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Policier/Noir/Thriller
Erick : Gare aux loups !
 Publié le 21/06/08  -  11 commentaires  -  19667 caractères  -  36 lectures    Autres textes du même auteur

Il y a des gens qui disent que dans les forêts il n’y a pas de loups. Ce sont des menteurs. Ou des loups, justement. Qui se sont déguisés, et qui sont sortis de la forêt pour venir à la ville...


Gare aux loups !


Il y a des gens qui disent que dans les forêts il n’y a pas de loups. Ce sont des menteurs. Ou des loups, justement. Qui se sont déguisés, et qui sont sortis de la forêt pour venir à la ville. Du coup c’est peut-être vrai qu’il n’y a plus de loups dans les forêts, mais c’est parce que les loups, ils sont chez nous. Et si on les écoute et qu’on va dans la forêt, ils y retourneront vite fait pour nous attendre et nous dévorer. Les loups ne mangent pas les enfants dans les villes devant tout le monde. Ils n’ont pas à avoir peur des chasseurs, mais il y a les policiers. Ils ont des fusils, eux aussi. Je les vois quand ils tournent autour de la cité le week-end. Et devoir faire attention tout le temps pendant qu’ils mangent, ça leur coupe l’appétit, aux loups.


À l’école la maîtresse nous a expliqué que dans une forêt il y a plein d’arbres. Moi j’ai sept ans et je n’y suis jamais allé, à la forêt. Parce que mes jambes ne marchent pas. Maman dit qu’avec mon fauteuil roulant ça ne serait pas facile de s’y promener. Elle préfère qu’on aille dans des parcs en ville. En tout cas à la cité du Bourg-Joli je crois qu’on ne peut pas dire qu’il y a une forêt. Parce qu’il n’y a qu’un seul arbre. Celui où habitent les pigeons. Maman dit que c’est un érable. Et moi je dis que c’est l’arbre du loup. Parce que moi, le loup, eh bien je l’ai vu. Par la fenêtre de ma chambre. On habite juste au-dessus du square, au troisième étage, et la première chose que je vois le matin en ouvrant mes volets, c’est l’arbre justement. Celui autour duquel le loup a commencé à rôder.


Bien sûr la première fois que je l’ai vu je n’ai pas tout de suite deviné que c’était un loup. Il faut dire qu’il était drôlement bien déguisé. Il portait un costume comme Papa le dimanche quand on prend la voiture pour aller chez Grand-Mère dans le jardin de sa petite maison de la cité ouvrière. Il faut toujours qu’on soit tous les trois bien habillés. Pourtant Grand-Mère, elle, elle porte toujours la même drôle de blouse bleue avec des fleurs jaunes. Mais Papa il dit que ce n’est pas grave, parce que l’important ce n’est pas à quoi on ressemble mais la taille de son cœur. Et Maman elle dit que le cœur de Grand-Mère il est aussi grand que ses tartes aux myrtilles. Et moi je dis que tant qu’elle fera des tartes aux myrtilles elle pourra toujours s’habiller comme elle veut, mon cœur à moi il s’en moque bien, de la couleur de sa blouse.


En tout cas le loup, lui, je suis sûr que ce n’était pas pour aller chez sa Grand-Mère qu’il était habillé comme ça. Parce que de toute façon, ce n’était pas le dimanche qu’il venait au Bourg-Joli. C’était le mercredi. Il croyait sûrement être discret, avec son déguisement. Mais moi j’ai vite compris qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Les loups ne sont pas doués pour passer inaperçus, ils n’ont pas la ruse du renard. D’abord au Bourg-Joli, si on ne veut pas se faire remarquer, on ne s’habille pas en costume au milieu de la semaine. Et on ne passe pas des heures tous les mercredis les mains dans les poches, à tourner autour d’un arbre en regardant les enfants jouer sur les balançoires. Mais les grandes personnes n’avaient pas l’air d’y faire attention. Moi je pense qu’à force de répéter aux enfants que les loups n’existent pas, elles ont fini par y croire elles-mêmes. Du coup, même quand elles en ont un devant leur nez elles passent devant sans le voir. Des fois même elles lui disent bonjour en passant.


