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Sentimental/Romanesque
Sylvaine : Anima vagula blandula
 Publié le 03/09/13  -  7 commentaires  -  12265 caractères  -  154 lectures    Autres textes du même auteur

Élégie pour un chien mort.


Anima vagula blandula


Ce matin-là, je me suis réveillée dans l’ombre de ta mort, qui avait plané sur mon sommeil. Tes reins ne fonctionnaient plus depuis la veille, et je savais l’euthanasie inévitable. Sitôt levée, je me suis penchée sur toi : tu gisais à même le sol, sur le tapis du séjour, dans la position où je t’avais laissé le soir – allongé sur le flanc, les yeux fermés, le poil hirsute. Tu n’as pas réagi à ma présence, pas même à ma caresse. Du bout des doigts, j’ai décelé un caillot de sang qui s’était formé à fleur de peau. Signe de l’agonie proche, témoignage de la débâcle immobile qui décomposait ton corps.

Ici s’achevaient tes années de vieillesse, au cours desquelles j’avais vu décliner ta grâce et se ternir ta beauté autrefois somptueuse : ta démarche était devenue raide, ton pelage terne et cendreux, la cataracte avait voilé tes yeux d’ambre, et, les derniers mois, tu pouvais à peine marcher, toi qui aimais tant courir. Ta vigilance aussi avait disparu : toi qui avais surveillé si jalousement notre territoire commun, tu laissais désormais entrer n’importe qui. Cette déchéance aurait dû me déchirer, mais je m’étais appliquée à en prendre mon parti et à anticiper ta fin, pour éviter d’en souffrir. Le moment venu, mon deuil était déjà fait. Je ne trouvais plus en moi qu’une compassion distante, un souvenir de tendresse, une tristesse désincarnée. J’avais réussi à évacuer la crudité de la souffrance, et j’en garde le remords comme d’un serment trahi.


Je me rappelle les premières semaines, lorsque tu es entré dans ma vie. Ma décision, mûrie longuement, matérialisait un rêve d’enfance longtemps ajourné, et compensait aussi une déception affective récente, qui joua le rôle de déclencheur. J’avais choisi ta race shetland pour sa ressemblance avec Lassie, qui m’avait séduite à dix ans, et, comme tous les chiens à pedigree, tu portais un nom à particule, Onyx du Bois-Bailly, qui définissait tes origines et qui sonnait comme un titre de noblesse. J’en étais secrètement fière. Quand je te vis pour la première fois, tu n’étais, âgé de quelques jours, qu’une larve aveugle et velue. Je revins deux mois plus tard, et te trouvai transformé, déjà d’une grâce émouvante avec ton duvet court et laineux qui promettait une fourrure luxueuse. Ce jour-là, je te ramenai avec moi. Tu passas le trajet en voiture sur mes genoux, et ce trajet fut sans doute déterminant pour fixer ton attachement futur. J’étais alors en vacances chez mes parents, dans leur maison de Normandie. Une fois sur place, tu exploras les lieux avec circonspection et une timidité visible, puis, résolument, tu t’approchas de mon fauteuil et te mis debout contre ma jambe, essayant de te hisser sur moi. Je t’y aidai, et tu passas les heures qui suivirent à me regarder intensément, comme si tu photographiais chaque trait de mon visage. Je crois que tu as gravé alors, dans ton cerveau malléable, les détails de mon aspect, de mon odeur, et que ton choix s’est porté sur moi à titre définitif. Le soir même, tu me suivais pas à pas, et pendant les premiers temps tu manifestas de l’affolement chaque fois que je m’éloignais, te montrant farouche avec tout autre. Mes parents eux-mêmes ne t’approchaient que difficilement. Pareille dépendance m’attendrissait, mais me pénétrait aussi d’angoisse, si bien que pendant quelques semaines j’en vins presque à regretter ton adoption. Jamais je ne m’étais senti envers rien de vivant une responsabilité si écrasante. Tu m’étais un poids très doux, mais un poids tout de même. Si, avec le temps, tu devais me devenir indispensable, je t’ai tout d’abord perçu comme une entrave contre laquelle je regimbais.


