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Réalisme/Historique
d3irdr3 : Babel project - Carnet de bord
 Publié le 24/11/07  -  3 commentaires  -  6645 caractères  -  7 lectures    Autres textes du même auteur

Reportage d'un work-shop donné à Bucarest avec le groupe d'artistes contemporains N3krozoft.ldt en mai 2006.


Babel project - Carnet de bord


Jour 1


Allons ! Construisons des briques et cuisons-les au feu !

Bâtissons nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel !



Pour la première fois, je pars à l’Est !


Après les longues plaines plates de Hongrie, les yeux ouverts par un appel mystérieux, mon âme tranquillement éveillée par la brume matinale, je me trouve dans le train, en Transylvanie montagneuse.


De petites cabanes en bois :

Petites

Identiques

Sans identité

Particulière

Jonchent les collines.

De longs bancs de nuages bas flottent, se dispersent et disparaissent, à mesure que le jour, tranquillement, se lève.


À perte de vue, la végétation enveloppe la mémoire d’une atmosphère macabre.

Le paysage, sorti du rêve d’un pays parfaitement bucolique…


- Mais un pays ne rêve pas et ne réalise pas ses rêves.


Simultanément l’aube disparaît et le train descend à nouveau dans les grandes plaines.

Je me rendors, mal assise, sur le siège tordu de mon compartiment.

Mes deux compagnons de route gigotent un film.


À l’arrivée à Bucarest, la directrice des Beaux-Arts nous attend.

C’est une femme très noiraude et enveloppée non seulement d’un charme typé et de belles rondeurs mais aussi d’un stress tout maternel.

Elle nous avertit des dangers d’arnaque possible et nous embrasse de tous ses conseils.

Première légende urbaine, il paraît que des groupes de bandits, appelés « Maradona », déguisés en policiers, somment les touristes de leur montrer leurs papiers, et les volent très rapidement.


Logés, nous partons en quête de nos premiers flyers traversant les rues de la cité de Ceausescu.

Les immeubles imposants et hétéroclites rappellent les incessantes révolutions.

Les régimes ont tourné laissant leur impact sur l’architecture.

Un touriste américain, qui semble anachronique, documente absolument tout.

Pourrions-nous espérer mieux comme terrain de jeu pour nos aventures ?



Jour 2


J’ai tiré une idée optimiste follement amoureuse qui veut rire.


Sur la terrasse des artistes en face de notre chambre d’étudiant, il y a une mauvaise radio qui passe de la musique turque.

Quand les gens passent devant, ils dansent un petit peu.


Une fenêtre s’affaisse sous le poids du coude de la femme qui y campe.

La cigarette se fume par un enfant de six ans.

Paillettes, décolletés et mini tissus enserrent trop le corps des jeunes femmes.

Le regard chaud et noir devant l’univers.

La peau marquée par une mosaïque de cicatrices colorées.


Cartes psychologiques de ma géographique dérive.

La collaboration s’avère prometteuse.



Jour 3


Jour de conférence où l’équipe s’invente communicative.

Comme un arc bande sa corde, toute la journée, une tension sourde s’est installée dans nos âmes, en même temps que notre matériel a pris sa place dans le « Test point ».

Notre démarche s’expose en multimédia.

À première vue, les gens n’ont rien compris à notre conférence, mais ils finissent par s’ouvrir.

Nous embrassons la route où tout se trouve.



Jour 4


Les rencontres commencent.

Les formes d'optimisme varient, autant que les formes.

Je me demande ce qui va se passer, ou plutôt se dégager de ce melting-pot.

Le terrain est fertile, mais le paysan un peu mou.

« Jouer est le plus important » n’est pas une phrase très prisée dans ce post-communisme.

Les liens pourtant, se tissent.



Jour 5


Les rumeurs et les histoires fusent aujourd’hui,

Chacun y va de sa vision.

La mienne se trouble souvent.

On revisite l’histoire.

La mienne se brouille souvent.

Quelque chose me dit que j’aimerais bien voir deux yeux noirs plus souvent.

Ils sont derrière le bar, souriants.



Jour 6


La vodka est bonne ici.

Elle fait passer les mots difficiles.

Le régime est anarchique, les bananes perdues.

Rien ne fonctionne.

Tout s’achète.

Les jolies filles sont employées par les douanes.

Pourquoi se battre malgré tout ?

Notre psycho-géographie étudie l’espace.

L’espace pour rire n’est pas suffisant.

L’espace pour penser, se mérite durement.

L’espace pour s’exprimer, on ne se l’accorde pas encore.



Jour 7


Jour de performance.

Préparatifs laborieux durant toute la nuit.

Les acteurs disparaissent à la dernière minute.

Ou il en arrive d’autres, in extremis.

Ériger une tour de Babel demande des sacrifices.

Nous voulons atteindre le paradis.

Nous voulons parler la même langue.

