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Fantastique/Merveilleux
Jaja : Les poumons mimosas
 Publié le 24/03/08  -  5 commentaires  -  7895 caractères  -  31 lectures    Autres textes du même auteur

Hiver à Grasse


Les poumons mimosas


Quelques mots glanés au détour d’une conversation avaient appris à Irène qu’elle crachait ses poumons. Oui, parfaitement. Elle les avait aussitôt imaginés en train de se détacher en tous petits morceaux. Comment cela était-il possible ? Elle avait bien remarqué le sang sur ses mouchoirs de batiste et entendu le mot « tuberculose » dans la bouche du grand ponte venu de Paris pour l’ausculter, mais elle ne s’était pas affolée pour autant. Saigner de la bouche, c’était comme saigner du nez et tuberculose évoquait pour elle un inoffensif tubercule. La phtisie qui avait emporté sa mère et ses deux frères aînés était autrement menaçante. Pourquoi alors son père paraissait-il soucieux ? Trop de travail, sans doute. Ses ouvriers, son usine…de lourdes charges pour un homme demeuré seul avec une fillette.


- Un air pur et sain est indispensable à cette enfant, avait recommandé l’homme de l’art. Le brouillard lyonnais provoque des quintes de toux et par là, aggrave son mal. Je préconise la Côte d’Azur : Nice ou Menton, par exemple.

- Je peux difficilement m’absenter à cette époque de l’année, avait objecté monsieur M. Peut-être ma sœur Alice acceptera-t-elle d’accompagner ma fille. Comme vous le savez, elle est tout ce qui me reste de ma famille.


Alice avait bien sûr sauté sur l’occasion. Un séjour tous frais payés dans un cadre de rêve représentait une véritable aubaine pour cette célibataire impécunieuse qui végétait dans un coin reculé de la Haute-Loire. Son frère qui la tenait pour quantité négligeable, omit de la consulter sur leur destination. Après avoir mûrement réfléchi — et si l’humidité du bord de mer s’avérait néfaste pour la malade ? — son choix s’était finalement porté sur Grasse dont le climat doux et l’ensoleillement généreux hâteraient la guérison d’Irène. À l’idée de partir, la jeune fille se sentait déjà mieux. L’excitation lui mettait du rose aux joues.


Prendre le train jusqu’à Cannes se révéla une plaisante aventure en dépit de l’inconfort des banquettes et des lamentations de la tante. Au lieu de se plaindre comme cette dernière du soleil et des courants d’air, Irène profitait de chaque minute du voyage. Laisser derrière elle les brumes malsaines planant sur la Saône pour entrer dans le bleu intense de l’hiver méditerranéen la ravissait. La montée vers Grasse fut un enchantement. D’abord, il y avait eu la mer scintillante, les palmiers ondoyant mollement, puis les plantations d’oliviers, les forêts d’eucalyptus et de mimosas proches de leur floraison et enfin la ville elle-même avec ses ruelles tortueuses où les maisons se tutoyaient. Monsieur M. avait loué, à deux pas du centre de Grasse, une villa blanche, pourvue d'un jardin. Près de la terrasse, se dressait un imposant mimosa dont le vent ébouriffait les franges vertes.


- Va-t-il bientôt fleurir ? avait demandé Irène à la vieille tout en noir qui leur avait ouvert.


Une paysanne du cru, sans doute.


- Oui, mademoiselle. Il s’en faut d’une quinzaine pour qu’il devienne jaune vif. Et ce parfum… vous m’en direz des nouvelles.


Plissant le nez avec dégoût, la tante s’était aussitôt écriée :


- Je déteste ces odeurs qui vous montent à la tête ! De l’essence de rose ou de lavande, à l’extrême rigueur du jasmin, mais pas celle-là. Elle peut rendre malade si on ne l’est pas déjà, comme cette enfant.


La vieille avait hoché la tête, gravement. Ses mains ainsi que la peau de sa figure ressemblaient à du vieux cuir, tout craquelé, mais elle avait les yeux bons.


