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Carte blanche : L'histoire sans fin
Posté par Ninjavert le 04/Jul/2008 (85 lectures)

Petite réflexion sur les différents moyens narratifs, et leur impact sur le public.

On aime tous les histoires.

Il nous arrive même parfois d'en raconter (je ne parle pas de celles qu'on balance à nos moitiés pour les berner le temps d'une escapade crapuleuse, bande de salopards !) Et il existe de nombreuses façons de vivre (et de faire vivre) ces petites anecdotes, ces épiques odyssées, ces rocambolesques péripéties qui viennent égayer notre quotidien.

À l'aube du troisième millénaire, qui marque le formidable avènement de la téléréalité, de la tecktonik et de la paix universelle, on peut se demander si le monde moderne a modifié notre façon de percevoir le récit, avec un grand R.

Parce que dans récit, il y a si. Eh oui. Si le monde moderne avait modifié notre façon de voir et de raconter les choses ? Si le monde moderne nous avait fourni d'autres outils pour faire vivre notre imaginaire ?

Depuis toujours, les narrateurs de tous poils se sont appuyés sur les progrès technologiques et/ou sociologiques pour faire vivre et évoluer leurs histoires. Qu'en est-il aujourd'hui ? Et surtout, qu'en sera-t-il demain ?

Stay tuned, comme on dit, dans l'ouest.



La grand-mère, la plume et la bobine

Ces trois artefacts ont un point commun, diront les mauvaises langues : celui d'avoir traversé les âges. À l'origine, il n'y avait que la parole pour communiquer, et donc raconter nos histoires. La grand-mère, sympathique incarnation de la tradition orale, fut longtemps le seul moyen de faire vivre mythes et légendes, devant les flammes hypnotiques et crépitantes d'un feu de camp, ou d'une cheminée. Nous en avons d'ailleurs un précieux spécimen à peine fossilisé ici même, en la personne de Bidis (on t'aime tous, Bidis).

Puis vint la plume qui, si elle peut à l'occasion (et non sans plaisir) être taillée, permit surtout à l'Homme d'accéder à l'écriture. Évolution aussi attendue chez les narrateurs que l'arbitrage vidéo chez les footeux, ou l'égalité des salaires chez les femmes, l'écriture révolutionna la façon de raconter et de découvrir les histoires. Plus de limite de longueur pour l'auteur, plus de dépendance au conteur pour le lecteur, et le plaisir de pouvoir lire/écrire où et quand on veut. Fini le direct, vive la retransmission.

Et la lumière fut. Parce qu'un jour deux couillons en eurent assez que les histoires se limitent à ce qu'on pouvait imaginer. Parce que si aujourd'hui, après la révolution télévisuelle, photographie et internautique, il nous apparaît assez difficile qu'on puisse avoir du mal à s'imaginer un décor, un pays, ou même le cosmos, ça n'a pas toujours été le cas. Parce qu'avant la révolution visuelle, il n'était pas si évident pour un mineur de la Ruhr, de s'imaginer les montagnes Rocheuses, ses cow-boys et ses indiens. Pas évident non plus pour un paysan de la Lozère profonde, de s'imaginer les grandes plaines givrées de Sibérie, ou une aurore boréale. Certes, bien sûr, c'est là le talent du conteur ou de l'écrivain. Encore faut-il que ce dernier y ait foutu les pieds et ait le sens de la description. Les frères Lumière inventèrent donc le cinéma, pour permettre aux gens de voir et plus seulement de s'imaginer, les histoires qu'on leur racontait.

Petite synthèse de l'Histoire de l'histoire, vous en conviendrez, et qui ne traite guère des multiples dérivés de ces trois grandes pratiques (le théâtre ou la bande dessinée, par exemple). Néanmoins, ça synthétise les trois principaux moyens utilisés de nos jours pour vivre ou raconter toutes ces histoires qui nous font vivre.