Même Marcel, le gardien, a fini par s’y habituer. Mais le loup, lui, il n’aimait pas trop quand Marcel s’approchait de lui. Il s’écartait toujours un peu pendant le ramassage des feuilles mortes au pied de l’arbre. Évidemment. Il n’avait pas envie que le gardien le voie de trop près. Un jour le loup a parlé à Cathy, et là j’ai eu très très peur.


Cathy, c’est celle que Papa et maman appellent « la fille des voisins ». Elle est dans mon école, mais elle n’est pas dans ma classe. C’est dommage, parce que je crois que je suis un peu amoureux d’elle. Elle est tellement jolie, avec ses yeux bleus et ses grands cheveux noirs. Des fois le soir, quand je suis seul dans mon lit, je m’invente des histoires avec elle. Elle est la fille d’un roi, et il y a un horrible dragon qui attaque le château de son père pour l’enlever. Alors moi j’arrive sur mon cheval, et avec mon épée je tue le dragon. Et son père il est tellement content qu’il nous achète un château juste pour Cathy et pour moi, et on mange plein de pop-corn en regardant des DVD. C’est bien, les histoires. On a le droit d’être qui on veut. Aussi fort qu’on veut. Moi dans mes histoires je peux même courir, si je veux. Et puis s’il y a quelque chose qui me fait peur, je peux le faire disparaître, ou bien décider que d’abord je serai toujours le plus fort et que les méchants ils se sauveront ou je les tuerai.


Mais là, quand j’ai vu le loup parler à Cathy dans le square, j’ai eu beau fermer les yeux très fort et dire « Disparais, loup, disparais », quand j’ai rouvert les paupières il était toujours là. Heureusement Cathy, elle, elle n’était plus à côté de lui et je l’ai vue rentrer dans la cage d’escalier. Alors je suis vite sorti sur le palier, et quand elle est arrivée au troisième je lui ai demandé ce que le loup lui voulait. Bien sûr je ne lui ai pas parlé de loup, je ne voulais pas lui faire peur. Elle m’a dit que c’était juste un gentil monsieur qui voulait savoir où était la loge du gardien, et qu’il lui avait demandé son nom et donné un bonbon. Je me suis demandé comment je pouvais lui dire de faire attention sans l’affoler, mais je n’avais pas d’idée. Alors je lui ai juste dit qu’il ne fallait pas accepter des bonbons d’une grande personne qu’on ne connaît pas, et que son Papa et sa Maman ne seraient pas d’accord et qu’elle se ferait gronder si ils l’apprenaient. Là, Cathy elle a eu un peu peur. Pas du loup. De moi. Que j’aille raconter à ses parents que le loup lui avait donné un bonbon. Elle m’a fait promettre de ne rien dire, et moi je lui ai dit « D’accord, mais si tu me promets, toi, de ne pas recommencer ». Et comme elle a promis j’étais un peu rassuré.


Mais le mercredi d’après le loup est revenu. Il restait là comme d’habitude au pied de son arbre, à renifler l’air pour sentir la chair fraîche. Il avait juste l’air plus nerveux que les autres fois. Il devait avoir très faim. Il regardait partout autour de lui, comme si il attendait quelqu’un. Et puis Cathy est sortie du bâtiment, et il n’a plus regardé qu’elle. Il n’a pas essayé de lui parler, mais il l’a suivie des yeux jusqu’au square. Cette fois-ci je n’avais plus de doute. C’était elle qu’il voulait manger. Heureusement qu’elle avait tenu la promesse qu’elle m’avait faite. Elle avait même fait un grand détour pour éviter l’arbre en sortant.


Mais le loup avait plus d’un tour dans son sac. Il a sorti du pain de sa poche, et il a en jeté par terre pour faire venir les pigeons. Et ça, Cathy, elle ne pouvait pas y résister. Elle est comme tous les enfants qui tiennent sur leurs jambes. Dès qu’elle voit un pigeon il faut qu’elle coure après pour le faire s’envoler. Alors quand elle a remarqué qu’ils avaient tous quitté leurs branches pour se poser par terre, elle a complètement oublié mon avertissement. Elle est descendue de sa balançoire et elle s’est mise à courir. Droit vers le loup. Je me suis dit « Ça y est, il va sortir un grand sac, et il va la mettre dedans, et il va l’emmener très loin au fond de la forêt, et on ne la reverra jamais ». Mais il a juste tendu un morceau de pain à Cathy, et ils se sont mis à nourrir les pigeons tous les deux, en riant.