Quelques mois plus tard, tu avais pris de l’assurance et tu pétillais de gaieté. J’avais regagné mon studio, où tu passais enfermé les heures où je donnais mes cours. Pour compenser ce temps de solitude forcée, je te sortais chaque jour pour de longues promenades. J’avais la chance d’habiter non loin d’un parc, proche lui-même de la forêt. Là, tu pouvais dépenser une énergie ludique démesurée. Je te revois éparpillant les feuilles mortes qui ont la couleur de ton pelage, poursuivant un vol de pigeons ou progressant par bonds successifs dans les herbes hautes, à la manière d’une gazelle dans la savane. Chacune de ces images est un concentré d’exultation. Celle-ci, encore : à la lisière du parc, en bordure de forêt, s’étire sur plusieurs kilomètres une large terrasse rectiligne ; te voilà qui piques à perdre haleine, si loin bientôt que tu cesses d’être visible, mais tu me reviens tout aussi vite avant que j’aie pu m’en inquiéter et tu commences à bondir autour de moi. Ce que tu m’offres alors est inappréciable, cette pure joie de vivre dans l’instant que l’animal atteint sans effort.

Au retour, tu plongeais dans de profonds sommeils. Ta corbeille était installée dans la cuisine, car je refusais que tu dormes dans ma chambre. Sur ce point, je me montrais inflexible, et t’avais imposé une éducation stricte, qui consistait à t’enfermer en gardant l’oreille contre la porte, et à me manifester avec fracas dès tes premiers gémissements, que cette colère feinte arrêtait net. Au contraire, lorsque tu demeurais coi, je te couvrais de caresses. Méthode un peu rude mais efficace : grâce à elle, tu compris très vite que tes plaintes me déplaisaient, moyennant quoi tu appris à supporter la solitude sans ameuter les voisins ni déranger mon sommeil. D’ailleurs tu te montrais en tout soucieux de me satisfaire, sensible aux reproches comme aux compliments. Trop sensible, peut-être : un jour, je t’ai grondé par erreur, ayant cru te voir lever la patte contre un meuble ; tu as réagi par une panique bouleversante, et il m’a fallu de longues minutes pour apaiser tes tremblements.

Ta vie se modelait sur la mienne, tu étais suspendu à mes gestes. Je me revois travaillant à mon bureau : tu dors allongé à mes pieds, mais à peine ai-je posé mon stylo que tu te dresses en frétillant pour gambader vers la porte, espérant une promenade. Le soir, avant de m’endormir, je te laisse monter sur le lit ; tu y restes tant que je garde mon livre ouvert, mais sitôt que je le ferme, te voilà qui sautes à terre pour regagner ta corbeille. Si je m’installe sur un canapé, tu te musses contre ma cuisse que tu presses avec insistance. Il t’arrive encore de me fixer intensément, comme si tu voulais te pénétrer de mon aspect. Après chaque absence, tu fêtes mon retour avec une joie frénétique qui te fait courir dans toutes les pièces. Et si je confie ta laisse à un ami, tu manifestes de l’inquiétude et tu refuses d’avancer. Je vois mal quel nom donner à l’attachement que tu me portes, à moins de parler d’amour.

À deux ans, tu avais atteint la plénitude de ta beauté : d’une longueur inhabituelle, même pour ta race, ta fourrure fauve, ombrée de noir, étoffait sans l’alourdir ta silhouette gracile ; ta tête finement dessinée, dont les yeux semblaient cernés de khôl, se détachait sur le jabot d’un blanc pur. « Il est si beau qu’il n’a pas l’air vrai », me dit un jour un vétérinaire. Les Anglais surnomment les tiens fairy dogs, chiens fées, et ce surnom semblait inventé pour toi et pour ta démarche d’elfe. J’étais très fière de l’admiration que tu suscitais partout. Ton élégance prolongeait la mienne : tu devenais une extension de moi-même. Les compliments que tu inspirais me semblaient adressés à moi.


Quelques images de vacances : je t’emmenais en montagne, pour de très longues randonnées. Après une montée torride, nous découvrions parfois des plaques de neige où tu te mettais à courir avec une ardeur effrénée qui me faisait exulter par sympathie. Je crois que tu peinais au soleil, mais tu m’as toujours suivie avec constance. Plus tard, quand on décela ton souffle au cœur, je me suis fait reproche de t’avoir fatigué. À l’hôtel, tu couchais par force dans ma chambre, et j’ai pu mesurer à quel point tu respectais mon sommeil. Au matin, j’ai parfois feint de dormir pour t’éprouver : tu posais ton museau sur ma main avec une douceur extrême, trop délicatement pour m’éveiller, et tu restais immobile au pied du lit à guetter les signes que j’émettais. Une nuit, à Chamonix, tu as cependant bondi sur moi contrairement à toutes tes habitudes ; je t’ai repoussé sans ménagement, et me suis rendormie derechef. Au matin, tu avais disparu de la pièce. Je louais alors un studio construit en duplex, dont l’escalier, à claire-voie et très raide, t’avait toujours effrayé. C’est pourtant à l’étage que je t’ai retrouvé : tu avais gagné la salle de bains, où tu t’étais soulagé, sans avoir pu redescendre. Quand tu m’avais réveillée, je n’avais pas compris que, souffrant de diarrhée, tu désirais sortir. Soumis à deux exigences contradictoires, respecter mon sommeil et rester propre, tu avais inventé un acte intelligent.

