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Réalisme/Historique
hersen : Vagabonde
 Publié le 24/02/24  -  12 commentaires  -  6633 caractères  -  77 lectures    Autres textes du même auteur


Vagabonde


Tout le monde a un grand-père et une grand-mère. C’est une évidence, on ne revient pas là-dessus. Les évidences, c’est fait pour ça…

J'allais en vacances deux semaines en été dans leur campagne magnifique au milieu des prés saupoudrés de moutons broutant avec entêtement le vert sous leurs pattes. Un cheval de labour, trop vieux pour travailler, plus assez vaillant comparé au Massey Ferguson de la première heure, leur tenait compagnie. Grand-Père disait que le cheval avait besoin de compagnie, pour qu'il ne meure pas tout seul à penser à rien. Des moutons très inspirants, sans doute.

Le siège du tracteur était une sorte de bassine métallique, percée de trous ronds. D'un tel inconfort, brûlant lorsque le tracteur restait au soleil, il m'attirait pourtant. Je grimpais, comme je pouvais, et m'acharnais à tourner le volant, dans un sens, dans l'autre, en poussant des vaches virtuelles et labourant la vaste étendue de mon imagination visionnaire.

Cet été-là, j'étais assise sur mon Massey quand elle arriva. Je la vis de loin, elle venait par le chemin du bois. J'en oubliai mes semailles et mon troupeau et, interdite, détaillai sans vergogne celle qui venait se présenter à la ferme.

J'avais déjà vu des vagabonds venant parfois demander asile pour une nuit dans la grange. Des gens solitaires qui, sans doute, avaient trop subi leurs congénères et avaient fini par se retirer du groupe, vivant d'expédients et habitant les chemins creux. Ils se mêlaient peu de nos affaires et étaient des taiseux, comme par réflexe, pour ne pas s'attirer d'ennui. Et j'avais ordre de ne pas m'y frotter, un doute planait pour ma sécurité de petite fille volubile et curieuse.

Mais cette fois, le vagabond était une vagabonde. Autant dire une révolution. Le temps que je descende – avec des complications – du tracteur de Grand-Père en me marquant d'une traînée rouge sur le mollet, Grand-Mère sortait du poulailler avec un panier d'œufs. Accourant, j’arrivai juste à temps pour l'entendre dire, Tiens, elle est revenue ! La surprise me coupa les jambes. Comment ça, revenue ? Elles se connaissent ? Me voyant déjà là, Grand-Mère me présenta. Ma petite-fille, dit-elle fièrement, et pas sotte pour un sou. Je ne sus comment prendre cette remarque. Cela valait-il la peine d'être dit ? Et cela sous-entendait-il qu'en me voyant, on eût pu en douter ? Devant ma mine renfrognée, elles éclatèrent toutes les deux de rire. J'ai hésité. Me fâcher ou rire avec elles. Je n'avais rien décidé encore quand l'arrivante demanda, C'est la fille à Gérard, ou à Gilbert ? Ni l'un ni l'autre, fut la réponse, c'est la fille à Paule.

C'est quoi, tout ça ? Comment cette moins que rien, habillée salement, les chaussures ouvertes, comment pouvait-elle connaître ma mère et mes oncles ? Elle avait les cheveux mal peignés, des mèches queue-de-vache lui tombaient de chaque côté de sa figure pleine de rides. Mais j'ai vu ses yeux. Des yeux comme jamais encore je n’avais vus. Des yeux clairs, beaux, des yeux qui m'ont fait l'aimer tout de suite, alors que sa personne me dégoûtait un peu.

Les deux femmes parlaient comme de vieilles connaissances quand, interrompant ma grand-mère, la vagabonde me demanda à brûle-pourpoint, Et alors, elle a pas fini de me regarder, la petite ? Non, « la petite » n'avait pas fini, mais je détournai les yeux, un peu gênée que se remarque tant ma curiosité.

Bon, dit ma grand-mère, j'ai du travail. Tu te mets dans la grange, comme d'habitude. La petite va t'apporter du lait et du pain.

Je me retrouvai face à elle. Je sentais pour cette femme une sympathie déraisonnable. Tu t'appelles comment ? On dit juste que je suis la Vagabonde. Oui, mais ton nom à toi, celui de quand t'étais petite ? Je l'ai un peu oublié, tu sais.

