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Poésie néo-classique
Graoully : À contre-saison
 Publié le 28/09/24  -  10 commentaires  -  2693 caractères  -  103 lectures    Autres textes du même auteur

« Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie. »
Florian


À contre-saison



Le bois sort de l’hiver comme d’un mauvais rêve ;
Il étire ses fûts aux jeunes frondaisons
Et bâille largement des chatoiements de sève,
Des rayons, des parfums et de vieilles chansons.

Pour fêter le retrait de la bise ennemie,
L’ortie, épieu devant lequel on reculait,
Hisse de blanches fleurs et prouve l'accalmie
Qu’un rouge-gorge annonce avec son flageolet.

Sur le plus haut degré de l’échelle des nues,
Le tapissier Avril, en charge du décor,
Accroche dans l’espace avec ses mains menues
La portière d’azur que ferme un gros clou d’or.

Du parasol brodé de la grande ciguë
Tombe une averse d'ombre et de recueillement
Et la thomise y prend l'apparence ambiguë
D'une corolle pour chasser sournoisement.

Le bourdon, plus doré qu’un maréchal d’Empire,
Prend d'assaut les pistils sans les sommations
Dans le gazon frivole où la brise soupire,
Où les narcisses font des constellations.

Je devrais être heureux, oiseaux, à vous entendre ;
À vous respirer, fleurs, je devrais être heureux ;
J’assiste à vos concerts, je vous regarde tendre
Aux ivrognes ailés vos vases liquoreux.

C’est l’heure où le poète à son aise délivre
Les quatrains épuisés du carcan de ses maux
Comme l’arbre dénoue un lourd corset de givre
Pour offrir aux regards ses plus tendres rameaux ;

L'heure d'aller à deux où l'on va solitaire,
D'un pas sûr, confiant, rythmé comme le sien,
De ne troubler la paix du ciel et de la terre
Qu’avec l’allègre archet de son cœur musicien.

Redevenu clément, c’est l’heure où l’on pardonne
Sa grêle morne au ciel, sa froideur à l’amant,
Puisque cette saison de la ferveur redonne
À toute la nature un vaste enchantement.

C’est l’heure où chacun veut, dans sa gaîté crédule,
Ne plus savoir qu’un verbe et sa conjugaison,
Mais la pluie a vêtu de rouille la pendule
Où mon cœur déréglé bat la contre-saison.

Anémone, toi qui t'essores la première,
Cœur arrêté, parfums errants, passereaux fous,
Vieux troncs enluminés d'ombres et de lumière,
Elle ne viendra pas à votre rendez-vous.

Elle ne viendra pas. — Bonjour, triste habitude.
Je m’en vais seul, botté de plomb, coiffé d'ennui,
Me tailler un manteau de fraîche solitude
Dans l’ombre de ce chêne où ses yeux clairs ont lui.

Elle ne viendra plus. — Puisqu'elle n'envisage
Plus de chercher ici des soins réconfortants,
Ton rire m'insupporte, insultant paysage,
Et j’abhorre ta joie, insoucieux printemps !


 
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   BlaseSaintLuc   
21/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
ce poème est une œuvre riche et évocatrice qui réussit à capturer la beauté du printemps tout en explorant des thèmes plus profonds de renaissance et de mélancolie.
Le style est à la fois classique et personnel
J'aime beaucoup :
“Mais la pluie a vêtu de rouille la pendule / Où mon cœur déréglé bat la contresaison”.
MÉTAPHORE !
La Commune de Paris, qui a eu lieu en 1871, a inspiré de nombreuses œuvres littéraires et musicales, souvent marquées par des thèmes de renaissance, de lutte et de transformation, similaires à ceux que l’on retrouve dans ce poème.

La mélancolie sous-jacente , malgré la beauté du printemps, pourrait refléter les sentiments ambivalents des révolutionnaires après la défaite de la Commune.
Les références à des éléments naturels comme l’ortie et le rouge-gorge peuvent symboliser la résistance et l’espoir, des thèmes chers aux communards.
En somme, votre interprétation ajoute une couche de profondeur historique et politique à la chanson de (Clément)"au temps des cerises"enrichissant ainsi sa lecture.

