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Fantastique/Merveilleux
Fly : Souvenirs d'homme
 Publié le 19/06/08  -  6 commentaires  -  6511 caractères  -  21 lectures    Autres textes du même auteur

Empathie ? Réincarnation ? Peut-on limiter un homme à sa seule existence du moment ?


Souvenirs d'homme


Mon premier véritable souvenir d'homme, c'est une veillée autour d'un feu de camp, un de ces soirs d'été où la lune luit d'un éclat fantomatique.


Je revois ma mère absorbée par son ouvrage de couture, mais dont le sourire satisfait trahit qu'elle ne perd pas un mot de notre conversation animée. Soudain, empoignant deux branches de frêne en guise de ramure, mon père se lève et se met à sautiller autour des flammes, tournoyant sur lui-même, mimant l'agonie de la victime de ma première journée de chasse. Ébloui par l'éclat du feu et soûlé de sa propre danse, il n'a pas vu une bûche posée là imprudemment, sur laquelle il trébuche pour aller s'affaler trois pas plus loin cul par-dessus tête. Ramenant sa longue chevelure ébouriffée derrière les oreilles, sous les quolibets de maman et du reste du clan, il éclate d'un rire tonitruant aux dents déchaussées.


Lorsqu'il me demande de narrer la suite de notre aventure du jour, je m'exécute d'une voix haut perchée et chevrotante : c'est la première fois que je suis invité à m'exprimer devant le conseil. Je reste assis toutefois, pour ne pas déranger mon loup dont la tête et les pattes antérieures reposent nonchalamment sur mes genoux.


Je parle, je parle et je parle encore, l'âme échauffée par les cris, les rires des adultes et les battements de mains excités des enfants de la tribu. Loup suit, de ses yeux pétillants de flammes orangées, ma main gauche qui s'envole vers le ciel pour ponctuer ma narration ; sans doute parce que je serre entre mes doigts un os de daim laineux qui a fait les frais de notre chasse, et auquel reste accroché un lambeau de chair juteux.


Maman a lâché son aiguille en fémur de renne, rajuste la fourrure sur son dos, puis se tourne amoureusement vers mon père qui me sourit d'un regard pétri de satisfaction. Ils savent que cette nuit, le Vieux viendra m'éveiller, et me conduira au fin fond de la Grotte Sacrée, où il me donnera à boire le nectar qui permet d'entrer en contact avec nos Ancêtres ; eux me dévoileront le Secret du clan et me feront jurer de n'en jamais rien révéler. Alors, pour sceller ce pacte, je cracherai un liquide symbolisant mon sang sur ma main posée à plat à même la Roche Mère qui retrace notre histoire...


Mais tout cela, je l'ignore encore : on ne parle pas de ces choses aux enfants. Tout ce qui m'échauffe le cœur, c'est que le clan soit fier de moi...


Ensuite ? Des réminiscences d'existences passées :

Je fus fière épouse d'un riche négociant de la cité d'Ur...


Quelques onces de souvenirs me reviennent de la vie sans relief d'un soi-disant penseur aristotélicien, verbeux et imbu de sa personne, dans la Grèce antique...


... Un scribe arriviste mais fainéant sous Aménophis le troisième... Le grand incendie de la bibliothèque d'Alexandrie qui subjugue mes yeux d'enfant... Je deviens le mâle attitré de ma tribu grâce à mon corps d'ébène sans défaut, mes lèvres charnues, mes talents de chasseur et de pisteur et mes attributs sexuels... Quelle honte que de vomir là, du haut de mon éléphant en plein cœur des Alpes, sous le regard courroucé d'un Hannibal vociférant ses ordres...