J’étais très fâché après Cathy. Quand elle est remontée je l’ai encore attendue sur le palier. Et cette fois-ci je lui ai dit que c’était très dangereux, ce qu’elle faisait. Et que si il lui arrivait des malheurs il ne faudrait pas pleurer. Que ça serait de sa faute. Mais elle a juste rigolé, elle m’a dit que j’étais vraiment trop bête et que le monsieur, lui, il était drôlement gentil. Et elle a dit aussi qu’elle était sûre que j’étais jaloux parce que moi je ne pouvais pas descendre nourrir les pigeons avec lui.


N’importe quoi. Si je veux moi aussi je peux descendre. Il suffit que je prenne l’ascenseur. Seulement moi le mercredi je préfère rester dans ma chambre, parce que Maman travaille et je ne peux pas grimper tout seul sur les balançoires. Alors j’avance mon fauteuil à la fenêtre et je regarde les autres enfants. Et ça me fait un peu comme si c’était moi qui étais sur la balançoire à leur place. Quand je les vois s’amuser et rigoler, ça m’amuse et ça me donne le sourire aussi.


Mais ce mercredi-là je n’avais pas le sourire. Elle m’avait énervé, Cathy, à dire que j’étais jaloux. Elle aurait mérité que je ne m’inquiète plus pour elle, et que je laisse le loup s’occuper d’elle. Mais je crois que je l’aime trop pour ça. Alors j’ai réfléchi à ce que je pourrais bien faire pour la sauver des crocs du monstre. Si j’avais été dans une de mes histoires ça aurait été facile. Mais dans la vraie vie, je ne pouvais pas sauter par la fenêtre pour aller ouvrir le ventre du loup à grands coups d’épée, ou le repousser avec une torche jusqu’à sa tanière au fond des bois. Bien sûr je pouvais en parler à Papa et Maman. Mais je savais bien ce qu’ils diraient. Que j’avais trop d’imagination. Que les loups ça n’existe que dans les histoires pour faire peur aux petits enfants.


Alors j’ai décidé d’en parler à Grand-Mère. Grand-Mère elle n’est pas comme Papa et Maman. Elle, elle sait écouter quand je lui parle. Elle ne me dit pas de lâcher un peu mes livres et d’aller plutôt faire mes devoirs pour pouvoir regarder les informations tranquille. Même si je lui parle de fées, d’ogres ou de dragons qui lancent des flammes, elle écoute. Avec un air sérieux. Et des fois même c’est elle qui me raconte des choses. Mais elle ne dit pas, comme mes parents, que ce ne sont que des histoires. Chez elle tout le monde a le droit d’exister. Les loups et les lutins, les sirènes et les magiciens. Elle a même une souris en peluche, qui s’appelle Grisette, et certains dimanches elle la prend sur ses genoux et elle fait comme si c’était Grisette qui me racontait les aventures qui lui arrivent. C’est une souris très intelligente. Elle s’est sortie des griffes du chat au moins un million de fois. Je me dis souvent que les grands-mères comme Grand-Mère, c’est un peu comme les enfants. Ça a oublié que ça ne croyait plus à rien. C’est peut-être parce que les grandes personnes, quand elles deviennent vieilles, elles se tassent. Du coup elles redeviennent un peu plus petites. C’est sûrement ça qui doit les aider à mieux nous comprendre.


Le dimanche suivant, après la tarte aux myrtilles, j’ai demandé à Grand-Mère si elle pouvait rentrer avec moi dans la maison pour me donner un livre de contes que j’avais vu dans sa bibliothèque mais que je n’arrivais pas à attraper. Mais dès qu’on a été loin des oreilles de Papa et Maman, je lui ai demandé :


- Dis, Grand-Mère. Qu’est-ce que tu ferais, toi, si un loup s’installait dans ton jardin ? Comment tu le ferais partir ?


Grand-Mère m’a regardé d’un air bizarre, et puis elle a rigolé et elle m’a répondu :


- Je lui donnerai un bon coup de pied aux fesses, pour lui apprendre à entrer chez les gens sans sonner !


