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Réalisme/Historique
plumette : Le couteau
 Publié le 08/02/20  -  21 commentaires  -  12711 caractères  -  162 lectures    Autres textes du même auteur

Le ton grave de Justine l'avait immobilisé. Regardant le visage de sa fille, il y avait lu quelque chose, sans bien savoir ce que c'était. Et puis, elle s'était lancée.


Le couteau


Il est attablé au fond, dans le coin le plus sombre du café de la mairie. Tête vide, bouche pâteuse. Il manipule son Opinel. Il l’ouvre, pousse la virole, le regarde, remet la virole dans l’axe de la lame, puis le referme et le repose sur la table. Son regard se perd dans une contemplation flottante.

Georges l’interpelle depuis le bar :


– Lucien, je t’en sers un dernier ? Après je dois mettre le couvert pour les gars du chantier.


Lucien fait signe que non avec la main sans un mot ni un sourire.


– Ben dis donc ! T’as été plus causant !


Il relève vaguement la tête.

Arrêter. Le mot tourne en boucle dans sa tête. Arrêter. Demain...

Il entend le rire de Justine lorsqu’il la poussait sur la balançoire, doucement d’abord, puis de plus en plus fort. Son rire clair d’enfant bientôt mêlé de peur.


– Arrête papa ! Arrête !


Mais à peine arrêté, il fallait recommencer.


– Pas trop fort !


Sa petite Justine si gaie, il a du mal à la reconnaître.


La dernière fois qu’elle est venue le voir à Ternand, ils avaient un peu parlé, ou plutôt, essayé.

Justine avait voulu savoir comment il s’occupait. Il avait raconté : la radio, quelques courses au village, un peu de bricolage, le bois, la promenade avec le chien… S’occuper, c’était bien le mot.


– Tu n’as pas encore commencé le potager ?


Ça se voyait qu’elle était déçue devant le jardin à l’abandon.

Et puis inquiète le matin, parce qu’elle l’avait entendu tourner dans la maison pendant la nuit.


– J’ai jamais beaucoup dormi, tu sais. On dirait que tu le découvres !


Après le déjeuner, ils étaient allés faire un tour dans les bois avec Saxo. Ils étaient montés jusqu’à la fontaine Sainte Claire, en silence, l’un derrière l’autre. Saxo avait filé devant.

À la source, Justine avait mis sa main en coupe pour y recueillir un peu de cette eau pure, elle avait bu quelques gorgées, les yeux fermés pour en sentir la fraîcheur.


– Tu ne bois pas ?


Lucien avait eu un petit rire, s’était approché du filet d’eau bruissant sous les feuilles, s’était aspergé le visage et la nuque.


– Papa, je voulais te dire...


Le ton grave de Justine l’avait immobilisé. Regardant le visage de sa fille, il y avait lu quelque chose, sans bien savoir ce que c’était. Et puis, elle s’était lancée.


– Avec Raphaël, on en a parlé, on ne sait pas si on va te confier Samuel cet été. Tu ne peux pas continuer comme ça.

– Comme ça quoi ?

– Tu sais bien papa : m’oblige pas à... Tu ne peux plus te passer d’alcool. Tu te dis sans doute que c’est ta vie, qu’on n’a pas à s’en mêler, mais est-ce que tu penses aux conséquences ? Tu pourrais aussi penser à nous !

– Qu’est-ce que Samuel a à voir là-dedans ? Je m’en suis toujours bien occupé que je sache ! Et tu sais qu’il adore venir ici. C’est pas un petit verre ou deux qui... Traite-moi de poivrot tant qu’on y est !

– Mais papa ! Tu crois que tu contrôles mais l’épicière a vendu la mèche pour ton permis. Deux mois de suspension ! J’ai rien dit parce que j’ai pensé que ça te servirait de leçon. Mais rien n’a changé. Plus question que tu emmènes Samuel dans ta voiture ! C’est tout ! Et c’est pas un exemple à lui donner, tu bois ta piquette comme nous on boit de l’eau.

– Je peux arrêter quand je veux !

– T’as toujours dit ça papa. Comment tu veux qu’on te croie ? Et quand est-ce au juste que tu as arrêté ?


Et ils étaient rentrés, chacun dans ses pensées, Lucien caressant le manche poli du couteau dans le fond de sa poche.


Lorsque Justine était repartie le lendemain, il avait demandé :


– Alors, tu reviens quand ?


