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Science-fiction
Pierresavean : Indépendance de la Villeneuve
 Publié le 21/11/19  -  10 commentaires  -  11228 caractères  -  75 lectures    Autres textes du même auteur

La Villeneuve est le nom de notre quartier. C'est la banlieue d'une ville moyenne du continent européen, et où grandissent des générations de prolétaires.
Un jour pourtant, nous cesserons d'être la banlieue. Un jour, nous allons conquérir notre indépendance.


Indépendance de la Villeneuve


Je suis fatigué de raconter des révolutions échouées. Pourtant, c'est ce que je m'apprête à faire. Peut-on, comme on le prétend souvent, trouver dans les récits d'échecs le moteur des nouvelles tentatives ? Ça, je n'en sais rien, et peut-être que je ferais mieux de me taire. Mais si tu veux savoir l'histoire de la notre révolution, je te la raconte, allez.

L'endroit où j'habitais, ça s'appelait la Villeneuve. C'était un titre presque drôle quand on pense combien tout était pourri dans ce quartier, vieux, et déjà quasi écroulé. La Villeneuve, rien d'autre, comme tant d'endroits qui n'avaient plus rien de neuf mais signalaient au contraire par ce nom leur construction déjà ancienne, fruit de l'imagination utopique et probablement révolutionnaire d'architectes démesurés qui avaient voulu forger seuls avec leurs plans une vie nouvelle. Cette révolution-là, bon, elle avait échoué il y a bien longtemps, là je ne t'apprends rien, et nous on restait coincés dedans avec nos barres qui se faisaient face comme des lignes de front.

C'était en banlieue d'une ville anciennement industrielle de moyenne importance qui avait été élue par un magazine de la capitale « Ville la plus moche du monde », ce qui d'une certaine manière nous rendait presque fiers. Et la Villeneuve était dans cette ville le quartier le plus pourri, la banlieue la plus irregardable, à tel point qu'on n'apparaissait même pas sur les plans qui avaient été imprimés par la municipalité à destination des touristes qui voulaient, justement, la visiter, la « ville la plus moche du monde », et en faire des photos. La Villeneuve y était indiquée « hors plan par A5 » : sa laideur ne se visitait pas et n'avait rien de pittoresque.

On était Quartier Prioritaire des Politiques de la Ville, Réseau d’Éducation Prioritaire Plus, Zone de Sécurité Prioritaire Plus, on était Zone Urbaine Sensible première génération. QPPV, REP +, ZEP +, ZUS : on avait gagné tous les concours, on méritait tous les sigles. On était la boue, on était la lie, la frange la plus oubliée. On le savait. Voilà pour le contexte.

C'est au cours d'un atelier théâtre au lycée Jean Moulin, où j'enseignais le français, que nous avons déclaré l'Indépendance de la Villeneuve. Le lycée professionnel et technologique Jean Moulin formait à la logistique, à la gestion, au commerce et à l'accueil-standardisme. Il y avait là toutes les professions des nouveaux prolétaires. Et moi, je pouvais toujours lire de la poésie aux gamins qui étaient là, leur parler de romans ou de ce que je voulais : ça ne changerait rien à la situation. Pour beaucoup, ils quitteraient l'école à seize ans, en colère et dégoûtés, et les moins rebelles deviendraient standardistes ou vendeurs, puis gagneraient le SMIC toute leur vie en galérant comme pas possible, et ainsi de suite d'une génération à l'autre. Il n'y avait pas d'issue, mais on passerait notre vie à faire semblant qu'il y en avait une. Nous les profs, les bons petits soldats de la République finissante, on aurait crevé plutôt que de l'admettre.

Tous ceux qui enseignaient au lycée Jean Moulin semblaient aigris d'une manière ou d'une autre, et tristes à mourir. On aurait pu croire que l'éducation était le meilleur moyen de lutter contre les déterminismes mais au bout d'un certain temps de pratique on s'apercevait que c'était au contraire le moyen le plus efficace de les maintenir sans rémission.

Mais au moment où j'allais sombrer sans appel dans le marasme collectif, nous avons déclaré l'Indépendance de la Villeneuve. Au départ, c'était presque une blague, une idée pour un spectacle de théâtre, mais tout le monde nous a tellement pris au sérieux qu'on a bien été obligés d'y croire un peu nous-mêmes.