De la substantifique moelle (sous les dessous coquins)

Au final, peu importe le mode narratif utilisé pour faire vivre le récit. Qu'elle soit écrite, racontée ou projetée, une histoire reste une histoire. Chacun de ces médias dispose d'avantages et d'inconvénients, de forces et de faiblesses, mais tous répondent aux critères essentiels requis par une belle histoire.
Chacun pourra les classer selon ses préférences et affinités, mais on retrouve plusieurs éléments "indispensables" à la puissance évocatrice d'un récit. On parle ici d'histoires, pas de réflexions métaphysiques, d'essais philosophiques ou de pamphlets politiques. Bien sûr, de tels éléments peuvent être intégrés à l'histoire, mais ils en deviennent du coup un élément comme un autre. Ce qui nous intéresse ici, au-delà du thème, du sujet ou de la réflexion, c'est l'histoire en elle-même.

De manière relativement universelle, une belle histoire doit nous faire rêver. Elle doit titiller notre imaginaire, le séduire, le faire travailler. Il est évident qu'un film n'aura pas les mêmes arguments qu'un livre, ni qu'un récit mené de voix de maître par un orateur talentueux, mais chaque méthode a ses propres arguments pour séduire. Ce qui importe, qu'il soit visuel ou suggéré, défini (par un texte) ou sujet à l'échange (les éventuelles questions posées à un orateur), l'imaginaire évoqué est primordial pour qu'on y accroche.

Un autre élément important de l'histoire va être l'échange qu'elle offre entre le narrateur et le spectateur. Cet échange peut prendre différentes formes, et différents degrés, mais il est toujours présent. Qu'on écrive un livre, raconte une histoire ou réalise un film, on propose aux autres de découvrir nos pensées, une partie de notre âme. De la même manière, le lecteur/spectateur qui va recevoir l'œuvre qu'on lui propose, va s'en imprégner. Il va en mesurer les idées, la sensibilité, et donc par extension celle de l'auteur. Au même titre qu'un échange face à face, certaines histoires nous feront vibrer, nous révolteront, ou nous laisseront indifférents. Mais dans tous les cas, cet échange est important et va permettre, dans certains cas, l'établissement d'un réel lien avec l'auteur.

Enfin, ce qui rend certaines histoires plus fortes, plus parlantes que d'autres, se trouve dans la mise en résonance qu'elles offrent parfois avec notre propre expérience. Maître Pat de velours eut la bonté de m'expliquer, à mon arrivée sur Oniris, les méandres de l'intertextualisation. Ce subtil procédé qui permet à un auteur de transposer un contexte, une réalité, une situation ou un personnage dans un autre cadre, une autre représentation. C'est ce qui permet à des récits de science-fiction ou de fantasy de nous toucher profondément, en nous renvoyant à des valeurs que l'on connaît dans notre réalité, en faisant des métaphores avec des régimes politiques ou des cultes religieux… en bref : parlant de quelque chose en ayant l'air de parler d'autre chose.
On peut s'émouvoir devant Quatre mariages et un enterrement, devant Alien ou devant Guerre et Paix, et ce, sans forcément avoir été marié, traqué par une bête dans l'espace ou avoir vécu les affres de la guerre. Parce qu'au-delà du contexte, ces histoires nous renvoient à des valeurs, des sentiments ou des situations universelles, que chacun de nous a déjà éprouvés à un niveau ou à un autre.



À l'aube de l'interactivité…

(Je triche en faisant un titre qui pète dans l'tube, alors qu'en fait je vais balancer un lieu commun mais bon…) L'interactivité a toujours existé entre les deux parties d'une histoire (celle qui raconte et celle qui écoute). Mais globalement, elle est toujours restée assez basique.

- On dirait que je suis Lucky Luke, et toi tu serais Rantanplan.
- D'la merde oui ! Moi j'suis Tarzan… Et vu ta gueule tu tiens plus de Cheeta que d'Lucky Luke !

Les gosses n'ont pas leur pareil pour se projeter dans les histoires qu'on leur raconte, pour les faire vivre au-delà de ce qu'avait imaginé leur auteur. Mais chacun de nous en est capable.