   Lebarde   
24/9/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Evidemment, je suis emporté par la douce poésie de ce poème néo-classique, pourquoi néo-classique au fait et pas tout simplement classique ? je n’ai rien repéré qui l’interdise…

Evidemment, je me laisse aller à ces superbes images bucoliques d’un printemps qui se réveille « à contresaison » :
« Pour fêter le retrait de la bise ennemie,
L’ortie, épieu devant lequel on reculait,
Hisse de blanches fleurs et prouve l'accalmie
Qu’un rouge-gorge annonce avec son flageolet. »

J’aime bien, tout comme :

« Le bourdon, plus doré qu’un maréchal d’Empire,
Prend d'assaut les pistils sans les sommations » (belle trouvaille !).

Evidemment je compatis avec l’auteur : » Elle ne viendra pas à votre rendez-vous. »… « Elle ne viendra plus», qui prend conscience que le printemps avec ses renouveaux sensuels, ne peut pas tout, ne permet pas tous les pardons et toutes les réconciliations.
«Puisqu'elle n'envisage
Plus de chercher ici des soins réconfortants »


Evidemment je suis sensible à la fluide beauté des vers et à cette écriture, certes un peu vieillotte, mais tellement romantique et plaisante à la lecture.
Je regrette simplement (un ressenti tout personnel…) que sur la longueur, le propos devienne plus confus et s’enlise un peu avec les ruptures de rythme dans deux ou trois alexandrins.


Un très joli poème que j’apprécie beaucoup, le travail d’un auteur qui maitrise superbement la situation.
Bravo et Merci.

En EL
Lebarde

   Provencao   
28/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Graoully,

"Redevenu clément, c’est l’heure où l’on pardonne
Sa grêle morne au ciel, sa froideur à l’amant,
Puisque cette saison de la ferveur redonne
À toute la nature un vaste enchantement."

"Cette heure où l'on pardonne," est une belle composante à transférer du sens au lieu même où l'on se perd dans la froideur à l'amant, et dans le non-sens, dans la froideur à l'amant ou dans le non-sens.

Survivance à contre-saison, où la mélancolie et l'émotion sont toutes à la fois miracles de ce que l'on attend, et pulvérisations de ce miracle, illusion, rêve, et des mots, des mots, des mots… qui confortent la toute-puissance de la subjectivité – celle qui sait dire À contre-saison...

Belle sensibilité en vos vers.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   papipoete   
28/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Graoully
D'emblée je vous dis que ce texte, monte très haut en qualité, nous enseigne humilité et écologie, à travers un vocabulaire très riche, et une construction qu'un bâtisseur de cathédrale laisserait songeur mais...
il est beaucoup trop long, et peut dissuader le lecteur de vous suivre, jusqu'au bout de votre déambulation !
Avec bien moins de talent, j'écrivais ainsi jadis et la première lecture de mon Maître de poésie, le vit prendre un crayon rouge, et sabrer quatrain + quatrain...
Faire court serait cette gageure à atteindre dorénavant !
NB bien sûr que l'on va d'émerveillement en émerveillement, tout au long d' " à contre-saison ", et tant de jolies métaphores l'enluminent
la 5e strophe et son " bourdon plus doré qu'un maréchal d'empire "
la 10e qui me plaît particulièrement !
et l'avant-dernière " ... botté de plomb, coiffé d'ennui...
J'espère que l'on viendra nombreux sous ce long poème, car il contient une telle richesse, mais...

   Boutet   
28/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Lamartine est omniprésent dans ce très beau et long poème. Lui qui prit souvent la Nature comme décors de ses sentiments ne se sentirait pas trahi par ce poème.
Je pense que 2 vers ôtent la catégorie classique si tant est que celle-ci fût recherchée : peut-être le 16 et le 41 qui n'ont pas des constructions bien catholiques, mais ceci n'enlève rien à la très haute valeur de ce poème.

   jfmoods   
28/9/2024
I) La beauté d'une nature qui reprend ses droits [strophes 1 à 5]

L'élément le plus marquant de ce passage du texte est l'allégorie ("Le tapissier Avril, en charge du décor,/Accroche dans l'espace avec ses mains menues/La portière d'azur que ferme un gros clou d'or") qui fixe la théâtralité d'un spectacle haut en couleur. Avec l'arrivée du printemps, flore et faune s'épanouissent largement (personnifications : "Le bois [...]/... étire ses fûts aux jeunes frondaisons/Et bâille largement des chatoiements de sève,/Des rayons, des parfums, et de vieilles chansons", "L'ortie [...]/Hisse de blanches fleurs", "l'accalmie/Qu'un rouge-gorge annonce avec son flageolet", "Le bourdon, plus doré qu'un maréchal d'Empire/Prend d'assaut les pistils sans les sommations", "les narcisses font des constellations", comparaison : "la thomise y prend l'apparence ambiguë/D'une corolle pour chasser sournoisement"), secondées par les éléments ("le retrait de la bise ennemie", "la brise soupire"). La perspective est idyllique.

