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Horreur/Épouvante
Ninjavert : 18 heures avant l'éternité
 Publié le 29/09/13  -  15 commentaires  -  59163 caractères  -  664 lectures    Autres textes du même auteur

Une histoire d'amour, avec des morceaux de zombie dedans.


18 heures avant l'éternité



Mars 2017, en région parisienne


Colombes, 19 h 46


Le tintement de la douille retentit sur le ciment froid. Le silence reprit possession du hangar, aussi vite que le vacarme des cris et des coups de feu ne l’en avait chassé. Ben parcourut du regard le vaste espace encombré de machines, de caisses et d’ustensiles industriels. David était adossé au groupe électrogène qu’il avait commencé à siphonner. Sans le filet rougeâtre qui ruisselait de sa gorge en lambeaux, on aurait pu croire qu’il dormait. Derrière lui se découpait la bouche sombre et menaçante de la trappe d’où ils avaient surgi. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer ? David aurait dû couvrir cette zone. Il aurait dû les voir arriver. Qu’est-ce qu’il avait bien pu foutre ? Quand il avait crié, il était déjà aux prises avec deux infectés. Cinq autres convergeaient vers Ben, le fixant de leurs yeux vides, les bras tendus dans sa direction. David avait payé le prix fort pour sa négligence… mais il n’était pas le seul. Ben posa les yeux sur son avant-bras. Le cuir déchiré de sa veste laissait apparaître sa chair nue. Comme dans un rêve, il revoyait l’infecté le saisir par la manche, tandis qu’il se débattait avec un autre. Il avait vu ses mâchoires se refermer sur son bras. Il avait hurlé, d’horreur et de douleur, avant de parvenir à se dégager et à lui éclater la tête.


C’était fini. Incrédule, les bras ballants, Ben avait du mal à réaliser. Tous ces mois passés à prendre des précautions, à affûter ses réflexes, à redoubler de vigilance, de prudence au quotidien… toutes ces attaques déjouées, tous ces infectés éliminés… tout ça foutu en l’air en une poignée de secondes ! Tout ça parce que cet abruti de David n’avait pas été capable de surveiller un escalier ! Mais quel con ! Furieux, Ben franchit les quelques mètres qui le séparaient du corps de son camarade. Il resta un moment à le toiser en silence puis pointa son arme sur sa tête et fit feu. Le crâne de David explosa, couvrant la paroi du générateur d’une purée sanguinolente.


– Va au diable, David.



C’était la règle qu’ils s’étaient fixée depuis le début : les morts devaient le rester. Les survivants tombés au combat n’avaient pour funérailles qu’une balle dans la tête.


Mordu. Un sort pire que la mort.


Sous le coup de l’adrénaline, Ben porta le canon de l’arme encore chaude à sa tempe et ferma les yeux.


Il avait déjà envisagé cette situation. Chaque soir, avant de s’endormir, il se demandait ce qu’il ferait s’il était contaminé. Le scénario variait selon son humeur, à l’exception d’un élément immuable : la présence de sa femme, Anne. Il devait lui parler. Au moins une dernière fois.


Cette pensée le ramena à la réalité. Le jour commençait à décroître au-dehors. Autour de lui, le hangar déployait ses ombres d’où la mort pouvait surgir à tout moment. Ben éjecta le chargeur de son pistolet et en enclencha un nouveau. Machinalement, il ramassa les douilles qui jonchaient le sol et les fourra dans sa poche. Il empoigna le seul bidon d’essence qu’il avait eu le temps de remplir et, sans un regard derrière lui, quitta les lieux.


Asnières-sur-Seine, 20 h 24


Ben avait laissé le vélo au coin de la rue et parcouru à pied la cinquantaine de mètres qui le séparait de l’ancienne blanchisserie. Ça faisait bientôt deux mois qu’ils s’étaient réfugiés dans cette planque. Depuis que la vieille usine avait été compromise. Il frémit au souvenir de ces vagues d’infectés qui déferlaient parmi les survivants terrifiés. Les corps piétinés, les coups de feu, les cris d’horreur et de souffrance… Il secoua la tête pour chasser ces images de panique.