- Je sais pourquoi la jeune demoiselle est là, avait-elle répondu. Quelques mois ici et elle sera sur pied. D’ailleurs, elle n’a pas l’air si souffrante. Je lui ai donné la chambre orientée au sud, juste en face de la vôtre. J’ai fait du feu dans les chambres et vous trouverez du linge propre dans les armoires. Pour votre repas du soir, il y a de la soupe au potiron. Il suffit de la réchauffer. Demain, je vous apporterai de quoi remplir le garde-manger.


En effet, elle était revenue le lendemain et les jours suivants. Ceux-ci avaient été consacrés à la découverte de la ville. Les deux femmes empruntèrent les traverses, flânèrent au marché, admirèrent les fontaines, tombèrent sous le charme des placettes. Irène s’étonnait de ne ressentir aucune fatigue, pas le moindre essoufflement. Elle allait mieux. Ses mouchoirs immaculés en témoignaient. Peut-être ses poumons ne s’en iraient-ils pas en lambeaux, finalement. Le froid sec, l’air vivifiant, étaient-ils à l’origine de cette amélioration ? À moins que ce ne soit le mimosa. Au bout d’une semaine, l’arbre s’était chargé de lourdes grappes d’un jaune éclatant. Irène s’en caressait le visage, humant au passage l’exhalaison suave des boules duveteuses. En cachette de sa tante bien sûr, car la vieille fille persistait à trouver l’arbre suspect. Elle préférait à son épanouissement superbe et à son enivrante fragrance, les arômes délicats de la parfumerie Fragonard.


Ce fut pourtant lors de l’une de ses visites qu’Irène se trouva mal. L’employé de la boutique n’eut que le temps de la recevoir dans ses bras, ployée comme une jeune tige. Pendant qu’il la ranimait à l’aide de petites tapes sur les joues, il expliqua à la tante :


- Ici, nous avons fréquemment ce genre de malaise. Le mélange des parfums, vous comprenez…


En même temps, il souriait à Irène d’un air encourageant. La jeune fille lui sourit en retour. Quel âge avait-il, ce garçon à la mine avenante, au chaud regard marron ? Sans doute pas plus de dix-huit ans. Son âge, à peu de chose près. Les jeunes gens échangèrent quelques banalités, ce qui ne fut pas du goût de l’austère Alice. En quittant la parfumerie, elle fit la leçon à sa nièce. Une demoiselle M. ne devait pas se montrer aussi familière avec un vulgaire commis de magasin.


- Du reste, ajouta-t-elle, tu n’en auras plus l’occasion car nous ne remettrons plus les pieds chez Fragonard. Les manières de leurs employés sont par trop désinvoltes.


Irène aurait été bien en peine de résister, car quelques jours plus tard, une brusque résurgence de son mal la força à s’aliter. Affolée, la tante appela à son chevet un grand professeur de Marseille qui préconisa des bains froids pour faire tomber la fièvre et des cataplasmes à la moutarde pour dégager les bronches. Il fallait aussi boire du lait, beaucoup de lait. Irène se plia docilement à ces traitements hétéroclites. Elle savait maintenant qu’elle ne se promènerait plus place Bellecour, qu’elle n’irait pas au bal d’été de Madame V., qu’elle n’aurait jamais dix-huit ans. Tout son être se révoltait à cette idée. Elle voulait vivre, sourire encore à ce garçon, à d’autres garçons. Elle rassembla ce qui lui restait de force pour se lever, avala un peu de bouillon de poule et demanda à prendre l’air. Selon les directives de la tante, la vieille Guillemette installa son fauteuil à l’abri du vent et assez loin du mimosa dont l’or vif rivalisait d’éclat avec le soleil.

- Leur senteur t’incommoderait, lui rappela Alice qui, en l’espace de quelques semaines, avait assis son autorité. Et une demi-heure, pas plus. N’oublie pas que ton père arrive ce soir.


Irène frissonna, en dépit du monceau d’écharpes et de châles dont on l’avait couverte. Si son père arrivait, c’est qu’elle n’en avait plus pour longtemps. Elle se raccrocha à la lumière du jour d’hiver, à ces boules jaunes dont le parfum lui parvenait par bouffées. Il lui fallait les toucher une dernière fois et surtout, les respirer. Dans un ultime effort, la jeune fille parvint à s’extraire de son fauteuil. Elle rampa vers l’arbre magnifique, enfouit son visage dans les fleurs et prit une grande inspiration. Les odorants duvets jaunes envahirent aussitôt ses poumons, remplissant les cavités que la maladie avait creusées dans sa poitrine. Sous la pression, les lobes se dilatèrent, puis éclatèrent. Irène mourut étouffée.