J’ai cessé de t’emmener en vacances après un incident qui aurait pu mal finir. Lors d’une randonnée en Auvergne, nous avons rencontré un husky. Vous vous êtes fixés quelques secondes, puis il a brutalement attaqué en te mordant aux reins, bientôt rejoint par un tervueren. Contre deux agresseurs qui faisaient le double de ta taille, tu ne pouvais bien sûr te défendre, et tu t’es mis à pousser des hurlements que je crois entendre encore. Face à cette mêlée de corps velus, j’étais quant à moi réduite à l’impuissance. Heureusement, le maître des deux chiens nous rejoignit assez vite pour intervenir à temps. Par ailleurs, l’épaisseur de ta fourrure t’avait protégé des crocs. Tu en fus quitte pour des hématomes, mais le traumatisme te laissa plusieurs jours inquiet et abattu. Le pire fut que tu fuyais ma main, comme si tu avais perdu confiance en moi : ne t’ayant pas défendu, j’avais failli à mon rôle de chef de meute. Tout revint bientôt à la normale, mais la crainte d’incidents analogues, dont les conséquences pouvaient être plus graves, devint chez moi une hantise. Désormais, je préférai te confier à mes parents pour les vacances. Ils te choyaient à l’excès, mais tu explosais de joie à mon retour.


Et puis, tu as commencé à vieillir.

Tu avais huit ans quand on diagnostiqua un souffle cardiaque, qui, d’ailleurs, n’eut pas tout d’abord d’effet gênant. Comme si de rien n’était, tu as pu continuer courses et promenades. Mais les années passant, le mal s’est aggravé, et tu as perdu ton entrain ; tu accueillais toujours les départs avec enthousiasme, mais tu te fatiguais au bout de dix minutes et nous devions rebrousser chemin. Dès lors je me suis préparée à te perdre, et j’ai commencé à te trahir. Un chien passe en quinze ans de la petite enfance à l’extrême vieillesse et à la mort. L’aimer est une expérience humblement tragique, que j’ai refusé de vivre jusqu’au bout en me détachant de toi. Certes, tu n’as jamais manqué de soins ni de caresses, mais j’y mettais plus de distraction et moins de cœur. Je crains aujourd’hui que, sensible aux moindres modifications de mon humeur, tu n’aies perçu cette désaffection et n’en aies été meurtri. À la fin, tu avais beaucoup baissé. Sur le museau, autour des yeux, tu avais blanchi comme un vieillard. Ton oreille avait perdu son acuité. Tu n’avais plus la force de sauter sur les meubles. Souvent tes pattes se dérobaient sous toi et tu tombais sur le ventre ; je devais alors te relever, ce que je faisais parfois avec retard. Tu étais secoué par des toux rauques, et tu respirais difficilement. Tu passais tes journées à dormir, sans que mes départs ni mes retours suffisent à te tirer du sommeil.

Ce dernier matin, je t’ai installé dans ta corbeille et t’ai emporté chez le vétérinaire, où tu t’es laissé manipuler sans réagir. J’ai refusé de sortir au moment de la piqûre. Tu étais trop faible, trop absent déjà pour te rendre compte de rien, et tu as glissé dans la mort sans rupture, sans qu’aucun signe visible manifeste la fin.


Quand je repense à toi, c’est pour me rappeler les joies pures que tu m’as données, et pour regretter de n’avoir pas su t’entourer jusqu’au bout autant que je l’aurais dû. Si je nous croyais dotés d’une âme qui nous survive, je ne vois pas pourquoi je t’en dénierais une. Me revient alors en mémoire un fragment de vers latin : anima vagula blandula, petite âme errante et câline.

Petite âme errante et câline, avant de te dissoudre j’espère que tu m’as pardonné.


 
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   Anonyme   
15/8/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai été touchée par ce texte écrit dans un très beau style, à mon avis, dont la clarté et la distance n'empêchent pas l'émotion de passer, avec de belles idées. Ainsi cette phrase : "Un chien passe en quinze ans de la petite enfance à l’extrême vieillesse et à la mort. L’aimer est une expérience humblement tragique, que j’ai refusé de vivre jusqu’au bout en me détachant de toi." me paraissent un concentré de ce que dit le texte, d'une grande justesse.
L'amour absolu du chien a pour moi quelque chose de glaçant, j'ai toujours préféré les chats, préféré un être dont j'ai l'impression qu'il ne m'attache pas une importance primordiale pour mener sa vie ; ce qui n'empêche pas l'affection mais m'ôte une responsabilité écrasante. J'ai retrouvé ce sentiment dans les premiers temps où la narratrice découvre son chien.

