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Horreur/Épouvante
Sami : Saccharose
 Publié le 14/01/14  -  9 commentaires  -  9695 caractères  -  258 lectures    Autres textes du même auteur

Quand la raison d'un homme s'effondre sous le poids de la frustration…


Saccharose


La chaleur étouffante de cette mi-août avait réveillé les mycoses qui démangeaient Martin à l'entrejambe. Toute la matinée, il avait pensé au pied qu'il allait prendre à gratter l'intérieur de ses énormes cuisses. Même si le soleil avait transformé sa voiture en four le plaisir qu'il prenait valait tous les ventilateurs du monde. Se gratter comme un chien galeux au bureau, devant ses collègues, lui était impossible. Les regards qui se posaient sur son imposante carcasse étaient suffisamment gênants pour ne pas en rajouter en laissant s'exprimer ses instincts bestiaux.

Il s'arrêta avant d'endommager la fibre de son costume et mit le contact.


Martin préféra l'intérieur du Bergerac à sa terrasse, pour bénéficier de la climatisation et de la discussion de Harold, le patron de la brasserie.


– Alors comment il va le chef aujourd'hui ? lança ce dernier.

– Un peu comme hier, rétorqua mollement Martin. Pas pire, pas mieux.


Quelques serveurs s'agitaient pour servir des tablées de touristes en goguette. Derrière Martin, un couple d'Allemands commandait avec peine à une jeune fille qui devait débuter dans l'établissement, mais aussi dans le métier. Harold la lui présenta alors qu'elle passait derrière le comptoir.


– Ça, c'est Julie, ma nouvelle recrue !


Il lui ordonna poliment de s'occuper de Martin avant de sortir jeter un œil en terrasse.


– Soigne bien monsieur. C'est l'un de nos plus fidèles clients !


Elle devait peser la moitié du quart de Martin et être à peine plus âgée que sa fille de quinze ans. Il lui commanda un thé, comme il avait l'habitude de le faire ici depuis des années. C'était sa petite pause quotidienne entre midi et treize, parfois précédée d'un repas réglé avec les Tickets-Restaurant que ses enfoirés de patrons daignaient lui accorder. Ce jour-là en revanche, son appétit avait fondu au soleil. Ce n'était pas plus mal, il avait beaucoup trop de marge avant de pouvoir mourir de faim.

Julie lui apporta sa tasse avec un sourire. Il la remercia pour le thé et pour ce bonus, avant de réaliser que quelque chose clochait. Ce n'était qu'un détail, mais Martin fut surpris par une attention pour le moins inhabituelle : Julie avait placé un sachet de sucre sur sa soucoupe.

Depuis plus de quinze ans il vivait avec un diabète de type 2. Cette tare ne le rendait pas dépendant à l'insuline mais tous les médecins de l'époque l'avaient mis en garde contre les dangers de la consommation de sucre. Harold et tous les autres serveurs connaissaient son problème, mais personne n'en avait informé la petite dernière.

Il contemplait ce petit sachet filiforme stimulant sa mémoire gustative. Pendant toutes ces années il s'était refusé tout mets sucré, mais n'avait jamais réussi à oublier la douceur de cette substance interdite. Il se remémora l'époque où il pouvait se faire plaisir, sans se soucier de sa santé. Sans parler des dîners orgiaques entre collègues ou des repas dominicaux en famille, un simple sucre dilué dans le thé chaud pouvait être une goutte de réconfort dans l'océan sombre de sa vie. Jusqu'à ce triste jour où les médecins lui avaient balancé un tas de chiffres dans sa grosse figure. Certains de ses taux sanguins auraient pu inscrire Martin dans le Livre des records et la pilule était bien mal passée.

En caressant le contour de la tasse brûlante il fixait le petit étui de papier. Quelques grammes pouvaient-ils encore faire du mal à un colosse comme lui ? Son organisme devait être purgé de toute trace de sucre depuis des années, la marge avant saturation devait être large. Les poumons d'un fumeur ayant stoppé sa consommation récupéraient leurs capacités respiratoires après quelques années, au même titre que les cellules du foie se régénéraient après de lourdes agressions éthyliques. Son corps avait certainement connu cette purification par une longue abstinence. Il hésitait pour la première fois depuis des années. Ses doigts boudinés se saisirent du sachet pour le triturer nerveusement. L'eau lui venait à la bouche.

