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Science-fiction
macalys : Incident de parcours
 Publié le 05/09/07  -  19 commentaires  -  19543 caractères  -  127 lectures    Autres textes du même auteur

Dans un monde froid et aseptisé, où les gens vivent dans des bulles, protégés de l'extérieur, une jeune fille curieuse abandonne ses défenses artificielles l'espace d'un après-midi...


Incident de parcours


Comme d’habitude, son réveil la tira du sommeil à huit heures. Ji se leva sans enthousiasme. Le jour l’ennuyait tellement plus que ses nuits fertiles en rêves… Elle bascula son matelas dans le désintégrateur situé à la tête de son lit, puis se glissa dans la douche désinfectante de sa chambre. Le jet d’eau chaude exhala des vapeurs de vanille pendant dix minutes. Après sa toilette quotidienne, elle enfila sa combinaison pressurisée transparente.


Elle rejoignit ensuite la cuisine. Ses parents, sa sœur aînée et son frère cadet s’y trouvaient déjà. Elle salua les uns et les autres d’un signe de tête respectueux tout en s’asseyant à la table flottante. La cuisine ne ressemblait en rien à celles qu’on lui avait montrées sur des images holographiques du siècle précédent. Ici pas d’évier, ni de réfrigérateur, ni de four, ni de plaques chauffantes, encore moins de poubelle. Non, la pièce comportait uniquement une étagère auto-nettoyante, une surface plane assez vaste pour y disposer de la nourriture, six banquettes anti-gravité, et l’indispensable désintégrateur. Ce dernier objet s’était imposé au fil du temps dans toutes les habitations modernes. Il fractionnait et anéantissait les molécules de tout ce qu’on y introduisait. Cette invention avait révolutionné l’hygiène familiale. Et les formes de suicide.


Son père répartit devant chaque membre de la famille silencieuse une pyramide de comprimés multicolores et un vase d’eau bouillie refroidie. Un assortiment de pilules équivalait à un petit-déjeuner équilibré : jaune pour les lipides, rouge pour les glucides, bleu pour les protéines, orange pour les vitamines, vert pour les minéraux. Ji avala rapidement son repas ainsi que le contenu de sa carafe, puis elle quêta et obtint un regard de sa mère l’autorisant à quitter la table. Elle empoigna alors son récipient et le jeta, puis se dirigea vers l’aire de décollage. Elle s’installa dans sa bulle en ligion extra-léger, matière à l’épreuve des chocs et des bactéries. Elle boucla sa ceinture de sécurité et inspira longuement.


Elle accomplissait la plupart des actes de la journée sans y penser, comme on sacrifie à un rite sans plus savoir ce qu’il signifie ou à qui il se destine. Mais à certains moments, la mécanique d’automate s’estompait et elle en respirait mieux, elle goûtait à la liberté. Et quand elle grimpait dans sa bulle, elle se sentait particulièrement libre.


Une intelligence artificielle gouvernait sa bulle en ligion. La machine intelligente percevait journellement sa variation de poids et de volume, son état de santé et son humeur, et adaptait l’habitacle en conséquence. Pourvu qu’on l’ait programmée à cet effet, elle informait ses parents et amis de ses moindres faits et gestes. Surtout, elle la conduisait vers la destination souhaitée. Mais pour Ji, plus qu’un moyen de transport ou une protection contre les agressions extérieures, la coque isolante constituait un véritable refuge. Elle la considérait comme son espace personnalisé dans un monde anonyme, comme un havre de paix où elle existait, enfin.


Un arôme de fleurs sauvages envahit la cabine. La température se régla automatiquement sur vingt-cinq degrés centigrades. Le siège prit l’aspect d’un fauteuil Voltaire en acajou, blanc à rayures dorées. Le ligion se teinta de blanc, reflétant la sérénité de Ji. La bulle décolla, prête à partir pour l’université. Tandis que son engin s’élevait dans les airs, Ji alluma la radio afin d’écouter la revue de presse de neuf heures. Une voix masculine monocorde égrenait les nouvelles.