Elle était évasive, avait promis de téléphoner bientôt. Lucien en avait gros sur le cœur, il aurait voulu reparler des vacances, de la venue de Samuel. Pendant toute la nuit, il avait tourné des phrases dans sa tête, sûr que Justine était influencée par Raphaël ! Et puis au moment du départ, il avait renoncé. Il n’avait pas réussi à attraper le regard de sa fille lorsqu’elle l’avait embrassé. Et il avait oublié de lui donner le pot de confiture de mûres qu’Yvonne avait laissé pour elle sur l’appui de la fenêtre.


Ce couteau posé sur la table du café : fermé, l’Opinel disparaît dans sa main. Un simple contact et il mesure le temps qui a passé, le couteau qui était grand pour sa main d’enfant lui paraît désormais bien modeste. Lucien aimerait voir briller les yeux de son petit-fils, tout comme les siens avaient brillé en recevant ce premier cadeau de grand.

En juillet, Samuel aura dix ans. Et son paquet est déjà prêt dans le placard de sa chambre.

À Villefranche, chez le coutelier, Lucien avait été stupéfait de voir dans le catalogue tous les modèles proposés. Il existait désormais des couteaux spéciaux pour enfants avec des manches de couleur vive et des lames à bout rond ! Ridicule ! Il n’avait pas hésité longtemps avant d’acheter l’opinel N° 9, le classique, le fleuron de la marque, inchangé depuis 1896, le même que le sien avec tout de même une petite différence : pour le manche, il avait choisi un bois d’olivier, à cause du dessin des veines.


Lucien contemple son couteau patiné. Sur la lame tant de fois affûtée, on devine encore, noircie par les ans, la main couronnée gravée, l’emblème de la marque.

Il n’a jamais voulu en changer ! Au début de leur mariage, Roselyne lui avait offert un Laguiole qu’il s’était empressé de reléguer au fond d’un tiroir. Elle s’était sans doute imaginé qu’il avait du goût pour les couteaux en général. Mais il s’agissait de bien autre chose avec cet objet-là !

C’est Émile, son oncle et parrain, qui lui avait offert le couteau. On était en 1955. Cette année-là, Opinel avait révolutionné le marché en inventant la virole tournante pour bloquer la lame en position ouverte ou fermée. Ce système ingénieux permettait de sécuriser l’utilisation du couteau, Émile avait insisté là-dessus pour rassurer sa sœur, il avait promis d’être vigilant pour les premières utilisations. Émile avait montré à Lucien comment tenir le couteau pour sculpter des morceaux de bois tendre : la fierté du gamin le jour où il avait taillé sa première fronde. Son excitation la fois où il avait incisé le ventre de sa première truite pour la vider. L’outil était prétexte à tant de découvertes !

Avec Émile, il avait appris à reconnaître les champignons et à les cueillir, en coupant le pied à ras pour permettre la repousse.

Avec Émile, ils faisaient parfois des concours, à celui qui arriverait à ne faire qu’un seul et long ruban pour peler une orange ou une pomme.

Lucien avait gardé l’habitude d’éplucher ses fruits de cette façon, il disposait ensuite sur la table l’enveloppe du fruit d’un seul tenant. Cette manie faisait sourire, c’était sa marque de fabrique à lui, on lui confiait parfois le soin d’éplucher toutes les oranges, juste pour le plaisir.

Le couteau ne quittait pas la poche de Lucien, il le sortait au restaurant, ou chez les amis pour couper sa viande ou son pain. Roselyne avait beau lui faire ses yeux sévères, il faisait celui qui ne voyait pas. Par distraction, il lui arrivait parfois d’essuyer le couteau dans la serviette du restaurant, ou pire, sur son pantalon. Il ne fallait surtout pas mouiller le couteau. Émile lui avait appris comment l’entretenir. À la rigueur, on pouvait passer une éponge humide sur la lame mais passer le couteau sous l’eau ou dans le lave-vaisselle était une hérésie.

L’année de ses douze ans, Émile lui avait offert une pierre à aiguiser, et il y avait eu la cérémonie du premier affûtage. Lucien s’était appliqué, n’avait pas mis longtemps à « attraper » le bon geste, un mouvement alternatif et régulier, de la base à la pointe de la lame, en appuyant légèrement sur la pierre.