Cette ville nous avait abandonnés, notre pays de même, et peut-être le monde entier, alors voici ce que nous déclarions :


« De vous nous n'attendons plus rien.

Il n'y aura plus de conciliation, plus de grenelles, plus de débats.

Désormais, on se débrouillera tout seuls.

Par la présente, nous faisons sécession de votre monde, et de votre ville, dont nous cessons d'être la banlieue.

Nous déclarons l'Indépendance de la Villeneuve. »


C'était Hichem, élève de la première ARCU, qui prononçait d'une voix grave cette déclaration au cours d'une sorte de cérémonie qu'on avait organisée dans la cour du lycée, entre les algecos branlants et les arbres maladifs. Ce jour-là, beaucoup sont venus me voir pour me demander d'un air concerné : « C'est bien sérieux tout ça ? ». Et moi, je répondais, les dents serrées de rage : « Il n'y a rien de plus sérieux que tout cela. »

En quelques jours à peine, portée par l'enthousiasme collectif, l'Indépendance de la Villeneuve était effective. On s'est mis à faire des assemblées, à écrire des lois, à réinventer une constitution, tout le tintouin. On y croyait vraiment. Les frontières de notre jeune État étaient farouchement défendues. On a construit partout des barricades, et personne, ni flic, ni politique, ni journaliste, n'aurait pu entrer. En revanche, dès que l'événement a été connu, les militants enthousiastes ont afflué de tout le pays pour nous venir en aide, et les dons, et les vivres. On était plus riches qu'on n'avait jamais été.

Puisqu'on était la lie, puisqu'on était la boue, le ghetto, la marge définitive : on abandonnerait à notre tour ceux qui nous tournaient le dos, et on se débrouillerait tout seuls. On serait une Commune, on serait Louise Michel, Jules Vallès. On y croyait vraiment.

Il ne faudrait pas que tu croies pourtant qu'il n'y a pas eu d'opposition à notre Indépendance. Là-bas dans la capitale, les stratèges avisés se sont mis au travail. Il y eut plusieurs tentatives d'invasions, plusieurs batailles gagnées la peur au ventre. Plusieurs immeubles ont été perdus, puis repris à l'ennemi, puis détruits parfois. Ensuite, il y eut les tentatives de négociations, les médiateurs qui arrivaient avec leur drapeau blanc sous l’œil des caméras, les conférences organisées pour tenter de trouver une « issue au conflit », une « désescalade », ou un « dialogue constructif ». Mais nous ne voulions ni issue ni conciliation. Le conflit était devenu la raison d'être de notre jeune État. Nous avions la fureur si endurcie. Nous avons résisté à toutes leurs attaques.

Les mois passant, il devenait de plus en plus visible que notre nouveau pays se portait bien. Les militants continuaient d'affluer de toute part, et au printemps nous avons pu faire notre première récolte dans le potager installé sur l'ancien terrain de foot. Il y avait là quelques légumes qui auraient à peine suffi à nourrir tout le monde pendant une journée. Mais ces patates étaient un symbole, et aussitôt nous en avons fait un emblème sur notre drapeau : les silhouettes de notre ville, et au premier plan, les patates de la liberté.

On pouvait se débrouiller tout seuls, on pouvait vivre tout seuls et bouffer tout seuls. Voilà ce qu'on se disait, lors des longues veillées de notre jeune État. On ne serait plus la banlieue de personne, la périphérie de rien. On ne serait plus les oubliés d'aucune histoire. On serait les vainqueurs, voilà ce qu'on pensait.

Ils ont gagné pourtant, à la fin de notre histoire. Un jour, les militants ont cessé d'affluer, et les dons et les vivres, et les messages de soutien venant du monde entier. Cela s'est fait progressivement, comme si peu à peu on nous oubliait, comme si notre lutte disparaissait et n'intéressait plus personne. Les causes de cet oubli ne nous apparurent pas tout de suite. Des assemblées de crise étaient organisées, et toutes sortes de théories étaient avancées, mais bientôt la raison fut trouvée de cet étrange revirement : en face de notre ville fortifiée, derrière un solide cordon de policiers, une autre Villeneuve avait été construite.