Comme elle a vu que sa réponse ne me plaisait pas et que j’avais vraiment l’air contrarié, elle a ajouté :


- Mais bien sûr, si c’est un loup très très méchant, avec des grandes dents très pointues, je ne prendrais pas le risque de me faire croquer les doigts de pied. Hum, voyons… J’appellerais les gendarmes ? Non, tu as raison, ça n’est pas une bonne solution, ça ne l’empêcherait pas de revenir dès qu’ils ont le dos tourné pour me manger toute crue. Alors ?… Ah, je sais : j’attendrais la nuit qu’il s’endorme, et j’irais poser des pièges dans le jardin. Comme ça quand il se réveillerait il se prendrait les pattes dedans et je pourrais l’assommer à coups de pelle.

- Mais si tu ne savais pas poser des pièges, hein Grand-Mère ? Ou si tu n’en avais pas ? Ou si tu ne pouvais pas en poser parce qu’il y a d’autres gens qui viennent dans ton jardin et qui risquent de se prendre dedans ?


Grand-Mère a réfléchi, et puis derrière ses lunettes ses grands yeux se sont éclairés et elle m’a dit :


- Dans ce cas-là il faudrait que je sois très rusée, et que j’arrive à faire croire au loup que je n’ai pas peur de lui. Et que c’est lui, au contraire, qui doit avoir peur de moi.


À ce moment-là Papa est entré dans la maison pour aller aux toilettes, et ils nous a vus tous les deux dans le salon. Il a demandé à Grand-Mère s’il y avait un problème et elle a juste répondu « Non non, je discutais juste un peu de choses importantes avec mon petit-fils ». Elle m’a fait un sourire et un clin d’œil, et elle est ressortie dans le jardin.


Le soir dans mon lit au Bourg-Joli, j’ai repensé à ce que Grand-Mère avait dit. Je me demandais comment je pourrais bien faire peur au loup. Peut-être que je pourrais me déguiser, avec le masque de lion que Maman m’avait acheté pour le carnaval de l’école ? Non. Le loup n’était pas si bête. Le masque ne faisait même pas peur à Papa et Maman, de toute façon, et le loup avait assez l’expérience des déguisements pour se douter de quelque chose. Et puis il savait bien qu’il n’y avait pas de lions en France, sauf dans les zoos. Et il était beaucoup trop dangereux de m’approcher de lui, c’était justement ce que j’avais dit à Cathy de ne pas faire. À force de réfléchir je me suis endormi.


Le lendemain matin, c’était un peu comme si quelqu’un avait parlé dans mon oreille pour me souffler la solution. J’ai même rigolé en pensant que c’était peut-être Grand-Mère qui avait trouvé ce qu’il fallait faire, et qu’elle avait envoyé Grisette pour me le dire pendant que je dormais. À l’école j’étais tout gai et tout content de mon idée, et je crois que je n’ai pas beaucoup écouté la maîtresse ce jour-là. J’étais trop impatient de rentrer pour mettre mon plan à exécution. Après mes devoirs j’ai déchiré une page du cahier d‘orthographe en faisant bien attention que ça ne se voie pas, et j’ai écrit :



Monsieur le lou,


Vous vous croillez très malin, mais vous n’êtes pas si malin que sa.


Je sè qui vous êtes, même si vous êtes bien déguiser. Si vous retournez dans votre forêt je ne dirai rien à personne c’est promi. Mais si vous restez là je dirè tout au policiers et ils viendront avec leurs fusils et ils vous tireront dessu et après vous serez mort et ça sera bien fè pour vous.


Signer :


Une grande personne qui vous a vu


Après le repas j’ai dit que j’allais me brosser les dents. Pendant que papa et maman regardaient la télévision je suis allé dans leur chambre prendre une enveloppe et une punaise. J’ai mis ma lettre dans l’enveloppe, j’ai écrit dessus « Pour le lou » et je l’ai cachée sous mon lit avec la punaise. Après je suis allé me coucher. Papa et maman n’en revenaient pas. Mais j’ai eu beaucoup de mal à dormir ce soir-là, et le soir d’après aussi.


Le mercredi matin, dès que papa et maman sont partis au travail, je suis descendu dans le square. Il n’y avait personne dehors. Mes parents commencent le travail très tôt, des fois il fait encore nuit quand ils partent. Normalement moi le mercredi je reste au lit, les autres jours je vais au centre de loisirs avant l’école. Je suis allé jusqu’à l’arbre, et j’ai accroché ma lettre sur le tronc avec la punaise. Après je suis remonté dans ma chambre, et je n’ai plus bougé de la fenêtre jusqu’à ce qu’Il arrive. Je n’ai même pas pris mon petit-déjeuner, tellement j’avais peur de le rater et de ne pas voir sa tête quand il ouvrirait son courrier.