« Selon une enquête gouvernementale, le nombre de sans-bulles aurait augmenté de deux pour cent le mois passé. Le ministre de la santé a visité en personne les grandes usines du pays pour les prier d’accélérer la production de ligion. Il aurait ordonné le déblocage de fonds afin d’équiper les familles démunies. Moins de huit pour cent de la population refusent encore de se déplacer en bulle… »


Ji frémit d’horreur. Les parois de sa sphère diffusaient l’image filmée de l’extérieur d’un paysage embrumé. C’était l’hiver. Elle imagina des humains grelottant dans le froid rude, serrés les uns contre les autres dans une cabane en bois au sol de terre battue. Cette vision lui arracha un frisson de dégoût. D’une part, elle s’avérait incapable d’envisager qu’on puisse vivre volontairement à l’air libre. Ensuite, l’éventualité d’habiter dans une masure construite avec des matériaux naturels, donc nécessairement sales, lui soulevait le cœur. Elle coupa la radio. Les informations charriaient la souillure du dehors dans son paradis de chaleur et de propreté.


Elle se concentra sur le spectacle qu’offraient les milliers de bulles transportant leurs occupants vers les lieux de leurs activités. Depuis l’avènement du ligion et de ses propriétés anti-gravitationnelles, les routes avaient disparu, remplacées par de majestueuses forêts. Bleues, brunes ou grises selon la coloration du verre qui les recouvrait, des tours gigantesques composaient désormais l’essentiel des villes. Partout ailleurs que dans les endroits abritant des hommes, la nature avait prospéré.


Pour parvenir à la faculté de lettres où elle étudiait, Ji aimait à longer une rivière serpentant à travers un bois de conifères. Ce matin-là, un frimas dense enveloppait les myriades de bulles qui devançaient celle de Ji. Selon l’humeur de leurs propriétaires, elles affichaient une couleur différente. À l’heure où le soleil achevait de monter à l’horizon et de dissiper les ultimes traînées de brouillard, les coques scintillaient dans la demi-nuit environnante. Elles dansaient un ballet lumineux à la fois intrigant et fascinant. Ji ne s’en lassait jamais.


Le dôme de l’édifice de la faculté de lettres émergea soudain de l’océan de feuillages. Ji modifia sa trajectoire. Elle pénétra dans le bâtiment par la rampe de la salle quatre dans laquelle se tenait son cours. L’amphithéâtre s’emplissait jusqu’au plafond de bulles multicolores, massées autour de la sphère vert sombre du professeur. L’ordinateur de bord localisa l’ami de Ji. Elle n’avait en effet qu’un ami. Elle ne l’avait pas encore vu, mais ils avaient suffisamment communiqué pour se déclarer amis. Elle ignorait s’il s’agissait d’un garçon ou d’une fille. Quelle importance ?


L’habitacle de son camarade renvoyait un violet-gris symbole de mauvaise humeur. Jaune pâle prudent : Ji s’enquit prudemment des raisons de sa contrariété. Bleu roi : il avait mal dormi. Ji n’insista pas. Se faire des amis n’était pas assez simple pour se permettre de les contrarier.


Nul ne niait l’intérêt du langage des couleurs, incontournable si l’on voulait éviter de polluer l’intérieur des bulles par des fluides malsains ou des odeurs fétides. Pourtant, selon Ji, il avait singulièrement compliqué les rapports humains. Les échanges étaient maintenant régis par des protocoles compliqués. D’abord, en aucun cas on n’abordait quelqu’un qu’on n’avait pas déjà rencontré. L’ordinateur se chargeait d’enregistrer les codes identifiant des personnes croisées. Ensuite, on ne dévoilait son corps qu’à sa famille ou à ses intimes. Enfin, des étapes rigides jalonnaient les prises de contact. On se reconnaissait, on se saluait, puis on échangeait les numéros d’appel des ordinateurs de bord. Pour s’adresser des messages de couleurs, il fallait attendre deux semaines, pour évoquer d’autres sujets que des banalités sur la pluie et le beau temps, deux mois. L’intelligence artificielle de la bulle contrôlait tyranniquement le respect de ce processus de sociabilité.


Ji suivit avec attention ses classes du jour. Elle avait choisi d’assister à une série de conférences traitant des livres anciens. Elle-même n’avait pas eu l’occasion d’admirer d’ouvrage de papier ou de parchemin ailleurs que sur des hologrammes ou des photographies. Elle raffolait de ces antiquités. Elle espérait se spécialiser dans leur étude.


