choix des expressions et dans la cadence. Peut-être même que ces conseils sur le forum au sujet de l'écriture euphonique pourraient s'appliquer ici. En tout cas je bute sur ces formules trop écrites comme le "nous" et les négations en "ne .. pas".

Vraiment, trame bien montée. J'aime que vous rendiez les fugitifs si humains pour le lecteur, les parallèles avec l'actualité sont flagrants et très habilement traités.


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