Le crépuscule répandait ses lueurs colorées dans la rue, chaudes lucioles jouant le long des murs sales. Au bout de cinq minutes d’observation, Ben se dirigea vers la porte de la cour, entra sans bruit et referma derrière lui. Tout était silencieux. La deuxième équipe de coureurs n’était pas encore rentrée de sa patrouille et les survivants étaient regroupés de l’autre côté de la cour, de manière à ne laisser filtrer aucun bruit jusqu’à la rue. Les infectés n’étaient pas sourds. Il se dirigea vers "La Cabine", comme ils l’appelaient. C’est là qu’était installé l’émetteur radio qu’ils avaient récupéré dans la base militaire de Taverny, après qu’elle eut été dévastée par l’incendie et abandonnée. L’appareil avait souffert, mais Bruno était parvenu à le remettre en service… avant d’être infecté. Depuis, tout le monde croisait les doigts pour qu’il continue à tenir le coup.


Ben s’assit sur le siège et tenta d’établir la communication.


– Gordes, ici Asnières. Est-ce que vous me recevez ?… Gordes ? Ici Asnières. Est-ce que vous me recevez ?… Asnières pour Gordes. Vous me recevez ?…



Le silence ne l’inquiétait pas particulièrement. Ce n’était ni le jour ni l’heure prévus pour le contact, il n’y avait probablement personne derrière le récepteur. Son esprit glissa sur l’ombre d’un souvenir, l’entraînant trois ans en arrière, avant tout cette folie. À l’époque, Anne et lui avaient une vie normale. La jeune quarantaine, une fille de douze ans qu’ils aimaient, malgré sa crise d’adolescence. Un travail de bureau, un appartement en région parisienne… Le pire qui pouvait leur arriver était d’oublier leur portable à la maison ou de subir une énième grève de RER. Mais tout avait changé. On ne pouvait plus sortir dans la rue sans être armé et extrêmement prudent. On ne pouvait pas rentrer sans être encore plus prudent, au risque de ramener un flot d’infectés dans son sillage. Et il fallait vraiment être obligé de sortir, pour se risquer à affronter les infectés, les pillards, ou simplement les innombrables dangers dont regorgeait ce monde à l’agonie.


– … est-ce que vous me recevez ? Gordes, ici…

– Asnières, ici Gordes. Je vous reçois cinq sur cinq, à vous.



Ben sursauta. Il ajusta le casque sur son oreille et reprit.


– Euh, bonjour. C’est Benjamin.

– Bonjour Ben, c’est Sonia. Ce n’est pas un créneau planifié, tu as de la chance que je sois passée devant la salle. Tout va bien ?

– On fait aller. Est-ce que Anne est dans les parages ? Je dois lui parler.

– Elle était de sortie. Je vais voir si elle est rentrée, ne bouge pas.



Ben regarda sa montre et grommela. 20 h 43… qu’est-ce qu’elle foutait encore dehors ? Le silence se prolongea durant plusieurs minutes avant que la voix de sa femme ne retentisse enfin au bout de la ligne. Il frissonna.


– Ben ? Qu’est-ce qui se passe ?



Anne n’était pas idiote. L’époque où l’on s’appelait pour passer le temps était loin derrière eux. Aujourd’hui, une communication hors des créneaux planifiés était forcément synonyme de nouvelle importante… et les nouvelles importantes étaient rarement bonnes. Son inquiétude le prit de court, il chercha une entrée en matière un peu détournée.


– Tu étais encore dehors ? Vous ne devez pas vous faire piéger par la nuit, tu le sais !

– Marie s’est tordu la cheville. On a dû faire un détour pour la ramener, rien de grave.

– Voyez plus large pour vos créneaux. Vous devez prendre en compte ce genre de contretemps.

– Tu ne m’as pas appelée pour me faire la morale, alors accouche !



Elle était à cran… Tant pis. Ce n’était pas vraiment le genre de discussion qu’on pouvait remettre au lendemain.


– J’étais en maraude avec David, cet après-midi. On cherchait du carburant. Je ne sais pas ce qu’il a foutu, mais cet abruti s’est fait surprendre par des infectés.



Anne sentit son cœur accélérer. Elle avait couru pour rejoindre la salle en apprenant que Ben était en ligne et s’appuya sur le bureau pour reprendre son souffle avant de répondre.


– Merde. Il va bien ?



Sa voix tremblait. Elle connaissait les risques aussi bien que lui.


– Pas terrible : il est mort. Et… j’ai été mordu.

– Mordu ! Où ça ?

– Au bras. La blessure n’est pas très grave, mais pour ce que ça change.

– Que… qu’est-ce que tu vas faire ?