II) Un poète qui peine à se mettre à l'unisson [strophes 6 à 9]

Bien que la saison se présente comme le prélude (anaphore : "c'est l'heure") à une plénitude créatrice (métaphore et comparaison : "le poète à son aise délivre/Les quatrains épuisés du carcan de ses maux/Comme l'arbre dénoue un lourd corset de givre/Pour offrir aux regards ses plus tendres rameaux") aussi bien qu'amoureuse (locution restrictive agrémentée d'une métaphore : "ne troubler la paix du ciel et de la terre/Qu'avec l'allègre archet de son coeur musicien"), notre homme a bien du mal à partager l'allégresse générale (chiasme révélateur : "Je devrais être heureux, oiseaux, à vous entendre ;/À vous respirer, fleurs, je devrais être heureux", verbes mettant en exergue une mise à distance : "J'assiste", "je vous regarde" ), une allégresse qui va pourtant de soi (cause présentée comme évidente : "Puisque cette saison de la ferveur redonne/À toute la nature un vaste enchantement"). Quel est donc cet obstacle qui empêche toute concorde ?

II) "Un seul être vous manque..." [strophes 10 à 13]

Décidément, non. Point de paysage état d'âme ici car le monde intérieur a perdu son cap, a perdu sa boussole ("mon coeur déréglé bat la contre-saison"). L'attente, auparavant fiévreuse, de l'Autre, est à présent inutile car le lien amoureux, si précieux, a fini par se rompre (gradation : "elle ne viendra pas à notre rendez-vous", "Elle ne viendra pas", "Elle ne viendra plus", négative catégorique : "elle n'envisage/Plus de chercher ici des soins réconfortants"). Dans un temps figé ("la pluie a vêtu de rouille la pendule", "Coeur arrêté"), le poète promène l'incommensurable lourdeur de son abandon (lexique du vêtement : "botté de plomb, coiffé d'ennui,/Me tailler un manteau de fraîche solitude"), encore hanté par un point saillant du bonheur ("Dans l'ombre de ce chêne où ses yeux clairs ont lui"). On comprend dès lors combien l'effervescence qui l'entoure peut lui paraître odieuse ("Ton rire m'insupporte, insultant paysage/Et j'abhorre ta joie, insoucieux printemps !").

Merci pour ce partage !

   Ramana   
29/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Ce joli poème montre bien, encore une fois, que la perception de ce qui nous entoure dépend de notre état d'âme du moment, et que, plus globalement, c'est donc à travers ce que nous sommes qu'existe pour nous le monde. Et qui sait, peut-être sommes-nous seuls dans notre monde qui est en fait le seul existant ; et les hommes et tout ce que nous percevons n'étant que notre pouvoir de création en action...

   Yannblev   
29/9/2024
Bonjour Graoully,

Un très bon moment via un fort joli texte… et donc un très bon poème puisqu’on s’en empare sans fléchir malgré sa longueur.

La Nature toujours inspirera des vers remarquables quand l’auteur sait traduire par des métaphores inspirées et un vocabulaire choisi ses émotions, son sentiment ou ses ressentiments.
Si de surcroît la construction et la prosodie sont au rendez-vous, on s’en empare immédiatement. Cette offre en partage c’est ce qu’on appelle « Poésie » en général.

Merci du moment.

   Hiraeth   
30/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Magnifique poème. J'adore sa tonalité, mélancolique, avec une fantaisie teintée d'humour pince-sans-rire dans sa description de la nature. Très efficace la répétition du mot "heureux", dans l'évocation de ce qu'aurait dû éprouver le poète en cette période de renaissance. Mais les réussites de ce texte sont trop nombreuses pour être toutes citées dans ce commentaire.

Bravo et merci.

   Catelena   
1/10/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Le poète se fait peintre du temps qui passe pour ce tableau bucolico-mélancolique où résonne par toutes ses coutures une amertume éprouvée.

Une ambiance fortement surannée se dégage des images bien troussées, malgré « l'ortie, épieu... » et sa démesure.

La belle image que je retiens : « Mais la pluie a vêtu de rouille la pendule »

Merci pour le partage, Graoully.


Cat


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