– Écoute bien Lulu, tu entends ce zing-zing régulier ? Il faut que ton geste soit fluide, et si la lame crie au lieu de chanter alors tu arrêtes de suite !


Lucien se souvient bien de la fois où il avait cru que son couteau était perdu. Un matin, au moment du petit déjeuner, il avait cherché au fond de sa poche de pantalon, il était retourné dans sa chambre, avait tout mis sens dessus dessous. Puis il avait dû partir au boulot parce que c’était l’heure mais toute la journée, il y avait pensé.

Il avait pensé à la déception d’Émile... Peut-être qu’il pourrait s’en racheter un sans rien dire ? Et frotter un peu le manche avec du brou de noix pour le vieillir.

C’est ce jour-là aussi qu’il avait failli laisser un doigt dans la dégauchisseuse. Le patron l’avait engueulé en agitant devant lui sa main gauche mutilée.


– T’es bien trop jeune et inexpérimenté mon gars pour avoir déjà la marque du menuisier !


En quittant l’atelier, Lucien pensait encore à son histoire de couteau disparu. À la réflexion, il savait bien qu’Émile ne serait pas dupe, qu’il valait mieux le lui dire...

Au retour, il y avait eu le visage bouleversé de sa mère, ses mots maladroits pour lui dire la terrible nouvelle : Émile avait eu un accident, il était mort, écrasé par son tracteur.

Le couteau, lui, était sur la commode de sa chambre, il avait été retrouvé au fond de la panière à linge par sa mère.

Pendant de longs mois, Lucien ne s’en était plus servi, ne l’avait plus sorti de sa poche où il le gardait. Il aimait le sentir là, serrer son manche sans le sortir.

C’est de ce temps-là qu’il avait commencé à lever le coude, pour oublier sa peine et pouvoir donner la réplique aux copains, peut-être aussi pour essayer de se rapprocher de son père, qui passait toutes ses fins d’après-midi au bistrot à taper la belote.


***


Lucien en veut à Justine, à ses mots qu’il tourne et retourne dans tous les sens « on ne sait pas si on va te confier Samuel cet été ». S’ils ne savent pas, alors ce n’est pas encore sûr ? C’est pour ça qu’il voulait lui parler dimanche, lui dire « tu ne peux pas faire ça au petit. On a un programme tous les deux, il en apprend bien plus avec moi qu’au centre aéré ».

L’an dernier, le premier été sans Roselyne, Justine avait déjà été inquiète. Elle téléphonait tous les jours. La gêne de Samuel s’entendait dans ses réponses : « oui », « non », « ça va », « Papilu aussi ».

Justine se laisse bourrer le mou par toutes ces émissions à la télé. Ils veulent faire peur aux gens avec leurs chiffres, leurs recommandations pour la santé. Y a quand même une différence entre le gars qui bosse dans un bureau et s’enfile apéro sur apéro, midi, soir et week-end, boit du vin à tous les repas, se torche à la bière avec les potes devant la télé les soirs de match et moi ! Moi, je vis au grand air, je m’active dans ma maison et mon jardin (un peu moins cette année, c’est vrai). En plus, je fais mon bois, je promène Saxo, je donne le coup de main aux voisins. C’est quand même pas mon beaujolais, natif d’ici comme moi, élevé au pays, mitonné dans les cuves de la coopérative qui fait de moi un ivrogne ! Et c’est quand même pas Raphaël qui va dicter sa loi !

Lucien sent bien qu’il s’échauffe tout seul. Il se rappelle la mère et la fille, complices, liguées contre lui, le petit jeu de cache-cache avec les bouteilles, le regard réprobateur à chaque fois qu’il remplissait son verre à table, cette guéguerre qu’elles lui menaient avec leurs silences, qui le poussait par contradiction, à se resservir, pour bien montrer qu’il voulait rester seul à décider. Quand Roselyne avait eu son cancer, il avait dit à Justine : « Tu vois bien que c’est des balivernes tous ces trucs à propos de l’hygiène de vie comme ils disent ». Et, sûrement qu’elle lui en avait voulu de cette remarque idiote.

