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Sentimental/Romanesque
Donaldo75 : Michel
 Publié le 14/11/24  -  5 commentaires  -  10091 caractères  -  40 lectures    Autres textes du même auteur

Journal.


Michel


5 janvier


Mon thérapeute m’a conseillé de tenir un journal, pas forcément tous les jours mais quand je ressens le besoin d’expulser les nuages de mon ciel. Pourquoi pas ? J’ai décidé de démarrer avec la nouvelle année. Bonjour, cher journal. J’espère que tu seras un vrai ami parce que dans la vie ce n’est pas facile à trouver et que je n’ai pas encore trouvé chaussure à mon pied.


6 janvier


Je suis revenu participer aux ateliers créatifs inscrits dans ma thérapie. L’animateur n’avait même pas remarqué mon absence. Toujours les mêmes têtes de cons dont un en particulier, le style ingénieur en chef des travaux jamais finis qui aimerait être vu comme un artiste mais complique tout dans ses pauvres analyses à deux balles. Je ne me souviens même pas de son nom à cette blatte ou alors je l’ai zappé tellement il est insignifiant cet abruti. Ah, journal, que c’est bon de te dire tout ça. J’ai commencé un tableau du genre surréaliste à la mode des couleurs dans tous les sens et pas de géométrie. L’autre naze, l’ingénieur en chef de sa propre connerie, s’est mis derrière moi et a commencé une analyse pourrie. Je l’ai arrosé sans le faire exprès que j’ai dit plus tard avec un pot de mélangé. La tronche qu’il a tirée ce nain de jardin !


10 janvier


L’ingénieur en chef de sa propre médiocrité ne ramène plus sa fraise avec ses longues phrases et ses arguments alambiqués. Il peint sans un mot. L’animateur essaie tant bien que mal de le faire participer aux travaux de groupe. C’est son chouchou, je le savais depuis le début. D’ailleurs, il m’en veut depuis la fois où j’ai fait tomber son chevalet, à l’ingénieur en chef des croûtes inachevées. Je vois bien le regard noir de ce crapaud quand il me fixe. Je l’emmerde lui aussi. Je suis fort, il est faible, je lui chie dans l’œil. Je sais que tu me comprends mon ami.


23 janvier


Des cons ! Le directeur du centre est venu en personne me dire que je ne peux plus participer aux ateliers créatifs. Cette balance va même appeler mon thérapeute. Tout ça parce que l’ingénieur en chef des phrases longues de dix mètres a traversé la rue sans regarder le feu vert et s’est mangé un bus. Il est pas mort, non, juste éclaté ? Et c’est de ma faute s’il est distrait d’après ces incapables. Qu’est-ce qu’ils croient ? On est des fous même si personne ne le dit comme ça, alors pourquoi s’étonner ? Et puis c’est darwinien, les faibles terminent sous les roues d’un bus dans une rue de banlieue. C.Q.F.D. Je suis sûr que tu me suis, mon ami.


7 février


Il neige. Je regarde la télé en boucle. Les chaînes d’information continue élaborent des scénarios sur la guerre en Ukraine. L’une dit que l’autre nabot qui se prend pour le tsar va nous envoyer des bombes hypersoniques sur le coin de la gueule et qu’on l’a bien mérité parce qu’on aurait pas dû aider les bandits de Kiev. Dans le texte, ce connard l’a dit comme ça. Je crois. L’autre parle de la guerre de quarante, de Stalingrad et je ne sais plus de quelle autre merde du genre qu’on a tous oubliée. Je l’ai dessinée, son apocalypse à la con, sur le mur de mon salon comme ça mon propriétaire gardera une trace de mon époque à travers mon génie de dessoudeur d’ingénieurs en chef de leur putain d’expertise pleine de mots verbeux.


