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Poésie libre
LeopoldPartisan : Épopée rimbaldienne d’une saison des pluies en enfer
 Publié le 04/07/22  -  9 commentaires  -  5895 caractères  -  130 lectures    Autres textes du même auteur

Nous vivons quand même une époque formidable.


Épopée rimbaldienne d’une saison des pluies en enfer



Qu’importe si le monde s’écroule
Pour les vauriens
une levée générale d’écrou
La ville brûle, les badauds
s’inoculent des virus
en s’embrassant

Pirogue ivre de malafu (1)
Totems villageois turquoise
mauves et rouge sang
faits de grumes
récupérés dans le fleuve
hâbleur de notre labeur
Tambours bantous
et combattants maï-maï
Chaleur, torpeur et moiteur

Lorsqu’ils ont coupé la main
de mon père
je me suis enfui
Je n’ai pas pleuré
tandis que son sang
se répandait sur le sable
gâchant une journée de récolte
de coltan pour qu’au nord
des jeunes s’acharnent sur une gamine qui n’a pas voulu
montrer sa chatte sur Instagram

Çà je ne le sais pas encore
penchés que nous sommes
à récolter ce métal
dont on nous dit qu’il paiera
notre mil, nos céréales

Papa Kananga m’a embauché
pour tuer et massacrer
les cancrelats, les youpins
les bicots et les bridés
Tous les Blancs aussi
Avec ma kalachnikov
trop lourde pour moi je suis devenu un capita, un chef de section
qui maintenant oblige les pauvres
comme mon père, à obéir
au moindre de mes désirs
Bander je sais à peine le faire
mais je viole quand même
des gamines terrorisées
de mon âge
avec les moyens du bord
C’est toujours le pied
de les voir me supplier
avant de crever dans les fossés
où je les achève d’une rafale

La première fois
avec le recul
je me suis retrouvé
les quatre fer en l’air
le cul bien souillé
dans une ornière rouge sang
laissée par une saison des pluies
bien meurtrières
Depuis avec mes bottes en caoutchouc, je me campe
fièrement, ivre de dégoût
pour ces pauvres erres
qui s’ils ne m’ont rien fait
sont coupables de la trouille
qu’ils dégagent
et franchement
ça pue pire que la mort

Papa Kananga m’avait averti
c’est le premier que tu dézingues
qui compte après ça passe
comme une lettre à la poste
Et puis y a le chanvre
et l’alcool de palme
dont j’abuse dans ma cambuse
en me matant du porno
où toutes ces salopes aiment
vraiment ça
de se faire mettre bien profond

J’aurai treize ans
à la prochaine lune
Papa Kananga m’a promis
une grande fête
avec mes premières scarifications
d’habitude il attend
qu’on ait au moins quatorze ans
pour nous infliger ce passage à l’âge adulte
par la souffrance
et souvent une bonne infection
doublée d’une bonne crise de paludisme
mais moi c’est différent
Je suis Tshombé le fêlé
Le collectionneur de gris-gris
ensanglantés
L’enfant bourreau
investi par le Très-Haut
pour séparer le bon grain de l’ivraie
la terreur de la division Wagner
Ils en chient ces Russkofs

« Tshombé »
m’a expliqué Papa Kananga
« C’était le boucher de Lubumbashi
quand la ville s’appelait encore
Élisabethville
Putain la tripotée
qu’il lui a mis à Lumumba
enfin le ‘blème
avec ce chef de guerre
c’est que ce sont les Blancs
qu’on fait tout le boulot
Enfin respect
t’as déjà vu un nègre
faire faire le job aux mandélés (2)
Enfin les infâmes Vumbi’s (3)
les banques, la Gécamines
ils la lui ont bien mis à l’envers
Ils ont reconnu Mobutu
qui lui-même érigea une statue
à Patrice qu’il trahit en l’assignant
à résidence le dix octobre 1960
(Kasa-Vubu comme d’hab
il la ferma)
et ton prénom qu’il exila
au Maroc où il mourut
de causes, matériellement, impossibles
à déterminer
T’as-vu où on en est ?
À tout le temps à se faire la guerre ! »

Papa Kananga
regarda le feu se consumer
Il éclusa toute une bouteille
de très mauvais whisky
et s’en retourna vers sa tente
ce fut la dernière fois
qu’il me parla…


Les russkofs de la division Wagner
« retenez-bien ce nom ! »
me l’ont tué
quinze jours plus tard…

Paraît qu’en Europe y a des ONG
qui nous cherchent
Ils nous appellent
« les enfants soldats »
Ils veulent nous rendre
notre enfance
Pour moi, c’est peine perdue
m’auront jamais vivant

J’ai vu sur Arte international
ou sur TV5monde
je sais plus trop
c’est toujours quand c’est intéressant
que le satellite fait des siennes
Je disais donc
j’ai vu un reportage
sur un jeune poète prodige
du dix-neuvième siècle
qui mit un point final
à son écriture à l’âge de dix-neuf ans
Après bien des turpitudes
il finit marchand d’esclaves
et trafiquant d’armes


