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Poésie en prose
wancyrs : Je vous le dis seulement…
 Publié le 30/10/12  -  8 commentaires  -  4587 caractères  -  93 lectures    Autres textes du même auteur

Un chameau rencontre un dromadaire, et il lui dit, l'air moqueur :
– Hé ! Tu as une bosse sur le dos !
– Je sais, je sais, fit le dromadaire, mais toi tu en as deux le sais-tu ?

Ballade africaine, non initiés s'abstenir… (Parenté à plaisanterie.)


Je vous le dis seulement…



Je suis l'arbre qui planta la forêt
La forêt qui raconte le désert
Le désert immobile au centre du village
Qui voit tout
Entend tout
Mais ne dit mot.


J'étais là, à ton premier cri, et je prendrai ton dernier souffle pour nourrir mes branches. Tes yeux ne me feront pas disparaître, et de ta colère ne naîtra pas un orage. Alors ris de ce que tu entendras, car un homme qui rit de son mal ne souffre pas de ses blessures. Ris, mais ne me tourne pas en ridicule, car ce que je vais dire sera peut-être vérité, ou pure spéculation d'homme en proie au délire éthylique : oui ! Mes pères étaient alcooliques ; alcooliques comme ces vauriens d'hommes bétis qui passent leurs journées à jouer au Songo'o* tandis que leurs femmes cultivent les terres. Femmes qui, rentrées des champs le soir, devront s'occuper du souper, des enfants, et assouvir les fantasmes de môssieur le paresseux. Mais surtout, chuuut ! Ne le dites pas fort, il va se fâcher. C'est qu'il se croit, lui aussi, descendant des pharaons, parce qu'un profanateur de tombe en dépoussiérant un macchabée a cru reconnaître le père de ses ancêtres ; ce qu'il ignore, c'est que l'Égypte antique était fortement hiérarchisée. Reste donc à savoir la classe sociale de son ancêtre…

Ce que je dis,
je vous le dis seulement
comme mon père me l'a dit
comme son père le lui a dit
son père alcoolique,
ami du vin de palme… Palme ?


La palme d'or de la vanité revient à l'homme douala ; lui, l'homme d'affaires qui traîne toujours un attaché-case partout où il va. Ô bien sûr celui-ci ne contient que la panoplie de ses hypothèques et ses factures impayées, mais comme il est des gens qui déduisent a priori que tout ce qui arbore une soutane est moine, ce renard a constamment un corbeau à dépouiller. Si le musulman a son pèlerinage à La Mecque, l'homme douala a son aventure à Paris. Son plaisir sera de brandir à ses petits-enfants le spectre d'un souvenir empoussiéré par le temps ; souvenir d'un voyage où il s'autoproclama « mukala », le nègre blanc-bec…

Blanc-bec ?

Pas de qualificatif aussi juste que celui-là pour parler de son cousin germain, l'homme bassa. Romantique pour quatre sous, la vie aurait été un maquis qu'il serait, sans conteste, un rebelle. C'est toujours dans les partis d'opposition qu'il s'épanouit, et il recherche la tension, si ce n'est l'attention, même en temps de paix. Dramaturge par essence, les gènes de la protestation marmonnent dans ses veines ; il n'en ressent certainement pas le gène, c'est peut-être pour cela que sa vie est une longue jérémiade. Vous noterez cependant que j'ai dit « peut-être » donc on lui accordera le bénéfice du doute…

Ce que je dis,
je vous le dis seulement
il faut deux différences pour créer une harmonie
mais de l'indifférence pour créer un conflit.


