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Humour/Détente
Piterne : Lettre sur Élise
 Publié le 17/11/13  -  8 commentaires  -  10706 caractères  -  140 lectures    Autres textes du même auteur

Nicolas compte sur l'aide d'un copain pour aboutir dans une relation usante avec Élise, une philosophe belle et savante !


Lettre sur Élise


Nicolas avait arrêté sa décision ; elle était ferme et définitive, il voulait en finir. Une seule incertitude le taraudait, son copain accepterait-il de l'aider. Après maintes tergiversations, il se résolut à prendre la plume.


Cher ami,

depuis le lycée, notre fidèle amitié n'a jamais fléchi. Tu as toujours répondu présent quand j'étais troublé ; j'ai veillé à te rendre la pareille. Tu m'as conseillé quand je sombrais dans le doute ; je ne t'ai jamais maquillé un seul de mes avis. Montaigne et La Boétie, bien plus célèbres, n'étaient en fait que nos pâles antécédents !

Je viens requérir ton aide très naturellement, elle me permettra d'aboutir dans une relation qui piétine et m'use. Pour t'épargner de longs débats, je vais aller droit au but et t'indiquer le "coup de main" que j'attends de toi : peux-tu me prêter ta maison au fin fond de la campagne et y préparer quelques affaires, juste pour un séjour bref ?

Tu vas dire que ta bicoque est difficile à chauffer, surtout en cette saison, je sais. Qu'elle est située en bout de ligne électrique, l'alimentation est irrégulière et incertaine, tu me l'as signalé cent fois. Que le chauffe-eau ne fournit que quelques litres par jour, à peine de quoi faire une seule vaisselle ou une unique douche, je m'en souviens très bien. D'ailleurs, tes mises en garde m'ont poussé à solliciter cette demeure comme havre de retraite et de saine vérité.

Maintenant, lis bien ce que je vais t'expliquer, tu saisiras la profondeur de mon désarroi, l'étendue de ma perplexité.


Le premier samedi d'octobre, il y a tout juste deux mois, je suis allé à l'anniversaire de Jacques, le zozoteur du lycée qui prononçait Nietzsche et niche de la même manière (je te rappelle ces détails pour le situer). Il a bien réussi sa vie, le bougre ; il travaille dans un ministère à écrire les discours prononcés par son patron devant le Parlement. J'imagine la tête des collaborateurs s'il tente une prélecture pour recueillir leur avis : Flaubert doit se retourner dans son gueuloir ! Mais ne nous égarons pas.

Au cours de cette soirée, j'ai rencontré Élise. Ne va pas imaginer que ta calme résidence secondaire se transformera en garçonnière ; mon appartement aurait suffi et surtout, c'est plus compliqué que ça.

Élise et moi avons beaucoup discuté ce soir-là, beaucoup, jusqu'à des heures pas possible. À vrai dire, c'est elle qui parlait, tandis que moi, je buvais ses paroles… entrecoupées de verres plus alcoolisés et moins sirupeux. Au début, le sujet portait sur la décoration chez Jacques, puis il a glissé sur nos goûts respectifs des arts picturaux, avant d'en venir à la musique en général et le jazz en particulier. Comme toi, elle adore Ella Fitzgerald et a fredonné quelques notes de "I want to be happy" que tu aurais plus appréciées que moi. Au cours de cette interprétation, j'ai commencé à moins comprendre les mots et distinguer sa lèvre du haut de celle du bas. Ensuite, nous aurions – selon elle – échangé sur la gastronomie et j'aurais fini par un exposé, applaudi par toute l'assemblée hilare, sur – tiens-toi bien – les nuances subtiles et boisées des whiskys dilués dans les Irish coffees. Moi, qui ne bois jamais d'Irish coffees parce qu'ils dénaturent les arômes irlandais ! Enfin, elle a dû subtiliser mon adresse et mon numéro de téléphone avant de disparaître, telle une irréelle Cendrillon envolée au douzième coup de minuit !


Tu ne vas pas me croire, alors que ce n'est que vérité sans la moindre fantaisie : dès le lendemain, elle m'a rappelé ! Prétextant prendre des nouvelles de ma santé, elle s'inquiétait si mon sommeil fut réparateur, si je m'étais remis de mon "coup de fatigue".