À la fin des cours, elle effectuait généralement une promenade hygiénique. Elle pilotait elle-même son engin en ligion et s’enfonçait dans les forêts qui parsemaient le chemin du retour. La nature lui semblait si belle ! Parfois, elle effleurait l’idée de s’extirper de sa bulle et de découvrir les enchantements d’une excursion champêtre. Mais presque aussitôt, son esprit raisonnable lui rappelait les inconvénients d’une telle expédition. La possibilité de se salir ou de devenir l’hôtesse d’un virus destructeur l’amenait invariablement à renoncer à son projet.


Elle s’orienta vers un lac auprès duquel elle appréciait flâner. Le soleil brillait et la fine pellicule de glace formée sur l’eau réverbérait son éclat. La rive saupoudrée d’argent semblait couverte de sucre glace. Dans les arbres, le givre dessinait des étoiles. Ji ralentit pour se rassasier de ce décor féerique.


Elle avait parcouru environ un quart de la superficie de l’étendue glacée quand elle perçut des cris stridents. Elle adopta immédiatement le mode camouflage, puis s’avança précautionneusement vers la source du vacarme. Ce qu’elle vit lui coupa le souffle. Des enfants sans-bulles couraient sur la berge. Des étoffes de laine et de coton aux couleurs criardes les emmitouflaient, donnant à leurs corps un aspect étrangement boursouflé. Ils hurlaient, ils riaient… Ils riaient ! Cette apparition plongea Ji dans une telle stupéfaction qu’elle manqua de percuter un sapin.


Elle s’immobilisa et rectifia sa trajectoire, continuant de s’approcher des enfants. Deux d’entre eux s’étaient empoignés et roulaient dans la neige. Le premier grattait les côtes de son compagnon qui se tortillait de rire. D’autres se poursuivaient, tentant de se capturer. Trois garnements s’amusaient à fendre la glace avec des pierres.


Un puissant vertige s’empara de Ji. Elle refoula à grand-peine sa nausée tandis que l’ordinateur de bord s’affolait et débloquait les fonctions de survie de la bulle. Les commandes repassèrent en mode automatique de conduite. La sphère de ligion ramena Ji chez elle, quasi-inconsciente. Elle s’alita. Sa mère était si angoissée par son état qu’elle viola une demi-douzaine de préceptes élémentaires de salubrité pour s’installer à son chevet. Elle toléra même de passer une main furtive sur le front de sa fille.


Ji passa une nuit agitée, entrecoupée de cauchemars. Mais le lendemain, après une douche antiseptique parfumée à la fraise et un solide petit-déjeuner survitaminé, elle s’affirma prête à affronter une journée de cours. Elle partit sous l’œil inquiet de ses parents. Rien de plus rare et de plus effrayant qu’une maladie.


Sa coque en ligion se colora de bleu-vert, bleu pour le rêve, vert pour l’espoir. Ji surprise s’interrogea sur la signification de son humeur. Elle dut finalement s’avouer que la curiosité l’avait emportée sur la raison dans le courant de la nuit. Elle renouvellerait sans hésiter son expérience de la veille si l’opportunité s’en présentait. À cette seule pensée, son estomac s’insurgea. Il obéissait ainsi à un instinct tout à fait artificiel, créé par des années de conditionnement intensif. La crasse gâte et corrompt tout ce qu’elle touche. Et Ji ne se proposait-elle pas d’observer des gens abjects qui se traînaient dans la boue et recelaient certainement toutes sortes de microbes ? Désobéir aux lois de sécurité excitait son timide esprit d’aventure.


Ji écouta ses cours d’une oreille distraite puis se propulsa vers le lac. Il avait neigé pendant la nuit et la température extérieure avait baissé jusqu’à atteindre des valeurs négatives. Une épaisse couche de glace couvrait l’étendue d’eau, assez épaisse pour que les enfants se risquent à y patiner. Leurs gestes patauds les entraînaient dans des chutes fréquentes. Cependant, quelques patineurs exécutaient de gracieuses figures. Ji envia un instant leurs prouesses aériennes, leur apparente légèreté, leur air heureux. À contrecœur, elle détacha ses yeux du groupe pour chercher un poste d’observation plus discret que le ciel.


Elle se dissimula au ras du sol dans les branches des sapins. Au besoin, sa bulle se fondait dans le décor tel un caméléon. À la fois honteuse et exaltée, elle épia les joueurs, scrutant leurs visages avec avidité. Elle n’avait jamais détaillé aucun visage que ceux de sa famille proche. Elle examina en particulier les expressions qui tiraient les traits des enfants. Elle déchiffra peu à peu le sens de ces grimaces inconnues de son système de références. Les coins de la bouche relevés manifestaient la joie, les lèvres serrées la concentration ou la volonté, le menton plissé la douleur et les larmes. Elle nota également les variations de couleur de leur peau : les lèvres bleues ou violettes, les joues rouges.


