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L'histoire de Brigitte et celle de Jean-Luc
NICOLE : L'histoire de Brigitte et celle de Jean-Luc  -  L'histoire de Jean-Luc - Chapitre 4
 Publié le 19/10/09  -  5 commentaires  -  9619 caractères  -  54 lectures    Autres publications du même auteur

C’est arrivé un vendredi soir. On aurait pu conclure un peu facilement à une crise due à une semaine trop chargée, mais je sais bien que le malaise est plus profond.

D’ailleurs, il y avait eu des signes avant-coureurs. Comme le jour où j’ai viré de mon cabinet ce jeune couple qui voulait que je gonfle le petit 80 B de madame. À lui, j’ai conseillé de se trouver une femme avec des gros seins, puisque ça semblait si important pour lui, et à elle de faire sa vie avec un homme qui puisse l’aimer comme elle est.


De toute façon, j’ai toujours préféré opérer des femmes qui en avaient vraiment besoin, et Karine l’a bien compris, puisqu’elle m’adresse systématiquement celles qui ont perdu un sein à la suite d’un cancer. Les autres, elles auraient davantage besoin d’un psychiatre que d’un chirurgien, si on veut mon avis.

Pour l’instant, Mme Béliger a l’air de lui donner du fil à retordre à ma pauvre Karine. Je reste sagement installé derrière mon bureau, en attendant que passe l’orage que j’ai provoqué.

Là, sans les hurlements hystériques de Mme Béliger, je me sentirais presque bien, en tout cas beaucoup mieux que je ne l’ai été ces derniers mois.


Pourtant, je suis un homme gâté par la vie. Je suis marié depuis plusieurs années avec une femme avec laquelle je suis parfaitement heureux.

Elle a si bien su calmer mes inquiétudes du début, que je ne vais plus jamais vérifier la présence du mortier à aïoli au fond du placard. Notre couple est sur des rails, et je sais bien que nous vieillirons ensemble, entourés de nos petits-enfants. Mon fils Jean-Marc et sa femme Sarah se sont d’ailleurs déjà chargés de nous donner deux beaux petits garçons.

Marie, la plus jeune de mes enfants vient d’attaquer sa seconde rentrée scolaire en tant que professeur des écoles, et elle me parle de plus en plus souvent d’un autre instituteur qui pourrait bien faire un bon mari, et un père potentiel pour une autre série de petits-enfants.

Même Gérôme, l’aîné, et aussi le dernier à vivre encore sous le même toit que nous, semble enfin avoir trouvé sa voie.

Je n’ai donc objectivement à me plaindre de rien en particulier, et pourtant, depuis quelque temps, mon boulot m'ennuie, ou pour être plus précis, mes patientes m’agacent.


Tiens, on n’entend plus les cris de Mme Béliger, Karine a dû réussir à la mettre dehors. J’étire mes jambes sous mon bureau, en savourant l’harmonie retrouvée.


- Bon sang qu’est-ce que tu as bien pu lui raconter pour la mettre dans un état pareil ?


Henri vient de se laisser tomber lourdement dans un des fauteuils profonds installés de l’autre côté de mon bureau. Son visage empourpré trahit sa profonde contrariété.


- Tu te rends compte que Mme Béliger est une de nos patientes les plus régulières. Après ses grossesses, c’est nous qui nous sommes chargés de lui rendre son ventre de jeune fille, elle nous a fait confiance également pour ses cuisses, et plus récemment pour la débarrasser de ses poches sous les yeux. Alors j’aimerais bien que tu condescendes à m’expliquer le scandale qu’elle vient de faire dans notre salle d’attente bondée. Enfin, un peu moins bondée maintenant, parce que deux nouvelles patientes ont profité de l’incident pour s’éclipser discrètement.

- Je lui ai dit la vérité.

- La vérité ? On peut savoir à propos de quoi au juste ?

- Je lui ai dit que ça n’est pas un lifting qui allait lui rendre sa jeunesse. Qu’à cinquante-cinq ans, c’était normal qu’elle n’ait plus l’air d’en avoir vingt, ni même trente ou quarante, et que si elle avait surinvesti sur son physique au détriment de tout le reste, il était grand temps de travailler un peu sur ce qu’elle pourrait mettre en avant en dehors de sa beauté, ou de ce qu’il en reste. Je lui ai dit que la beauté ça ne durait qu’un temps, et qu’après pour peu qu’on ait développé des capacités intellectuelles normales, on était capable d’offrir autre chose, et aussi qu’à s’accrocher à des vestiges de ce qu’elle avait été, elle risquait de passer à côté de ce qui comptait vraiment. Voilà ce que je lui ai dit.