Un jour où je discutais avec Ninjaorange, je lui expliquais que je n'avais pas encore commencé les Harry Potter car j'attendais qu'ils soient tous sortis en poche pour les lire. Je déteste commencer un cycle inachevé. Mais que quand je les commencerai, y aurait de fortes chances que je les dévore. On a dévié, et il m'expliqua qu'il prenait tout son temps pour lire un bouquin (H.P notamment) car il adorait laisser son quotidien s'en imprégner. Pour lui, tant que le livre n'est pas fini, il conserve un pied dedans, et tout ce qui l'entoure s'en imprègne. Ce détail va le renvoyer à une situation du bouquin. Cette personne à tel personnage. Et ainsi de suite.

J'ai bien aimé son explication. Laisser la réalité se superposer à l'univers du livre qu'on est en train de lire. Un bel exemple d'interactivité.

Tout ça pour dire que l'interactivité entre le lecteur et l'histoire a toujours existé, mais de manière assez légère. C'est au lecteur de faire un effort en ce sens s'il veut s'en imprégner, s'y projeter réellement. Par définition, un livre, un film ou un récit ne nous y tiennent enfermé que le temps de leur durée. Si le spectateur veut y prolonger son séjour, il doit le faire dans sa tête. Parfois, c'est un peu frustrant.
D'autant que quand on se plaît dans une histoire, on aimerait souvent la voir évoluer d'une certaine façon. Certes, il est bon de se laisser porter, surprendre, parfois trahir par un auteur sournois, mais qui ne s'est jamais surpris à imaginer ce qu'aurait donné une histoire si les choses s'étaient passées autrement ?

Nous parlions au début des évolutions technologiques, et de la façon dont elles ont modifié notre façon de vivre les histoires. Et si l'avenir c'était de laisser le lecteur vivre sa propre histoire ? Chaque média s'y est plus ou moins essayé. On a connu les Livres dont vous êtes le héros, qui vous donnaient l'illusion, le temps d'un jet de dés et d'un choix restreint, que vous contrôliez le déroulement de l'histoire que vous lisiez. Certains films ont essayé des concepts interactifs, en proposant aux spectateurs de voter pendant la projection, pour les virages qu'ils souhaitaient que l'histoire prenne, jusqu'au dénouement final.
Les auteurs ont toujours fait preuve d'inventivité pour raconter leurs histoires en impliquant au maximum les spectateurs. Mais ces possibilités ont toujours été dramatiquement limitées par la technique.

Parce que si moi, perdu dans les cryptes de Zwaoulog, acculé au fond du cachot par le maître vampire Garlik, j'ai le choix entre :

1) Brandir le crucifix d'argent que j'ai trouvé en 57).
2) M'enfuir à toutes jambes dans les ténèbres.
3) Tenter d'invoquer la grande déesse de la nuit.

Et qu'au final, j'ai juste envie de lui crier « Va chier saloperie de limace suceuse de sang ! » et de lui mettre mon poing dans la gueule, ben je ne peux pas. Parce que ce n'est pas prévu dans l'histoire. Frustrant, quoi.

Pourtant, il y a déjà plus de trente ans que des méthodes de narration "alternatives" existent. Comme le reste, elles ont évolué, prenant le temps et la mesure du progrès technique, et pourtant, elles sont encore marginales, souvent boudées par un grand public frileux et plein d'a priori.

Qu'en est-il, donc, de ces autres façons de vivre des histoires ? Il en existe des tas, aussi nous concentrerons-nous sur deux exemples particulièrement intéressants.



Traverse la route ou meurs !

Tout d'abord, les jeux vidéo.

Quand ils sont apparus au tout début des années 80, les jeux vidéo étaient loin de ressembler à ce qu'ils sont aujourd'hui. Une infâme bouillie de pixels monochromes, mus par une inertie pachydermique, le tout dans un silence de mort qui fut vite remplacé par des "bips" particulièrement fascinants et propices à l'imagination.

Bon, bien sûr y avait l'attrait de la nouveauté et le côté "high-tech" (même si on en rigole aujourd'hui), mais les programmeurs ont vite compris qu'il fallait enrober tout ça d'un peu de magie, de "sense of wonder", comme on dit, pour que les gens puissent solliciter un minimum leur imagination.
Ainsi, grâce à quelques lignes au dos de la boîte qui résumaient le contexte du périple à accomplir, les amas de pixels - toujours aussi moches - représentèrent soudain des hordes d'envahisseurs extra-terrestres, des champs d'astéroïdes, des voitures aux cylindrées surpuissantes, ou encore les membres d'un redoutable gang de voyous. Le sens de l'image était donné par ce qu'on nous disait qu'il représentait (au moins au tout début, quand vraiment ça ne ressemblait à rien).

