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Carte blanche : Des compagnons bâtisseurs aux auteurs d'Oniris
Posté par philippe le 04/Jun/2008 (43 lectures)

À l'heure où je vous écris, une ASBL me demande de participer en équipe à une réflexion technique de conservation de son patrimoine culturel.

A l'heure où je vous écris, un site ami (Encre et lumière) se relève péniblement de la perte en une heure de 6 mois de travail commun site au crash du serveur qui abritait leur site.
Petites réflexions d'un béotien en la matière.


Après un bref état des lieux concernant l'ASBL, je me rends compte que nombre de pièces sont centenaires : manuscrits, livres, peintures. Aucune politique de conservation n'a été entreprise jusque maintenant et peu de moyens y sont alloués.
Après trois mois d'observation et de dialogue avec des gens bien plus compétents que moi, quelques réflexions me viennent en tête...

L'instauration des musées, la conservation du patrimoine, la valorisation et la matérialisation des sources du savoir sont des actes relativement récents dans le cadre de notre société. On peut se demander dans une société où l'immédiateté est reine, quelle est la valeur sociologique des efforts financiers et humains consentis par les villes, les régions et les États dans la préservation des connaissances scientifiques et culturelles, voire même quel est le sens de cette démarche pour des collectionneurs privés.


Un exemple récent à Tournai me fait réfléchir quand la ville décide sous l'impulsion de monsieur Philippe Brunin de restaurer puis d'entretenir le Musée d'Histoire Naturelle où l'on retrouve, outre la matérialisation des connaissances présentes en zoologie et botanique, un gros effort pour s'appuyer sur les acquis et l'esprit de l'ancien Musée. Il ne s'agit donc pas dans ce cas d'un simple passage de connaissances actuelles. L'ancrage dans les efforts consentis par le passé (et négligés pendant une longue période) est tout à fait manifeste dans la volonté de monsieur Brunin et de son équipe.


Je suis d'ailleurs toujours étonné dans le cadre culturel d'entendre les sommes investies dans la restauration ou la préservation d'œuvres anciennes. La restauration de la cathédrale de Tournai en est un exemple bien connu à l'échelon européen, mais à une échelle plus humaine, mademoiselle Amélie Dhesse (qui organise jusqu'en fin juin les « Mai de la calligraphie), lors d'une présentation de ses fonctions à Saint-Amand-les-Eaux, décrivait la montagne de travail que cela nécessitait et, dans son cas, limité à l'écrit. Elle me disait par exemple que ses acquis scolaires et universitaires ne lui permettaient pas toujours de définir avec exactitude l'intérêt patrimonial de telle ou telle œuvre. Le fait que ces œuvres soient anciennes, voire très anciennes, n'est pas forcément un gage d'intérêt. Confrontée à des réalités financières, logistiques et humaines (l'équipe du musée de Saint-Amand est composée de, seulement, quatre personnes, dont mademoiselle Dhesse), il lui faut faire des choix parfois douloureux : rediriger telle ou telle œuvre vers un autre musée ou abandonner une œuvre, la "politique" du musée étant dictée par la mise en valeur du patrimoine et du souvenir local.


Un autre exemple de l'intérêt porté à la préservation du patrimoine culturel nous a été donné par le responsable des archives de l'évêché de Tournai. Lors d'une présentation des œuvres manuscrites conservées à l'évêché, ce professeur d'université, lors d'une "Portes ouvertes", nous a décrit dans quelles conditions déplorables ces manuscrits étaient restés pendant près de quarante ans. Il a fallu toute l'ardeur et l'abnégation d'un chanoine (ou un abbé, je ne sais plus) chargé des archives pour sauver ces manuscrits de l'humidité de la pièce dans laquelle ils étaient entreposés et donc de la pourriture, aucune mesure n'ayant été prise pour assurer leur passage dans le temps.

Idem pour le nouveau conservateur du musée des Beaux-Arts de Tournai à qui son prédécesseur transmettait un capital pictural exposé, fort important, mais également nombre d'œuvres oubliées au cours du temps et entreposées dans des conditions parfois précaires


À l'instar de ces grottes que l'on ferme pour cause de pollution humaine, la préservation de ces mémoires signifie-t-elle pour autant leur inaccessibilité au grand public ? Souvenons-nous que voici quelques années, la bibliothèque de Tournai a investi une somme considérable afin de numériser les quelques manuscrits qui ont échappé à la destruction lors du bombardement de 1945.

Je n'ose imaginer l'ulcère qui se prépare chez la directrice de la bibliothèque, car la numérisation même vient d'être soumise à la question angoissante de l'efficacité des nouvelles technologies. En effet, les chercheurs d’IBM ont montré que les supports CD et DVD que l'on croyait inaltérables ont une durée de vie estimée entre trois et dix ans en fonction de la qualité du matériau originel. En cause, la couche qui enregistre les données est conçue sur une base biologique qui s'altère de manière plus ou moins rapide.


J'ai parfois l'impression, en regardant cette apparente contradiction (Besoin de mémoire VS appauvrissement qualitatif des supports) de me retrouver face à une société schizophrène : à la fois nombriliste car d'une part centrée sur l'ici et maintenant, la consommation et le rendement, et d'autre part en recherche frénétique de ses racines.


Et l'on retrouve cette schizophrénie dans la notion même de conservation et de publicité du patrimoine (rappelons que mes connaissances en la matière sont extrêmement faibles) : mais d'après les renseignements actuellement en ma possession, la notion d'archivage est trop souvent associée à numérisation. Sans doute trouverez-vous ma position assez surprenante, mais je crains que cette affirmation ne soit un tort.

D'une part, le patrimoine d'un groupe se veut être une trace intangible du passé, proche, ou lointain, de ce groupe. Le lien physique le rattachant à ce passé est fondamental. En cette optique, croire que le seul fait de numériser peut nous mettre le cœur à l'aise pour l'avenir est un leurre. Pour un peu, il semblerait bien que la seule bonne alternative à la gravure lapidaire soit l'écriture manuscrite avec une encre galloférique (ou de manière plus abordable, l'encre dite « campêche ») sur un papier non traité au chlore et suffisamment épais. Ceci pour ne parler que des documents écrits. Bien entendu, ironisait un spécialiste il y a peu, la formation de calligraphes et leur mise au travail, vu la masse de documents à retranscrire, pourrait bien nous faire atteindre en peu de temps le plein emploi pour des décennies, mais il faut raison garder et la numérisation, opération délicate, longue et coûteuse (elle aussi), se doit d'être structurée et étudiée intelligemment afin d'atteindre ses buts, à savoir la systématisation de la collection d'objets ou de documents, la facilitation de l'étude, tant en interne qu'en externe, la mise à disposition de ce savoir à un public restreint ou élargi. L'exemple de la British Library avec « turning the pages » en est un exemple marquant.

Comme on peut le voir dans ces lignes, le hasard de la vie a mis sur ma route une source de réflexion et d'étude dont je ne suis pas prêt de sortir tant elle déborde du seul cadre technique.


Ainsi ai-je pensé à Oniris en écrivant ces lignes : fidèle à sa politique de respect de l'auteur, le comité de gestion leur a offert depuis peu la possibilité de retirer eux-mêmes leurs textes du catalogue. Je suis donc confronté à deux situations contradictoires : d'un côté, on me demande de regarder comment faire durer et garder la trace dans le futur et de l'autre une société, Oniris, où la réalité binaire d'aujourd'hui sera fort probablement tout à fait différente demain.


Et je me demande ce qu'en pensent les auteurs.


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