Je me suis assise sur une caisse retournée. Je ne la croyais pas. Ce qui m'arrangeait bien, car elle était l'événement de ma journée, et je voulais faire durer. Marie, Clémence, Clotilde, Eugénie, Madeleine, je débitai tous les prénoms de vieilles que je connaissais. Elle hocha la tête. Tu as de l'imagination, dit-elle. Ernestine.

Ah.

Alors j'ai raconté à Ernestine que Grand-Mère avait fait des confitures, que je l’avais aidée à cueillir les framboises et à peser le sucre, et aussi à touiller dans la marmite. Est-ce qu'elle en voudrait un peu, avec le pain que je vais lui apporter ? Elle me dit que oui, que ce serait bon d'avoir de la confiture.

Elle se dirigea vers la grange, ouvrit la grande porte et balança son baluchon sur la paille. Abandonnant ma caisse retournée, je la suivis. Pourquoi que tu dors pas dans un lit ? T'irais pas me chercher le pain et la confiture maintenant ? Oui, mais pourquoi que tu dors pas dans un lit ?

Elle a mis du temps à répondre. Elle semblait soupeser ce qu'elle me dirait. Elle finit par me demander si je posais la question aux autres vagabonds qui s'arrêtaient à la ferme pour dormir une nuit ou deux. Ben non, je répondis en rigolant, c'est pas pareil. Ah bon, s'amusa-t-elle, et qu'est-ce qui n'est pas pareil ? Ben c'est des monsieurs, pas des dames.

Et là, dans la grange avec sa bonne odeur de foin, où des outils étaient bien rangés, chaque chose semblant dans son cadre, éclairée par une lucarne construite là depuis une éternité, depuis l’origine, elle me dit, Petite, tu te rappelleras toute ta vie de notre rencontre aujourd'hui. Je l'interrompis pour dire, Je m'appelle Mireille, pas « petite ». Alors d'accord, Mireille. Elle souriait. Va me chercher le pain.

Et la confiture, j'ai ajouté. C'est un cadeau pour toi. Mais pourquoi je vais me rappeler toute ma vie que tu es venue dormir chez Grand-Père et Grand-Mère, dans la grange ?

Parce que tu viens de casser le bord d’une case.

Je n'ai pas compris sa réponse sur le coup. J’ai compris « caisse ». Alors j’ai regardé la caisse où je m’étais assise. Ah ah ah, non, Mireille, des cases, j’ai dit. Des cases, c’est des évidences, plein d’évidences, et comme tu en as l’habitude, tu ne te demandes pas si ça pourrait être autrement. Alors que si on casse un peu les bords, on voit plus large, plus grand.

La perplexité m’a fait taire. Sans rien dire, j’ai apporté le pain et la confiture, je suis allée chercher du lait. Elle m’a dit, Merci, Mireille, avec du bleu plein ses yeux, mais je suis fatiguée maintenant, je voudrais me reposer.

Le lendemain matin, avant même de dire bonjour en embrassant mes grands-parents, j’ai couru à la grange. Elle était vide.

Le pot de confiture et le pot de lait avaient été lavés et mis bien en évidence sur une botte de foin. Avec quelques coquilles d’œufs, ma grand-mère avait dû lui en apporter plus tard dans la soirée.


 
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   Neojamin   
12/2/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
J’hésite, j’oscille, j’ai aimé, un peu, beaucoup parfois, moins à d’autres moments, il y a des phrases qui m’ont touché dès le début, le «saupoudrés» des moutons, la comparaison du cheval au Massey, et surtout cette phrase que j’ai beaucoup aimé «pour qu'il ne meure pas tout seul à penser à rien.». Je pense que le commentaire sur les moutons inspirants est de trop en revanche !

Il y a de beaux élans, du cœur dans les descriptions et le quotidien à la ferme de cette petite Mireille. J’ai bien aimé son caractère, ses incompréhensions, ses questions. Ça m’a paru crédible, plus que le personnage de la vagabonde qui m’a paru un peu trop hautaine, surfaite, comme si sa présence n’était là que pour transmettre une morale, une messagère plus qu’un personnage.
J’ai trouvé ça dommage, on me force un peu la main pour me dire quelque chose alors que je commençais à peine à m’intéresser à une petite fille et cette rencontre unique et inoubliable.