Alors qu'est-ce qui a fait qu'un truc aussi moche ait marché ? Qu'un truc aussi con ait séduit ? Qui aurait pu prédire le succès de Frogger, sorti en 1981 ? C'est vrai quoi, faire traverser indéfiniment la route à une grenouille, on a vu mieux comme émerveillement.

Eh bien on y revient : l'interactivité. Pour la toute première fois de l'histoire du monde, le spectateur/lecteur prenait les commandes. De passif, il devenait actif. Bien sûr, quand on lit un livre, on est actif : on tourne les pages, nos yeux suivent les lignes. Mais on se laisse porter par l'histoire. Ici, le joueur ne se contentait pas d'assister à la scène de Frogger, la petite grenouille voulant traverser la route : il était Frogger, la petite grenouille.

Ça n'a l'air de rien, comme ça, mais c'est énorme. Car en prenant les commandes du destin de Frogger, le joueur découvrait des sensations jusque-là ignorées à la lecture d'un livre ou au visionnage d'un film. Les mains qui deviennent moites, les poignets saisis de crampes, le cerveau qui tourne à toute allure, les réflexes exacerbés pour tenter de faire en sorte que cette putain de grenouille reste en vie !
Et si au final Frogger mourait, le joueur ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Ce n'est pas l'auteur, sadique, qui l'avait tuée. Non, c'est lui. Lui qui n'avait pas été capable de la sauver. Malgré lui, il se retrouvait projeté dans le monde de la grenouille, et participait activement à son histoire.

Frogger se passait en 1981. En 27 ans, le petit monde du jeu vidéo a fait du chemin. Et en ce sens, on remarque l'importance de la technologie. Aujourd'hui, la petite grenouille pixélisée est loin derrière. Les jeux vidéo actuels n'ont rien à envier, en termes de beauté visuelle et d'effets spéciaux, aux dernières productions cinématographiques. Les cinématiques sont superbes, la qualité des images de synthèse a fait en quelques années des progrès ahurissants, les musiques des "gros" jeux sont composées par des musiciens de renom, parfois interprétées par des orchestres philharmoniques ou autres.
Bref, avec le son en 5.1, le blu-ray et la HD, on en prend plein la gueule.

Mais au-delà de l'aspect technique qui au final n'est que l'enrobage du bonbon, c'est le contenu qui nous intéresse. Avec les évolutions des supports (disquettes > cartouches > Cd-rom > DVD, etc.), les jeux gagnent en capacité de stockage de données, et donc de contenu. Les histoires s'enrichissent.
Si certains jeux récents se veulent l'adaptation de romans ou de films (Halo, Le seigneur des anneaux, Harry Potter…), d'autres se paient le luxe de faire appel à des auteurs ou réalisateurs célèbres pour réaliser des œuvres originales (par exemple le jeu Strangelhold, mettant en scène l'acteur virtualisé Chow Yun Fat, sous la direction de John Woo, ou encore des séries de type Rainbow Six ou Ghost Recon, directement supervisées par Tom Clancy, et inspirées de ses romans). D'autres enfin, sont heureusement créés de toutes pièces et permettent aux développeurs d'exprimer tout leur potentiel créatif.

Ce contenu s'enrichit, donc, et se densifie. Les jeux de course gagnent en réalisme, avec une gestion des paramètres à faire pâlir un néophyte.
Les jeux d'actions gagnent en intensité, en punch, en rythme et en dynamisme. L'immersion devient totale, absolue. On peut être soufflé par les scènes de guerre du film Un long dimanche de fiançailles, ou encore Il faut sauver le soldat Ryan, on n'en est pas moins passif sur son siège. Dans un jeu du même genre, le joueur se voir projeté en plein cœur de l'action, et doit lui-même prendre les commandes du destin du personnage.