Une maison sans palabre est comme une histoire sans rebondissements
C'est dans la joute que prend forme le respect
Respect ?
Il paraît que l'homme bamiléké n'a de respect que pour l'argent. On dit d'ailleurs – notez bien que je dis « on » ! N'allez pas dire que c'est de moi que proviennent ces commérages – qu'il vendrait sa mère pour s'en procurer. On dit aussi que l'homme bamiléké n'est polygame que pour exploiter femmes et enfants dans ses plantations. Et ce même « on » – encore lui ! – se demande quel usage il fait de toute cette richesse qu'il amasse !
Pourtant ce n'est pas lui le mieux vêtu
Pourtant ce n'est pas lui le mieux loti
Les mauvaises langues disent qu'il mourra d'avarice
Allégation à laquelle il répond par un sourire complice
Car
À quoi bon se battre quand pour vaincre il faut juste accepter sa défaite ?

En fait
C'est le reniement de soi qui engendre le désert
Le désert qui raconte le déclin de la forêt
La forêt qui jadis bannit l'arbre
L'arbre immobile au centre du village
Qui voit tout
Entend tout
Médite les maux
Je suis l'arbre ivrogne qui a soif, versez-moi encore du vin.

Ce que j'ai dit,
je l'ai dit seulement
parce que mon père me l'a dit
parce que son père le lui a dit
son père alcoolique
en transe éthylique.


Alors ne me jetez pas la pierre…

C'est l'histoire de quatre frères antagonistes
Que la querelle unit.



______________________________________

Songo'o : jeux d'awalé.


 
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   Anonyme   
16/10/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
c'est tout simplement superbe plein d'une sagesse qui semble venir de loin, très loin. C'est à la fois malicieux et profond ; certains passages ne sont pas sans rappeler "les caractères" mais avec plus de sérénité, comme dits sur le ton de la confidence par des compères ou commères complices. Le reste est pure poésie, le tout exprimé dans une langue fluide, sans accroc, pleine d'un pittoresque de bon aloi et si simple si naturelle qu'on voudrait l'entendre pratiquée tous les jours.

   stellamaris   
30/10/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Une magnifique galerie de portraits, souvent moqueurs mais d'où se dégage une profonde humanité, une grande sagesse, une belle auto-dérision - notamment dans le refrain - J'aime !

De la belle, très belle poésie en prose.

Avec toute mon amitié.

   leni   
30/10/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un superbe poème palabre qui débute en forêt et se termine en forêt
La grande sagesse est de tout exprimer en laissant subsister un doute C'est le pic de la tolérance que nous venons de gravir Avec l'humour qui sourit partout Du grand art de la belle sagesse Je ne cite pas de passages préférés:je devrais recopier tout le texte qui rebondit comme une balle de tennis Merci Merci Monsieur Wancrys

   Marite   
30/10/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Wancyrs ! Un régal que ce long chant de griot ... car c'est bien de cela qu'il s'agit n'est-ce pas ? J'aime la composition de ce chant surtout les six premiers vers : avec l'arbre, la forêt, le désert, le village "qui voit tout, entend tout mais ne dit mot".

J'ai apprécié les portraits des trois frères douala, bassa et bamileke "croqués" avec justesse, d'après ce qui s'en dit. Cependant tu parles de quatre frères antagonistes et, peut-être ai-je mal lu, je ne vois rien au sujet du quatrième ?

Un beau morceau Wancyrs.

   Lunar-K   
30/10/2012
 a aimé ce texte 
Un peu
Salut Wancyrs !

Encore un poème sur ce thème qui t'est si cher, et dont tu parles si bien... Malheureusement, je dois bien dire que je ne suis pas totalement conquis par celui-ci. Pas totalement déçu non plus, bien sûr, il y a quelques bonnes voire très bonnes choses. Mais, considéré dans son ensemble, je ne parviens pas à me défaire d'une impression de trop peu, de manque, comme si tu n'avais pas réussi à atteindre toute la profondeur de ton sujet, ou seulement en quelques lieux bien localisés.