10 mars


Mon thérapeute n’arrête pas de me faire appeler par son assistante, la bonne bourgeoise appliquée, qui tape ses courriels à longueur de journée derrière ses petites lunettes de comptable. Elle a une voix de crécelle, du genre la vieille de l’épicerie du coin de la rue. Qu’est-ce que j’en ai à foutre que les services sociaux se pointent chez moi. De toute façon, j’ai repeint les murs, changé les serrures, muré la boîte aux lettres et chié dans la poubelle du voisin, le petit gros rouquin qui passe du Michel Sardou en boucle. Ils ne comprennent pas l’enjeu de notre civilisation, avec le monde qui touche à sa fin, les Russes à nos frontières, les Chinois en embuscade, Jordan et son sourire préfabriqué.


16 avril


Ils ont essayé, les fourbes ! Je le sais, j’ai entendu leurs tentatives de forcer ma porte. J’ai aussi entendu mon propriétaire grogner comme un vieux cabot décati. J’ai entendu les voisins cracher leurs théories. Je suis fou ? Et vous, bandes de nains de jardin ? Vous êtes pires. Toi, mon ami, tu le sais, tu me comprends, tu ne retiens pas mon bras quand je sculpte le lavabo au marteau ou quand je grave au cutter la tapisserie de la chambre. Mon appartement est devenu une œuvre d’art à part entière. J’en suis fier même si ça ne sent pas très bon. Je vais me casser d’ici peu.


15 juin


Je ne savais pas que mes pilules valaient autant dans la rue. Et le squat est cool, pas trop sale. Les gars ne me jugent pas, ne glosent pas comme cette mouche à merde d’ingénieur en chef de sa propre analyse qui s’est mangé un bus tellement il est con. Les junkies tentent de survivre en bouffant des queues pour acheter leur came et quand ils ne peuvent plus ils sniffent du dissolvant ou je ne sais quelle chierie industrielle. Les putes amènent leurs clients prolétaires dans les chambres du fond, les seules un peu plus meublées que les autres et qui sont déclarées zones interdites pour les squatters de base comme moi. Il y a des règles, même ici où la loi de la jungle semblait régner. Si tu savais, mon ami, comme je me sens chez moi.


31 juillet


Un chevelu hirsute m’a affranchi. La fin du monde arrive à nos portes. Le président a dissous l’Assemblée nationale, les fascistes vont prendre le pouvoir et les Russes vont envahir la Suisse. Qu’est-ce que j’en ai à foutre que je lui ai dit à ce putain d’arraché du bulbe. Tu le crois, ça, mon ami ? Il y a encore des mecs qui rêvent en l’ordre organisé, en des règles écrites sur des feuilles tamponnées « République française » et le pire dans tout ça c’est que ces raclures de bidet habitent jusque dans mon squat. Je me suis retenu de lui coller un coup de front mais ici il vaut mieux éviter parce que ça part vite en sucette vu le nombre de malfaisants au mètre carré.


9 septembre


Les bleus sont venus faire les cakes. Ils ont embarqué tous les faibles du casque, surtout ceux incapables de détaler dans les temps, probablement des fins de saillies d’ingénieurs en chef. Tu me connais, mon ami, on ne me la fait pas à moi, j’ai su comment passer à travers les gouttes, préserver mon capital et trouver refuge loin de tout ce merdier. C’est fini le squat désormais.


12 octobre


Le sais-tu, mon ami ? Ce jour-là Christophe Colomb découvrait l’Amérique. J’imagine si ça lui arrivait maintenant. Il hallucinerait le pauvre, avec tous ces mous du bulbe avec leurs slogans gravés sur des casquettes et leurs petits drapeaux étoilés. C’est ce que je dis à la vieille peau chez qui j’habite, une mémé catholique qui a connu ma mère quand elle était bébé et qui veut me sauver au nom de Jésus-Christ et de sa bande de potes. Elle a plein de médicaments que je peux vendre dans la rue sans me faire choper par les condés. Elle me regarde de ses yeux tout mouillés et m’appelle Michel parce qu’elle est barrée de chez la vieille et croit que je suis la réincarnation de son petit-fils parti se manger une balle à la guerre quelque part dans une plaine ensablée à courir derrière des enturbannés maléfiques.


