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Poésie libre
LeopoldPartisan : Fin août 1914
 Publié le 22/05/21  -  6 commentaires  -  2710 caractères  -  97 lectures    Autres textes du même auteur

Petite histoire dérisoire faisant hélas partie de la Grande histoire.


Fin août 1914



Les yeux au ciel
couché dans les lierres
et les fougères
j’attends hagard
qu’un rayon de soleil
traverse les plus hautes branches
des chênes et des hêtres
Je sens l’humidité
de l’humus et des mousses
qu’une brève pluie d’été
a gorgés de saveurs forestières

Bientôt l’été finira
et ce sera le retour des frimas
commencera la cueillette
des champignons
tandis que le mycélium
aura pénétré tant les fibres
de mon uniforme
que ma peau flasque
dans ce retour à la terre
de mes ancêtres

J’ai ouï dire que le lieutenant Fournier
aurait été fusillé par l’ennemi
De ma position privilégiée
je ressens maintenant
en mon retour à la nature
toute la poésie
qu’il a fait naître
au plus profond de mon être
par la tragédie du Grand Meaulnes
Il ne devait guère
être beaucoup plus âgé
que moi le gisant
en ce bois joli

Si le sergent Baudet
me voyait en cette position
le sourire aux lèvres
quelle volée de bois vert
il m’assènerait

Hélas pour le sergent
c’en est bien fini de ses remontrances
et de ses brimades
Un uhlan l’a transpercé de sa lance
avant qu’il n’ait pu recharger
son fusil lors de leur attaque
dans la clairière
où éreintés nous avions bivouaqué
Moi, je me suis sauvé
lorsque les premiers obus sont tombés
Ai-je bien fait de me retourner
pour voir ce qu’il en était du Firmin
et du gros Fernand, mes copains de régiment
avec lesquels j’ai fait toutes mes classes

Est-ce cette course effrénée
dans les fougères
qui m’a donné
cette pointe de côté
Maintenant tout est calme
et au pied de ce gros rocher
dont on se demande
quels dieux ou titan
ont bien pu le poser là
j’aspire à un repos bien mérité
Je n’ai même plus la force
de desserrer mes godillots
et mes bandes molletières
qui dégagent avec ce beau soleil
comme une vapeur
que mes chevaux de trait
dégageaient lorsque
nous débardions en forêt

Faudra aussi
lorsque j’aurai repris mon souffle
que je réponde à la lettre de la Jeanne
ma bonne amie
et lui dire que comme
elle me l’a conseillé
je me protège coûte que coûte
et ne pas être
comme elle
me l’a écrit en pleurant,
je le sais les larmes ont déteint
sur ces derniers mots
mon amour…
résiste à de pas devenir
« un de ces dormeurs du val
la nuque baignant dans le frais
cresson bleu. »*


* Arthur Rimbaud


 
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   Anonyme   
4/5/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Le mouvement de ce poème est vraiment intéressant à mon avis : l'exact opposé de celui à l'œuvre dans "Le dormeur du val" où le dormeur bucolique se révèle à la fin un cadavre ; ici, le soldat qu'on croit agonisant s'est en fait sauvé à temps. Astucieux ! J'ai une incertitude sur la nécessité d'expliciter la référence au poème de Rimbaud, cela me paraît un poil lourd.
À part ça, je soupçonne un emploi anachronique du mot "mycélium" dans le monologue intérieur d'un Poilu de 14. Je lis sur Internet :
Jusqu’à une date relativement récente, on ne savait pas comment se développent les champignons (...)
(Site pevgrow.com)
Je ne dis pas que le mot était inconnu, je ne suis pas sûre qu'à l'époque on l'utilisait en dehors des cercles scientifiques. Bref, ça me casse fugitivement l'ambiance mais c'est pas bien grave.

Je regrette en revanche nettement que vous ne variiez pas davantage le rythme selon le cours du poème, en passant des vers courts et haletants du début à la sérénité goguenarde de la fin illustrée par des lignes plus longues, posées, qui accompagneraient le soulagement du lecteur ou de la lectrice devant cette conclusion heureuse. Je pense vraiment (mon avis bien sûr, rien de plus) qu'ainsi votre poème gagnerait en expressivité.

   Corto   
22/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Quelle malchance pour ce narrateur que d'avoir été fauché dès les premiers jours de la grande guerre.