Les bonnes choses d'abord... Il s'agit bien évidemment pour moi de ces quelques lieux bien localisés dans lesquels, je pense, tu atteins à cette espèce de vérité profonde, qui n'est peut-être pas tout à fait intemporelle au sens où il s'agit de la vérité profonde d'une époque et d'un espace déterminés, mais qui est au moins essentielle en tant qu'elle se détache précisément de cette temporalité et de cette spatialité qui la caractérisent par ailleurs. Ces lieux de profondeur, je les situe pour la plupart dans les passages en gras, les plus lucides à mon avis, et qui correspondent exactement à ce que j'attendais du discours de ce griot-narrateur. J'y inclus également, outre les passages en gras, le passage qui va de "En fait" à "versez moi encore du vin", qui n'est peut-être pas en gras mais qui me semble néanmoins appartenir au même registre, au même degré de lecture que ceux-ci.

Ainsi, j'aime beaucoup cette métaphore du griot-arbre opposé au désert immobile de ses contemporains (c’est-à-dire les quatre portraits dressés dans ce texte). Je crois que ça correspond pas mal aux différentes figures qu'il s'agit de suggérer ici. Le griot comme celui qui est à la fois encore en contact avec la sagesse de ses ancêtres (et qui d'ailleurs continue à raconter les histoires du père de son père), le seul à avoir conservé ses racines et qui, de ce fait, peut s'élever au-dessus des déserts pour tout voir et tout entendre. Quand les quatre autres figures, elles, ont renié ces racines et la terre nourricière de leurs ancêtres pour se perdre et se diviser, non pas dans la différence mais dans l'indifférence puisque plus aucun sol commun ne leur permet désormais de transfigurer la différence dans l'harmonie.

Je me permets de dire, en aparté, que je ne suis pas trop d'accord avec cela. Personnellement, j'ai toujours préféré les plaines et les déserts aux arbres des forêts. C'est peut-être moins harmonieux, certes, mais c'est aussi beaucoup moins prévisible, moins continu. Et je ne crois pas que ce soit vraiment rendre justice aux différences que de vouloir les harmoniser en fonction d'une terre ou d'un enracinement qui leur serait commun depuis toujours...

Mais bon, peu importe, même si je crois que nous sommes en désaccord sur ce point, au moins est-ce précisément ce point qui me paraît être le plus intéressant de ce texte. Car c’est là que tu parviens à t'élever à ce quelque chose de beaucoup plus fondamental que les simples descriptions qui constituent le reste de ce poème. Quelque chose de plus profond qui en justifie à lui seul toute la présence et la succession. C'est là exactement ce que j'attendais de ce poème (et ce que j’attends de la poésie en général) : une élévation au-delà du simple factuel pour dégager du fait l'idée qui préside à sa constitution, ou plutôt qui en ressort (et peut-être retrouve-t-on dans cette opposition celle dont je parlais plus haut, entre forêt et désert, la forêt comme lieu de l'idée constituante et le désert comme lieu de l'idée constituée).

Mais si c’est là ce qui me plaît le plus dans ton texte, c’est peut-être aussi ce qui lui manque le plus à mon avis. Désolé pour la contradiction… Je veux dire que si c’est bien présent, ça l’est sans doute d’une manière qui me paraît un peu trop compartimentée, trop distante, séparée de tout le reste quand au contraire ce devrait précisément être le souffle et le rythme de tout ce texte. Je disais que ce que je cherche dans un poème c’est l’élévation du factuel au niveau de l’idée. D’accord, mais encore faut-il que l’idée se trouve dans le factuel lui-même et non en retrait de lui. Ce qui me semble, je le regrette, être le cas ici.

