Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Poésie en prose
Donaldo75 : Nocturne
 Publié le 04/06/25  -  9 commentaires  -  2253 caractères  -  68 lectures    Autres textes du même auteur

"Let me fall out of the window with confetti in my hair
Deal out Jacks or better on a blanket by the stairs
I'll tell you all my secrets, but I lie about my past
And send me off to bed for evermore"

(Tom Waits - Tango Till They’re Sore)


Nocturne



Le bar scintille pavé d’argent, de verre et de nectar. Des nymphes au sourire étoilé lèvent les bras vers le ciel en portant des cylindres débordant de mousse jaunâtre. Les tables domptent le sol poussiéreux de leurs maigres tréteaux. Le miroir renvoie l’image d’un corbeau mal rasé dont les ailes traînent comme des âmes en peine. Il ne peut plus prendre son envol tellement l’espace est rétréci.

Que la soirée s’affiche embrumée sans toi.
Je ne te vois pas, tu ne me sens pas.
Nous passons l’un devant l’autre.
Les fantômes d’une pièce de théâtre pour aveugles.

Le zinc ressemble à un film de science-fiction. Des mollets d’oiseaux morts surnagent dans un liquide orangé. Un théropode charnu les regarde d’un air baveux. Il tend ses petites pattes vers leur cercueil de porcelaine. Ses yeux globuleux sortent presque de sa tête. Personne n’a l’air étonné de la scène. Les nymphes au sourire étoilé continuent leur ballet les bras levés.

Que ce monde me paraît étrange désormais.
Tu n’es plus là pour guider mes pas dans la nuit.
Nous résonnons dans des dimensions différentes.
Des ondes silencieuses dans un lac de pétrole.

Des choucas bavards piaillent des notes stridentes au théropode. Il ne les écoute pas, trop occupé à déchiqueter des lambeaux de ses victimes du soir. Les assiettes claquent leur staccato dans le brouhaha général où des plantigrades reluquent les nymphes au sourire étoilé dans l’espoir caché de lécher leurs bras. Le miroir déforme les hôtes impromptus de ce zoo nocturne.

Je ne sais plus combien de bocs ont peuplé ma soirée.
Personne ne les compte pour moi, n’arrête mon coude.
Nous sommes tous d’indifférents anonymes.
Les résidus d’une civilisation consommée par ses enfants.

Le corbeau délavé regarde son reflet dans le miroir fatigué. L’image lui dit qu’il est temps de partir, de rejoindre ses congénères là-haut dans son arbre, loin des théropodes et des plantigrades, des nymphes au sourire étoilé les bras levés au ciel. Il va tenter de déployer ses lourdes ailes et sortir de ce rectangle de bois où la nuit l’a attiré. Il reviendra demain et le jour suivant comme tous les improbables de la ville.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette poésie sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Cyrill   
2/6/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
L’effet du houblon sur un boomer, théâtre de l’absurde où se côtoient d’improbables comédiens. L’oiseau de nuit a le vin triste ou la bière jaunâtre. En manque de « toi », c’est un delirium tremens qui se joue en Nocturne. Au miroir déformant de la thérianthropie en marche, la civilisation se regarde finir, elle ne vaut pas un verre d’eau.
Bravo pour ce tableau.

   Ornicar   
2/6/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Le narrateur-observateur en tient une sacrée, de biture ! Au point de voir un corbeau dans l'image que lui renvoie le miroir situé en face de lui. Et partant de là, de transformer - poétiquement - le décor ordinaire et animé d'un bar ou d'une brasserie que j'imagine volontiers parisiens. Avec en prime un p'tit tour dans la machine à remonter le temps. Et quels temps ! Je sais pas ce qu'il a pris, mais il remonte sacrément loin en arrière, le bougre : "théropode charnu" et autres "plantigrades" sont au menu du soir.
Le tout compose un tableau fantasque et baroque dans lequel le lecteur prend plaisir à se perdre. Avis aux amateurs. Prière d'amener son masque et son déguisement.
PS : Je crois deviner, derrière ces visions décalées et d'un autre âge, l'influence de la thématique d'un certain concours...

   Laurent-Paul   
4/6/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Bonjour,
à vous lire, j'ai l'impression de regarder un tableau de Jérôme Bosch, plein de bêtes improbables occupées à suivre d'improbables rituels tristes. En plus l'évocation des bières m'emmène encore plus dans les pays flamands... Très beau texte, réussissant son but d'organiser le chaos et de rendre belle la solitude et la séparation. Bravo !

   Provencao   
4/6/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Donaldo75,

Sublime écrit dans son originalité.

"Que la soirée s’affiche embrumée sans toi.
Je ne te vois pas, tu ne me sens pas.
Nous passons l’un devant l’autre.
Les fantômes d’une pièce de théâtre pour aveugles."