Cette fois-ci l’enjeu est de taille, il faut absolument qu’il retrouve la confiance de Justine. Mais il ne sait pas comment s’y prendre. Et s’il parlait avec Yvonne ? Elle est aussi du village, ils se connaissent depuis l’enfance, c’était une amie de Roselyne. Bien sûr qu’elle l’agace avec sa bigoterie et son club de randonnée (comme s’il fallait être dans un club pour marcher sur les sentiers !) mais c’est une gentille, à lui porter une part de gâteau le dimanche, à lui donner des pommes de son verger, à venir toquer à sa vitre si elle ne l’a pas vu depuis plusieurs jours. Peut-être qu’elle pourrait lui donner un conseil, ou même parler pour lui à sa fille ? Tiens ! Oui, lui faire comprendre… lui faire comprendre que c’est pas marrant tous les jours cette solitude, et que ça pourrait être grave s’il était brusquement privé du petit, qu’il est prêt à faire des efforts...

Lucien tourne tout ça dans sa tête, il se lève, paye son blanc et son café, salue Georges, sort lentement du bistrot, remonte la rue. Au fur et à mesure qu’il avance, son pas se raffermit, il s'arrête devant chez Yvonne, elle va être étonnée, mais là, pour la première fois, il sonne.


 
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   cherbiacuespe   
10/1/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Drame de l'alcool et tragédie des générations, somme toute. Boire trois verres est devenue une condamnation au bûcher, que l'on conduise ou pas d'ailleurs, et la méfiance est de rigueur pour tout ce qui n'est pas soi-même, comme si l'on était forcément à l'abri d'une erreur puisque la perfection est l'obligation d'aujourd'hui.

C'est bien écrit, limpide, sans accrocs. Le fil de l'histoire se lit sans heurts ni contradiction. Les dialogues transpirent comme ils se doivent les tensions existantes. On est bien dans la peau du grand-père qui panique et se questionne.

Cherbi Acuespé
En EL

   maria   
18/1/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Les clichés foisonnent dans cette nouvelle.
La solitude de Lucien,qui ne se sépare jamais de son Opinel (manie très fréquente). Le ballon de blanc au bistrot, le rouge à table...Sur la défensive quand sa fille trouve qu'il est devenu alcoolique...
L'histoire de son couteau est intéressante mais un peu longue. Elle ferait une belle nouvelle, à elle seule.

J'ai apprécié le rythme : c'est fluide, à aucun moment je n'ai buté.
Mais surtout je trouve la fin très belle, annonciatrice d'une vie moins triste pour ce grand-père.

Merci pour le partage et à bientôt.
Maria en E.L.

   Anonyme   
8/2/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour plumette,

Cette histoire, celle de Papilu est, tout en étant servie par un style fluide permettant une lecture facile, une chronique de la vie ordinaire d'un retraité, à travers son attachement à un objet simple du quotidien qui le suit tout au long de sa vie. J'ai apprécié. Un peu moins l'avis de Justine sur l'alcoolisme de son père : les gens ont tendance à dire un peu ce qu'ils veulent sur ce sujet, à juger trop facilement aussi. Mais le point de vue inverse est bien représenté également, il est clair qu'on trouvera toujours des gens encore plus excessifs dans leur consommation.

Vouloir en parler à quelqu'un est un excellent point de départ vers un futur meilleur. J'espère qu'Yvonne saura conseiller Lucien.

Merci pour cette lecture,

Dugenou.

   Cristale   
8/2/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
La solitude et la dépendance semblent intiment liées dans ce récit.
Laquelle entraîne l'autre ? C'est difficile de le savoir.
Les jolis souvenirs d'une vie bien remplie viennent embrumer un esprit qui s'en va à l'abandon.

"– Tu n’as pas encore commencé le potager ?"

La fracture s'annonce là.

Mais l'idée d'être privé du seul rayon de soleil qui pousse à vivre appelle un dernier sursaut pour ne pas sombrer :

" il s'arrête devant chez Yvonne, elle va être étonnée, mais là, pour la première fois, il sonne."

On a compris les petites attentions de la charmante dame envers Lucien. Sauront-ils ensemble accorder leurs pas sur les chemins de la vie et retrouver l'atmosphère familiale tellement essentielle à cette même envie de vivre ?

Voilà ce que j'ai lu de cette histoire touchante. Je ne suis pas critique littéraire mais je peux dire que ma lecture fut agréable. J'ai trouvé le style clair et fluide et l'écriture vraiment jolie.

Merci plumette.