5 novembre


À la boulangerie, au tabac, à l’épicerie ils ne parlent que de ça, de cette élection américaine où va se décider la suite du monde. Tu le crois ça, mon ami ? Et Christophe Colomb il doit bien se retourner dans sa tombe, je te le dis. Je préférais quand la télévision ne parlait que des Russes, de leur tsar de papier, de leur bombe atomique et des hordes tchétchènes déchaînées contre nous et notre vie facile. C’était plus marrant, dans le genre vintage de la guerre froide. Mémé regarde en boucle des émissions sur les animaux en voie de disparition. C’est sa nouvelle marotte. Elle me dit que nous sommes les prochains sur la liste, que Jésus-Christ lui-même n’a pas su nous protéger et qu’il est finalement parti dans une autre galaxie faire des bébés avec Marie Madeleine. Elle tangue de la cafetière, la vieille mais j’aime bien sa version de la fin de mes emmerdements. Quitte à changer de galaxie, suivre le barbu et ses potes de comptoir, je choisirais celle du sombrero, elle me fait trop penser à Pancho Villa.


Quand ?


Il y avait une paye que je ne t’avais parlé mon ami. Mémé nous a quittés un soir entre deux petits gâteaux dans sa tasse de tisane. Je l’aimais bien. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce qu’elle ne me jugeait pas et qu’elle était quelque part dans son for intérieur un peu dégoupillée du casque. Je l’ai habillée avec ses plus belles nippes. Je l’ai enterrée au fond de son minuscule jardin. J’ai nettoyé son intérieur, rangé ses souvenirs dans des boîtes puis je me suis demandé pourquoi tout ça, cet ordre, le début et la fin, les jeunes et les vieux, Mémé et Christophe Colomb, les ingénieurs en chef venus me les briser avant de se fracasser le crâne contre une caisse à roulettes. Je ne sais pas si les Russes ont débarqué à Paname et je m’en fous parce qu’ils peuvent désormais chier des faucilles et des marteaux où ils veulent cela ne changera pas la face du monde. Je pense encore à Mémé, à son petit monde fermé dont elle ne sortait jamais depuis qu’elle m’avait désigné son nouveau « Michel » idéalisé dans un esprit cadenassé par des décennies de routine et de souvenirs délabrés. Était-ce Mémé la vraie folle et non moi malgré toutes les affirmations des juges, des thérapeutes à grosses lunettes, des gras animateurs défenseurs de la veuve et de l’orphelin, des bleus devenus vert-de-gris, des voisins à la langue trop bien pendue et à l’imagination débordante de merde, des propriétaires incapables de voir la beauté de l’art dans leurs murs arrosés de peinture acrylique ? Telle est la question. Je ne suis pas Hamlet ni quelque personnage que ce soit d’un théâtre shakespearien planté en banlieue parisienne. Je suis juste ton ami, cher journal, et je vais aller de l’avant, malgré les Russes, les ingénieurs en chef et la merde dans leurs têtes.


 
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   jeanphi   
14/11/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime beaucoup
Bonjour Donaldo,

Quelque chose de bien dérangeant et de controversé. Autant le traitement m'a dérangé, très vulgaire et en langage parlé, autant cela se trouve être des plus appropriés pour évoquer une telle situation.
La déchéance sociale qui amène des générations toujours plus déviantes, la raison vacillante des sujets porteurs de pathologies mentales, leur incapacité à se situer vis à vis de leur paires, de leur propre maladie, de l'actualité.
Une problématique pas très gaie, qui endosse selon moi ici une forme peu aguicheuse. La poésie s'imprègne progressivement de votre histoire, mais cela arrive un poil trop tard et trop progressivement à mon goût, de telle sorte que l'apothéose de l'ultime paragraphe m'a pris de court plutôt que de m'émouvoir d'une manière ou d'une autre.
Ma principale observation serait de faire remarquer que les sujets les plus austères peuvent être emballés dans un joli papier brillant. Je suis convaincu de ne rien vous apprendre...