C'était une copie conforme de notre jeune État : les mêmes rues, les mêmes barres d'immeuble se faisant face, le même potager au cœur du terrain de foot, et les habitants installés là qui souriaient pareillement à nous. En haut de la plus haute tour flottait aussi notre drapeau, nos pommes de terres arrachées au sol dur et ingrat, notre symbole.

Pourtant, cette ville-là se visitait aisément. On y entrait librement et on y trouvait des boutiques ouvertes et des connexions wifi. Au coin des impasses, on ne sentait pas l'odeur d'urine des militants encerclés. Tout y était propre et clair, et des panneaux explicatifs avaient été installés ça et là à destination des visiteurs ou des militants enthousiastes.

Dans l'autre Villeneuve, les portraits de certains de nos leaders flottaient à intervalles réguliers, imprimés sur des toiles géantes à côté de nos slogans les plus célèbres. Il y eut même quelques statues, quelques fontaines, quelques commémorations. En souvenir du 17 janvier, jour de notre indépendance, des défilés étaient organisés au dix-septième jour de chaque mois. On pouvait y entendre notre déclaration prononcée avec autant de sincérité et de conviction que nous autrefois, au milieu des algecos branlants et des arbres maladifs reconstitués à l'identique.

Pourtant, loin de nos portraits monumentaux, nul ne se souvenait de notre existence. Seule se visitait l'autre Villeneuve, et bientôt la nôtre fut oubliée, rayée de la carte comme elle l'avait été tant de fois par le passé. Même les flics finirent par se désintéresser de nous, et n'avaient plus besoin de nous garder réellement : par l'astuce de nos ennemis, nous avions été ramenés à notre insignifiance.

Peu à peu, tous les habitants de notre jeune État quittèrent le quartier, affamés, exsangues, désespérés, et rejoignirent les geôles de la capitale où ils étaient enfermés pour sédition.

Dans les derniers jours de l'Indépendance, alors que l'assaut final semblait inéluctable, je suis parti me promener dans les rues désertées, dans le potager désormais à l'abandon. C'était l'automne. Il me vint à l'idée que les Villeneuve se succédaient peut-être, chaque fois plus neuves, remplaçant et relogeant facticement les révoltes réelles, et ainsi les masquant à jamais. Peut-être avions-nous autrefois joué le même rôle vis-à vis d'une révolte inconnue, d'une Villeneuve oubliée.

Soudain, l'idée même de nouveauté me semblait suspecte, coupable, l'appel des nouveaux mondes, des idées, des vies nouvelles, des grands soirs et des aubes se levant pour libérer l'humanité. Il me semblait que dans chaque monde nouveau serait toujours contenu l'héritage de nos erreurs et la copie de nos défaites, à jamais irrécupérables... Mais peut-être ne devrais-je pas te dire ça.

Après l'assaut final, qui fut bref et efficace, toutes nos tours furent détruites, et avec elles les vieux posters laissés dans les chambres des adolescents, les tables en formica, les tags multicolores apposés sur les cheminées des toits-terrasses, toute notre vie passée dans ces murs, notre territoire. Ils ont aussi abattu le lycée, nos algecos croulants, le potager sur le terrain de foot et la plus haute de nos tours qui portait notre drapeau d'imagination. En trois jours, tout est passé sous le coup des pelleteuses, et il ne reste nulle trace de notre passage.

Il n'y a jamais eu de ville neuve.



Août 2019.


 
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   maria   
4/11/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Dans ce texte, l'écriture est claire mais au service d'une histoire qui l'est moins.
Le narrateur nous parle de sa ville-cité, "la plus moche du monde" qu'on finira par raser, pour reconstruire à l'identique, un peu plus loin.
Certains habitants, des profs, des élèves se battent, dans un instinct de conservation, pour une Villeneuve indépendante.
Dans quel but ? Pour en faire quoi ? Que contient cette constitution ? Comment fonctionnera cet Etat ?
Aucune information à ce sujet ; c'est vague.
Les insurgés ont planté des patates sur un terrain de foot ! C'est malin ! Encore un argument que ceux qui reprochent aux habitants de tout détériorer vont exploiter.