Sans crier gare sa femme s'immisça dans ses pensées, pour le vilipender comme elle le faisait souvent. Fidèle à elle-même, elle s'agitait en hurlant pour ne pas qu'il recommence à prendre une once de plaisir. Si elle avait pu, elle aurait comprimé son estomac à pleines mains pour l'atrophier, avec un grand sourire aux lèvres. Et toutes ces souffrances, ces privations, pour quoi ? Au final, n'avait-il pas toujours ce foutu diabète qui lui faisait pisser des hectolitres et lui rongeait l'entrecuisse ?

Martin posa le sachet puis épongea sur son front la tension qui filtrait par tous les pores de sa peau. À force de l'avoir trop fixé, le logo de la marque formé d'un cercle et d'un triangle, iris à la pupille anguleuse, s'était imprimé sur sa propre rétine et se superposait à son environnement. Il n'avait plus envie de thé, mais uniquement de sucre. Quelques grammes doucereux pour oublier ses kilos, ses collègues, ou cette chaleur insoutenable qui le faisait suer dans son costume trop serré. Mais il le ferait aussi pour faire enrager sa conne de femme et lui montrer qu'il était encore libre de disposer de son corps comme il le souhaitait, à défaut de pouvoir disposer pleinement de son esprit qu'elle venait hanter sans aucune gêne.

Il respirait fort. Son costume trempé de sueur se faisait de plus en plus étroit. Son regard ne pouvait plus se détacher du sachet sur le comptoir. Pour couronner le tout, sa vessie réclama une énième vidange. Martin leva son cul pachydermique mais, à sa grande surprise, ses jambes ne parvinrent pas à le soutenir. Un vertige s'était emparé de son équilibre. Il dut prendre appui sur le zinc pour ne pas s'effondrer. Julie lui proposa son aide en passant derrière le comptoir.


– Ça va monsieur ?

– Oui, balbutia-t-il.


Sa vue se troublait. Elle n'insista pas mais l'observait toujours. Cette petite garce attendait sans doute que le gros monsieur tombe à la renverse, pour se moquer comme tous les autres. Il ne lui donnerait pas ce plaisir. Il s'empara de sa tasse, la but d'une traite. La chaleur du liquide lui donna un coup de fouet, si bien qu'il réussit à se diriger vers la sortie en titubant. Il n'avait pas réglé, mais quelle importance ? Cet enfoiré de Harold ne lui avait jamais concédé le moindre geste commercial malgré ses années de fidélité.

En terrasse il bouscula quelques tablées de touristes mécontents puis se dirigea avec peine vers sa voiture. Il s'y introduisit comme une baleine dans une cabine téléphonique. L'angoisse avait réveillé ses saletés de mycoses. Il voulut se gratter mais, en passant ses mains sur son pantalon il réalisa qu'il s'était pissé dessus.


– Non putain ! Non !


Son corps difforme l'avait trahi, il n'avait rien pu contrôler ou même sentir. Pour tenter de soulager sa colère il laboura son volant de coups de poing, mais ça ne suffit pas. Son cœur battait trop fort. Le sang circulait douloureusement dans sa tête, qu'il comprima de ses mains moites pour éviter l'explosion.

Malgré sa vue troublée il parvint à mettre le contact et à engager sa voiture sur la chaussée. Il devait rentrer chez lui pour se changer avant de retourner au bureau. Dans sa tête les images se bousculaient, tel un film projeté beaucoup trop vite : sa conne de femme qui le faisait chier depuis des années, sa fille maigrichonne et superficielle qui le toisait toujours avec arrogance, son épicurisme d'antan qu'il regrettait, ce satané sucre qu'il aurait mieux fait d'avaler au lieu de sombrer de la sorte.

Il était conscient de ne pas rouler droit à cause de sa vue instable. Grâce à Dieu, très peu de voitures circulaient à cette heure et sa maison n'était pas très loin. Il aurait préféré ne pas y aller, mais il avait besoin d'un autre pantalon. Et s'il croisait sa femme il comptait bien lui dire ses quatre vérités, avant de dévorer un des énormes gâteaux que sa fille se gardait dans un coin du réfrigérateur. Ainsi tout s'arrangerait, il pourrait enfin recommencer à vivre.

