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Fantastique/Merveilleux
Twinkle : Une cloche dans le ciel vide
 Publié le 21/10/07  -  4 commentaires  -  10004 caractères  -  12 lectures    Autres textes du même auteur

Une petite histoire inspirée par un concert de sakuhachi un soir d'été...


Une cloche dans le ciel vide


Andrea Gardani commençait à se lasser de Saint-Tropez quand le mauvais temps immobilisa dans le petit port le plus singulier des équipages. Trois frégates espagnoles faisant route vers l'Italie, sous le commandement du seigneur indien Don Felipe Francisco Hasekura, bloquées par le Mistral. Ce seigneur n'était autre que l'ambassadeur du roi du Japon à la cour de Rome. Cette arrivée créa une grande excitation parmi la petite noblesse locale qui n'avait pas tant d'occasions de se divertir. C'était à qui proposerait la plus extravagante réception. Don Felipe Francisco Hasekura se prêtait nonchalamment à ce petit jeu et acceptait gracieusement toutes les invitations.


En sa qualité de musicien presque attitré de la maison de Saint-Tropez, Andrea fut mit à contribution. On lui commanda en toute hâte l'écriture d'un madrigal dans le style oriental, en l'honneur de l'étrange visiteur. Le maestro n'avait aucune idée de ce que pouvait être un style oriental propre à séduire l'indien, aussi se contenta-t-il de rajouter quelques ornements impressionnants à un menuet déjà ancien de plusieurs mois. De toutes manières, personne ne verrait la différence, et encore moins ces barbares avec leurs têtes rasées, leurs nez camus et leurs costumes fleuris. Le jour de la réception venue, Andrea joua négligemment son compliment, reçut un regard approbateur de Mme de Saint-Tropez et considéra son devoir accompli.


Il ne put s'empêcher toutefois de noter que Don Felipe n'avait pas paru enthousiasmé par son style oriental. Seul un de ses suivants avait écouté avec un semblant d'attention, mais Andrea se doutait bien qu'il n'était qu'un personnage de second plan, avec son visage lisse comme de la cire, sa robe noire sans ornement et cet immense chapeau de paille, ridicule vraiment pour une réception. Bien que très âgé, ce devait être un garde du corps, car au mépris de toute politesse, il avait refusé de se séparer d'un morceau de bois de huit pieds de long qu'il gardait près de lui.

Cette même nuit, sortant un peu éméché des cuisines du palais où il avait obtenu sa pitance et une bonne ration de vin, Andrea rencontra justement le garde du corps sur la plage. Assis le dos bien droit, il fixait le ciel dans un état d'intense concentration.


- Qu'est-ce que tu fais là pauvre idiot ? marmonna le jeune homme. On laisse les vieux dormir dehors dans ton pays ou quoi ?

- J'écoute les étoiles.


Andrea eut un choc en découvrant que l'étranger parlait plutôt bien le français, malgré un accent nasillard. Peut être était-il en fin de compte l'interprète de l'ambassadeur, raisonna-t-il. Remis de sa surprise, il éclata de rire.


- Partage mon vin vieux fou, tu les entendras encore mieux après, tes étoiles.


L'homme ne répondit pas immédiatement. Après un court silence, il énonça lentement :


- Ces étoiles ne sont pas comme chez moi. Je dois les écouter pour apprendre leurs chansons. Toi qui es musicien, ne sais-tu pas cela ?


Andrea ne put réprimer un rire grossier et reprit son chemin sans répondre. Un vieux fou qui croit entendre la musique des sphères, ça n'était vraiment pas son problème.


Le lendemain, le maestro Gardani se réveilla avec un mal de tête bien présent et un souvenir plutôt lointain de la soirée. Il passa la journée de fort mauvaise humeur, enfermé dans son pauvre logis, torturant son violon avec fébrilité. Il accoucha péniblement dans la nuit d'une petite pièce brillante, pour tout dire scintillante, qui lui procura une grande satisfaction. « On va voir, se dit-il, si tu les entends les étoiles ce soir. Vieux fou ! »


Andrea prit son violon et partit pour la plage, où il en était sûr l'étranger devait toujours écouter. Andrea trépignait à l'idée de la farce qu'il allait lui jouer. Il s'installa le plus silencieusement possible et commença à jouer son morceau. L'effet était parfait, il s'était bien assuré de n'introduire aucun passage trop difficile, tout en respectant les règles de la composition, quelques intervalles chromatiques bien placés, des répétitions régulières et juste deux ou trois ornements au bon moment.