Ce jour-là il est arrivé en voiture. Il l’a garée tout près du square. J’étais d’ailleurs étonné qu’il ait une voiture. Je ne pensais pas que les loups savaient conduire, même si j’en ai déjà vu un qui le faisait dans une cassette de dessins animés de papa. Il s’est approché de son arbre, et j’ai vu qu’il avait une poupée à la main. Il regardait autour de lui, mais il n’avait pas l’air de remarquer mon enveloppe. Et j’ai vite compris le problème ! Même si je pouvais me tenir debout je ne serais pas bien grand. Mais dans mon fauteuil je le suis encore moins. La lettre était accrochée beaucoup trop bas pour qu’il la remarque.


Quand les premiers enfants sont sortis il a caché la poupée sous son manteau, mais dès que Cathy est apparue il l’a ressortie et il a commencé à jouer avec, comme s’il lui parlait. Cathy s’est arrêtée dans l’allée, elle a regardé vers le loup, et puis elle s’est mise à courir vers lui comme si c’était son papa qui rentrait du travail. Le loup lui a fait un grand sourire, et quand elle est arrivée près de lui il s’est baissé. Comme pour lui faire un bisou ou pour lui dire quelque chose dans l’oreille.


Du coup il s’est retrouvé à la bonne hauteur, la tête tournée vers l’arbre. Et il a vu ma lettre. Il a froncé les sourcils, il a posé la poupée par terre et, pendant que Cathy la prenait, il a tiré sur la punaise pour décrocher l’enveloppe. Il a sorti la lettre, et pendant qu’il la lisait, je l’ai vu se transformer. Il a fait une horrible grimace, et je suis sûr d’avoir vu dans sa bouche deux énormes rangées de dents pointues. Ses yeux se sont mis à briller de colère, il s’est redressé dans son costume sur ses deux pattes arrière et il s’est mis à tourner la tête dans tous les sens, comme s’il était pris au piège et qu’il cherchait une sortie.


En fait je sais bien, moi, ce qu’il cherchait. C’était moi. Et si je n’avais pas été en sécurité derrière la fenêtre de ma chambre dans un appartement fermé au troisième étage, je crois bien que j’aurais roulé à toute vitesse jusqu’à la loge de Marcel pour ne pas me faire tuer. Mais même là où j’étais j’avais du mal à respirer. Comme s’il risquait d’entendre mon souffle et de bondir jusqu’à moi pour me faire payer ce que je lui avais fait. Il avait l’air tellement méchant et énervé, que même Cathy a dû sentir qu’il se passait quelque chose de dangereux. Elle a jeté la poupée par terre et elle s’est mise à courir jusqu’aux balançoires, au milieu des autres enfants. Le loup s’est mis à courir, lui aussi. Mais c’était vers sa voiture. Il s’est jeté derrière son volant, il a claqué sa portière, et c’est à ce moment-là qu’il a levé la tête et qu’on s’est regardés.


J’ai alors compris ce que Grand-Mère avait voulu me dire. J’ai vu derrière la vitre ces deux yeux qui me regardaient mais je n’avais plus peur du tout. Parce que ce que j’ai vu dans ce regard de loup déguisé en grande personne, et même si ça m'a étonné, c’était sa peur à lui. Il en tremblait. Alors que moi, qui étais petit et incapable de tenir sur mes pieds, du haut de mon donjon je me sentais fort. Et j’avais très envie de lui crier « Oui, j’ai gagné, et si tu reviens tu le regretteras ! ». Et puis sa voiture est partie.


Et le loup n’est plus jamais revenu. Ni le mercredi suivant, ni ceux d’après. Je n’ai rien dit à personne. De toute façon ça n’aurait servi à rien. Il y a des gens qui disent que dans les forêts il n’y a pas de loups. Mais toutes les grandes personnes sont persuadées qu’il y a encore moins de risque d’en rencontrer dans les villes. Moi je dis que les loups changent, et que les petits chaperons rouges devraient faire un peu plus attention. En tout cas pour Cathy pas de danger, moi je serai toujours là, à ma fenêtre. Et loup ou dragon, ogre ou croque-mitaine, rien ni personne ne lui fera du mal tant que je serai là pour la protéger. Parce que maintenant, je n’ai plus de raison d’avoir peur.