À quelques pas de sa cachette, des jeunes de son âge s’absorbaient dans une insolite construction de neige. Ils fabriquèrent d’abord deux boules de taille inégale, puis hissèrent la petite sur la grosse. Elle devina bientôt qu’ils essayaient de réaliser un personnage grossier. À quoi bon ? Perdue dans ses contemplations, elle sursauta violemment lorsqu’une boule de neige heurta la surface de sa coque de ligion.


Jusqu’alors, Ji n’avait pas remarqué le groupe agité de garçons qui se bombardaient de boules de neige. Ils s’étaient divisés en deux camps, chacun retranché derrière une barricade de pierre et de bois, et ils s’arrosaient de neige. Et maintenant, à cause de son imprudence, ils avaient repéré Ji. Ils couraient vers elle, un grand maigre revêtu d’un anorak bleu à leur tête.


« Regardez les copains ! Une bulle nous espionne ! Dénichons-la ! »


Une véritable pluie de neige s’abattit sur Ji. Elle s’accroupit au fond de sa bulle en un réflexe défensif, puis se détendit quand elle prit conscience de ne courir aucun danger. Elle se traita mentalement d’imbécile, furieuse contre sa réaction primaire et contre ces gamins hostiles. Le ligion vira au rouge, un insoutenable rouge de rage. Ravis, et pas vraiment impressionnés, ses agresseurs s’acharnèrent de plus belle contre sa machine.


Mais soudain, un hurlement interrompit leur jeu brutal. Un des plus jeunes patineurs s’était aventuré vers le centre, là où la glace était fragile, et il avait glissé dans l’onde glacée du lac. Et l’eau sombre refermait sur lui ses bras congelés, le submergeant, l’attirant vers une mort certaine. Ses camarades de jeux regagnaient la berge en criant. Seule une jeune fille osa s’aventurer sur l’aire de jeux fendillée pour le secourir. Pas à pas, elle progressa vers le naufragé. Les efforts frénétiques que celui-ci déployait pour rester à la surface faiblissaient déjà. Miraculeusement, elle réussit à l’extirper de la brèche fatale, puis le porta sain et sauf sur la rive. Des exclamations de gaieté et de soulagement les accueillirent. Mais le rescapé était mal en point. Il luttait pour demeurer éveillé et ses membres s’engourdissaient sous ses hardes trempées. Un des galopins désigna la sphère rouge à la courageuse demoiselle qui avait pratiqué le sauvetage. Celle-ci se tourna vers Ji, suppliante :


« Mon frère a besoin de chaleur, sinon il risque de mourir. Laisse-lui ta bulle quelques heures, je t’en prie. Nous habitons loin, et nos parents ne viendront nous récupérer qu’à la tombée du jour. Aide-nous ! »


Ji s’envola pour réfléchir. L’idée de sortir de sa bulle l’épouvantait, mais sa curiosité la poussait à tenter cette expérience inédite. Elle ne s’alarmait pas pour le bambin transi de froid. Après tout, s’il mourait, il ne le devrait qu’à l’irresponsabilité de ses parents. Comment survivre sans protection de ligion ? Elle se décida enfin à se hasarder dehors. Elle désirait savoir quelle texture a la neige, ce qu’on ressent quand on a froid, quand on se distrait avec d’autres personnes.


Elle enclencha la fonction thermo-isolante de sa combinaison et en remonta la capuche sur ses cheveux. Elle opacifia le tissu de son vêtement. Elle ajusta un masque sur son visage. La cabine recelait ce type d’accessoire en cas d’urgence extrême. D’un air résolu, elle ouvrit une trappe dans la coque et sauta à terre.


Le froid frappa les rares parties non protégées de sa face. Elle peina à retrouver sa respiration. Il lui semblait que l’air glacé lui arrachait les poumons. Elle marcha un peu : la neige craquait sous son poids. Elle en saisit une poignée mais les gants de sa combinaison l’empêchèrent d’apprécier sa texture. Elle l’appliqua donc sur sa joue. Une mousse gelée, mais douce.