J’y vois un classique du «Show, don’t tell», et je pense que vous pourriez en dire moi tout en montrant plus. Cette idée de case pourrait notamment être amenée avec plus de subtilité, faisant confiance aux lecteurs et lectrices pour comprendre ce que vous avez à dire.

Merci pour cette lecture et au plaisir.

   Cox   
17/2/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,


J’aime bien la première phrase en soi. Elle est rigolote, elle nous invite à écouter l’auteur nous raconter sans façon une jolie histoire.
Mais d’un autre cote, c’est aussi quelque chose que je reprocherais au texte : on sent peut-être un peu trop l’auteur. “les près saupoudrés de moutons”, j’aime beaucoup aussi mais c’est pareil : on sent bien que ce n’est pas la fillette qui se fait cette remarque. C’est bien le narrateur adulte, qui se remémore cet épisode a sa sauce, et qui introduit de ce fait une certaine distance avec les faits.

C’est pas comme si c’était un crime : c’est des choses qui se font sans problème. Mais ce texte en particulier est tout en suggestion, il laisse une grande part de non-dit. Du coup, je pense qu’on aurait gagné à l’approcher de plus près, à se sentir dans les bottes de la petite fille, pour mieux comprendre l’implicite complicité qui se crée avec la visiteuse.

Le style de narration, plutôt sobre et neutre, résolument adulte, me laisse la même impression. Du reste, le style est clairement maîtrisé, c’est juste que je ne suis pas entièrement convaincu le parti-pris de ne pas donner á voir la scène a travers les yeux de l’enfant, mais bien a travers ceux d’un adulte qui parle d’un enfant avec attendrissement. Ça se sent d’autant plus clairement dans plusieurs formules comme « la vaste étendue de mon imagination visionnaire » (c’est les parents qui s’émerveillent de l’imagination des enfants ; les mômes ils se contentent d’imaginer). Et ça m’a posé parfois des problèmes de cohérence de style quand le narrateur devient interne et retranscrit directement des pensées de la petite fille (« Comment ça, revenue ? Elles se connaissent ? », « C'est quoi, tout ça ? », etc). Finalement, on est dedans sa tête, á la petite ?
Bref, tout ça c’est juste pour poser une question sur le choix stylistique et sur sa cohérence d’ensemble.

Pour ce qui est du récit en soi, il m’a bien plu. C’est feutré, on n’en dit pas beaucoup, mais on évoque, on suggère. Bon, allez, peut-être qu’on n’en dit pas assez : la vagabonde semble presque présomptueuse dans sa certitude que sa simple apparition révolutionnera le monde intérieur de la petite fille. On aurait aimé plus de détails sur cette femme qui reste très nébuleuse, peut-être trop éthérée et poétique pour paraitre tout à fait réaliste.
Mais bon, c’est aussi ce qui donne un charme au texte, bien sûr. Le mystère est nécessaire a l’esthétique globale. L’ambiance générale est vraiment bien retranscrite, et je pense que c’est une des grandes forces du texte.

Dans l’ensemble, le tableau me séduit. Avec quelques réserves, mais séduit quand même.

   cherbiacuespe   
24/2/2024
trouve l'écriture
perfectible
et
aime beaucoup
Bonjour Hersen.

On va commencer par le plus facile, la forme. Qui ne me convainc que moyennement. On sent que tu maîtrise la poésie en manipulant parfaitement les mots, posant ça-et-là des images délicates. Mais à mon avis, c'est insuffisant. Et puis, j'ai toujours du mal avec ces dialogues fondus dans les paragraphes. attention, je ne dis pas que tu as saccagé la langue, mais à mon avis tu sais faire mieux (tu l'as montré dans d'autres textes). Là j'ai eu l'impression de passer directement du brouillon à la version finale.

Le fond et son message final : "Alors que si on casse un peu les bords, on voit plus large, plus grand." Moi, je dirais plutôt que casser le bord d'une case c'est le premier geste qui permet d'entrevoir ce qui se cache derrière la case. Ceci dit, quelque part, c'est la même chose. Moi, il me plait bien le message de la nouvelle, avec Mireille, le tracteur (je crois qu'on a tous fait et imaginé pareil avec ce démiurge sur roue géante à l'arrière), l'atmosphère, la simplicité paysanne, la vagabonde. Ouais, je m'y suis vu. Merci, Hersen.