Le départ du poème avec ce titre Nocturne et le réinvestissement de ce commencement avec ce " Que la soirée s'affiche embrumée sans toi"; avec ce quatrain qui se déploie dans des traverses presque impossibles à tracer sur une même ligne, tant la pulpe même de la poésie consiste en dispersions, lacérations, rencontres, incohérences, branle-bas, abandon et souffrance....

J'ai beaucoup aimé.

Au plaisir de vous lire ,
Cordialement

   papipoete   
4/6/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Donaldo
Ca ne va pas fort pour ce picoleur, que les bocs et les bocs de bière n'arrivent pas à consoler... elle n'est pas là, plus là malgré tous ce fantômes d'Elle, qui gravitent dans ce saloon.
Et ça rigole ( pas lui ) autour du zinc, et ça zieute les nymphes serveuses, et ça blague gras ; lui, ça ne le fait même pas sourire,
et dans la glace en face de lui, ce corbeau mal rasé, qui n'arrête pas de le mater !
- ah, c'est toi ; y faudrait songer à rentrer, t'as assez picolé !
NB un film noir, malgré les ors du comptoir, le sourire des serveuses zigzaguant entre les tables, les bras levés vers le ciel ; et ce pauvre hère tout seul, ( elle est partie, ne reviendra sûrement plus ) qui l'attend, et noie sa patience en " cylindres de mousse jaunâtre "
Les figurants " choucas bavards " font penser à un Tarantino, sans hémoglobine mais tellement déjantés !
j'aime bien les " entremets " encadrant les strophes, et la voix rauque de Tom Waits retentit

   Roxanne   
4/6/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bravo,

Quelle poésie hallucinée dans cette chorégraphie de troquet ! C’est rassurant de voir que dans l’esprit de certains piliers de bars embaumés d’alcool (je ne parle pas de vous) ici certainement agrémenté de quelques psilocybes, ne remontent pas que les relents fétides des liquides ulcérants.

Je n’ai jamais compris ces heures perdues à rester accoudées, ressassant d’anciennes blessures sous l’emprise d’un toxique. Mais cette nocturne, car le texte est très musical, m’ouvre des perspectives tout en prenant garde de ne pas se retrouver piégée dans ce que je reconnaitrais de moi dans le miroir.

C’es très réussi tant dans la forme originale que dans le travail d’écriture délicieusement soigné.

Roxanne

   Myndie   
4/6/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Don,

Au début j'ai pensé entrer dans une poésie poivrote et pétillante qui m'aurait distillé autant de fantaisie que de mousse blonde. J'aime bien la bière.
Et puis très vite, j'ai compris qu'il n'en serait rien ; ce « nocturne » est de plomb et c'est un magnifique soliloque introspectif, un délirium plein de souffrance et de créatures fantasmagoriques.
L'ivresse, jusqu'à la démence pour oublier le dedans et le dehors, pour échapper à l'horrible fardeau de l'abandon. L'alcool, pour pouvoir faire l'aveu du manque et tenter de meubler le néant.
C'est le mariage impur de la désespérance et de la jouissance (« Il reviendra demain et le jour suivant comme tous les improbables de la ville. »)

La voix est peut-être divagante ^^ mais l'écriture ne l'est pas.
Quelle poésie dans ce bar «pavé d’argent, de verre et de nectar » !
Quelle tristesse contenue, quelle émotion dans le dernier paragraphe !
En redemander une tournée ne serait pas raisonnable car ce serait faire replonger ce pauvre corbeau noir dans son abîme mais quel dommage !

J'ai adoré cette petite incursion dans l'univers de Tom Waits et de Bukowski.

   Eskisse   
4/6/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Don

C'est triste et fantasmagorique à souhait, décor baroque aussi avec les nombreux pluriels créant une dimension foisonnante, les miroirs etc.
Je me demande dans lequel de tes neurones se cachait cet univers détonnant.

J'aime beaucoup cette mise en scène de la perte.

   jfmoods   
5/6/2025
L'ambiance et le thème du poème ont tout de suite fait remonter le "Snakepit" de Cure et la "Venus in furs" du Velvet. Parce qu'au fond, même avec des personnages différents, c'est toujours la même histoire - lancinante, spectrale, salement humaine - qui se raconte : la perte de l'Autre.

Parmi les éléments les plus prégnants du texte...

- le chiasme qui fixe le désaccord tragique : "Je ne te vois pas, tu ne me sens pas."
- l'oxymore et la métaphore qui dressent le constat froid de l'inaccessibilité réciproque : "Des ondes silencieuses dans un lac de pétrole."

Le texte est construit sur un balancement obsédant de l'extérieur vers l'intérieur, de l'arrière-plan traversé par l'ivresse à ce coeur dévasté qui prend plaisir à gratter ses croûtes. Avec, au final, cette saloperie de monde qui n'en a rien à battre et court lui-même à sa perte. Là, c'est le "Négatif" de Biolay j'ai entendu en fond sonore...

"... puisque tout fout le camp."

Merci pour ce partage !


Oniris Copyright © 2007-2025