Derrière elle, la sœur attentionnée étendait son frère dans la sphère avec des précautions infinies. Elle ne possédait pas ce genre d’engin, mais elle paraissait savoir s’en servir. Une fois l’enfant en sécurité, elle salua Ji, les paumes tendues vers elle, conciliante :


« Ey ! Bonjour. »


Ji l’examina en silence, les yeux plissés, prête à s’esquiver en cas d’agression. Après une interminable confrontation visuelle, elle baissa enfin la garde, abandonnant son attitude farouche. Elle répondit :


« Bon-jour. »


Articuler ce simple mot lui coûta énormément. Elle n’avait pas prononcé la moindre parole depuis ses classes d’école primaire. Dans sa réalité, personne ne se parlait. Les politiciens, les professeurs, les acteurs composaient leurs interventions au moyen de couleurs ou de voix artificielles. En fait, Ji balbutiait tout au mieux. L’élocution était pour elle une langue étrangère. Aussi, lorsque son interlocutrice l’invita verbalement à participer aux divertissements de la joyeuse troupe, Ji se contenta d’opiner du menton en guise d’acquiescement.


Débuta alors une après-midi de démence pure. Ji roula des boules de neige et les envoya sur ses nouveaux amis. Elle grimpa aux arbres et déchira sa combinaison, s’égratignant même le genou. Elle chaussa des sabots de bois plantés de lames coupantes et apprit à patiner maladroitement. Elle aida les bâtisseurs du groupe à compléter leur armée de bonshommes de neige et à ériger des igloos. Elle expérimentait les sensations grisantes du froid, de la faim, du bonheur.


Le rêve s’acheva à la tombée de la nuit. Pour le goûter, elle partagea avec les enfants des aliments solides. Oubliant de les mastiquer, elle faillit s’étouffer à plusieurs reprises. En se redressant, elle trébucha sur une branche et s’effondra. Elle vomit tout ce qu’elle avait ingurgité. La souffrance et l’horrible substance qu’elle expulsait de ses entrailles lui inspirèrent une répugnance inénarrable. La joue dans la flaque malodorante et poisseuse, elle réalisa la saleté de son vêtement, par les déchirures duquel suintait du sang, la morve dégouttant de son nez sur ses joues brûlantes de fièvre, sa fatigue, ses courbatures, son inconfort physique. Elle repensa aux personnes qui l’avaient touchée ou qui avaient engagé la conversation avec elle, à toutes celles qui l’avaient vue. Elle se sentit soudain avilie, méprisable. Elle ne se reconnaissait plus.


Elle se leva en titubant et rallia sa bulle. Les voyants du médecin de bord clignotaient en vert. Elle ordonna l’éjection du jeune malade. Un bras mécanique le déposa délicatement à terre. Sa sœur se précipita vers lui et le reçut dans ses bras. Interdite, impuissante, elle regarda Ji se déshabiller, piétiner sa combinaison puis se hisser dans la cabine.


La trappe se referma. Ji commanda à l’ordinateur une toilette soignée et le pansement de ses plaies. D’ici à chez elle, elle aurait certainement enfilé une combinaison neuve et oublié cette regrettable journée, ce malheureux incident de parcours.


La bulle noire, obscure, menaçante, s’élança dans le ciel assombri qui se piquetait d’étoiles.


 
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   Cyberalx   
13/7/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Waow !

Je dois dire que je suis scié ! C’est du travail de professionnel, bien écrit, maîtrisé d’un bout à l’autre, je n’y vois rien à redire.

C’est vrai que plus d’un auteur souhaite qu’on lui adresse des critiques afin qu’il puisse s’améliorer, mais là… J’ai rien sous la main.

En te lisant, j’ai retrouvé l’atmosphère d’un de mes livres préférés : « Le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley, il y a ce ton si particulier qui fait qu’on a envie de rire mais qu’en même temps : On est inquiet de la probabilité qu’un tel monde voit finalement le jour.

Ce futur, presque créé de toutes pièces pourrait même faire un très bon roman.

Bravo, et merci pour ce cadeau !

Tu a placé la barre très haut, j’espère que tu a encore quelques histoires comme ça pour nous en réserve.