   Eskisse   
24/2/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
bonjour hersen,

J'ai bien aimé le côté " récit initiatique" puisque la fillette grandit à travers cette rencontre. Ce qu'elle apprend est formulé dans un non dit comme si la fillette avançait en solutionnant une énigme. Ce qu'elle apprend c'est la complexité de l'humain dans son environnement. Je trouve pertinent que la vagabonde ne réponde pas tant les raisons sont de l'ordre du social et de l'intime.
Je reste néanmoins sur ma faim en matière d'émotion... Peut-être aurait-il fallu accentuer la voix de l'enfant ou faire une scène, centrée sur la fillette, comme suite, je ne sais pas trop. Peut-être as-tu voulu te préserver de tout pathos.

   AMitizix   
24/2/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
J’ai assez bien aimé cette nouvelle.

J’ai beaucoup apprécié, dans les premières lignes, la poésie dans les descriptions et les images. Ce ton rêveur est très agréable pour entrer dans l’histoire, et on pourrait faire toute une nouvelle juste avec des descriptions de ce genre.
De même, le style est efficace, fluide, le tout s’enchaîne bien, et on comprend sans trop de peine le discours indirect libre, qui est un choix intéressant pour continuer à apporter une petite touche de naïveté tendre dans les dialogues.

Moi qui, généralement, aime peu les récits un peu trop “champêtres”, ici, l’atmosphère et l’ambiance m’ont généralement plu, surtout à travers, je le disais, les descriptions sobres et imagées de l’entame.
En revanche, j’ai un peu décroché au moment d’aborder le vif du sujet, avec cette histoire de vagabonde : le narrateur sympathique du début s’estompe un peu au profit de l’intrigue, mais celle-ci ne m’a pas vraiment accroché, quoique j’ai lu sans ennui. Il manque peut-être encore une touche de rêverie enfantine pour nous attacher à la découverte de cette visiteuse…

Quant au message final, même s’il est peu original, il s’articule bien avec les premières phrases innocentes de la nouvelle. Après, peut-être que cette anecdote était finalement un peu légère pour porter à elle seule toute l’intensité d’une nouvelle…

En somme, la lecture reste agréable : merci !

   Marite   
24/2/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bien agréable à lire cette anecdote de l'enfance à la campagne chez les grands-parents. De la fraicheur toute simple, est-il besoin d'y chercher un message ? L'écriture naturelle décrit très bien la scène et on s'y retrouve sans problème.

   papipoete   
25/2/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
bonjour hersen
nous voici transportés dans un temps, où l'on vendait sa " force de travail " frappant à la porte de cette ferme, où il y aurait bien quelque boulot ?
à force de bourlinguer sur les chemins, le, la vagabonde retrouvait tôt ou tard cette brave paysanne chez qui, des mois des années plus tôt, contre le gîte et le couvert, journalier elle faisait une tâche à façon
NB j'aime bien le début du récit, avec cette anecdote où le siège du tracteur brûlait les cuisses, en plein-soleil comme cuir d'une décapotable... mais un Massey-Fergusson c'était quelque-chose, par rapport au vieux cheval du pépé !
quant, arriva cette vagabonde qu'on appelait " la vagabonde "
Un récit charmant qui nous fait rêver à ce temps...

   Donaldo75   
3/3/2024
Je reste mitigé après une troisième lecture de cette nouvelle ; j’aime pourtant beaucoup la manière de raconter cette histoire. Cela me change des textes où l’auteur relate mais ne raconte pas le cul assis sur son tonneau devant une assemblée d’auditeurs avides. C’est donc la tonalité qui représente le verre à moitié plein. Pour ce qui est du contenu, même si je ne suis pas du genre à demander d’en faire des tonnes, je l’ai trouvé un tantinet réduit ; certes, c’est fin ça se mange sans faim comme le disait un mauvais acteur français dans une comédie réussie mais je reste quand même, avec mes potes auditeurs, en attente de plus. Et l’articulation des événements ne respire pas la fluidité. Je sais, c’est supposément raconté par la petite fille de l’amie de la personne dont le texte parle mais cela n’empêche pas de rendre la narration un peu moins hirsute. En l’état, elle perd de l’intérêt et surtout édulcore le plaisir de l’entendre contée. Dommage.