- Silence ! tonna l'étranger.


En éclair le bâton de huit pieds fit sauter l'archet des mains d'Andrea. Le maestro eut la peur de sa vie mais la fierté fut plus forte. Il se força à faire face à l'homme qui se dressait devant lui et à répondre que la musique ne craignait pas la violence de sa barbarie. L'homme sourit et se rassit. « Ta musique est prétentieuse et vide » dit-il.


Il n'en fallut pas plus pour faire passer Andrea de la peur à la colère.


- Je n'ai que faire des jugements d'un misérable ! hurla-t-il. Je suis un grand musicien et tu n'es qu'un fou qui n'entend pas les étoiles quand on les lui présente.


L'homme remit la main sur son bâton. Andrea frémit. Mais au lieu de frapper, l'étranger porta le bâton à sa bouche et en tira un son terrifiant. Humide, vivant, impur, un son qui submergea le violoniste et le fit vaciller. Le son mourut pour renaître aussitôt, plus grave et plus lointain, puis strident à la limite du supportable.


L'homme s'arrêta, sa voix calme brisa le silence.


- Tu as entendu les étoiles de mon pays. J'ai maintenant appris le chant des étoiles de ce pays. Il recommença à jouer, et la musique était la même, et pourtant différente.


Le violon tomba à terre. Andrea tremblait.


Quelques jours plus tard le Mistral se calma et Don Felipe Francisco Hasekura reprit la mer. Andrea Gardani n'assista pas au départ des frégates. Enfermé dans sa mansarde, il se torturait à essayer de comprendre le son de l'étranger. Mme de Saint-Tropez lui envoya commande de deux menuets pour un prochain bal, qu'il ne prit pas la peine de composer. La comtesse vint en personne se plaindre de sa paresse, il répondit que la musique des sphères l'inspirait et ne lui laissait pas de temps pour travailler à des sornettes. Elle haussa les épaules et un jeune espagnol le remplaça comme musicien presque attitré de la maison de Saint-Tropez.


Ce soir là, Andrea désaccorda soigneusement son violon et en tira des sons tremblotants. Il brisa des verres, tapa sur les meubles, se traîna dans les tavernes où les filles de joie et les ivrognes chantaient abominablement mal. Le musicien se haïssait de n'entendre dans tout cela que des fausses notes et des rythmes égarés. Pris de désespoir, il brisa son archet, arracha une à une les cordes de son violon. Il fut sur le point même de le briser, mais retint son geste au dernier moment, sans savoir pourquoi, terrorisé par ce qu'il avait failli faire.


Son violon stérile sous le bras, Andrea se mit à arpenter les collines encigalées, à guetter le chant organique des vagues, à imiter le cri du merle dans le Mistral. Il écouta la neige et les vibrations du soleil. Lui naguère si élégant se couvrit de guenilles, avait la figure d'un fou dont les enfants se moquaient. Parfois, le curé de la paroisse lui faisait la charité et lui demandait doucement ce qui le tourmentait.


- Je cherche, répondait-il, à oublier la mesure du monde.


Andrea le fou s'enracina dans une crique isolée, nourri de pluie et de soleil, indifférent à tout. Il restait assis, le visage tourné vers le ciel, protégeant de ses bras sales le violon soigneusement posé sur ses genoux. Le violon qui demeurait aussi beau qu'au temps passé, le violon dont Andrea prenait plus de soin que tout au monde. Les mois passèrent, et un doux sourire envahit lentement le visage du musicien.


Un soir qu'il savourait un coucher de soleil harmonieux, le tocsin transperça le ciel. Un son métallique qui résonna jusque dans l'écume aux pieds d'Andrea. Il ouvrit les yeux, comme émergeant d'un rêve, se leva et partit pour Saint-Tropez. Il se dirigea sans hésiter vers l'église, tout son être fixé sur le clocher. Le prêtre lui donna du pain et des vêtements propres, qu'Andrea accepta sans y prendre garde. La cloche arrêta soudain de sonner et Andrea se mit à rire gaiement.