   Bidis   
5/9/2007
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Cette nouvelle frôle, je suis bien d’accord, la perfection.
A mon avis, le style est fluide, léger, sans fioriture.
L’originalité de ce texte réside dans l’invention d’un véritable monde futur extrêmement bien détaillé et sans détails inutiles pourtant. Le lecteur est intéressé-fasciné par une véritable vision. Les descriptions sont simplement magnifiques.
J’ai relevé parmi les trouvailles géniales, entre autres :
-le terme de « sans bulle »,
-les couleurs qui se « parlent »
et des images d’autant plus jolies et parlantes qu’elles sont simplement dites : Exemple : « Dans les arbres, le givre dessinait des étoiles. »

J’ai relevé deux ou trois petites choses :
-le fauteuil Voltaire; bien sûr, il s’agit du goût de l’auteur. Et sans doute beaucoup de lecteurs partageront ce goût. Pour ma part, mêler à ce point l’hyper moderne à l’ancien dans ce qu’il a d’un peu lourd quand même m’a heurtée.
-"JI frémit d’horreur. Les parois de sa sphère… " : On s’attend à des fissures, à un éclatement, quelqu’événement terrifiant. Et puis non, ce sont les affres de l'âme de Ji quand elle imagine ce qui arrive aux Sans bulle. Bien sûr, je comprends, d’après ce qui va se passer par la suite, qu’il s’agit de sensiblerie plus que d'empathie prête à se mettre en cause. Mais sur le moment, je suis frustrée de ce que rien, aucun accident aux parois ou autre événement spectaculaire, ne s’est produit…
-lui arracha des frissons : je ne crois pas qu’on « arrache » des frissons. On donne des frissons ou on fait frissonner…
-une promenade hygiénique : cet adjectif n’est guère poétique dans un texte qui l’est beaucoup

Un bon moment de lecture.
Merci Macalys

   Anonyme   
6/9/2007
 a aimé ce texte 
Bien
Forcément, je vais être moins élogieux que vous.
Oui, le style est parfait. Un peu trop peut-être. Pas de prise de risques. Donc pour moi un peu trop conventionnel.
Dans le genre (science-fiction) ce n'est pas facile, j'en conviens.

Mais qu'est-ce vraiment l'écriture si on assure comme on dit...?

J'aime qu'à chaque pas elle vous fasse trébucher sur une de ses pierres éburnées ou tranchantes. Pieds et mains doivent saigner :D


Ici l'auteur assure, un style impeccable, une intrigue convenue.
De la SF, j'en ai avalée des tonnes (il y a bien longtemps), du meilleur comme du pire. Ici je dirais que c'est juste ce qu'il faut pour divertir l'esprit dans une belle écriture.



Edit: Heureux que mon appréciation chiffrée n'ôte pas de plume à ce bel oiseau

   Pat   
8/9/2007
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
J'ai eu peur quand j'ai découvert cette nouvelle... Il y a des points communs avec un début de roman qui moisit au fond de mes tiroirs... Et puis non, il y a des différences quand même... Je ne dirai pas lesquelles (un jour peut-être arriverai-je à terminer ce truc...). En tout cas, c'est une bien belle nouvelle... dépaysante... Il y a des trouvailles tout à fait intéressantes dans ce monde... Du coup, on a envie d'en savoir plus sur cet univers... C'est très bien décrit... agréable à lire... Peut-être que cette nouvelle aurait un peu gagné à être un peu plus développée : le passage entre le dégoût et la curiosité est un peu trop rapide... mais il s'agit d'une nouvelle... Il est difficile de laisser les évènements évoluer progressivement... Bravo, en tout cas. C'est le genre de SF dont je suis friande...

   Ninjavert   
13/9/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup
A la base, ça ne ressemble pas franchement à la SF que j'aime vraiment. Pour moi, ce genre de monde est beaucoup trop abstrait, beaucoup trop surréaliste pour que j'y adhère pleinement. Bon à côté de ça on aurait dit à un mec à la renaissance qu'on poserait des robots sur des comètes, il se serait bien marré.
C'est personnel, je sais.

Pourtant, on accroche. C'est bien décrit. C'est inventif et crédible. Tu utilises des thèmes chers à notre société (l'hyper propreté, la désociabilisation de l'individu...) qui font qu'on est jamais vraiment perdu dans le texte.

Pourtant, si le code de couleur est très bien trouvé, je le trouve assez incohérent avec l'évolution du monde moderne. Que les gens ne se fréquentent (presque) plus physiquement, tu le justifies et on y croit. Qu'ils ne communiquent que si difficilement, ça me paraît un peu aller à l'encontre du chemin qu'internet semble tracer, à force de tchats, de forums, de messengers... Ca m'a paru peu plausible, ou alors il faudrait un soupçon d'élément qui le justifie.