Et si les conditions sont réunies (son surround, vidéo projecteur HD avec image de 2m de diagonale, etc.), l'expérience est pour le moins incomparable...



Finale Fantaisie

Pour en revenir à l'interactivité et à l'immersion, les jeux vidéo ont un autre atout. Déjà, la durée de vie.
Je parlais plus haut de mon pote qui faisait durer ses lectures, pour en prolonger l'ambiance. Aujourd'hui, un bon jeu d'aventure dispose en moyenne d'une durée de vie pouvant aller de cinquante heures à plus de deux cents. Même des œuvres longues et en plusieurs volumes (le cycle de Dune, au hasard, ou la trilogie cinématographique du Seigneur des anneaux par exemple), sont loin de nous retenir aussi longtemps.

Le joueur peut selon son envie, sa motivation et sa curiosité se contenter d'en suivre les grandes lignes, ou se laisser dériver loin des sentiers battus, au fil d'innombrables quêtes secondaires. Une approche qu'on n'a pas avec un livre ou un film, qu'on doit suivre du début à la fin. C'est une première différence.

Ensuite, de plus en plus de jeux, désormais, proposent au joueur de multiples solutions pour renforcer à la fois son immersion dans l'histoire, et l'interactivité qui les lie l'un à l'autre. En commençant par laisser la possibilité au joueur de personnaliser le héros, en choisissant son sexe, son apparence, parfois même son passé, on lui donne la possibilité de se plonger dans l'histoire de la manière qu'il le souhaite, et de s'accaparer le héros. Il empiète sur le territoire de l'auteur.

De nombreux jeux proposent également au joueur de réagir de différentes manières devant une situation donnée. Ces réactions conditionnant la suite et, dans une certaine mesure le déroulement du jeu.
Il n'est pas rare aujourd'hui qu'un même jeu ait quatre ou cinq fins différentes, déterminées par les réactions du joueur tout au long de l'histoire. (À titre d'exemple : l'excellent Splinter Cell : Double Agent, qui met le joueur dans la peau d'un agent double avec tous les choix cornéliens et cruels que ça peut représenter, ou le formidable Mass Effect, space opera hallucinant de richesse.)

Bien sûr, à l'heure actuelle ces choix restent bridés, et ne conditionnent qu'un embranchement prévu préalablement. On est toujours dans la logique du Livre dont vous êtes le héros.
Toutefois, vu la rapidité des progrès technologiques, personne n'est en mesure de dire à quel point cette liberté d'action (aujourd'hui illusoire, souvent bluffante, mais illusoire) sera enrichie d'ici ne serait-ce que dix ans ?

Peut-être qu'un jour, pas si lointain que ça, une liberté totale sera laissée au joueur de vivre l'histoire exactement comme il le souhaite.



Et si c'était notre histoire ?

Ces exemples ne sont que des variantes d'une histoire qu'on nous raconte, en nous laissant faire un choix ici ou là. Au final, tout est scénarisé, le script et ses multiples embranchements sont écrits à la source. Y a-t-il une réelle liberté quelque part, ou n'est-elle qu'illusoire ?

On n'entrera pas dans le débat philosophique, mais en se concentrant sur notre thème : le récit, on peut s'interroger. Et s'il existait une façon différente de créer une histoire ?

Sur Oniris, on a pu voir fleurir les histoires à plusieurs, écrites conjointement par plusieurs auteurs, au fil de la plume, selon l'humeur et l'envie du moment. Véritable vivier d'idées et de situations, cela existe-t-il ailleurs ?

Restons encore un peu dans le monde du jeu vidéo. Internet a permis en quelques années de faire tomber pas mal de frontières. De relier les gens. "Connecting people" comme disent les autres.
Parce que jouer à plusieurs, c'est souvent plus rigolo que jouer tout seul.
Lire ou regarder une histoire, c'est un peu comme la masturbation : généralement ça se fait tout seul. Mais dès qu'on est plusieurs, les possibilités sont exponentielles.
C'est pourquoi on a vu fleurir et se multiplier en quelques années les jeux en réseau. Certains d'entre eux, forts de cette idée, ont décidé de jouer la carte du "tout réseau".
Les variantes sont infinies : dans certains cas les joueurs sont alliés contre des monstres numériques. Dans d'autres, les joueurs s'affrontent les uns les autres au travers de véritables communautés, elles-mêmes scindées en clans, guildes, et autres regroupements de tous poils.
Dans la plupart des cas, ce sont les joueurs eux-mêmes qui écrivent une bonne partie de l'histoire, qui se déroule dans ce qu'on appelle un univers persistant (le jeu ne s'arrête pas quand le joueur se déconnecte, mais continue de tourner et d'évoluer sans lui).