Il essuya la sueur qui dégoulinait et lui piquait les yeux. Le feu qui approchait était passé au rouge, une femme et une fillette avaient un pied sur la route. Dans la main qu'elle ne donnait pas à sa mère, la petite tenait une pâtisserie – comme un énorme chou à la crème – qu'elle portait à sa bouche. Ce gâteau fascina tellement Martin qu'il en oublia de freiner. Trop tard. Il ferma les yeux et se concentra pour arrêter le temps mais le pare-brise vola en éclats. En même temps que les projections froides sur son visage, il sentit quelque chose passer sous les roues. Un choc terrible le projeta contre le volant. Son énorme ventre fit office d'airbag, coupant sa respiration pour une durée qu'il ne put déterminer.

Un doux silence.

Il ouvrit les yeux. Sa vue était redevenue nette. Son angoisse s'était envolée. Une épaisse brume grisâtre enveloppait la voiture et s'y engouffrait par le pare-brise, tel un nuage apaisant. Il réalisa qu'il était mort mais s'en fichait. C'était même mieux comme ça. Par contre il ignorait qui était cette jeune femme aux allures de poupée désarticulée, à côté de lui. Elle aussi se réveillerait certainement bientôt.

À mesure qu'il recouvrait ses esprits Martin prenait conscience de l'état de la voiture. Son rythme cardiaque s'emballa : non seulement il était mort, mais il avait déjà franchi les portes du Paradis ! Des milliers de cristaux de sucre constellaient tout l'habitacle, mêlés à un sirop sans doute à base de fruits rouges.

Comme un enfant il amassa un maximum de ces appétissants cristaux au creux de son énorme paume. Il jubila en pensant à tous ceux qui lui avaient toujours refusé ce genre de plaisir. Puis il engloutit tout, d'une traite.


 
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   Anonyme   
26/12/2013
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai bien aimé cet enchaînement fatal, comme inéluctable, à partir d'un incident minime. La fin, très bien, sauf que je ne comprends pas pourquoi la jeune femme qu'il a heurtée devrait se retrouver dans la voiture, à côté de lui ; pour moi, le choc aurait dû au contraire la projeter plus loin... La gamine, OK, elle est sous les roues et lui il va crever en bouffant du verre pilé agrémenté de sang. Ça c'est du fait-divers !
Oui, vraiment ce côté "petite cause grands effets" lapidaire est plutôt réussi à mon avis. Un bémol pour l'insistance sur la haine que Martin porte à sa femme : cela ne me paraît pas utile dans l'économie du texte, vous pourriez ne pas appuyer autant dessus ; je pense que le texte y gagnerait en force.

"il le ferait aussi pour faire enrager sa conne de femme" : dommage, pour moi, la répétition du verbe "faire" à quelques mots d'intervalle.

   Pascal31   
2/1/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte bien écrit, qui se lit facilement. J'ai avalé le récit d'une traite, avec une fascination morbide...
Je comprends le classement de ce texte en 'Horreur/Épouvante' même si ce n'est pas vraiment le genre de cette nouvelle. C'est plus l'horreur psychologique qui est abordée ici, avec cet anti-héros qui finira tué par son vice -le sucre- d'une façon à la fois originale et très cruelle. Je n'ose imaginer le résultat final !
L'auteur, pour moi, a réussi son but : j'ai été perturbé par cette lecture dérangeante et j'ai frissonné devant cette conclusion qui, assurément, n'a rien de sucrée !

   Marite   
14/1/2014
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai lu aussi d'un trait cette nouvelle. Rien ne m'a vraiment gênée dans l'écriture ou dans le déroulement de l'histoire. Ni horrifiée ou épouvantée, il me reste seulement une certitude : les régimes alimentaires trop sévères peuvent être désastreux au niveau psychologique.

   dowvid   
14/1/2014
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonne histoire, bien écrite.
Un peu gros à mon idée, l'effet du sachet de sucre sur le type, mais bon, c'est une histoire inventée. Le déroulement est limpide. Je ne vois pas trop pourquoi on met en scène la femme et la fille du type. À mon avis, elles n'ont pas d'impact sur l'histoire, et n'amènent rien comme image ou comme explication à l'histoire. J'aime les appartés, j'aime quand on en met beaucoup dans une histoire si ça apporte des images, des sentiments. Ce coup-là, je n'y vois pas l'intérêt.
Je n'avais pas saisi la fin. On veut trop en mettre, je pense. On dit et répète qu'il est mort, mais il ne l'est pas. Et il bouffe du sucre qui est en fait de la vitre cassée ? Je n'avais pas saisi.
Mais somme toute, une bonne histoire bien écrite.