Nous n’y arrivons pas

Nous y arrivons

Nous n’y arrivons pas

Nous y arrivons

Nous n’y arrivons pas

Nous y arrivons

Nous n’y arrivons pas

Nous y arrivons

Voyager dans des paysages mentaux.

Se perdre dans une ville inconnue.

Reconnaître ce que les livres d’histoire disaient :

La dictature, la Securitate, le communisme, il est interdit,

On dit, il paraît, elle court la rumeur,

J’ai entendu dire que le dictateur avait un corps difforme.

Une trop grosse tête par rapport.

Un trop gros palais par rapport.

Des milliers de gens sont morts pour le construire.

Ceausescu aujourd’hui est remplacé par le porte-monnaie.

Des Dacias chromées glissent dans les rues fleuries d’enfants gitans.

Au marché, les corps des gens suintent comme des tubercules de concombre.

L’âge des soins est loin. Le corps rompu.


Le public est sage, poli, compliqué, un peu trop lourd.

Parlons de la lourdeur :

J’ai pris du poids.

Rien n’est léger ici ; un drame.

Un mélodrame.


J’ai vu des vieux encadrés par une barrière bleue et quatre policiers. Des vieux inoffensifs et peu nombreux entourés d’une grosse barrière bleue. Ils manifestaient.

Ils criaient dans un vieux mégaphone pourri des sons incompréhensibles.

Ils criaient pour personne, les voitures passaient devant, mais il n’y avait pas de piétons,

pas de public,

pas d’oreilles.

Pas d’écoute, ils manifestaient là, les vieux, habillés en gris.

Parqués dans l’impuissance.


Et nous, nos images brouillées, nos histoires troubles, notre présence de l’Ouest, leur parle-t-elle ? Comment dire l’indicible ?

Chacun son moyen de manifestation, j’imagine. Je suis blessée. Fière de ma blessure. Mon univers est marqué. Écoutez !



Jour 8


Et Dieu a dit : « Dispersez-vous sur la face de toute la Terre »

Retour en train,

Hongrie vaste empire.

« Et ils se dispersèrent. »

Tourner la page, écrire, se rendre compte.

« Et confondons leur langage »

Easyjet-set : retour à Genève.

« Et ils cessèrent de bâtir la ville. »

Retrouver la légèreté.

« Et ils n’entendirent plus la langue les uns des autres »

Humblement blessés.

Écoutez.


 
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   Anonyme   
30/11/2007
 a aimé ce texte 
Bien ↓
On est dans la nouvelle on est un peu dans le poème. Un truc que je n'ai pas compris: un pays ne rêve pas et ne réalise pas ses rêves. Une expression que je ne connaissais pas "gigoter un film". Il faut que je mette à jour mon Larousse

   Bidis   
3/4/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
- « De petites cabanes en bois :
Petites
Identiques
Sans identité
Particulière »
Je n’ai pas trouvé, moi, que les cabanes transylvaines étaient toutes semblables et dépourvues d’identité, pas du tout, du tout…
- « Le paysage, sorti du rêve d’un pays parfaitement bucolique » : comme c’est joliment dit !
- « J’ai tiré une idée optimiste follement amoureuse qui veut rire », « Cartes psychologiques de ma géographique dérive », « Notre psycho-géographie étudie l’espace » etc, etc… : c’est de l’écriture comme j’aime, poétique, surréaliste, spéciale
- « Sur la terrasse des artistes en face de notre chambre d’étudiant, il y a une mauvaise radio… » : j’ai envie d’arracher cet « il y a » comme une mauvaise herbe dans un fort beau jardin.
- « Une fenêtre s’affaisse sous le poids du coude de la femme qui y campe » : Houllà ! Faut pas exagérer : les Roumains sont spéciaux mais tout de même, ils construisent des maisons normalement solides…
- « Le régime est anarchique, les bananes perdues.
Rien ne fonctionne.
Tout s’achète »
Et
« L’espace pour rire n’est pas suffisant.
L’espace pour penser, se mérite durement.
L’espace pour s’exprimer, on ne se l’accorde pas encore »

c’est une façon forte et juste de dire un pays post-communiste…
- « Le terrain est fertile, mais le paysan un peu mou » : heu… ? Ce serait plus élégant et plus juste de dire « épuisé » (épuisé par ces longues années de communisme, par tout ce travail accumulé, sans aucune trêve, aucune récompense, aucun confort de vie, avec seulement un peu d’humour et beaucoup de fatalisme…)
Mais ce détail n’a pas le temps de me choquer. Voici un grand jour 7 que j’aurais voulu pouvoir écrire et qui me fait honte de ma nouvelle parlant de la même ville.
- « Tourner la page, écrire, se rendre compte » : ce serait mieux d'enlever le "se", de dire : « rendre compte » d’autant que ceci est, à mon avis, un très beau et très fort compte-rendu

   solidane   
1/7/2009
Une étonnante série de cartes postales. Vécu décousu, instantanés. J'aime la forme et saurais peu dire du fond. Je resterai donc neutre sur une évaluation que je ne "maîtrise pas".


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