- Putain de mariage. J'ai raté quelque chose ?
- Le clan des bouffeurs de mouettes nous a foutu sur la gueule hier ! On va chercher les membres des Funky bandits pour s'allier et on revient leur mettre une branlée demain !
- Oh non, pas demain ! J'ai piscine...

Autant de données relativement imprévisibles (le comportement des joueurs) et du coup particulièrement intéressantes, qui ont rendu des jeux comme World of Warcraft ou Dark Age of Camelot plus que célèbres.

Pour ceux qui regretteraient le côté "soigné" d'une histoire prédéfinie, travaillée, avec un héros taillé sur mesure pour le rôle, certains jeux proposent même un mix des deux. Comme Phantasy Star Universe qui propose au joueur un mode solo dans lequel l'histoire est posée, dans lequel il joue "Le" héros de l'histoire. Ce mode pouvant par la suite être prolongé indéfiniment en ligne avec son propre avatar, qui va venir succéder à l'histoire initialement vécue par le héros.

D'autres titres encore jouent la carte de l'originalité comme Second Life, qui porte bien son nom en proposant de jouer quelqu'un dans sa vie de tous les jours. Métro, boulot, dodo… Clubber infatigable ou partouzeur effréné, les limites ne sont pas loin d'être celles de notre imagination.

Bref, c'est souvent très riche, parfois compliqué, et certainement confus pour qui n'y est pas du tout habitué, mais ça vaut clairement le coup de s'y intéresser.



De la poudre aux yeux

Mais là encore il ne s'agit que d'une illusion : la liberté proposée par l'absence de scénario (en tout cas de scénario contraignant), ou de but à atteindre, étant bridée une fois de plus par les limitations techniques du système.

N'y a-t-il donc rien qui nous libère de ces contraintes ? Qui nous laisse entrevoir ne serait-ce qu'un aperçu de la vraie liberté dans le récit ? N'a-t-on aucune chance de vivre un jour, sans contrainte, l'histoire de ses rêves ?

Ben en fait si. Ça existe même depuis un sacré bon moment. Au bas mot pas moins de trente ans, et probablement bien plus sous des formes un peu plus artisanales.
C'est un autre sujet qui a fait le chou gras des médias pendant de longues années. (D'ailleurs, c'est un peu passé de mode, Mireille Dumas où es-tu ?)

Les jeux vidéo ont connu un peu le même parcours, mais bizarrement depuis qu'on s'est aperçu qu'ils brassaient des millions d'euros, on ne dit plus qu'ils rendent épileptiques, et on annonce la sortie des grands titres dans Le Monde. Va comprendre Charles…

Bref, cet autre média, cette ultime méthode qui permet de vivre et de raconter une histoire simultanément, ce sont les jeux de rôles. Mais si, mais si, vous savez : ces trucs qui font que les ados vont saccager des cimetières, violer de jeunes vierges dans les caves, poignarder leurs profs de maths ou encore amener un fusil d'assaut au lycée pour mitrailler leurs petits camarades. Les jeux de rôles, quoi.

Plus sérieusement, le jeu de rôle c'est quoi ?

En résumé, plusieurs personnes sont réunies, pour vivre et faire vivre une histoire à des personnages. D'un côté, le maître du jeu : le chef d'orchestre. Le narrateur. Le réalisateur. Il a un peu toutes les casquettes en fait. C'est lui qui raconte l'histoire, la fait vivre, évoluer, s'adapter. Il interprète tous les personnages du scénario qui ne sont pas représentés par les joueurs, etc.
Et en face de lui, un ou plusieurs joueurs, chacun incarnant un personnage qu'il a ou non créé, et qu'il va faire évoluer au fil de l'histoire que leur raconte le maître du jeu. C'est tout.