Cristale

   plumedeplomb   
8/2/2020
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
J'ai lu deux nouvelles et j'apprécie beaucoup votre plume, il n'y a rien à dire sur le style, mais pour moi il manque un peu de couleur si j'ose dire au niveau du fond. Je n'arrive pas à compatir avec les personnages, les personnages sont trop neutres, leurs émotions sont trop molles. Par exemple je n'éprouve pas de tristesse quand Emile meurt, alors que je ne m'y attends pas. Je devrais ressentir la détresse de Lucien enfant; avoir de l'empathie et partager avec lui ce drame, mais non.
Je ne sais pas ce qu'il manque, mais il manque un truc. Du moins de mon point de vue.

   Annick   
8/2/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
Je suis impressionnée par le fait que vous avez magnifiquement campé votre personnage. Lucien est plus vrai que nature. Ce pourrait être mon voisin. Et puis, il y a le couteau, personnage à part entière qui le relie à Emile. Il est son objet chéri, son ami.
Il y a une grande connaissance, en tout cas une recherche approfondie sur l'Opinel. C'est une notice romancée par excellence.

Le lecteur est un peu baladé par ce couteau qui inquiète . On se dit que ça va mal finir. Et puis non ! Le couteau reste le substitut de l'ami ou tout au moins d'une présence, un objet qu'il admire et dont il est propriétaire : le drame de la solitude est bien là.

Quand Emile meurt, le couteau est un peu relégué aux oubliettes, il me semble. L'alcool fait alors son entrée...
La fin reste en suspens... Mais il y a une ouverture. On peut imaginer qu'avec Yvonne, cela va aller plus loin et dans le bon sens ! Mais là, je rêve. En tout cas vous m'avez laissé la possibilité d'imaginer la suite.

Bravo !

   Anonyme   
12/2/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

J'ai beaucoup aimé cette petite nouvelle sur un fond somme toute dramatique ( la dépendance à l'alcool menant à la solitude , et l'histoire de cet opinel , souvenir marquant de la disparition accidentelle de l'oncle et parrain qui le lui avait offert et dont il ne s'est jamais séparé).

Le début de la descente aux enfers .

La fin me semble plus optimiste et tant mieux.
Peut être le début d'une belle histoire avec Yvonne qui semble l'attendre depuis un bon moment. ( Je viens de m'aperçevoir que j'avais oublié moment) ,
Très belle lecture .

   jfmoods   
9/2/2020
La longue analepse met en lumière l'enjeu douloureux du texte : réinvestir, par le biais du couteau, le processus de transmission. Judicieusement, Plumette laisse le lecteur fermer le rideau de cette tranche de vie en terre rhodanienne.

Voici une nouvelle attachante, documentée, habilement menée.

I) Un homme hanté par le passé

1) La perte traumatisante de l'oncle
2) La spirale de l'alcool

II) L'inquiétude légitime d'une mère

1) Un jardin laissé à l'abandon
2) Un conducteur dangereux

III) La perspective d'un relèvement

1) Une voisine bienveillante
2) Le merveilleux cadeau d'un grand-père

Merci pour ce partage !

   solane   
9/2/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La solitude d'un homme âgé, l'attachement à un objet, une tendance à la boisson, l'amour d'un grand-père pour son petit fils...autant de choses simples et si courantes. Voilà qui prouve que l'on peut écrire un beau texte avec les petites choses de la vie, il suffit d'un style limpide sans recherche inutile, d'un peu de talent et d'un peu de coeur, même si en l'espèce il y a manifestement beaucoup de coeur et beaucoup de talent.
Merci pour ce beau moment. J'espère que la marque Opinel tiendra encore longtemps.
Solane

   ours   
9/2/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Plumette

Votre nouvelle sonne tellement juste que j'ai du mal à vous transmettre mon enthousiasme. La catégorie est bien choisie et mettre votre plume limpide au service de ce récit pittoresque où se joue un drame ordinaire est très agréable pour le lecteur que je suis. La narration est également convaincante et reflète bien le cheminement de pensée de Lucien. On s'attache à lui et on est heureux qu'il mette en œuvre des choses pour tenter de changer. Rien de pire que le fatalisme et les schéma statiques ou caricaturaux que vous avez su éviter. Le passionnément pour votre justesse et votre absence de jugement.

Merci du partage.

Edit: j'y pense, dans ma campagne un couteau ne s'offre pas mais s'échange toujours contre un franc symbolique ;)

   Mokhtar   
10/2/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
J’éprouve quelques difficultés quant à la plausibilité du scénario de cette histoire.