   Provencao   
15/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Donaldo75

Un texte fort qui ne laisse pas indifférent.

J'y ai lu un point essentiel me semble-t-il, qui est de l'ordre de l'ascèse, de la mortification.

La question qui me vient après plusieurs lectures est cette question de vérité et de dates indiquées sont-elles différentes?

La vérité sur Michel est autant une création qu'une découverte sur des troubles apparentés.

J'ai aimé cette révélation.
Je ne sais pas du tout si je suis dans la justesse de votre écrit, mai l'intérêt de la lecture y était.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Vincente   
16/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Choisir la simplicité et la véracité de l'épanchement du journal intime, une difficile manière de faire littérature. Trop direct, trop factuel, et le risque d'un simplisme rédactionnel affadirait le propos, la description manquerait de recul, ou de surplomb. Celui-ci a su trouver la bonne mesure puisqu'il semble écrit d'un jet, mais ne manque pas de colorations personnelles par laquelle le narrateur dit beaucoup de lui-même, et malgré tout apparaissent en filigrane des "informations" permettant au lecteur de construire au-delà du récit une histoire de ce bonhomme, son univers de travail, son mode de pensée, une bonne part de ce qui a pu s'agréger en lui pour qu'il devienne ce personnage outrancier, débordant de rage, paranoïaque, décliniste, dépassé par ce que le monde d'aujourd'hui offre à ceux qui n'ont pas réussi à prendre son train en marche…

Le final clame avec un certain brio une sorte d'innocence non exempte paradoxalement d'une sorte de lucidité qui, malgré tout, infusait dans le récit, comme si l'outrance langagière de ce "Michel" en perdition ne parvenait pas à dissimuler le malaise profond qui l'habitait.
Pas facile à faire tenir tout ça ensemble, mais c'est à mon sens très réussi ici.

   Dameer   
16/11/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Hello Donaldo75,

Journal d’un fou rempli d’expressions imagées aux truculents relents Céliniens.

Ce Michel a beaucoup d’ennemis, tout le monde en réalité, mais en particulier l’ingénieur en chef qu’il a pris en grippe, qu’il abreuve de tous les noms : blatte, abruti, nain de jardin, mouche à merde, et autres gracieusetés.

La seule qui échappe aux insultes, c’est Mémé, la vieille "dégoupillée du casque" qui le confond avec Michel, son fils parti "courir derrière des enturbannés maléfiques."

Elle finit par mourir et il l’enterre dans son jardin, chose strictement interdite en France, mais il n’en est plus à une aberration près.
Sa supposée "folie", lui permet, comme au bouffon du roi d’antan, de s’affranchir de toute retenue pour parler politique : "Ils ne comprennent pas l’enjeu de notre civilisation, avec le monde qui touche à sa fin, les Russes à nos frontières, les Chinois en embuscade, Jordan et son sourire préfabriqué."

Pour ses outrances verbales, sa démesure qui dissimule une souffrance (le type est en thérapie), sa relation d’une descente aux enfers progressive (voyage au bout de la nuit ?), ce journal m’a beaucoup plu.

   Cleamolettre   
23/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonsoir,

Le journal où "expulser les nuages du ciel" est bien rempli, de jugements, de haine, de considérations sur l'actualité, sur la folie du monde, probablement la vraie. Et au fil des pensées qui déraillent, on sent le crescendo de la colère, de la déchéance, de la souffrance du narrateur. Toujours à cause des autres.

J'ai beaucoup aimé, justement parce qu'au lieu de pointer du doigt un être différent, le texte montre que pour lui ce sont les autres qui sont fous et parfois incompréhensibles. Le journal permet de libérer sa parole et d'entrer dans sa tête, et finalement, on y découvre des peurs ou des réflexions qu'on peut partager. Une esquisse, en filigrane, de ce qui ne tourne pas rond, partout, et pas que dans la tête du Michel.

Le journal d'un fou pour pointer la folie du monde, c'est une belle idée, bien réalisée. Merci.


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