Tout le texte m'a paru très juste, simple et profond, ce qui n'a rien d'incompatible. Et très bien écrit.

"J’avais réussi à évacuer la crudité de la souffrance, et j’en garde le remords comme d’un serment trahi." : joli !
"cette pure joie de vivre dans l’instant que l’animal atteint sans effort." : une réflexion juste et bien exprimée, pour moi.

   alvinabec   
25/8/2013
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,
L'émoi que l'on peut ressentir à la mort d'un animal de compagnie, oui bien sûr, mais ici c'est plutôt une 'histoire de vie' racontée de façon chronologique sans beaucoup d'originalité, le lien qui unit la narratrice à son chien se montre peu à mon avis.
La sémantique utilisée ici manque singulièrement de simplicité et le style me semble emphatique pour une situation qui ne l'est pas.
L'emploi systématique des temps du passé alourdit le propos.

   Anonyme   
3/9/2013
Bonjour Sylvaine

Oserais-je dire que je suis terriblement déçu par ce texte. Je le commente en souvenir de vos textes précédents, sans y reconnaître à aucun moment l'auteur.
" Tes yeux d'ambre " , " La débâcle immobile " , " J’avais vu décliner ta grâce et se ternir ta beauté autrefois somptueuse " , " Cette déchéance aurait dû me déchirer " , ont bien failli me faire abandonner ma lecture.

Quel intérêt d'écrire un texte contemporain avec un style daté au carbone 14 ? Franchement, je ne visais pas plus près que le 19e siècle. Georges Sand ou Flaubert étaient déjà bien plus rugueux.
J'ai l'impression d'un auteur qui s'est regardé écrire, façon de réviser un peu les bases du style, de se rassurer sur sa manière d'ajouter de la mousse aux mots. Car de la mousse, il y en a! Et plus il y a de mousse dans le style, et plus l'os disparait.
Un style précieux, étudié, maniéré, emphatique, ampoulé, guindé, est-il le meilleur choix pour nous restituer l'affection du narrateur envers son chien ? Vous poussez la coquetterie jusqu'à cette expression : " tu te musses contre ma cuisse " . Cette narration sépia n'est que le fade miroir de souvenirs que malheureusement vous ne parvenez pas à rendre intenses ni douloureux.
J'ai envie de vous demander : le narrateur aimait-il son chien, ou pas ?

Vous parlez de " tristesse désincarnée ". Ça résume parfaitement le sentiment qui traverse ce récit.

Pour moi, noter ce texte n'a pas le moindre sens, tellement ma réflexion toute personnelle ne juge pas le style d'école, mais son anachronisme.

Pardonnez ma sévérité, mais je sais à qui elle s'adresse.

Cordialement
Ludi

   Anonyme   
3/9/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonsoir Sylvaine. Ca m'a rappelé de douloureux souvenirs mais j'ai trouvé dans ce texte une grande sincérité pas toujours facile à dévoiler. Quelques anecdotes communes à tous les maîtres de chiens me font penser que ce texte est tiré de la réalité, en quelque sorte un genre de thérapie qui concerne directement l'auteur...
Je vis moi-même en compagnie d'une chienne de six ans et si j'en connais les contraintes, je sais aussi le réconfort qu'apporte cette présence quand la solitude se fait parfois pesante...
Je vous remercie pour ce témoignage. Je dis témoignage car on ne peut pas écrire sur un tel sujet sans l'avoir vécu.

   Acratopege   
12/9/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Sylvaine,
J'arrive en retard pour dire tout le bien que je pense de votre texte, après avoir lu les échanges sur le forum qui y est consacré. J'avais adoré la "Lettre à Voltaire." Je retrouve ici votre style somptueux et ai été ému par votre histoire, cette fine description de la relation forte qui peut se tisser entre un humain et un animal. J'aime aussi en vous lisant retrouver quelque chose de ma propre tendance à écrire "classique". Pour moi, le classicisme, c'est avant tout la simplicité, l'art de la litote - Racine! - et votre récit pêche ici un peu, à mes yeux, par excès d'emphase à certains moments. Je me suis aussi demandé si l'adresse au compagnon mort ne créait pas une atmosphère un peu trop sentimentaliste qui ôtait peut-être de la "percutance" à l'histoire. Aurait-elle été plus poignante narrée à la troisième personne? Je ne sais pas.
Merci donc pour cette oraison funèbre qui m'a fait passer un moment chargé de sentiment et a ravivé des souvenirs similaires à ceux que vous nous avez offerts.