Là encore, c'est totalement subjectif.

Comme Pat, j'ai trouvé que Ji cédait un peu vite à sortir de sa bulle.
Mais j'ai beaucoup aimé qu'elle y retourne si vite, et dans de telles conditions.
Une attitude qui me semble beaucoup plus crédible... Quitte à ce qu'elle y retourne une autre fois, appaisée, pour retenter l'expérience, qui sait ?

Un beau texte, parfaitement maîtrisé. Le thème est convenu, et sans réelle surprise, mais bien exploité.

J'ai passé un très bon moment, bravo !

Ninj'

PS : Juste une chipouille, Ji utilise le terme "d'anorak"... Elle ne sait surement pas ce qu'est un anorak, et elle a -la veille- décrit les gamins en disant que "des étoffes de laine et de coton aux couleurs criardes les emmitouflaient"... J'ai eu du mal à croire au terme anorak après ça ^^

   guanaco   
13/9/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
je ne suis pas amateur de Sf mais quand dans les textes je comprends tout ce qui se passe, j'accroche, et j'ai vraiment accroché.
Tu arrives à ballader le lecteur. Ji va sortir de sa bulle pour aller sur la neige? NOn, pas tout de suite, le lendemain peut être... Elle va sauver le p'tit tombé dans la glace? Non, pas encore, on patiente et elle finit par sortir. Ca y est, Ji restera dehors! Eh ben non, tralalère, elle rentre dans sa bulle, ce n'est qu'un incident de parcours...
Merci pour cette "ballade".
Ma bulle est verte! ;)

   Anonyme   
14/9/2007
 a aimé ce texte 
Un peu
C'est bien écrit certes, le style est parfois un peu convenu. Ce texte c'est un truc complètement impersonnel, passe partout. Honnêtement ça manque de ressort, il n'y a pas de ressenti, que de l'énoncé, pas assez d'investissement, pas de respiration pas de prise de risque, c'est flat et aseptisé. c'est un peu dommage. Il y a un dénouement intéressant mais pas bien ammené. Ce que je voudrais c'est que l'auteur écrive son truc à lui avec ses tripes et là on perdrait cette impression de copier coller qu'on a au moins au début, avec la cuisine les banquettes etc. Qu'on ait du vrai Macalys parcequ'il y a du potentiel.

   Kurnov   
28/9/2007
Bravo!

Je suis nouveau sur ce site mais j'avoue que je partage un avis déjà donné: du travail de pro. C'est prenant, bien réfléchi, bien détaillé... je ne sais pas ce qu'on va dire de ma prose plus tard, mais je pense que Macalys a du talent.

La critique est aisée, mais l'art est mine aux torts... :)

   Anonyme   
5/10/2007
Franchement, Bravo !, tu arrives à décrire avec talent et dans les moindres détails un monde futur....comment dire...Térrifiant d'inhumanité !!, et on prend plaisir à se laisser porter par cette histoire, en espérant secrètement que notre futur, ne ressemblera pas trop vite à cela...
Pour ma part, je suis inodore, incolore et sans saveur... derrière mon ordinateur, mince !! mais alors il faut peut-être que j'vérifie si ma voiture ne ce serait pas transformée en... BULLE !!!!

   AEMark   
24/10/2007
J'ai vraiment adoré ! Je ne savais jamais comment cela allait finir. Un moment je pensais que la fille allait sortir de son monde aseptisé pour être une sans-bulle, puis qu'elle allait mourir parce qu'elle était dehors, puis qu'en rentrant chez elle, elle serait malade... Et en fait non !
C'est ce qui fait que c'est super bien écrit, beaucoup de choses sont amusantes et originales (le langage des couleurs, le temps qu'on prend pour se faire des connaissances... la phrase "et de nouvelles formes de suicide" xD) et les descriptions du paysage hivernal sont très... je ne sais pas quel est le mot pour dire "semblent véritables" -_-'
Enfin voilà, je vais de ce pas lire tes autres textes si tu en as, en espérant en trouver d'aussi bien écrits que celui là !

   victhis0   
6/11/2007
Quelle ambiance...Me voilà transporté, effectivement dans un univers proche du Meilleur des Mondes (livre fétiche). J'aime beaucoup, surtout la non-facilité de la fin (genre, finalement la vie naturelle, c'est chouette). Style pur et précis. Sur le fond, j'aurais pensé la nature assez dégradée dans cette vie future (sinon les vies aseptisées sont trop éxagérées ?).
Félicitations sincères. A quand une édition sur du vrai papier, comme au XXéme siécle ?