Le mimosa était couvert de sang.


 
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   Bidis   
24/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Tout d’abord, une remarque sur la vraisemblance : à partir du moment où l’on crache du sang, une tuberculose est très grave et la minimiser à côté de la phtisie de la mère et du frère est un peu étrange. D’autre part, dans nos contrées, depuis un demi siècle, on n’a plus l’habitude de considérer cette affection, qui se soigne très bien, comme une maladie mortelle. Il est vrai qu’elle devient, paraît-il, résistante aux médicaments, mais c’est tout récent.

Par rapport au traitement de l’histoire, je trouve que, dans le premier paragraphe, les informations sont trop resserrées. Il faudrait, je trouve, développer et imager le fait que l’héroïne crache ses poumons, montrer sa peur et puis introduire le mot « tuberculose ».
Puis parler de la famille, des antécédents médicaux, du père, développer les charges de ce dernier… Pour autant d’informations, le paragraphe devrait, à mon avis, doubler en longueur.

Et aussi revenir sur l’attitude du médecin juste avant le dialogue, puisque c’est le médecin qui va parler en premier.

Enfin, c’eût été plaisant et instructif d’avoir plus de renseignements sur la ville de Grasse, et qu’on ait vraiment l’impression de s’y promener grâce à des descriptions plus détaillées.

Par contre, on s’attend vraiment à une autre chute. Or celle-ci me convient tout à fait.

- « D’abord, il y avait eu la mer scintillante, … » : je trouve que la Méditerranée mérite plus de recherche pour son introduction dans un texte que ce banal « il y avait eu »
- « Je lui ai donné la chambre orientée au sud, juste en face de la vôtre. J’ai fait du feu dans les chambres… » : répétition du mot « chambre »
- « Ce fut pourtant lors de l’une de ses visites qu’Irène se trouva mal » : un peut lourd, j’aurais préféré « Au cours d’une de ces visites, Irène... »

En définitive, petit moment de lecture plaisant mais trop anodin. Pour moi, cette histoire aurait nettement été meilleure si chaque morceau en avait été développé avec émotion et poésie.

   calouet   
24/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Effectivement, on peut te reprocher d'aller un peu vite ne besogne, sur certains aspects : les antécédents familiaux, la visite chez fragonnard etc. N'empêche que moi j'aime bien l'écriture rapide, les descriptions succintes, d'autant qu'elles me semblent quand même efficaces ici... Et puis l'intrigue me plait, le personnage d'Alice, bien que caricatural est bien campé.

   Anonyme   
25/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Moi le titre m'a attiré et je m'attendais béatement à un texte
surréaliste. Bon tel ne fut pas le cas, mais j'ai passé un assez agréable moment de lecture. A l'inverse de Bidis, on voit venir la fin d'assez loin, pour ma part du moins, mais la chute est tout de même bien réussie. Noir sans être geignard dirais-je.

   clementine   
26/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Evidemment c'est plein d'invraisemblance et pas de notre époque je pense.
Mais moi cela ne m'a pas vraiment gênée car j'ai apprécié l'écriture que j'ai trouvée claire et agréable.
La fin ne m'a pas surprise du tout, elle était clairement annoncée.
Une tournure de phrase m'a déplut " mais elle avait les yeux bons" elle avait un bon regard m'aurait paru mieux adapté, ou ses yeux reflétaient la bonté.
Mais c'est vraiment un détail, et dans l'ensemble j'ai apprécié ce texte.

   Anonyme   
15/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Dès le début de l'histoire, je pensais que le mimosa allait y jouer un rôle majeur. Dans le sens de celui d'un arbre guérisseur, par exemple. Eh bien non, il n'en est rien ! Ça doit être mon côté "positiviste". Mais telle qu'elle est, la fin me convient tout autant.

Dans l'ensemble, le style est suffisamment clair et direct.


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