L'auteur est ici le narrateur, je crois, et je pense aussi que, même désabusé, il veut faire passer un message : les habitants de ces endroits, dits sensibles, sont attachés à leur lieu de vie.
Venus d'autres ailleurs, condamnés à rester en bas de l'échelle sociale, ils ont besoin de s'enraciner quelque part. J'ai été sensible à cela.
C'était si moche que ça ?
Merci pour le partage et à bientôt

   mirgaillou   
4/11/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
L'état d'abandon d'une banlieue qui soudain se réveille.

D'abord une prise de conscience collective de possibles se révèle et devient le levain d'une énergie collective qui produit, pas moins, une sécession.

Avec la déclaration d'indépendance de la Villeneuve, les talents et les ardeurs se libèrent. Qu'ils sont beaux les premiers moments d'une révolution! Il suffit d'une première récolte et un monde nouveau semble s'offrir à ces guerriers pacifiques. Il est si important de nourrir ses troupes! un véritable espoir d'auto suffisance se profile. Il y faut un emblème! la nourricière pomme de terre pourtant sans grâce devient le drapeau de l'utopie.

Mais comme il est difficile de garder une mobilisation générale...face à la riposte de ce qui semble être l'ordre établi. Petit à petit, la cité de l'espoir se délite.
Qu'à -t-il manqué pour garder soudées les énergies?

Cette histoire évoque des tentatives récentes et réelles qui, faute sans doute de structures légales n'ont pu se pérenniser. Et comme elles restent tentantes les vitrines de la consommation...

La morale: on ne peut échapper au modèle standard structuré par des lois.
Cette histoire contemporaine et à peine fictive est parfaitement analysée dans son déroulement comme dans son aboutissement.

   hersen   
8/11/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai aimé vraiment cette nouvelle pour cette clairvoyance politique que nous démontre l'auteur. L'antépénultième § de ce point de vue a cette désespérance de celui qui a compris. Tout compris.
Alors quoi ?
On fait comment, maintenant ?
Eh bien tant que le système économique reste identique, on prend les mêmes et on recommence. Sans fin.

On ne sait faire que des ghettos, à cause des valeurs qui s'ancrent de plus en plus dans le matériel. Alors on a des ghettos. De riches, de pauvres, d'étrangers, de chauves, de gauchers... cela n'a pas de fin.

J'ai aimé la façon dont l'auteur nous raconte, cela tient d'une certaine façon d'un reportage. Mais un reportage "interne", pas fabriqué pour le 20h.

merci pour cette nouvelle.

ps : un point qui m'a fait sourire : l'Indépendance est proclamé le 7 janvier, on se met à jardiner et les patates sont récoltées... au printemps :)) un petit problème de timing, sans doute. mais dans le rêve, tout pousse, n'est-ce pas ?

   ours   
13/11/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai vraiment beaucoup apprécier votre récit, particulièrement à partir de l'apparition de la nouvelle Villeneuve. Cette fin me laisse complètement songeur, et j'aime cette sensation. La révolution par définition est bien l'achèvement d'un cycle, dans votre analyse, il s'agit d'un cycle qui se répéterait sans fin. La révolution en soi... Le déterminisme de la condition du prolétariat... L'effet pétard mouillé de certaines révoltes... Autant de messages qui se succèdent dans mon esprit après la lecture de votre récit.

Merci d'avoir animé mes neurones :)
Ours en EL

   Anonyme   
21/11/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Fin programmée et sans surprise (puisque annoncée dès le début de la nouvelle) d'une révolte de banlieue. Un sujet plus que jamais d'actualité, qui le restera encore longtemps je pense. Je me suis demandé ce qu'était cette nouvelle Villeneuve, reconstruite à l'identique, mais moins à l'écart de l'intérêt public que l'ancienne... suis je bête, c'est la même, mais politiquement correcte cette fois ci ! Ce qui a motivé les révoltés a bien été entendu, mais nivellé, uniformisé, et il a bien fallu rentrer dans le rang...

Une critique aiguisée du "pouvoir public".

   Pouet   
22/11/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

déjà le texte a le grand mérite de développer un propos, de "prendre position", ce qui n'est pas forcément si fréquent.

J'ai trouvé que l'ensemble sonnait très juste, si juste d'ailleurs, que je me pose des questions concernant la "catégorie".