J'ai alors envisagé trois hypothèses : le coup de foudre subit mais unilatéral ; madame Seguin veillant sur son ouaille égarée ; la solitaire nymphomane qui s'incruste. J'aurais dû espérer un de ces cas de figure, redouter un autre et écarter le dernier ; la migraine m'empêchait de mesurer et de trancher.

Aujourd'hui encore, à jeun, en possession de mes moyens physiques et mentaux, je m'interroge sur ce qu'elle a pu trouver en moi de si attachant. Nous nous rejoignons avec une régularité monacale chaque mardi à la piscine, chaque jeudi au cinéma, un samedi sur deux au restaurant. Elle ne put pas être sensible à ma sobriété, car, même si je me suis laissé aller chez Jacques, elle me terrasse à plates coutures devant un bordeaux millésimé ou un vin jaune du Jura !


À relire le début de la lettre, je me rends compte que je ne te l'ai pas présentée : Élise est professeur de philosophie dans une fac de province, elle ne voudrait pour rien au monde quitter Paris, elle fait donc des allers et retours infinis. Elle prépare un bouquin sur "la notion de bonheur face au concept de la santé physique à travers les âges, de la pensée helléniste présocratique à l'idéologie libérale dans l'économie mondialisée". Ne ris pas, elle a écrit 170 pages rien que pour poser le problème et écarter les ambiguïtés ; elle a donné son brouillon à une collègue qui n'a trouvé que deux fautes de frappe ! Quand elle m'a proposé de le parcourir, j'ai répondu ne rien connaître en orthographe ; quant au sujet lui-même, j'attendrais volontiers d'avoir l'analyse complète.

En plus d'être intelligente, elle a une culture lui permettant d'aborder, avec aisance et dans la même phrase, le style Art déco, le jazz féminin aux States et la viticulture bourguignonne. Elle est capable de citer six façons de préparer les petits pois sans mettre de crème fraîche et connaît par cœur l'histoire des huit whiskys irlandais entrant dans la composition des Irish coffees. Elle a un tel savoir que, candidate à un jeu télévisé, elle gagnerait la finale quand ses adversaires ne seraient pas encore sélectionnés dans la première épreuve.

Quand on partage de tels échanges avec Élise, le seul problème est son indécision. Pour choisir un plat, elle commence par énumérer toutes les manières de cuisiner chacun des ingrédients ; puis elle cite vingt personnalités historiques, politiques, voire people, appréciant ce mets ; enfin, elle détaille le concept de goût et précise les distinctions sémantiques entre l'amer et l'acide, le salé et le sucré. Ensuite, elle choisit – tiens-toi bien – la même assiette que moi. Je n'ose plus l'inviter au restaurant ; chez Mac Do, au moins, les ingrédients sont inconnus et on nous presse pour choisir vite !


Son physique incite les hommes à se retourner dans la rue, c'est un véritable aimant, je l'ai constaté en personne. Ses étudiants viennent dans la salle avant son arrivée et sont en retard au cours suivant, elle me l'a confié ! Elle jouait au basket dans son enfance et les longues séances de natation lui permettent de maintenir sa souplesse et sa sveltesse. Je te laisse imaginer le silence qui envahit la piscine, quand elle apparaît près du bassin, chaque mardi soir, dans le maillot de bain révélant la finesse de ses hanches, moulant les seins avec fermeté et caressant la rondeur des fesses au plus près. J'ai vu le maître-nageur oublier la perche entre les mains et l'élève boire la tasse. Nombre de mannequins professionnels ou de miss envieraient sa grâce et ses formes. Tu la verrais, tu te demanderais comment une si gracieuse beauté peut rester seule dans l'existence, tu clamerais que c'est injustice de laisser une telle naïade hors du bain du bonheur.

J'ai repéré deux explications : son besoin de plus de temps pour disserter un menu que pour le consommer ; une telle indécision pour élire un Roméo rime avec dissuasion. Son maquillage proche des tableaux de Dali et Magritte réunis : du surréalisme à l'état pur.

À ce point de mes confidences, tu attends des révélations croustillantes sur ses prouesses amoureuses, tu t'interroges sur la maîtrise du Kâmasûtra par le "Deuxième sexe", tu te questionnes sur ses positions existentielles, tu veux savoir si de la philosophie du boudoir, elle préfère le premier ou le second terme. Mon pauvre ami libidineux, je suis dans l'obligation de te décevoir, non par pudibonderie, ni par discrétion atavique, mais par manque d'informations. Car avant d'envisager quoi que ce soit de charnel, Élise tient à faire le tour du concepteur ; elle exige de définir la subtilité de sa quintessence, cerner la substance et les aboutissements de la créature, avant d'entamer les simulacres de la procréation. Quand tu songes qu'il lui faut 170 pages pour poser un petit problème de bonheur sanitaire, je te laisse mesurer le temps pour lever le point d'interrogation à une question aussi cruciale. Elle me fait languir.