Moi, le trafic je connais
sur le bout des doigts
pour les esclaves c’est rappé
puisque c’est nous.
Il me reste six ans de combats
de brutalité à tirer
Et là basta je veux rejoindre ce mec
ou en tout cas ses adeptes
ses héritiers
moi qui ai connu
tant de saisons des pluies
en enfer
et qui sait peut-être
comme lui connaître
L’
I
L
L
U
M
I
N
A
T
I
O
N


1 : Vin de palme au Kasaï.
2 : Mandélé, c’est le nom que donnaient les indigènes lorsqu’ils rencontraient un Blanc au Katanga en 1958-60.
3 : Lorsque les habitants d’Afrique centrale rencontrèrent les premiers Blancs, ils furent pris de panique car c’étaient leurs morts, à la peau aussi grise que blanche, qui revenaient pour les punir de toutes leurs mauvaises actions et habitudes. CQFD.


 
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   Corto   
4/7/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Poème à ne pas lire après un bon repas.
Poème à ne pas lire avant d'aller dormir.

C'est cru, violent, sadique,
et aussi évocateur d'un monde où la violence et le sadisme sont ordinaires, une sorte de survie, de conquête du respect et surtout du pouvoir.

On passe les époques sans presque s'en apercevoir, des hauts temps coloniaux jusqu'au 21ème siècle, comme si les conditions de ces époques se rejoignaient dans leur fondement.

Créer un fil tendu entre l'enfant soldat et l'adolescent Arthur est une bonne idée, mais au delà du dépassement de toutes limites à la révolte, à la lucidité, je perçois un hiatus entre les sources d'inspiration, les recherches d'autre vie.

Saison en enfer, illumination, les socles référents impressionnent.

Faut-il dire si on aime ? Dans un effort de lucidité, oui tout de même.
Tout à la fois pour le style, le suspense, l'inspiration.

Corto.

   papipoete   
4/7/2022
 a aimé ce texte 
Bien
bonjour Léopold
Il y eut la division " das Reich " à Oradour ; il y avait des coupeurs de main sous le roi Léopold II au Congo ; aujourd'hui nous voyons les commandos Wagner en Ukraine... l'histoire se renouvelle en pleurs et en sang, dès que l'on ne voit plus ses images à la télé... mais l'horreur continue dans les mains des grands, dans les menottes d'enfant tueurs !
NB on pourrait presque faire un clin d'oeil à Baudelaire, avec la charogne... qui constelle chacune de vos lignes désespérées... Et les lire en entier demande un coeur bien ancré !
On est dans le présent sur terre pourtant, et des enfants ne jouent pas au ballon ni au gendarmes et aux voleurs ( pour de faux )
Daesh entre autres, leur apprit des leçons que même des "grands " ne voulurent apprendre !
Attention ! âmes sensibles, passez votre chemin...

   senglar   
4/7/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour LeopoldPartisan,


D'actualité en ce qui concerne Lumumba ; merci pour lui, pour sa mémoire, ses héritiers. C'est en effet l'anniversaire de sa mort.

Honte en passant à Léopold le premier bourreau du Congo laudateur des mains coupées.


Rimbaud marchand d'esclaves, Eh Oui ! Rimbaud marchand d'armes, marchand de mort par les pétoires, Eh Oui ! On rachète souvent en Occident les crimes de sang, délégués ou non, aux grands esprits ! Je doute cependant que cet enfant-soldat connaisse L'ILLUMINATION, pour tout passé il n'a que celui d'un humilié, pour tout présent celui d'un tortionnaire meurtrier et sadique et il ne se propose qu'un avenir de bourreau, celui-là n'a qu'une facette et n'a jamais eu de qualités à épuiser sinon la toute première innocence volée et fourvoyée. Malgré sa qualité intrinsèque, saisissante, ce poème-chemin me semble un malentendu.

Il fallait néanmoins l'écrire.

Comment en sort-on ? On a tellement l'habitude d'être spectateur que cette bobine rejoindra les autres bobines de la grande et de la petite histoire, de la grande et de la petite horreur. Il y a tellement de monstruosités à se prendre dans les dents.

Et nous avons d'excellents ondotalgistes !

Bien sûr ce n'est pas pour autant qu'il faut se taire !

   Pouet   
4/7/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Slt,

ce poème m'a immédiatement fait penser à "Bêtes sans patrie" d'Uzodinma Iweala, ouvrage m'ayant bien marqué.

Je n'ai pas grand chose à ajouter, le ton est à mon sens ce qu'il doit être, ce qui est dit est dit et devait l'être ; la longueur relative ne se ressent pas trop.

Un texte "qui ne s'embarasse pas", voilà mon impression, et c'est tant mieux.

   Provencao   
5/7/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour LeopoldPartisan,

Un sacré coup de poing à la lecture de cette poésie. C'est dur, violent...votre poésie nous entraîne sur les pas de l'horreur, de l'impensable sans respect, sans pitié....