En effet, la création plus ou moins farfelues (plutôt plus que moins) de "micro-Etats" ne tient pas forcément de la science-fiction. On notera par exemple la principauté d'Arbézie, la république du Saugeais, la république indépendante de Figuerolles... (Nous évoquerons aussi la tentative fantaisiste d'indépendance de Montmartre en 1921!)
Ou encore au niveau mondial, le royaume Enclava entre la Croatie et la Serbie, la principauté de Sealand située sur une plateforme militaire, Liberland...
Les exemples sont innombrables, le plus souvent anecdotiques.

Ce ne sont bien sûr pas ici les mêmes conditions, les mêmes enjeux, les mêmes possibles.

Pourtant certains quartiers de France sont -de fait- "indépendants" de part leur mise à l'écart, l'indifférence témoignée à leur égard, alors autant faire les choses pleinement. Nous sommes dans l'utopie, science-fiction du présent, mais souvent réalité de l'avenir.

Le cynisme des autorités ici représenté par la création à l'identique d'une autre Villeneuve est très bien vu je trouve et finalement, même métaphoriquement - mirages matérialistes, indolence aseptisée, endormissement des "masses", confort et "réussite" par l'argent et la "célébrité" - pas si fictionnel que cela.

Déterminisme social (réel ou supposé), éternel recommencement.

Concernant le fond, je n'ai rien à ajouter à cette nouvelle à mon sens très lucide.

La forme -sans fioritures- porte bien le propos.

Beaucoup aimé pour ma part.

   dream   
22/11/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Sous forme de fiction « déguisée », mais en nous prenant à témoin, l’auteur aborde avec lucidité une réalité bien ancrée dans la France d’aujourd’hui. Car rien n’a changé de 1789 à nos jours : la cruauté est identique et le désarroi face à l’injustice de ce monde est toujours le même. La lutte des classes !
Entre désillusions et espoirs mêlés, détresse existentielle de vivre et du courage d’exister malgré tout, il nous offre une vision acide de la banlieue où il est difficile de franchir le pas dans une société où l’identité personnelle fera de plus en plus cruellement défaut ; dans un monde régi par l’argent et sa mécanique perverse, qui s’emballe et échappe à la raison. C’est la jungle froide.
L’enchantement que perd peu à peu le narrateur lors de la désertification de « sa Villeneuve » se transmet au lecteur que je suis … et l’étreint. Un grand Merci pour cette très belle lecture.

   Shepard   
23/11/2019
 a aimé ce texte 
Pas
Bonjour,

Je n'ai pas trop aimé ce texte, je vais tenter de faire un avis compréhensif, utile, je l'espère...

Au niveau de la forme et de l'écriture : J'ai du mal, personnellement, avec ce genre rapporté (je ne sais pas si c'est à la mode, mais c'est fréquent, trop). C'est comme si l'auteur avait une idée d'histoire, et ne voulait pas prendre le temps de nous la raconter. Donc, on nous résume les évènements, on ne ressent rien, le texte doit se justifier par son sujet, seul. A mort le romanesque et les personnages, balancé au billot pour un billet critique. Cela m'ennuie, surtout dans une catégorie comme la SF. D'ailleurs, un choix un peu étrange... Humour me semblerait plus justifié, et peut-être que l'écriture me ferait moins grincer des dents car on pourrait considérer le tout comme un sketch.

Bien que, on ne part pas non plus dans le délirant... C'est peut-être l'autre point que je reprocherais à cette écriture, beaucoup de "être" et "avoir", c'est simple, ça marche, ça se lit bien, mais ça manque un peu de panache pour un sujet touchant à la révolution. Quelques envolées... pourquoi pas ?

Au niveau du fond : Une bonne idée, qui ferait une très bonne histoire, peut-être un docu-fiction. Maintenant, j'aime m’intéresser aux tenants et aboutissants de la construction d'un récit. Je pense que l'auteur n'est pas allé jusqu'au bout de son idée, qui reste à l'état embryonnaire (sans jeux de mots...). Il manque l'élément qui a provoqué l'effet boule de neige menant à cette situation. Je ne comprends pas la raison de cette révolte, qui est forcée pour soutenir la critique que veut faire partager l'auteur. Pourquoi cette décision est prise ? Qui la soutient ? Qu'espèrent les révolutionnaires ? Pourquoi ça prend feu, en somme. L'idée centrale, le ras-le-bol, n'est pas là. Donc, ça retombe aussi sec, je n'y crois pas.