C’est que, lorsqu’on entre dans ces descriptions ou portraits, tout ce qui est dit dans les passages en gras, toute la sagesse et la lucidité du griot-narrateur, semble s’évaporer d’un coup pour ne réapparaît qu’au prochain passage en gras et ainsi de suite. Je crois qu’il aurait plutôt fallu faire entrer ces deux registres en collision, que l’idée bouillonne au sein même du factuel, que l’intemporel se dégage à même le temporel et non les opposer l’un à l’autre comme c’est le cas dans ce poème. En l’état, je trouve que ces quatre portraits manquent de liant, de ce fil conducteur que leur apporterait je pense l’idée qui leur reste ici étrangère. Cela se remarque d’ailleurs assez bien dans l’écriture, avec ces divers artifices que tu utilises pour passer de l’un à l’autre. Par exemple : « Mes pères étaient alcooliques ; alcooliques comme… », « Blanc-bec ? Pas de qualificatif aussi juste que celui-là pour parler de son cousin germain… », « Respect ? Il paraît que l'homme bamiléké n'a de respect que pour l'argent »… Bref, à chaque fois, pour introduire chaque portrait, comme pour passer de l’un à l’autre, des transitions qui me semblent finalement bien lourdes, bien fausses, bien artificielles. Je me dis que cela est peut-être dû à ce manque de liant, à cette absence de justification que permettrait précisément la collision de l’idée et du factuel en plaçant d’emblée les descriptions sur un même plan, dans une même perspective. Ce qui n’est pas du tout évident en l’état, et je trouve que ça se voit.

Bref, je ne suis pas convaincu par ce texte. Et c’est vraiment dommage car je pense honnêtement que tous les éléments sont là. C’est juste qu’ils n’entretiennent pas les rapports qu’ils devraient selon moi. Voire même qu’ils n’entretiennent aucun rapport du tout… Ce qui me semble quand même assez problématique. D’où mon évaluation assez mitigée au final.

Bonne continuation !

   Flupke   
9/12/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Un texte agréable à lire et instructif. J'aime bien le côté documentaire d'une culture que j'imagine riche.

   MissNode   
23/12/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Wan,
J'aime :
- énormément la construction, avec ce "refrain", qui a son effet "voix-off"
- cette poésie des mots et des expressions, qui font écho aux rythmes et aux univers de Senghor
- d'y avoir trouvé, parsemées, des maximes, ou proverbes lancées avec un bel impact "l'homme qui rit de son mal ne souffre pas de ses blessures" "une maison sans palabre est comme une histoire sans rebondissement" "c'est dans la joute que prend forme le respect"
- le parti-pris de l'écriture engagée, portée par le cynisme du narrateur, qui ressort tantôt dans ses dénonciations directes, tantôt dans son autoportrait

Ont gêné ma lecture de prose poétique :
- la disposition du premier paragraphe (après le "refrain") : les mots et images sont tellement riches, que j'aurais apprécié la respiration offerte par les alinéas, comme tu l'as fait d'ailleurs impeccablement (à mes yeux) à partir de "une maison sans palabre"
- tout le passage "pas de qualificatif assez juste ... bénéfice du doute" (et peut être même le précédent, à moindre échelle) : j'y ai lu plutôt de ce qui relève de l'essai philosophique, que de la poésie; disons, c'est plus laborieux, et comme ce qui précède et ce qui suit, en revanche, coule parfaitement bien, le contraste est gênant

Entre les deux :
- J'ai aimé le procédé de rebondir sur les mots "palme" "blanc-bec" "respect" : il invite le lecteur à suivre la pensée de "l'ivrogne" (tel qu'il se présente, si j'ai tout compris) tout en donnant crédibilité à ce personnage, comme s'il était attablé devant son verre face au lecteur, et qu'un mot lui fasse sauter d'une idée à l'autre
- mais je n'ai pas aimé le point d'interrogation juste après la reprise du mot : ça semble un détail mais il y aurait "..." ce serait poétique, il y a "?" ça devient "philosophique"
bon, je ferais mieux d'aller chercher des poux à Morphée à cette heure :lol:
Sincère merci pour cette lecture (j'irai voir plus tard si tu as ouvert une discussion sur ce texte)

   Anonyme   
11/3/2013
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonsoir Wancyrs.

Il y a une magie dans votre récit, je dirais...envoûtante.
En vous lisant, j'avais le cœur qui souriait: ce n'est pas une image. J'avais réellement les battements qui changeaient de rythme au fil de ma lecture.
C'est tellement bien écrit, avec beaucoup d'humour.
C'est tout simplement excellent.

Merci.
;-)


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