Ah oui, ceci, je m'en souviens comme si c'était hier : assaillis de toute part, nos époux, aux longs cheveux blanchis par nos soins et aux moustaches viriles, ont décidé de lancer une dernière charge mortelle contre les légions de Caesar qui nous encerclent dans le but de nous affamer. Les adieux sont pleins de retenue, malgré le désespoir. Mais nous sommes femmes celtes, filles de Macha et de Cerunnos, engendrée dans le Chaudron magique ; nos hommes savent que, dans nos yeux farouches, ils peuvent venir puiser leur courage. Ils sont infiniment fiers de nous, nous non plus ne nous rendrons pas sans combattre...


Des charges de cavalerie, j'en vivrai bien d'autres...


Tiens, je suis dévoré par un lion en chantant les louanges d'un essénien nommé Jésus...


Ma tête tourne, mes visages passés dansent une gigue macabre dans mon esprit...


Je... Je suis capitaine sous Clovis de Tournai ; je l'ai même vu pleurer et maudire le baptême auquel il attribue le décès du fils que lui a donné Clotilde la sainte. Mais mes souvenirs de cette vie sont surtout ceux de ma main glissant dans la crinière de mon cheval, lorsque nous parcourons librement le continent en quête de terres et de combats. Je mourrai stupidement lors de notre plus belle charge contre les Alamans, m'empalant comme un idiot sur la lance alliée d'un ami tombé alors que nous combattons à un contre deux. Nous avons gagné, je crois, et Clovis fut converti...


Ah, je suis Vikingar aussi, marin vivant de rançons et de rapines au gré de l'inspiration de ma large épée...


Plus tard encore, je suis un franciscain infatué, regardant brûler par mon ordre des Parfaits Albigeois qui ont eu l'audace de retourner à la "vraie" foi...


Mais j'oubliais, savez-vous que lors de la première croisade je fus l'un des premiers sur les murs d'Antioche, tranchant le Seldjoukide de mon seul bras vaillant, dans des odeurs de pisse et de sang ; puis je mourus deux ans plus tard d'une chute dans une ruelle sombre. Je fus prostituée, aussi, lors d'une autre croisade, et ma foi assez fière de ma condition. Puis je fus templier lorsque Saladin écrasa les armées chrétiennes et décima mes frères...


J'ai été mangé aussi, mais j'ai oublié où (je fus fort goûteux)...


Moine tibétain, anachorète hindou, nonne... Ça y est, je suis vigie sur la Santa Maria, puis massacré la nuit par des blancs avec toute ma tribu, on m'apprécie comme charrier, et j'ai perdu un œil à Trafalgar...


Je suis cordonnier libanais, suffragette anglaise, une petite noire de quatorze ans violée à de multiples reprises dans une geôle de Soweto…


Je viens d'être fauché par un shrapnel dans l'enfer d'une tranchée, abattu d'une balle au cœur en défendant ma plantation contre les Yankees avec quelques-uns de mes nègres.


Je suis mort trois fois de la peste, une fois d'une blessure au genou, j’ai été Hittite, boulanger, corsaire français et danseuse nue...


Mes souvenirs se mélangent... Shogun... déporté juif...


Je suis là comme un con, ressassant mes souvenirs dans cette file d'attente...


- Eh, oh, avance ! vocifère l'homme derrière moi en me poussant dans le dos.

- T'es dans la lune ou quoi ? crie un autre.

- Non, pas encore, m'entends-je répondre d'un sourire songeur, dans le futur, peut-être ?


La file du chômage grossit, mais elle n'avance plus...


Tant pis, j'ai du temps à perdre !



 
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   Anonyme   
23/6/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bon euh je crois ne pas avoir tout compris.
La file du chômage grossit, mais elle n'avance plus...
Je ne comprends pas ça par exemple. "La file du chômage ?"
Bref je n'ai pas du tout accroché, mais j'attends que tu m'aies expliqué la chute (par MP ou sur le forum) pour noter.
EDIT : Bon je crois avoir compris la chute je note donc.

   strega   
19/6/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Fouuu, ça m'a mis le moral un peu à zéro tin histoire Fly... Peut-être parce que c'est la triste vérité des choses tu me diras.