   senglar   
14/1/2014
Bonjour SAMI,


Pas trop compris. Tout ça pour un diabète de type 2 et un sachet de sucre en poudre non ingurgité. Je ne suis pas bien certain que vous vous soyez documenté à propos de cette maladie. Il me semble que nous avons plutôt là un individu obèse qui souffre d'un dérèglement hormonal très sévère.

Pareil pour l'accident au feu rouge sur une route qu'il connaît parfaitement.

On est plutôt dans le registre de Charlie et la chocolaterie que dans l'horreur/épouvante ici :)

Je n'évalue pas.

brabant

   Perle-Hingaud   
18/1/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour Sami,
L’entame est provocatrice, je me demande en lisant le premier paragraphe si vous allez tenir l’équilibre ou tomber dans le travers de celui qui en écrit trop…
Vous naviguez donc sur le fil du rasoir, mais vous vous en sortez grâce à une écriture alerte et à un bon sens de l’équilibre.
Un bémol : la mise en scène de la petite fille : dommage, c’est trop : utiliser un enfant correspond à l’artillerie lourde, ce n’était pas la peine, à mon sens, un piéton quelconque aurait suffit.
La chute, la confusion des cristaux, est bien trouvée.

Quelques broutilles relevées au fil de ma lecture :
il avait beaucoup trop de marge avant de pouvoir mourir de faim. : le verbe « pouvoir » ne me parait pas ajouter du sens à la phrase. Idem : une attention pour le moins inhabituelle : « pour le moins » ? tous les médecins de l'époque : de l’époque ?
Quelques répétitions qu’une relecture peut facilement gommer : tous les médecinstous les autres serveurs Pendant toutes ces années il s'était refusé tout mets sucré,. Plus bas, en quelques lignes : toute trace de sucre depuis des années,… après quelques années…Il hésitait pour la première fois depuis des années

   Bidis   
14/2/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↓
C’est un texte qu’on lit jusqu’à la chute, parce qu’il présente une intrigue assez originale et que l’on est curieux. Mais l’écriture bien que très vivante et agréable à lire, n’est pas toujours très claire.
Par exemple :
- « un couple d'Allemands commandait avec peine à une jeune fille qui devait débuter dans l'établissement » : je crois qu’il faudrait un complément à « commandait » sinon on dirait que le couple commande la jeune fille en tant que supérieurs. A mon avis, il vaudrait mieux dire « passaient (avec peine) leurs commandes ».
- « Harold la lui présenta » : Le sujet auquel se rapporte le pronom « lui », Martin, se trouve trop loin à mon avis. Il y a eu un autre sujet entre les deux (le couple d’Allemands) et comme un pronom se réfère au dernier sujet ( ici toujours ce couple) cela provoque une confusion.
- « lui avaient balancé un tas de chiffres dans sa grosse figure » : Je crois que l’expression est plutôt : balancer quelque chose « à » la figure de quelqu’un et non « dans ».

   Anonyme   
10/4/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
I'm sorry mais mois j'aime bien, à la fin, je n'ai pas pu m'empêcher de me dire beurk beurk beurk ! Moi qui n'aime pas le sucre, alors si il est mélangé à du sang et des morceaux de verre !

   carbona   
4/9/2015
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai vraiment beaucoup aimé votre texte jusqu'à l'accident, la description du type, ses démangeaisons, son caractère... votre écriture est un régal. J'ai juste noté une répétition : il avait de la marge (pour l'appétit et pour le sucre)


En revanche j'ai moins aimé la description de l'accident, je l'aurais souhaité plus "trash" et cet instant de vie après la mort, j'aurais préféré que l'on reste dans un registre réaliste où le type fait un carnage, mais vivant.

Je trouve le choix du titre tout à fait pertinent.

Merci pour cette lecture.

Je lis les commentaires , ce type n'est pas mort en fait ?


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