Si l’on résume et l’on simplifie au maximum les choses, deux thèmes dominent ce récit.

Le premier concerne ce rite un peu initiatique consistant en la remise d’un couteau à un jeune garçon de 10 ans. Ce couteau est plus qu’un cadeau. C’est d’abord une marque de confiance, puisque cet outil est dangereux à manier. C’est aussi l’ouverture sur le travail manuel, et son apprentissage. C’est enfin une étape de l’enfant vers l’homme, puisque cette lame peut être conservée et utilisée toute une vie. Dans certaines régions, en Bretagne par exemple, le couteau dans la poche est la règle, comme la montre au poignet et..(NNON pas le portable).

Le récit développe très bien l’intérêt et la beauté un peu symbolique de cette tradition quasi coutumière.

Le second décrit les ravages occasionnés par l’alcoolisme, qui isole l’individu en addiction, rompant tous liens sociaux, y compris familiaux. Et l’on voit Lucien, désespéré des conséquences de sa déchéance, aspirer à s’en sortir pour vivre le seul bonheur qui lui reste : la visite de son petit-fils.

Dans ce contexte, l’idée de motiver l’homme en lutte par la perspective du cadeau au petit-fils chéri, acte qui a du sens en perpétuant la tradition, est excellente.

Ce qui me gêne dans cette histoire, c’est que l’on fasse coïncider le début de l’éthylisme avec l’accident de l’oncle. Cela ne me semble pas crédible. Une douleur sentimentale, la perte d’un enfant, une dépression…je comprendrais. Que Lucien soit bouleversé est parfaitement imaginable. Mais qu’il compense avec l’alcool est assez improbable. Et la rengaine obsessionnelle couteau=oncle=alcool me semble un peu artificielle.

Car son addiction devient alors chronique, obligeant son épouse et sa fille à tenter de le réfréner. On peut même soupçonner de l’hérédité par la courte évocation du père.

Alors, quand il perd sa femme, le cas de Lucien est déjà pathologique et quasi irréversible. Le veuvage et la solitude accentuant logiquement la déchéance.

La conséquence est que la chute pleine d’espoir est compromise puisqu’une nouvelle compagne serait probablement incapable de résoudre une situation qui relève de la médecine.

Je pense qu’il aurait mieux valu faire coïncider le début de l’addiction avec le veuvage. Le « combat » aurait été le même, les motivations aussi, mais l’espoir qui naît de la fin de l’histoire serait bien plus envisageable.

Malgré ma grosse réserve sur le scénario, j’estime que les thèmes traités et l’idée de base qui les rassemble sont fort intéressants, et propices a des développements bien servis par une écriture aisée et agréable.

Quant à la chute toute en esquisse, en points de suspension, elle est la marque de l’auteure, le poinçon authentifiant son style.

   Louis   
10/2/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un paradoxe traverse tout le texte : un couteau qui a pour usage de couper, de trancher, de séparer révèle une fonction tout opposée, celle de relier, de rattacher, d’apparenter ; alors que le verre d’alcool associé, habituellement à l’amitié, à la convivialité, au lien social, révèle, lui, les fonctions de couper, de trancher, de séparer.
Verre et couteau inversent les rôles qu’on leur attribue communément.

Le personnage central du récit, Lucien, apparaît dès le début du texte. Son profil se découpe dans le fond sombre du « café de la mairie ». Sur la table devant lui, reposent un opinel et un verre de vin.
Toute sa vie désormais se joue entre ces deux choses posées là, très symboliques, entre le verre et le couteau.

Le verre est le véritable couteau, c’est lui et tout l’alcool en excès qu’il représente qui le coupe de sa fille et de son gendre, Justine et Raphaël ; le sépare surtout de son petit-fils, Samuel ; le détache de tous pour le vouer à la solitude.
Le couteau, lui, ne coupe pas vraiment, il « sculpte », il « taille », il « incise », il ne coupe pas. Il « épluche » aussi et « pèle » les fruits d’une façon remarquable : en « un seul et long ruban », d’un « seul tenant », sans couper, sans diviser, sans fragmenter, sans rien scinder.
Tout au contraire, l’opinel unit les générations de père en fils. Le couteau de Lucien lui vient de son oncle, son père de substitution, plus proche de lui que son père biologique, géniteur absent qui « passait toutes ses fins d’après-midi au bistrot à taper la belote ».
Avec ce couteau, tout un savoir-faire s’est transmis, et des connaissances, des croyances, un rôle paternel aussi, et une affection. À son tour, Lucien voudrait être à l’égard de son petit-fils ‘’un passeur de témoins’’.
Le couteau a ce pouvoir symbolique intergénérationnel.
Il se transmet par un don ; qui est don de soi, don du groupe familial, don de la communauté.
Il est un don, un ‘’présent’’ aux deux sens du mot, un présent qui court dans le temps, du passé vers l’avenir.
Il n’est pas un simple objet marchand, il ne se ‘’consomme’’ pas, ne s’use pas, ne varie pas dans le temps comme un produit de consommation. « Inchangé depuis 1896 », il est garant d’une longévité, d'une perpétuité, d’une identité dans le temps.