Sauf lamentable erreur de ma part (qui a dit "forcément" ? :), la fin ne me semble pas trop incompréhensible.

J'ai beaucoup apprécié les alternances de "rêves" ou réminiscences et de passages "dans le présent". Ces sortes de flash backs (qui ont existé ou genre karma) étaient assez poétiques je trouve. Et pourtant, le narrateur était aussi bien planté dans la réalité. Bon, c'est peut-être aussi juste l'imagination du narrateur pendant l'attente mais bon, j'ai aimé imaginer tout le reste.

Je suis preneuse de ce genres d'histoires. Le style est très agréable aussi, léger dans un sens, encore une fois poétique.

Je rgrette juste la toute dernière phrase, qui est un peu à double sens possible pour moi, un goût de fatalisme qui ne me plait qu'à moitié. Dommage pour la dernière note du texte.

   Anonyme   
19/6/2008
D'excellentes références, assurément ! En effet, il faut être assez pointu en Histoire, pour savoir qu'aux dernières nouvelles, Jésus aurait probablement fait partie de la secte des Esséniens et pour pouvoir citer la cité d'Ur, la ville d'où provenait Abraham, l'ancêtre des Hébreux.
Oui mais...

Mais, à ma connaissance, les régressions dans les vies antérieures ne se passent pas comme ça, distraitement, "dans une file d'attente au chômage" !
Au contraire, c'est un état de consciente plutôt difficile à atteindre... quand on y arrive !
Bref, le déroulé manque de crédibilité.

N’étant pas d’accord avec le fait de juger un texte, je préfère exprimer mon ressenti en mettant « ce texte ne m'a pas vraiment touché ».

   Fly   
19/6/2008
Les critiques concernant cette nouvelle tournent toujours autour d'un malentendu; je dois donc l'assumer et m'en expliquer...

Je n'ai pas moi-même ressenti le côté négatif et désabusé que beaucoup décrivent, et je n'ai joué du principe de la réincarnation (ou du Kharma comme cité ci-dessus)que pour exprimer quelques sentiments: la notion de respect de l'autre quelle que soit sa position sociale (d'où l'idée d'un chômeur anonyme comme j'aurais pu prendre un client de resto du coeur), une humanité qui dépasse l'individualité (ce sentiment d'être à la fois soi-même et les autres), et aussi ce qui nourrit ma perception des "autres", comme si on appartenait tous à une confraternité dont nous n'avons hélas pas tous conscience.

Cette nouvelle n'est pas une apologie du du bouddhisme mais plutôt de l'empathie.

A ce sujet, je conseilee à ceux que cela intéresse le poème de Guillaume Appolinaire: "Le cortège". Je pense que son talent expliquera le sens de ma nouvelle mieux que je pourrais le faire moi-même.

Pour résumer, je reprendrai la citation de Térence: "Je suis un homme: rien de ce qui est humain ne m'est étranger".

En tout cas, merci à tous ceux qui m'ont lu et surtout répondu, car en cela aussi ils montrent leur empathie envers les autres humains.

Fly

   widjet   
20/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien
La plume est exquise, les références nombreuses et son twist final est efficace. Le thème me rappelle quelque peu mon modeste Voyage en Alexandrie en plus percurtant, plus émouvant et plus enlevé au niveau du style ; bref de bien meilleure facture (lol)

Légèrement confus par instant, ce premier texte de son auteur pose aussi et surtout la question de la perte d'identité aux yeux de la société (cette marginalisation c'est surtout ça qui fait mal) au point de s'en rêver d'autre.

Pas révolutionnaire en soi, non, mais bigrement bien exploité.

Bravo !

Widjet

   leon   
19/9/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai trouvé ça très bien construit : le jeune homme préhistorique et cette cérémonie d'initiation qui le place en transe, ce glissement à travars mille personnages, jusqu'à ce chômeur dans une file d'attente qui n'avance plus.

L'attaque, le développement, la chûte + le style + une grande culture histrorique : ça fait une nouvelle très réussie.


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