   Louis   
3/3/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Les évidences, c’est ce qui va de soi, et le plus souvent aussi ce qui va sans dire.
Mais une évidence est formulée dès le départ de la nouvelle, pour initier la narration, et la désigner dans sa nature d’évidence :
« C’est une évidence, on ne revient pas dessus. Les évidences, c’est fait pour ça… »
Cette affirmation comporte sa part d’ironie. Puisque la nouvelle vise à défendre l’idée contraire : il est bon de se méfier des évidences, et de revenir sur elles.
Or le plus souvent, on n’y revient pas, parce qu’elles s’imposent à nous. Elles ne demandent nulle réflexion, nul raisonnement, nulle démonstration, elles s’imposent immédiatement comme vérité : "c’est comme ça ", " c’est ainsi, pas autrement ", et sans nulles justifications nécessaires ; l’évidence se donne immédiatement à la vue, celle des yeux du corps, celle des yeux de l’esprit, elle "saute aux yeux".
L’évidence ne suppose aucune remise en question, "c’est ainsi, c’est évident ", et se ferme à toute pensée qui résulte du doute et de l' interrogation empêchés par cette croyance d'être en possession d'une vérité immédiatement donnée.

Cette nouvelle dépeint très bien le charme d’une enfance à la campagne, mais ne se réduit pas à un tableau champêtre, il s’y dégage une leçon de vie, qui est aussi une leçon de pensée et de tolérance, partant d’une leçon sur les évidences.

La jeune fille, Mireille, développe son imaginaire dans un monde rural, mais elle a aussi l’esprit vif et réfléchi.
Il y a pour elle, cependant, comme pour tous, des évidences.
Ainsi croit-elle que n’étant pas « sotte », cela devrait se voir immédiatement, évidemment, et aller sans dire, c’est pourquoi elle s’étonne et s’offusque des propos de sa grand-mère lorsqu’elle est présentée à la « vagabonde » : « Ma petite fille, dit-elle fièrement, et pas sotte pour un sou. Je ne sus comment prendre cette remarque. Cela valait-il la peine d’être dit ? Et cela sous-entendait-il qu’en me voyant, on eût pu en douter »

Mais la « vagabonde » par sa présence même va remettre en question une autre des évidences de Mireille.
La jeune fille ne s’en rendra pas compte, pas plus que Jourdain lorsqu’il faisait de la prose. Il faudra le lui révéler.
Les évidences, selon Ernestine, la vagabonde, correspondent à une mise en ordre de la perception des choses, à un classement, à un tri.
D’où l’utilisation de l’image des « cases ».
La grange est ce lieu de « bon » ordre, du rangement :
« Et là, dans la grange avec sa bonne odeur de foin, où des outils étaient bien rangés, chaque chose semblant dans son cadre, éclairée par une lucarne construite là depuis une éternité, depuis l’origine… »
C’est de ce lieu-même, image du monde des évidences, où tout semble classé, où chaque chose semble à sa place selon un ordre naturel, lui-même éclairé par la lumière naturelle de la connaissance (à travers cette figure de la « lucarne ») qu’Ernestine révèle à la jeune fille la leçon qu’elle vient d’apprendre.

Que sont ces évidences, sinon des préjugés, des idées toutes faites, des croyances, ordonnées, rangées dans des cases, à partir desquelles le monde est perçu ? Ainsi dans l’idée de « vagabond », se rangeraient les hommes, mais pas les femmes qui, elles, sont censées « dormir dans leur lit », pas dans les granges.
Les cases sont étroites dans lesquelles les choses et événements sont classés. Toute pensée est étroitement délimitée dans les évidences.
« Casser le bord d’une case », selon l’expression d’Ernestine, c’est donc permettre de « voir plus large, plus grand »
C’est sortir d’une vision étriquée des choses, c’est ne plus se mettre d’œillères. C’est ouvrir son esprit, et acquérir celui de tolérance.