- C’est tout ?

- Non, j’ai rajouté que si son mari soignait sa crise de la cinquantaine avec des minettes, ça n’était sûrement pas en se faisant retendre la peau du visage qu’elle le garderait. Et en y réfléchissant, mais ça je ne le lui ai pas dit, on peut se demander s’il est réellement raisonnable de se donner autant de mal pour garder un type pareil, non ?


Trois plis verticaux viennent barrer le front d’Henri, témoignant de sa profonde contrariété.


- Bon, Jean-Luc, je crois que tu fais une dépression, là.

Tu sais, quand Éliane a eu son petit coup de mou l’année dernière, elle a été suivie pendant quelque temps par un excellent thérapeute. Si je lui dis que c’est urgent, je suis certain qu’il s’arrangera pour te recevoir très rapidement. Tu sais, ça peut arriver à n’importe qui, vraiment n’importe qui, et tu as beaucoup travaillé ces derniers mois, mais là il faut vraiment te reprendre ou tu vas finir par réussir à couler le cabinet.


Je n’ai aucun besoin d’un psychiatre, j’ai seulement envie d’avoir une bonne raison de me lever le matin. Je veux parler d’autre chose que d’ajouter des zéros sur mon compte en banque. Brigitte et moi ne dépensons pas le tiers de ce que nous gagnons, et faire de bons placements n’épanouit que notre banquier. Il est peut-être temps pour moi de passer à autre chose, quitte à gagner moins d’argent.


À la clinique, un confrère spécialisé en chirurgie réparatrice vient de nous rejoindre. Il fait des greffes de peau sur des grands brûlés. La semaine dernière, il a accepté que je l’assiste lors de la troisième intervention réalisée sur une de ses patientes. À l’issue de l’opération, il m’a montré des photos, et les comptes rendus opératoires des deux interventions précédentes. Il a fait sur le visage de cette femme un travail magnifique, et il est d’accord pour que je continue à l’assister pour les autres greffes programmées sur cette patiente dans les mois qui viennent.

Ce soir-là, je suis rentré chez moi complètement surexcité. J’ai raconté à Brigitte ce que je venais de voir, et à quel point ça m’avait ouvert des horizons.

Au dîner, j’étais si survolté que j’ai été incapable d’avaler quoi que ce soit. Même Brigitte a fini par repousser son assiette au profit des photos que je déposais sur la table pour étayer mon exposé.


C’est important pour moi qu’elle me soutienne, parce que changer d’orientation professionnelle, ça signifie beaucoup de travail à ramener à la maison, et moins d’argent, au moins dans les premiers temps. Elle me rassure sur ce dernier point : les enfants ont terminé leurs études, l’appartement est payé depuis longtemps, si j’ai envie d’avoir de vrais malades, même moins fortunés que mes patients habituels, ça sera avec sa bénédiction.

Henri et mes autres associés se sont davantage polarisés sur le manque à gagner occasionné par ma demande de travail à temps partiel dans un premier temps, et à plus long terme sur le profil de mes futurs patients.

Pour acquérir les compétences nécessaires à ma nouvelle vocation, j’ai besoin de participer à de nombreuses opérations en tant qu’assistant, et de beaucoup travailler la théorie aussi, et pour tout ça il va me falloir du temps. Il s’agit là de problèmes d’organisation temporaires, rapidement balayés au profit d’inquiétudes plus légitimes de leur part.

Ils se demandent clairement comment faire cohabiter dans notre salle d’attente meublée d’antiquités coûteuses de grandes bourgeoises à fort pouvoir d’achat, et mes accidentés de la vie (d’ailleurs pas obligatoirement très argentés pour couronner le tout).


J’ai tenu bon, et ils ont fini par me laisser faire ce que je voulais, du moins pour le moment. Ils attendent tous clairement que je retombe dans le giron de mes patientes fortunées, une fois que j’aurai fait mes comptes.