Vous l'aurez vite compris : la seule limite technique à tout ça c'est le cerveau et l'imagination des joueurs. Autant dire que ça laisse de la marge. Pas de temps de chargements ou de mémoire limitée, pas de contraintes budgétaires, pas de ligne éditoriale à respecter. Que dalle. La liberté absolue.

Une expérience qui peut s'avérer réellement fascinante. Il n'y a pas de limites dans les choix qui vous sont proposés, tout est envisageable. Bien sûr, généralement le tout est cadré par un système de jeu, chargé de gérer de manière cohérente les interactions entre les personnages. Tout comme l'univers dans lequel se déroule l'histoire, généralement posé par un contexte et un historique. Mais tout est modifiable. Et c'est là que le talent du maître du jeu est essentiel : outre avoir des qualités d'orateur (voire parfois d'interprétation théâtrale) pour rendre vivante la multitude de personnages qu'il incarne, il doit savoir réagir vite et bien, adapter ou contourner les règles à chaque fois qu'un joueur envisage une action qui n'est pas prévue dans le système de jeu, ou qu'il s'éloigne un peu trop du scénario. De leur côté, les joueurs doivent essayer de jouer leur personnage de manière crédible, en accord avec sa personnalité, son caractère, sa moralité et bien sûr, ses compétences. Le tout en réagissant aux situations amenées par l'histoire.

C'est un perpétuel jeu de dupes, dans lequel chacun ruse pour tester les limites et l'imagination de l'autre. Les possibilités sont infinies, et pour peu que les joueurs et le MDJ soient inventifs, le résultat peut être grandiose.

Un petit exemple, pour illustrer. Ce type vous a engagé pour savoir où sa femme se rend, et avec qui elle a rendez-vous.

Vous pouvez décider :

1) De la suivre vous-même. (Au risque de vous faire cramer comme un gros mauvais, si la femme est plus observatrice que vous êtes discret).
2) Payer un gosse des rues pour la suivre à votre place. (Au risque de ne jamais revoir votre fric, si le MDJ est vicelard).
3) Demander à un gosse des rues de la suivre pour vous, et retenir son petit frère en otage jusqu'à ce qu'il revienne avec les infos. (Bonne idée, et efficace, mais là c'est vous qui êtes vicelard).
4) Ne pas avoir envie de suivre la bonne femme, la serrer dans le parking du supermarché et lui péter les dents à coups de latte jusqu'à ce qu'elle vous dise où elle allait et avec qui. (Après tout, le contrat ne précisait pas de ne pas lui faire de mal.)
5) Ne pas avoir envie de vous fatiguer, il fait chaud et vous êtes complètement sous-payé pour ce taf. Vous vous asseyez à la terrasse du premier bar venu, et claquez l'avance que le mec vous a donnée en profitant de l'happy-hour.
6) Vous trouvez que le mec est louche, et que la femme est canon. Vous balancez le mari jaloux à son épouse en espérant que votre charme vous permettra de lui mettre sa cartouche (petit coquin).
7) Vous...

Bref je m'arrête là, vous aurez compris l'idée. Multipliez cet exemple par le nombre de joueurs (on est rarement d'accord sur le plan à adopter, chacun préférant le sien), et reproduisez-le à chaque situation, ça vous donnera une idée de l'ensemble.

Vivre des histoires palpitantes dans le monde magique de la Terre du Milieu, défier l'Empire dans l'univers de Star Wars, faire se côtoyer une barbare sanguinaire lesbienne et un barde vampire, ou encore jouer des toons à la recherche de la framboise magique : tout est envisageable, il suffit d'y penser.