L'auteur laisse le flou sur la gravité de la blessure "Est-ce cette course effrénée / dans les fougères / qui m’a donné / cette pointe de côté" mais le doute est levé par "Je n’ai même plus la force / de desserrer mes godillots / et mes bandes molletières". Ce qui était déjà annoncé en deuxième strophe "ce retour à la terre de mes ancêtres".

Les images de son environnement défilent devant les yeux du blessé, le lieutenant, le sergent, les "copains de régiment".
La tendresse va bien sûr vers Jeanne qui lui a tant conseillé d'être prudent. Ainsi monte la tension vers une étape finale qu'on pressent sans qu'elle soit davantage formulée.

Ce texte est émouvant grâce à un style tout en retenue devant le drame qui ne sera guère explicité.

Une très belle poésie.

   Yannblev   
22/5/2021
Bonjour LéopoldPartisan,

Ce texte me pose une question qui me semble légitime.
Une histoire bien contée et assez bien orchestrée, choisissant son vocabulaire avec précision et une très juste évocation des évènements vécus, les introspections induites de l’auteur, une ambiance émouvante particulièrement bien transcrite, suffisent-elles à définir un « poème », littéralement parlant ?

En reprenant la lecture ligne à ligne il me semble vraiment trop difficile de dire ce qui, dans une telle construction, pourrait bien être un ver … et, littéralement parlant, sans même évoquer la « musique avant toute chose », un « poème » se doit d’être bâti d’un minimum de vers.

Plutôt qu'une poésie libre nous serions donc ici éventuellement dans une prose, un récit, une évocation poétique ?

Merci du partage

   Cyrill   
22/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour,

Ai-je bien compris ce poème ?
Pour moi il s'agit d'un soldat qui déserte, du moins qui se sauve, et toute mon affection va vers lui et son acte de survie.
Il est essoufflé, les vers sont hachés, ses pensées vont vers sa vie en temps de paix (son rapport à la nature est physique, très fort), et reviennent à la guerre et ses compagnons avec plus de distance.
C'est très bucolique, et cinématographique. On ressent la paix malgré le contexte :
" moi le gisant
en ce bois joli"

"le sourire aux lèvres"

"Maintenant tout est calme
et au pied de ce gros rocher
dont on se demande
quels dieux ou titan
ont bien pu le poser là
j’aspire à un repos bien mérité"

On pense dès le début au Dormeur du val.
A ce propos, je pense que les guillemets sont mal positionnés lorsque vous citez Rimbaud.

Un autre détail : "résiste à de pas devenir" au lieu de "résiste à devenir" ... je me demande si le sens mal maîtrisé est du fait de Jeanne ou une erreur de l'auteur.

Merci du partage.

   Anonyme   
23/5/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour LeopoldPartisan

Un poème assez surprenant, par sa forme.
Ce récit est indéniablement poétique, je ressens moins la nécessité de le découvrir en vers.
Il est habilement composé, cependant que les angles de vue sont plutôt prévisibles.
J'ai bien aimé cette osmose du soldat mort avec la nature dans les deux premiers paragraphes.
Puis le texte aborde de le thème de l'humain et de ses rapports aux autres humains, dans cette armée en guerre.
Ensuite passage dans la vie civile, pour terminer par l'amour et l'objet de cet amour, incontournable et primordial dans la vie.

Une écriture "calme et tranquille", le sujet s'y prête bien.

Merci du partage,
Éclaircie

   ANIMAL   
27/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un très beau poème qui, de façon inattendue, aborde le sujet de la guerre avec le regard un peu naïf d'un cadavre. Le brave gars est mort d'un coup de lance pour avoir voulu s'inquiéter de ce que devenaient ses camarades.

"Est-ce cette course effrénée
dans les fougères
qui m’a donné
cette pointe de côté"

Ce mort est en train de se refondre dans la Nature et il songe. A cette vie qu'il a perdue, à ses derniers instants, à sa bonne amie qu'il ne reverra plus.

Il y a vraiment beaucoup de poésie dans ces descriptions de l'environnement aussi bien que dans les réflexions plus personnelles du soldat défunt. Dépeindre ainsi la cruauté de la guerre est très subtil. Chaque mot pèse son poids, chaque détail a son importance.

Une belle lecture.


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