 
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   widjet   
21/6/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Après son tout bon Le Detritugoulu et surtout sa dernière et magnifique nouvelle Le Pas d'Chez Nous , c'est un doux euphémisme que j'attendais de pied ferme cette nouvelle histoire de cet auteur talentueux.

Pourtant Gare aux Loups est son texte le moins réussi. Sans doute souffre t-il de la comparaison avec Le Detritugoulu à qui il ressemble beaucoup et aussi de l'attente trop forte de ma part. Mais pas seulement je pense.

Là où la petite fille et son langage tendrement enfantin fonctionnait à plein régime dans la nouvelle du sans abri, ici le gamin - d'une stupéfiante et presque invraisemblable perspicacité ! - m'a moins enthousiasmé. Bien sûr il est assez mignon, lunaire et inventif, (de plus l'auteur a la bonne idée de ne tire pas profit de son handicap pour jouer sur la corde sensible), mais disons que j'ai quand même trouvé le garçon moins attachant...et ses reflexions moins crédibles.

Ensuite, l'histoire souffre de problème de rythme : c'est long...Alors que le dernier - et je répète - formidable opus d'Erick était bien plus long mais à aucun moment, je n'ai senti ce léger ennui qui m'a gagné au milieu de ce récit.
Sinon le sujet est d'actualité et pas original mais le traitement malgré les réserves énoncées demeure efficace et le suspense demeure jusqu'au final heureusement heureux.

Une nouvelle tout à fait honorable mais en rien comparable avec les deux citées plus haut.

Widjet

   Pattie   
21/6/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai encore une fois beaucoup aimé. En plus, ça y est, c'est publié, donc on peut encore espérer avoir un autre texte de l'auteur bientôt (je suis fan, faut s'y faire !).

J'ai l'impression qu'Erick écrit pour la jeunesse des histoires que les adultes peuvent apprécier à leur niveau. En tous cas, je trouve très intéressante cette histoire pour travailler avec des enfants les questions de sécurité, si délicates à aborder. Le tout sur fond de belle métaphore, bien connotée, à remettre dans un contexte de contes traditionnels et de contes transformés.
C'est vrai que l'enfant n'est pas crédible en tant qu'enfant. Il est par contre très crédible (à mon avis) comme personnage d'une histoire destinée aux enfants dans le but de les aider à apprendre quelque chose.

J'aime le style, j'aime l'enfant narrateur et les visions déformées de la réalité, j'aime le traitement du handicap (l'histoire de la hauteur du message), j'aime le côté "Fenêtre sur cour", et j'aime que ça finisse bien.

   MissNeko   
21/6/2008
j ai bien aimé l'histoire! le langage enfantin y est bien retranscri!

par contre, l'enfant de 7 ans écrit vraiment trop bien, pas assez de fautes ; il faudrait en rajouter!!!! parole d instit!!!!!

   Anonyme   
21/6/2008
Moi je ne trouve pas que le personnage de l'enfant soit peu crédible ... bon dieu, si vous saviez les réflexions que les enfants peuvent avoir, et la perspicacité dont ils peuvent faire preuve par rapport à certaines de nos intentions que nous pensons si bien masquées ! C'est parfois nous qui aurions à apprendre d'eux, car ils flairent et remarquent de petites choses que nous ne voyons plus.

Moi il ne m'étonne pas ce gamin, surtout que, vu son handicap, il aura développé encore plus que les enfants de son âge un sens de l'observation et une perception accrue des choses, parce que précisément il n'est pas "distrait" par le mouvement et l'action qui caractérisent généralement les enfants de son âge.

Une histoire bien menée, que je ferai assurément lire à mes propres enfants pour recueillir leurs réactions et leurs interprétations.