Pour sa part, Henri est toujours persuadé que je traverse une crise passagère, et que je vais revenir à la raison un jour ou l’autre. Mais comme il est mon ami, il a décidé de faire preuve de sagesse en me laissant aller au bout de mon caprice.


Quant à Brigitte, son soutien m’est acquis, sauf aux heures des repas, parce qu’il semblerait que mes comptes rendus opératoires aient une mauvaise influence sur son appétit. Elle a donc pris l’habitude de se replier dans notre chambre avec un livre, dès la fin du repas, me permettant ainsi de travailler tranquillement quelques heures chaque soir.


J’essaie de me rendre le plus disponible possible le week-end, afin qu’elle ne se sente pas trop seule. L’apprentissage de mon nouveau métier tombe d’autant plus mal qu’Isabelle, son amie d’enfance, et probablement la seule amie que je lui connaisse, vient de partir vivre à Genève, la laissant plus désœuvrée qu’elle ne le laisse paraître.

Enfin, je ne suis pas le seul homme à avoir un métier prenant, et si mon engagement est définitif, l’expérience venant, mon temps libre sera bientôt moins compté. De plus, j’ai avec mon épouse une vraie complicité, et je sais pouvoir compter sur sa compréhension autant que sur son soutien.


J’ai l’impression d’avoir rajeuni de vingt ans, et tout ça sans lifting. Rien ne vaut une vraie passion pour rester jeune toute sa vie durant, n’en déplaise à Henri.

Bien entendu la pression est importante, d’autant plus qu’ils sont quelques-uns à m’attendre au tournant, mais une chose est certaine, je ne m’ennuie plus jamais.

Mes journées sont si remplies, et si captivantes, que les semaines et les mois passent comme des jours. J’ai renoué avec l’enthousiasme qui m’animait à l’époque de mes études de médecine.


 
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   Anonyme   
19/10/2009
Bonjour NICOLE
Depuis deux chapitres, je m'ennuie un peu. Mais je poursuis ma lecture parce que ton travail m'intéresse et que je me rends bien compte que reprendre l'histoire du point de vue de JL est un travail ardu. Je n'ai pas grand chose à dire si ce n'est que ça manque un peu de vivacité.

Pas habituel avec ton écriture limpide, j'ai dû relire plusieurs fois cette phrase pour la comprendre : " Ils se demandent clairement comment faire cohabiter dans notre salle d’attente meublée d’antiquités coûteuses de grandes bourgeoises" Lol, me suis demandé si c'était les grandes bourgeoises, les antiquités...
Je note pas, j'attends la suite.

   nico84   
19/10/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Je comprends coquillette Mais malgré tout ce chapitre est intéressant. Luc ne parle que de son travail et de sa vie réussie ou non en fonction de celui ci.

La femme ne passe qu'au second plan en tant que soutien ou pillier de sa vie (mais au second plan). Ce qui fait vibrer Jean Luc ce n'est pas tant l'argent ou l'amour mais bien son univers proffessionnel. Et il en devient aveugle pour le reste. Aveugle et insensible. Pourtant tout se passe devant ses yeux.

A voir. Bravo Nicole.

   jaimme   
19/10/2009
 a aimé ce texte 
Bien
"Quant à Brigitte, son soutien m’est acquis": parce que quelque chose est acquis dans la vie, peut-être?

Oui, c'est vrai, ce passage est moins passionnant, comme Jean-Luc lui-même d'ailleurs! Mais je ne connais aucun livre qui arrive à tenir l'excellence à tous les chapitres. J'attends la suite sereinement.

   Myriam   
19/10/2009
 a aimé ce texte 
Bien
D'accord avec Nico. "Et pourtant, tout se passe devant ses yeux"...

Jean-Luc s'offre aussi le luxe d'un changement de vie, c'est intéressant je trouve. Il révèle davantage son caractère, finalement pas si soumis. Sa seule erreur est de cantonner cela à sa vie professionnelle.

   carbona   
31/8/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Intéressant de découvrir le point de vue de Jean-Luc sur ce "nouveau travail" qui n'avait été que si brièvement évoqué par Brigitte .Se rendait-elle compte à quel point cette nouvelle orientation était importante pour lui ? Jean-Luc qui a l'air tellement persuadé que Brigitte le soutient complètement dans ses démarches.

On voit bien là le fossé qui sépare les deux amants, tant leurs préoccupations sont différentes et leurs émotions si peu partagées.


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