C'est pour cela que j'ai besoin de ta maison isolée au milieu de nulle part, où le courant saute à la première occasion, où aucune occupation n'est possible – pas même la vaisselle – où le froid incite à frissonner puis à se blottir sous la couette. N'aie pas peur, je ne tends pas un traquenard à Élise pour abuser d'elle comme un sauvage au fond des bois, ton logis ne deviendra jamais le temple du vice et de l'abomination. Au contraire, je veux l'aider à réfléchir, à méditer comme dans un lycée grec au temps de Socrate, à peser le pour et le contre, à envisager toutes les issues du dédale freudien ponctué d'expectatives où elle me laisse errer.

Pour parvenir à ces fins, je sollicite ton aide. Je t'en supplie, viens à mon secours.

Je te serais reconnaissant d'entreposer une réserve de vivres pour quelques jours, trois au plus. Tu éviteras les nourritures variées, Élise userait son temps à les détailler. Je te suggère de ne prévoir que des packs d'eau comme boisson, elle n'entravera pas la réflexion et évitera les tergiversations. Tu peux retirer les miroirs, Élise gagnera le temps des maquillages hasardeux. En couettes et couvertures, tu peux en disposer plusieurs, ses méninges ne souffriront pas du froid. Enfin, limite les dépenses, il serait outrancier de transformer cette retraite méditative en débauche de gloutonneries exagérées.

D'ailleurs, n'achète le nécessaire que pour une seule personne. En effet, nous arriverons en fin d'après-midi, voire après la tombée de la nuit ; nous suivrons le chemin boisé, interminable et sombre ; je garerai la voiture en marche arrière devant la porte récalcitrante de la cuisine ; j'allumerai la bougie laissée sur la table et j'inviterai Élise à explorer les chambres de l'étage. Pendant ce temps, j'irai ouvrir le compteur électrique dans l'appentis. Je sais, il est dans la maison, sous l'escalier, mais ce stratagème est une ruse : aussitôt, je sauterai dans la voiture et déguerpirai, laissant Élise là, au milieu de nulle part, seule entre ses méditations et ses atermoiements. Elle comprendra ainsi de quel bois je me chauffe et pourra y réfléchir longuement !

Nicolas


 
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   Anonyme   
31/10/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Ouf ! Je craignais que le narrateur ne projetât de tuer l'agaçante Elise, il va simplement l'abandonner au milieu de nulle part... D'un pur point de vue d'aide à la décision, je pense que c'est une erreur : une telle action donnera énormément à réfléchir à la philosophe indécise !

Bon, j'ai trouvé le texte drôle, plutôt fin ; un peu trop long pour ce qu'il a à dire à mon avis. Une aimable pochade écrite dans une langue très châtiée.

   Robot   
17/11/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Enfin, du souriant dans une nouvelle qui m' a tenu en haleine jusqu'au bout. Je voulais savoir ce que le gars avait réservé à l'envahisseuse. Bon, le mec est un peu vache! Mais le plus drôle serait que rentré chez lui la sonnette de l'entrée retentisse et qu'apparaisse... devinez qui...

   Pimpette   
17/11/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Tout ce que j'aime!
Et particulièrement s'amuser en lisant...le maitre nageur qui laisse tomber la perche au risque de noyer son élève a fait ma joie!

Beau sujet original et belle écriture, très nette, propre, sans ronds de jambe!

J'oubliais...les personnages sont bien vus et bien campés...bref, tout me plait là dedans!