Ah bah oui mais bon…

On peut se demander pourquoi ces modes narratifs sont si peu pratiqués, ou en tout cas si peu médiatisés, s'ils sont si riches que ça.
Déjà, n'oublions pas que leur image a été ternie pendant des années par des médias racoleurs et en manque de scoops, ou encore des associations puritaines dans le genre de "Familles de France" qui cherchent à interdire tout ce qui leur semble appartenir au moralement inacceptable (c'est-à-dire beaucoup de choses).
Parce que c'est difficile de corriger le préjudice fait par des émissions-poubelles comme "Bas les masques" pendant des années, quand des pseudo-psychiatres viennent témoigner sur le plateau pour dire que c'est la faute à Mario Bros et aux jeux de rôles si le petit Quentin a poignardé son prof de douze coups de couteau avant de violer sa belle-mère et de se pendre. (En oubliant de préciser qu'il était battu par son père, issu d'une famille recomposée 18 fois, et en échec scolaire depuis 12 ans.)

Ensuite, il est quand même plus pratique de se poser devant un film ou un bouquin, que d'inviter quatre ou cinq potes chez soi pour une soirée jeu de rôles, ou d'investir dans un home-cinéma complet et de condamner une pièce de l'appartement pour apprécier à sa juste valeur sa petite partie d'Oblivion.

Enfin, les jeux vidéo sont victimes du fossé des générations. Apparus dans les années 80, c'est un truc que les gens n'avaient jamais connu avant. Donc si tous les moins de trente ans s'y adonnent sans complexes ni a priori, ayant grandi avec, les générations antérieures peuvent avoir du mal à en saisir l'intérêt. Ou à en craindre la complexité. (Comme pour l'informatique).

Pourtant pour en revenir à Oniris et au travail d'auteur, les jeux de rôles/vidéo peuvent avoir un réel intérêt. Déjà, c'est une source d'inspiration, au même titre que le cinéma, la littérature, ou la vraie vie. D'un point de vue scénaristique, de nombreux jeux aujourd'hui peuvent se vanter d'avoir des scénarios d'excellente qualité.
De plus, tous les vrais psychiatres vous diront que s'ils peuvent avoir des effets dangereux sur n'importe quelle personne instable (comme beaucoup d'autres choses), ils seront totalement sans danger, voire bénéfiques pour l'immense majorité des gens.

De nombreuses formations professionnelles ont recours aux jeux de rôles (sous des formes diverses) pour former leurs employés, les aider à lutter contre la timidité ou autre. Tout comme certains instituts spécialisés, qui les utilisent de manière thérapeutique sur des enfants autistes, pour les aider à s'intégrer au monde qui les entoure. Les jeux vidéo, tant qu'ils sont pratiqués sans excès, se révèlent ludiques, déstressants, conviviaux (y a qu'à voir le succès de la Wii, de Nintendo), à des années-lumière de l'image du cas social hystérique de douze ans qu'on nous montre encore trop souvent à la télé, bavant devant son écran, insultant sa mère, et oubliant de manger.

Mais pour nous, simples auteurs, ces deux loisirs sont aussi une manne de travail. Déjà l'écriture de scénarios de jeux de rôles, puis leur mise en scène avec des amis peuvent être plaisantes pour n'importe quel apprenti écrivain. Et ensuite, quel plaisir de s'exercer à l'interprétation de personnages, parfois en totale opposition avec sa propre nature ! On se force à se mettre en situation, à réfléchir autrement. À s'adapter. Autant de choses qui ne pourront qu'être bénéfiques pour la crédibilité de futurs personnages de nouvelles ou de romans, et la cohérence de leurs interactions.

Il est temps de conclure.

Au final, on l'a dit, chaque mode de récit a ses avantages et ses inconvénients. Ces deux derniers n'échappent pas à la règle. Car trop d'interactivité, trop de liberté peuvent se révéler incompatibles avec certains types de récits à l'intrigue sournoise ou à la chute vicieuse. Car on peut préférer se laisser porter tranquillement par une histoire, que d'y prendre part activement.

Une seule chose est sûre, au final. C'est que ces différentes méthodes existent, et qu'elles procurent au lecteur/spectateur/joueur des sensations fort différentes, et surtout complémentaires. Alors puisqu'on a le choix, ce serait dommage de ne pas en profiter…

Au final, la seule vie dont on est vraiment le héros, c'est la nôtre, et jusqu'à preuve du contraire on a encore le choix de l'agrémenter comme on veut.

Bonnes histoires à tous !

Ninj'




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