Le lendemain, ayant retrouvé figure humaine, Andrea Gardani visita le protégé de Mme de Saint-Tropez pour lui demander du travail. Il l'interrompit en pleine leçon de chant. Voyant Andrea bronzé et maigre comme un paysan, serrant contre lui un instrument inutile, le professeur s'esclaffa, et promit goguenard à son élève un bon divertissement.


- Voyons ce que tu peux faire de cet instrument, dit-il en grand seigneur à Andrea, et j'aurais peut-être quelque chose pour toi.


Andrea Gardani joua. L'espagnol le regarda passant de l'effarement à la moquerie, mais l'élève restait silencieuse et attentive. Le professeur finit par briser brutalement le silence et Andrea fut chassé.


Comme il marchait le long du port, une petite main lui tira le bras. La jeune élève du musicien de Madame se tenait devant lui, lui tendit un paquet. « Des cordes et un archet, prenez Maestro. » La fillette recula un peu, murmura : « J'aimerais bien chanter avec vous ! » et s'enfuit.


Le prêtre se réjouit de voir son protégé accorder son violon. Enfin il avait retrouvé la raison.


- Quelles inquiétudes j'ai eu pour vous, expliqua-t-il, perdre le sens commun comme cela. Que cherchiez vous donc je me le demande, mais je suis heureux de vous voir rétabli.

- Je cherchais répondit Andrea, à oublier la mesure du monde.

- Le monde est à la mesure de Dieu notre Seigneur, sachez-le et ne cherchez plus à l'oublier. Vous trouverez toujours de la consolation dans l'Église.


Andrea Gardani sourit. « Je n'ai pas pu oublier la mesure du monde, mais je l'ai perdue ce qui est plus que je n'osais l'espérer. »


Ces propos ravivèrent aussitôt les craintes du vieux prêtre. De telles paroles n'étaient-elles pas le signe d'une folie renaissante ? N'avaient-ils pas un arrière-goût d'hérésie ? Le violoniste le regardait toujours en souriant. Il commença à jouer, trouvant dans son violon une musique étrange, d'une beauté familière et insignifiante, éclatante. Le prêtre se mit à pleurer sans savoir pourquoi.


Andrea Gardani avait trouvé la musique du Ciel.



 
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   Togna   
20/12/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Beau récit qui nous rappelle que ce que nous croyons être la réalité n’est souvent qu’illusion.
Il n’y a rien de superflu dans le style de Twinkle. Les scènes, claires, précises, laissent cependant la liberté du décor à notre imagination. Et cette simplicité sert bien le merveilleux de l’histoire.

   Anonyme   
1/3/2008
Moment magique que celui de l'artiste laissant de côté la "mesure du monde" pour découvrir l'harmonie musicale dont son coeur est plein !

Mais pourquoi avoir donné ce patronyme étrangement espagnol à l'ambassadeur (indien ?) du Japon ? Un mélange bien (d)étonnant.

   xuanvincent   
21/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
J'ai aimé ce conte, dont le thème m'a intéressée.

Toutefois, j'aurais sans apprécié un peu plus de simplicité dans le récit. En particulier pour le choix des noms (comme Margaillon, je n'ai pas trop compris le choix du nom du prince indien : serait-ce un métis espagnol-indien ? ; de même "Saint-Tropez", dont le nom ne me paraît pas neutre pour un conte, m'a semblé pouvoir introduire une confusion : j'ai pensé d'abord à la ville de Saint-Tropez, et à une certaine B.B., avant de me dire que l'on parlait sans doute plutôt d'une femme...

Petit détail : j'ai relevé la majuscule du "Mistral" : employé avec une majuscule, on pourrait penser que ce vent est lui aussi un personnage.

J'ai apprécié la fin.

   marogne   
11/11/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je n’ai pas trop aimé la deuxième phrase, le manque de verbe me semble nuire à la compréhension et rend le paragraphe maladroit.

Je venais de lire « Un koto de gouttes d’eau », et le commentaire que j’en ai fait – la référence au temple de Zenri-Ji (sur lequel j’ai commis un poème proposé sur Oniris)- pourrait s’appliquer ici et montrer la portée universelle du beau.

Enfin, une référence, même légère et éloignée, au roi Lear, ne peut qu’être louée !


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