Les évidences semblent naturelles, ou bien nées d’une habitude ( une "seconde nature") : « Des cases, c’est des évidences, plein d’évidences, et comme tu en as l’habitude, tu ne te demandes pas si ça pourrait être autrement ».
Elles constituent un enfermement. Et les idées doivent être remises en cause, et non en « cases ».

Que l’origine de cette leçon vienne d’une « vagabonde » est assez significatif : nos pensées comme nos perceptions exigent pour davantage de vérité un nomadisme, et non une fixation sédentaire sur des idées, ou des « cases » à l’image de la grange « bien rangée ».
Vagabonde, Ernestine a l’esprit libre ; elle est liberté, même si son état vécu doit être douloureux, misérable, subi probablement et non choisi, elle est figure de liberté, échappement à toute "case", à toute "grange" où elle ne fait que passer ; arrachement à toute demeure fixe.

Cette leçon n’est pas sans lien avec cette autre acquise par la jeune fille : ne pas juger sur les apparences.
Mireille juge sévèrement la vagabonde sur les apparences premières : « cette moins que rien, habillée salement, les chaussures ouvertes »
Elle juge les apparences vestimentaires, c’est-à-dire sociales, avant d’apercevoir les yeux d’Ernestine, sa part naturelle, et de rectifier son jugement : « Mais j’ai vu ses yeux. Des yeux comme jamais encore je n’avais vus. Des yeux clairs, beaux, des yeux qui m’ont fait l’aimer tout de suite. »
Et les apparences premières ne sont-elles pas aussi ce qui se donne comme évidences ?

La sortie des « cases » n’est pas un brouillage, un désordre dans la pensée, comme le montre de façon figurée la dernière partie de la nouvelle : « Le pot de confiture et le pot de lait avaient été lavés, et mis bien en évidence sur une botte de foin »
Elle ne vise pas à tout confondre, et à tout mêler. Mais à élargir le point de vue, à "ouvrir l’esprit".

L’apprentissage de la jeune fille ne se fait pas dans les livres. Mais à la campagne, dont on pense, par préjugés, que l’on est loin de la culture de l’esprit, et seulement voué à la culture des terres. Autre évidence ici remise en question. Dans la rencontre des êtres humains, dans les événements apparemment infimes du monde rural, comme celui conté dans cette nouvelle, se trouvent aussi une richesse d’enseignement pour l’esprit, des éléments formateurs dont on « se souviendra toute sa vie ».

Merci Hersen pour cette jolie nouvelle, riche d'un enseignement, bon à rappeler.

   Pouet   
4/3/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Slt,

l'instant, certains instants semblent gravés, on ne sait pas trop pourquoi, on ne sait pas trop où, on ne sait même pas vraiment ce qu'ils sont réellement, ces instants... Mais il demeurent. L'impression d'avoir saisi quelque chose concernant l'existence, un vague sentiment de lucidité, une petite lueur peut-être mais qui se réfugie immédiatement dans la nuit de l'après.
Comprendre physiologiquement sans doute, totalement imprégné d'imperceptible. S'opère un changement dont nous prenons conscience le temps d'un battement, de ce qu'on veut, tant que ça martèle avant de s'évanouir.
Mireille grandit en le visualisant, sans s'en apercevoir. En attendant, regarder ce monde imparfait avec ses yeux imparfaits.
L'apparence l'accompagnera le plus souvent, mais parfois, qui sait - comme une brindille de véracité craquera sous les pas de ses égarements. Il lui faudra pactiser avec l'ambivalence et polir son "esprit critique "...
Un souvenir en forme de lame sculptant un semblant de route. Mais ce qui reste inchangé, c'est que la liberté s'entrevoit.
Mes passages préférés concernent le cheval, les moutons puis le nom et l'oubli de la "vagabonde".

   hersen   
9/3/2024

   dowvid   
13/3/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'aime bien la petite histoire, c'est mignon et la morale d'ouverture au monde.
J'aime moins la conversation intégrée au paragraphe, c'est un peu confus, à mon idée.
Mais je me suis pris à vouloir finir l'histoire.
Un peu déçu de la fin, j'aurais imaginé un autre développement, mais ce n'est pas moi l'auteur, alors, je n'ai rien à dire là-dessus.
Merci


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