En résumé, une idée qui promettait la sécession d'une banlieue, avec ses bizarreries, son feu et ses coups de gueule, mais au final... Bon, je ne vais pas tourner en rond : c'est mou, ce n'est pas assez incisif, autant dans l'écriture que dans la réalisation de l'idée.

Gardez en tête que je me place sous un point de vue plus romanesque/littéraire qu'autre chose. La critique est ce qu'elle est, certains la trouveront "géniale", moi je trouve dommage de ne pas en faire une histoire.

   BeL13ver   
23/11/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Sur ce qui est de l'écriture, du rythme, du soin apporté à l'aisance du lecteur, l'originalité du thème, les idées sont bonnes. On rigole presque de cette ironie de ces banlieues qui vivent perfusion d'Etat après perfusion d'Etat mais que rien ne parvient à sortir de leur marasme. le rythme est alerte, enlevé, les sonorités, l'humour, l'absurde, tout est présent. Reste que les fondations sont présentes, mais le scénario n'est pas très élaboré, le plan n'est pas d'excellente facture : Première partie, proclamation d'indépendance, deuxième partie.
Dommage, parce qu'il y avait de quoi dire de cette "indépendance de la Villeneuve". Mais si beaucoup a été dit, rien n'a été vraiment dit.

   Donaldo75   
7/12/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Pierresavean,

Je commente au fur et à mesure de ma lecture.

J’aime bien le ton de ce récit, dès son introduction ; j’espère qu’il va rester. Il y a une forme de fatalisme dans cette narration, à partir de cette voix presque off qui s’adresse quand même au lecteur. Le contexte est bien dépeint ; le style affirme bien cette peinture sociale.

« On aurait pu croire que l'éducation était le meilleur moyen de lutter contre les déterminismes mais au bout d'un certain temps de pratique on s'apercevait que c'était au contraire le moyen le plus efficace de les maintenir sans rémission. »

Cette phrase à elle seule résume bien ce que disait Pierre Bourdieu sur notre système éducatif. Je la trouve authentique, un bon résumé de la période.

J’aime bien la suite et particulièrement la déclamation. Il y a du lyrisme, un peu comme si Maïakovski s’était invité dans les débats.

La situation devient encore plus intéressante avec la nouvelle cité, la copie de la Villeneuve. C’est bien vu de dériver cette histoire dans ce sens.

« Il me vint à l'idée que les Villeneuve se succédaient peut-être, chaque fois plus neuves, remplaçant et relogeant facticement les révoltes réelles, et ainsi les masquant à jamais. Peut-être avions-nous autrefois joué le même rôle vis-à-vis d'une révolte inconnue, d'une Villeneuve oubliée. »

J’aime cette idée. Elle est bien servie par la narration. La fin est terrible car elle mélange réalisme, utopie, pensée politique et désespoir social. La voix off, celle du narrateur, exprime sans concession la conclusion de cette histoire.

En résumé, je trouve cette nouvelle forte, excellement servie par une voix off, une narration qui s’adresse à moi tout en racontant une histoire dont je me dit qu’elle pourrait être réelle, une parabole sur notre société. Cette lecture m’a énormément plu. Je pense que le site devrait comporter plus de nouvelles de ce style, qui osent parler de choses qui fâchent et dont certains vont crier au cliché parce qu’ils ont – c’est mon avis en tout cas – baissé les bras ou accepté la situation. D’autres, les analystes du premier degré – je le dis sans offense, juste parce que je le constate dans pas mal de commentaires sur un paquet de nouvelles qui n’essaient pas de vérifier toute la cohérence des situations mises en images dans des phrases, qui oublient que la littérature c’est aussi et souvent de la fiction – vont pointer du doigt des scories qui légitiment leur vision personnelle de la nouvelle littéraire. Ce sont les mêmes qui ont sifflé les danseurs lors de la première du « Sacre du printemps » le 29 mai 1913 au Théâtre des Champs-Élysées.

Bravo !

Donaldo


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