Quand le verre a voulu se faire couteau, Lucien a recherché au fond d’un bistrot, quand est mort son oncle, le lien avec son père décédé joueur et alcoolique, père qui n’a pas été un père, et ne trouve qu’un instrument de séparation et d’isolement. Le verre, qui devait le lier à ce père, finalement le coupe des autres, coupe le fil d’une filiation. Or Lucien ne peut exister que par une place dans une lignée, dans une chaîne générationnelle. Détaché de cette chaîne, il n’est plus rien, il n’a plus de raison de vivre, plus même de plaisir à vivre.

Verre ou couteau ?

Il lui faut donc choisir, il lui faut trancher…
Lucien choisit le couteau, il choisit l’union, il choisit de couper avec le verre et ses effets néfastes, de "couper" le verre avec son couteau, et de se lier à Yvonne, avec laquelle il pourra se rattacher à la chaîne des générations, et transmettre ainsi « son » opinel.

Merci Plumette, pour ce texte d’un réalisme psychologique et social pertinent.

   Anonyme   
12/2/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
j'ai lu les commentaires du professeur, du psychiatre, des femmes...
J'ai trouvé cette nouvelle très simple et très juste. Elle est bien écrite, fluide, simple. Elle reflète mon expérience.

J'ai juste souffert de l'emploi du prénom "Roselyne" qui de plus meurt car ce prénom résonne en moi encore trop fort.

   Pouet   
13/2/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bjr,

j'ai trouvé l'ensemble d'une grande justesse. Le tout me semble écrit "sans jugement", ce qui est parfaitement opportun. Pourtant, on peut penser que l'auteure penche plutôt du côté des arguments de Lucien que de la réaction de sa fille (et de son conjoint), mais ce n'est que mon interprétation.

Quoi qu'il en soit l'aspect psychologique de Lucien, son "déni" et son côté bourru (comme le vin), ses réticences, ses objections... tout cela est très bien vu. Il en va de même pour sa fille et ses peurs légitimes.

Pour moi le versant réaliste est bien ancré. Finalement, c'est émouvant.

Chacun après se fera son idée quant au fond (du verre).

Pour moi l'alcool est un véritable fléau aux conséquences dramatiques, pour moi il n'est ni anodin ni festif, plus synonyme de noirceur et d'enfermement que de clarté et de partage et que le pinard soit un fleuron du patrimoine français n'y change rien, mais je suis sans doute un peu trop marqué par mon expérience personnelle.

En espérant que Lucien saura choisir l'amour - et l'eau fraîche ( ô, dans Opinel, il y a "eau"...)

(e)Au plaisir.

   plumette   
15/2/2020

   Anonyme   
4/3/2020
j'ai trouvé l'écriture d'une simplicité et lisibilité qui vous font honneur. On lit avec une impression de glisse...c'est sans anicroche, Simplicité qui vous rend proche comme les personnages de votre histoire. Ceci dit et cela n'engage que moi, j'ai eu du mal à accrocher, pourquoi? Peut-être suis je trop fan de sf dans mes goûts et j'ai laissé les histoires décrivant les affres de la société contemporaine de côté les trouvant tellement redondants : l'alcool, le conflit des générations etc... Peinture d'une société à vau l'eau...Peut-être qu'il manque quelques points de "CLIMAX" ...des points d'orgue ou l'intrigue ferait des hauts et des bas tel un manège russe ou " rollescoaster" , des rebondissements, afin de maintenir un suspens qui tiendrait, le lecteur, la lectrice en haleine, en gros l'intrigue est un peu platounette...