Le passage le plus compliqué pour moi en terme de mots:

"Papa Kananga m’a embauché
pour tuer et massacrer
les cancrelats, les youpins
les bicots et les bridés
Tous les Blancs aussi
Avec ma kalachnikov
trop lourde pour moi je suis devenu un capita, un chef de section
qui maintenant oblige les pauvres
comme mon père, à obéir
au moindre de mes désirs
Bander je sais à peine le faire
mais je viole quand même
des gamines terrorisées
de mon âge
avec les moyens du bord
C’est toujours le pied
de les voir me supplier
avant de crever dans les fossés
où je les achève d’une rafale"

Il est vrai que je suis beaucoup plus attirée sur des réflexions sur la vie humaine, le temps, le destin avec cette recherche à travers l'imagination de l'hymne, un humanisme, une sagesse.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Raoul   
5/7/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonsoir,
Voilà un texte fort ! Et en colère ! & ça fait du bien !
J'aime beaucoup, parce-que c'est un texte vivant, expressif, où l'on peut plonger, c'est une expérience de lecture. J'aime bien aussi les injections de langage parlé - sans tomber dans le factice langage gamin qui aurait mal grandi trop vite -, de même le grand écart entre la modernité (mines de métaux rares) et l'ancestrale rite initiatique (scarifications), le flot de paroles/pensées parfois digressions...
Ça m'a rappelé un excellent roman percutant de Ahmadou Kourouma.
Bien "documenté" également, ça trace des perspectives intéressantes et pas gratuites, ne serait-ce que pour le rappel des habitudes sanglantes du roitelet belge Léopold II.
La rencontre avec Rimbaud l'Érythréen, par le truchement d'une télévision entre des coupures électriques, renforce le choc melting-pot et mondialisation de l'espace, du territoire mais aussi du temps.
Par moment, dans les évocations, on ressent chaleurs et odeurs, on y est.
...
Bref, j'aime beaucoup, quoi.
Merci pour ce poème terriblement vivant !

   Miguel   
7/7/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je ne voulais pas entrer dans cette lecture, je trouvais le texte trop long ; je m'y suis risqué et il ne m'a plus lâché. Un texte fleuve, plein à la fois de sauvagerie et d'humanité, une peinture intemporelle de notre présent. L'enfance tueuse et tuée, victime dans tous les cas. Des images dures, des choses dérangeantes, des références historiques incontestables, une noble évocation du malheureux Patrice Lumumba, et tout cela dans un souffle épique qui ne faiblit jamais, qui nous porte jusqu'à la fin.
Un érudit m'a très récemment appris quelque chose à propos de Rimbaud : il passe pour avoir "mal tourné", mais en fait il aurait fourni des armes (à quel prix, si prix il y eut, je ne sais) à des populations autochtones qui cherchaient à se défendre contre les Anglais, et ce sont ces derniers qui lui auraient fait cette mauvaise réputation. Je n'ai pas eu le temps d'approfondir, de vérifier.

   Lariviere   
7/7/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Salut Léopold,

J'ai beaucoup aimé ce texte,

Un texte qui ressemble sur la forme et sur le fond à un énorme fatras ; on y retrouve le congo belge, Lumumba, arthur Rimbaud, les enfants soldats... et en fait tout est lié malgré la forme ébouriffée ou grâce à elle tant le fond infernal et fouillis de ces réalités humaines modernes collent bien à ce que la forme veut exprimer...

Un texte fort, sans concessions ni sur le fond, ni sur la forme... je salue l'audace et j'apprécie fortement autant l'impact poétique de ces vers libres que les réferences judicieusement placées... bravo !

Merci pour cette lecture et bonne continuation !

edit : merci aussi de nous rappeler ce révolutionnaire qu'était Patrice Lumumba, le che guevara africain que l'on ne devrait pas oublier...

   Anonyme   
13/7/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un thème percutant comme une salve rouge de kalachnikov.

Un texte dont on ne sort pas indemne.

De l'Histoire brute, faite d'un sang barbare, violent, atroce.

Une histoire que l'on connaît, nous les zombies de ces peuples sombres, mais que l'on veut croire trop lointaine pour être vraie. Et pourtant...

L'écriture en uppercuts à la pointe de la mémoire assène des atrocités sans que la main tremble.

C'est cadencé de mal en pire, au fur et à mesure que s'étale comme une mare de sang la vie de ce môme de treize ans, devenu symbole de l'horreur vivante.

Et au milieu de cet ahurissant champ de brutalités, comme une clairière où naîtrait soudain la lumière, s'illumine un triste espoir, Rimbaud, l'homme imparfait, héraut de la délivrance...

L'écriture forte, dénuée de fards et de fioritures, sans trembler mène au pas de charge ce road-movie étouffant.

Bravo ! Il fallait savoir en parler sans édulcorer le propos mais sans pour autant sombrer dans un affligeant pathos.


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