J'ai bien aimé ce texte, le second que je découvre de l'auteur. Je m'en vais maintenant découvrir le premier, dont Widjet semble dire tant de bien également :-)

   aldenor   
21/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Certes, le héros est attachant et le récit coule facilement mais il est trop linéaire, sans surprises, sans grande imagination. Tes textes précédents grouillaient d’idées, de situations inattendues. Celui-ci souffre de la comparaison.
Et puis le thème ne m’enchante pas, dans le registre littérature jeunesse. C’est mêler trop crument des préoccupations d’adultes au monde de l’enfance ; ca manque de la pureté dans laquelle baignaient tes deux textes précédents (pardon d’y revenir…).

   MissNeko   
21/6/2008
je n'ai pas dit que l'enfant n'était pas crédible !
ce que je voulais dire c est que lors du passage où l'enfant écrit , il n y a pas assez de fautes d'orthographe ! les accents circonflexes bien placés, les bons accords verbaux , le doublement des consonnes ou l'écriture correcte de certains mots difficiles comme "fusil" ou "mort" sont fort peu probables chez un enfant de 7 ans .

ce qui n enlève rien au fait que j ai beaucoup apprécié 'histoire et que je suis consciente de la vivacité d esprit de certains enfants! (heureusement pour moi vu mon travail d'instit!!)

   Cyberalx   
21/6/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Pour avoir travaillé un an dans une librairie spécialisée dans la littérature jeunesse, je peux affirmer que tous les sujets y sont abordés, mais TOUS.

Franchement, je vois peu de choses à redire à ce récit, moi, je m'y suis agréablement laissé prendre, il faut jouer le jeu un peu, mais ça ne m'a pas gêné.

Il faut une réelle capacité à se souvenir de son enfance pour pouvoir prétendre à ce genre littéraire à part entière et je trouve que tu as le profil de l'emploi, tu sais comment leur parler, tu connais les mots ou tournures qui les font sourire ou rire, c'est un don.

Bravo pour ce texte.

   Anonyme   
21/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Voilà j'ai lu avec une attention toute particulière
(et ce un peu pour me racheter :)..)

et je suis entré dans le récit.
dans le monde de cet enfant cloué sur un fauteuil roulant.
et dans sa tête aussi avec l'aide d'Erick bien sûr.
Pas loin du rêve et proche d'une sinistre réalité..
L'enfant crée ce monde de peur et de terreur mais touche du doigt le danger possible.
L'auteur nous fait cheminer patiemment dans l'imaginaire avec application et détermination. Déterminé aussi à agir en brave pour une petite fille qu'il aime.
Sorte de conte urbain pour enfant dont l'écriture n'est pas du tout décalée.
Il y a des passages qui m'ont donné du mal comme le premier paragraphe que j'ai du lire cinq fois sans comprendre ou des points de ce que j'appellerai 'rupture du récit' qui font que l'on se demande 'mais de quoi s'agit-il?"..
comme
"Ça a oublié que ça ne croyait plus à rien."
"Papa et maman n’en revenaient pas."
etc..
Mais vraiment rien de bien important.
D'une manière générale les techniques narratives sont maîtrisées avec parfois des erreurs bénignes de syntaxe
comme
"....quand on prend la voiture pour aller chez Grand-Mère dans le jardin de sa petite maison de la cité ouvrière.."


En fait j'ai voyagé, ai eu sept ans le temps d'un instant.
Et pour ça, merci Erick.

   Anonyme   
25/6/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un récit qui invite à se laisser emporter dans le rêve mais qui ramène inexorablement à la pire noirceur - humaine, malheureusement. Excellente façon d'aborder le sujet, à la fois au niveau des enfants et au niveau des parents. J'aurais aimé pouvoir le lire à l'époque d'une certaine affaire en Belgique pour mieux en parler avec mes enfants.
Beaucoup de questions posées ou suggérées en cours de récit.
C'est excellent! Merci.

   minna   
19/7/2008
Humm...J'ai savouré la lettre, et la signature, "une grande personne qui vous a vu"...Quelle candeur! Tu sais à merveille entrer dans la tête des enfants...Ton texte me fait penser à celui du petit Prince, parce qu'il recelle quelques pépites existencielles, quelques vérités essentielles. Bravo!

   Menvussa   
14/1/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Que dire ? Ce texte aurait presque pu être écrit par un enfant de sept, tant il est criant de vérité. Mais il aurait fallu pour cela un petit enfant de sept ans drôlement avancé pour son âge. Le ton est juste, pas de faux pas, pas d'exagération, pas de lourdeur, pas d'apitoiement inutile.

Très, très bon texte.


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