   Anonyme   
17/11/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Piterne,

J’ai lu à votre arrivée que vous êtes formateur en communication écrite, et c’est pas moi qui vais réclamer votre démission. J’affirme que tous ceux qui suivent vos cours sauront dorénavant cirer gentiment les pompes d’un banquier, d’un percepteur, ou d’une courtisane du 17e (siècle…pas arrondissement). Le problème pour un nul comme moi, c’est que c’est trop bien écrit pour de la littérature. Cette lettre adressée à un pote, elle est pédante comme c’est pas possible ! On est dans quel milieu ? J’ai tout misé sur une bourgeoisie de province séquestrée depuis la Terreur. Alors on se retrouve avec des mots lisses, des expressions châtiées (« tes mises en garde m'ont poussé à solliciter cette demeure comme havre de retraite et de saine vérité » ou « la profondeur de mon désarroi, l'étendue de ma perplexité »), le genre de type à qui je ne prêterais jamais ma bicoque, de peur qu’il y fasse le ménage.

Mais je remarque que vous n’êtes pas totalement perverti, puisque vous dites par exemple ; « Élise est professeur de philosophie dans une fac de province ». Je ne pense pas que le héros commette de telles erreurs de langage. Soit il est un bourgeois de province cul serré, et il ira jusqu’au bout (« Élise est professeur de philosophie dans une FACULTÉ de province »), soit il est à peu près débridé comme tout le monde et il dira : « Élise est PROF DE PHILO dans une fac de province ». Le mélange des deux en fait un être hybride et du coup je réclamerais encore plus de temps qu’Elise pour lire votre menu.
L’humour poli et épuré n’est pas mon truc. Ça manque de percussion, on rit le petit doigt en l’air. Je suis sûr que dans cette bicoque il n’y a que du thé et des gâteaux secs (j'avais écrit "gâteux secs", et j'ai hésité à corriger).

Mais bon, le talent est tellement évident que je vais tout prendre sur moi et avouer que je suis un piètre lecteur.

Cordialement
Ludi

   Pepito   
17/11/2013
Forme : écriture correcte sans fioritures.
"...j'ai commencé à moins comprendre les mots et distinguer sa lèvre du haut de celle du bas." ? pas saisi

Fond : Bon ben, ... c'est surement drôle, mais j'avoue ne pas avoir trouvé ou exactement. L'ajout de smileys serait salutaire pour mon niveau de lecture.

Cela tourne autour du pot, comme l’héroïne autour de son menu, on attend juste que la fin coupe la faim.

Bonne continuation.

Pepito, amateur de blagues caca-pipi-boudin.

   toc-art   
17/11/2013
Bonjour,

je n'ai pas vraiment aimé ce texte, notamment en raison de l'écriture. Non pas que ce soit mal écrit, non, mais c'est justement trop écrit à mon goût (je n'ai pas dit trop bien écrit). Tout cela manque pour moi de naturel et, pire encore, on sent trop l'auteur derrière le narrateur.

Bien sûr, tout cela tient d'une convention tacite, un peu comme au théâtre, le spectateur comme le lecteur acceptent de croire à la réalité de ce qu'on leur présente, alors même que les décors sont en carton-pâte et les personnages grimés. Seulement ici, pour moi toujours, j'ai l'impression que l'auteur s'adresse directement à moi, que la lettre n'est pas pour son destinataire de papier, mais pour le lecteur potentiel que je suis. Et même si, dans la réalité, il s'agit bien de cela, je préfère quand l'auteur fait l'effort de maquiller un peu plus les choses, quand il s'efforce de ne pas juste vouloir faire quelques bons mots et saillies, mais qu'il tente de me convaincre que son histoire est vraie ou pourrait l'être et quand j'ai la possibilité d'oublier ma position de simple lecteur pour entrer dans le récit et ressentir des émotions, même si je sais parfaitement que ces émotions naissent d'une situation factice.

Ici, je n'en ai aucunement eu la sensation et cela a gêné ma lecture qui, du coup, m'a semblé longue et ennuyeuse. Mais cela vient peut-être aussi du fait que nous sommes dans une catégorie "humour/détente" à laquelle je suis peu sensible.

bonne continuation.

   Piterne   
26/11/2013
Commentaire modéré

   MariCe   
1/1/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Voilà une description du personnage rondement mené, avec finesse et de délicates touches humoristiques qui relèvent agréablement votre texte.
J'imagine assez bien votre Elise invitée à Questions pour un Champion !
Quant à la conclusion, je dois dire qu'elle est bien trouvée. La leçon sera t'elle à la hauteur des réflexions de la belle ? Une suite peut-être ?

   Donaldo75   
2/3/2014
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
So what ? j'ai envie de dire. Il ne se passe pas grand chose au niveau émotionnel et l'intérêt du lecteur va diminuant. C'est de bonne facture certes mais sans souffle.


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