   Togna   
10/12/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup
L’inhumanité d’un monde futur où les jeux des pauvres semblent inaccessibles pour la jeune fille nantie. Mais elle vainc ses interdits pour sauver l’enfant. C’est beau, et c’est dommage que « d’ici à chez elle, elle aurait oublié cette regrettable journée, ce malheureux incident de parcours. » Dis-moi, Macalys, si tu as fait une projection de notre monde, dis-moi qu’elle ne va pas oublier cette aventure extraordinaire pour elle, parce que si elle est capable de ça, alors je ne veux pas aller dans ce futur !
C’est un beau récit, d’une écriture un peu lisse, mais agréable.

   Anonyme   
28/12/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Au delà de la grande justesse de cette écriture, j'ai apprécié le récit. En effet, cette nouvelle est très aboutie. Je suis presque ennuyée de noter !

   xuanvincent   
19/7/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
J'ai bien aimé cette histoire. Je l'ai trouvée bien écrite et ce récit ne m'a pas laissée indifférente.

La description de ce monde aseptisé, où les gens ne se parlent, ne se touchent quasiment plus, m'a fait froid dans le dos...

Un seul regret (personnellement), celui que la jeune fille, Ji, ne soit pas allée au bout de sa démarche de rupture et que le récit suggère au lecteur qu'elle reprendra certainement ses habitudes. Après relecture, je comprends mieux le sens du titre.

   Jedediah   
31/10/2008
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un futur aseptisé et automatisé, pourquoi pas ?
L'auteur de cette nouvelle en tout cas a fait preuve de beaucoup d'imagination, en décrivant sans longueurs à quoi ressemblerait une société qui se voudrait "parfaite".
L'écriture est fluide et l'histoire se lit donc très bien, et la fin, aussi négative soit-elle, est bien trouvée, même si je m'attendais plus à voir Ji quitter définitivement sa bulle pour aller gambader à travers la forêt... :-)
J'ai donc été piégé !
Une belle morale donc à cette histoire : pour vivre heureux, restons nature.
Bravo pour ce texte.

   Flupke   
7/2/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Très chouette cette parabole où l'on peut dresser certains parallèles avec notre XXIème siècle.
Pour le chipotage, je me demande si mes arrière-arrière-arrière petits enfants devront encore se déplacer pour aller à l'université (à moins que le Vatican mette à l'index l'internet, les vidéoconférences et toute sorte de télécommunications à l'exception de la prière bien sûr). Et j'imagine que des dispositifs IA préviendront les télescopages et éviteront que l'on manque de percuter un sapin. Quand aux protocoles de contact contrôlés par IA, deux mois pour papoter, je reste dubitatif et je plains les policiers perquisitionnant, les ambulanciers, les hôtesses d'accueil, le techniciens de maintenance etc. Mais pour le reste tout est relativement crédible. J'aime bien l'idée d'une bulle à cause des ses effets de transposition psychologiques contemporaines comparable aux œillères. L'idée de communication par couleurs est assez intéressante. Bon une fois qu'on est passé par la porte étroite et que l'on accepte les dogmes de ce petit monde étrange, on est assez pris par la nouvelle. J'ai bien aimé et trouvé cela divertissant. Merci.

   Menvussa   
26/2/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Superbe cette histoire et la chute est idéale. On efface pas d'un coup d'un seul un tel conditionnement. Très belle imagination et agréable écriture.

   Selenim   
18/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Superbe écriture mise au service d'une histoire profonde et des personnages consistants.

Bravo.

   cherbiacuespe   
19/1/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Eh bien, je ne sais trop quoi penser de cette histoire. Bien écrit, bien décrit, il ne reste que peu de questions à poser et elle ne sont pas essentielles.

Cette civilisation aseptisée ne ressemble à rien d'humain. Peuplée de robots, on y verrait peu de différence. Certes, par les temps qui courent (coronavirus), certains y verront un paradis rassurant, cependant, la vie sociale en prend un sérieux coup derrière la tête. Progrès oui, déshumanisation beurk !

Bien écrit, construit et pensé au demeurant.


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