   Piterne   
2/11/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

petit nouveau sur Oniris, j'ai lu votre texte pour son sous titre "Élégie pour un chien mort" qui a retenu mon attention.
J'y ai retrouvé mon Ariane, chienne colley, ses hésitations premières, ses attitudes, sa fidélité, ses comportements, etc.
Habitant de plus en Normandie, je laisse deviner le reste.

Le débat entre écriture classique et sujet moderne est intéressant. Acratopege a exprimé l'attrait du classicisme, Ludi a bien formulé le décalage entre son aspect "travaillé" et le sentiment "instinctif".

Pour le texte lui-même :
1. "mon studio, où tu passais enfermé les heures où je donnais mes cours" à revoir !
2. l'abondance de virgules juste avec la conjonction ET. Là aussi, il y aura peut-être débat, mais la virgule sectionne et la conjonction associe ; les voir ensemble m'étonne toujours !
3. une intrigue aurait pu être recherchée : le décès rappelle tel(s) moment(s) antérieur(s), par exemple
4. la valse hésitation entre regret et soulagement me gène : "Je ne trouvais plus en moi qu’une compassion distante" !
Au plaisir

   jfmoods   
12/9/2021
Le récit, circonstancié, est marqué par une longue analepse qui met en relief ses lignes de force.

Le lecteur pourrait soupçonner la narratrice d'avoir succombé à une forme de vanité en choisissant son animal de compagnie, la grâce de celui-ci rejaillissant naturellement sur sa propriétaire ("J’avais choisi ta race shetland pour sa ressemblance avec Lassie, qui m’avait séduite à dix ans, et, comme tous les chiens à pedigree, tu portais un nom à particule, Onyx du Bois-Bailly, qui définissait tes origines et qui sonnait comme un titre de noblesse. J’en étais secrètement fière.","J’étais très fière de l’admiration que tu suscitais partout. Ton élégance prolongeait la mienne : tu devenais une extension de moi-même. Les compliments que tu inspirais me semblaient adressés à moi.").

Cependant, en vérité, ça se passe ailleurs... C'est une enseignante, une intellectuelle ("les heures où je donnais mes cours", "travaillant à mon bureau", "à peine ai-je posé mon stylo"). Son rapport au monde est marqué par un certain recul, une distance vis-à-vis des choses. Le chien représente, lui, le contraste total à cela : l'instinct, l'immédiateté, l'absence de retenue. C'est cette distance, fascinante, qui semble bien justifier la présence du chien à ses côtés ("Chacune de ces images est un concentré d’exultation.", "Ce que tu m’offres alors est inappréciable, cette pure joie de vivre dans l’instant que l’animal atteint sans effort.", "les joies pures que tu m’as données").

La narratrice est une femme de tête pour qui la raison doit gouverner les sentiments. Elle est semblable à une joueuse d'échecs qui a toujours quelques coups d'avance dans sa manche. En adoptant un regard clinique sur le vieillissement de son animal de compagnie, elle se protège, anticipe les événements à venir, apprend à anesthésier l'inévitable désarroi de la perte ("... je savais l’euthanasie inévitable.", "Du bout des doigts, j’ai décelé un caillot de sang qui s’était formé à fleur de peau. Signe de l’agonie proche, témoignage de la débâcle immobile qui décomposait ton corps.", "Cette déchéance aurait dû me déchirer, mais je m’étais appliquée à en prendre mon parti et à anticiper ta fin, pour éviter d’en souffrir. Le moment venu, mon deuil était déjà fait.").

C'est à ce stade que l'entête ("Élégie pour un chien mort.") prend tout son sens, véhiculant le poids d'une dette affective désormais impossible à solder ("Je ne trouvais plus en moi qu’une compassion distante, un souvenir de tendresse, une tristesse désincarnée. J’avais réussi à évacuer la crudité de la souffrance, et j’en garde le remords comme d’un serment trahi.", "Dès lors je me suis préparée à te perdre, et j’ai commencé à te trahir.", "L’aimer est une expérience humblement tragique, que j’ai refusé de vivre jusqu’au bout en me détachant de toi.", "Petite âme errante et câline, avant de te dissoudre j’espère que tu m’as pardonné.").

Merci pour ce partage !


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