   Sylvaine   
17/2/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour, Plumette,

Cette nouvelle, qui est avant tout une tranche de vie réaliste, n'appartient pas au genre que je préfère, mais dans son genre, justement, elle est très réussie. La narration est fluide, les dialogues s'intègrent bien au récit, les personnages sont campés avec justesse. La solitude qui conduit peu à peu à l'alcoolisme, les relations familiales, le thème de la transmission, symbolisé par le couteau, la fin "ouverte", tout est exprimé avec juste ce qu'il faut de mots, sans appuyer, et laisse ainsi une marge d'interprétation au lecteur, ce qui est la marque d'une bonne nouvelle qui fait sa place au non-dit. Bravo pour cette maîtrise technique qui n'exclut pas la sensibilité, bien au contraire. A vous relire.

Sylvaine

   Robot   
17/2/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'aime la réalité de ce récit. Rien d'exagéré qui aurait tourné au mélo. Un exposé - d'une écriture sans fioriture - qui montre sans porter de jugement.
Qui a tort, qui a raison ?
C'est au lecteur de choisir le parti à prendre.

Et puis la petite touche d'espoir finale qui laisse une porte ouverte...

   Alfin   
20/2/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Plumette !
Je vois dans votre nouvelle plutôt un conflit de génération qui met en avant principalement l'évolution des valeurs, l'évolution des coutumes et de la société en général. Un fossé se creuse actuellement entre les sexagénaires ainsi que leurs aînés contre toutes la population plus jeune. Avant cette distinction se faisait plutôt entre le monde rural et les villes. Les moyens de communications actuels on changés cette dichotomie. Par contre, les personnes âgées qui habite en milieu rural sont doublement distanciées par le fait que la grande majorité n'a pas accroché au train Numérique.

Lucien est touchant avec son opinel et le fait qu'il cache son besoin de connaitre son petit fils derrière la transmission extrêmement importante pour lui de la tradition du couteau car celui-ci le représente dans toute sa personnalité.

Son alcoolisme n'est qu'une partie émergée de l'iceberg. Ce n'est pas l'essentiel du message.

Il a perdu son épouse et n'a pas changé son mode de vie, il est sur le point de perdre son dernier repère et là il réagit, il franchi un pas qu'il n'a jamais franchi auparavant en allant sonner chez Yvonne.

L'écriture est fluide et plaisante, les éléments sont bien amenés. Il manque peut-être un élément du surprise, le récit est relativement linéaire mais il ne pourrait pas en être autrement avec un personnage qui n'a jamais fait de grand chamboulement dans sa vie.

J'aime beaucoup le sentiment très timide de révolte qui se réveille en lui, il est rendu avec beaucoup de justesse et en parfaite logique avec un personnage aussi traditionnel.

Bravo pour cette photographie d'un aspect de notre monde rapide qui ne respecte pas ceux qui n'évolue pas au même rythme.

Au plaisir de vous lire

Alfin

   Anonyme   
21/2/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une nouvelle d'un grand réalisme. J'aime particulièrement ici le côté humain qui transpire entre les lignes et les couteaux. Le passage entre les générations se fait au travers d'un couteau, relais hautement symbolique.

L'écriture claire et précise a su se saisir des sentiments vrais qui se mêlent aux vies banales en somme. Elle a réussi aussi à pointer du doigt l'importance de cet héritage aux yeux du narrateur. Un homme pas parfait parmi tant d'autres, qui porte lourd sur ses épaules le bagage de la vie, et s'en accommode comme il peut, tout simplement.

Merci pour le partage, Plumette.


Cat

   ANIMAL   
4/3/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Le couteau, c'est le croc que l'humain ne possède pas et qui lui a permis de vaincre les bêtes féroces. Et par ici dans les Alpes, l'opinel reste pour des générations un symbole de ce temps. L'offrir à son fils, véritable ou spirituel, est un geste qui perdure. Merci donc d'avoir rendu hommage à cet accessoire devenu intemporel.
Le récit de ces vies somme toute ordinaires est bien mené de bout en bout, entre bons et mauvais moments, amitiés, séparations et deuils.
L'opprobre jetée sur les gens qui boivent apparaît bien ici, avec toutes ses exagérations dans un sens ou dans l'autre. Boire du vin n'a rien d'un vice, en abuser est déraisonnable mais l'intolérance envers les buveurs aussi.
Tout cela, et bien d'autres sentiments, est traité ici avec habileté et fait de ce récit un moment agréable.


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