Ben ne répondit pas. Anne réalisa l’idiotie de ses questions. Chancelante, elle se laissa tomber sur une chaise et garda le silence. Ils savaient tous les deux qu’il n’y avait rien à faire. En trois ans, les théories les plus folles avaient circulé : on avait d’abord cru pouvoir endiguer l’infection en garrottant et désinfectant les blessures. Puis, comme ça ne suffisait pas, on était passé à la cautérisation immédiate. Pendant des semaines, ils avaient vu des groupes de survivants se balader avec des chalumeaux et cramer à vif les blessures des malheureux. Comme ça ne marchait pas non plus, l’étape suivante avait tout naturellement été l’amputation du membre concerné… quand la victime avait eu la chance de n’être pas mordue au thorax, ou à la gorge. Pour barbare qu’elle était, cette méthode s’était révélée tout aussi inefficace que les autres : les rares victimes qui survivaient aux amputations finissaient inexorablement par se transformer.


Les scientifiques avaient avancé de nombreuses théories concernant cette pandémie avant que la civilisation ne s’effondre. Au final, rien n’avait abouti et la seule chose dont Ben était sûr c’est que personne n’y comprenait rien. Les modes de contamination eux-mêmes n’étaient pas clairs : contacts avec les plaies, échanges de fluides… ils étaient nombreux même si au vu de l’agressivité des infectés, la morsure tenait de loin le haut de l’affiche.


Il y avait tout de même un truc qui ne changeait jamais, c’était le temps d’incubation. Les victimes se transformaient en très exactement dix-huit heures. Ce truc ne tenait pas compte de l’âge. Il ne tenait pas compte de l’état de santé, ni du sexe. Il agissait avec la rigueur et la précision d’un métronome. Dix-huit heures. Pas une de plus.


– Benjamin… je…



Ben sentit sa gorge se nouer. Des larmes lui piquèrent les yeux et laissèrent deux sillons humides le long de ses joues. Il reprit la parole d’une voix chevrotante.


– Je m’en veux ma chérie… je m’en veux de ne pas être avec toi… de ne pas avoir été assez fort… assez rapide… je m’en veux de te laisser dans cet enfer…

– Ben ! Tais-toi, je t’en prie ! Je suis tellement fière de toi ! Pense à toutes ces vies que tu as sauvées ! À tous ces gens qui sont ici… grâce à nous… grâce à toi…



Tous ces gens. Les visages défilaient dans sa tête. Les vivants. Les morts. Et tous ceux qui ne l’étaient plus vraiment, sans l’être tout à fait non plus.


– Émilie…



Anne sursauta. Depuis sa mort, Benjamin avait été incapable de prononcer le nom de leur fille.


– Elle me manque aussi, Ben…



À l’autre bout du fil, elle perçut les pleurs de son mari.


– Mon chéri… je t’en prie…

– Anne, j’ai peur ! Je…



Sa voix se brisa sur un sanglot.


– … je ne veux pas devenir comme eux !… J’ai peur… je ne veux pas…



Anne ferma les yeux et se mordit les lèvres pour contenir ses propres larmes. Pour les blessés comme Ben, l’avenir était inéluctable. Dans quelques heures, les premiers symptômes se manifesteraient : fièvre, pertes d’équilibre, absences. Sa peau se couvrirait de plaques brunes, avant de se desquamer. Ses fonctions vitales se dérégleraient, des abcès écloraient sous sa chair, pleins d’un pus brun et putride. Puis, sans qu’il en ait vraiment conscience, Ben s’effacerait. En silence. Sans un mot. Sans un souffle. À sa place, ne resterait qu’une coquille vide. Une écorce raide et fétide, qui finirait par se relever et se mettrait à déambuler en quête d’une proie.


Elle inspira profondément puis, d’une voix qu’elle essaya de rendre le plus calme possible, elle reprit.


– Tu ne vas pas devenir comme eux, mon chéri. Tu vas faire exactement ce que nous avons dit, à chaque fois que nous en avons parlé… Tu te souviens ?



Ben se moucha dans sa manche et s’essuya les yeux du revers de la main.


– Oui.

– Tu es sûr ? Qu’est-ce que tu vas faire ?

– Je vais prévenir les autres… Leur donner tous mes effets personnels qui pourraient leur être utiles… Leur confier les objets que je veux que tu récupères, lors d’un prochain transfert…

– Ben, je… je suis tellement fière de toi, si tu savais…



Elle ravala un sanglot, tandis que Ben continuait d’énumérer froidement sa liste de choses à faire avant de mourir.


– … puis je partirai… Seul… Je trouverai un endroit désert… Je penserai à nous deux… à Émilie… et quand l’alarme de ma montre sonnera… je prendrai mon pistolet et…

– Arrête ! Je t’en prie… arrête.



Le cri d’Anne fut suivi d’un silence qu’aucun des deux ne parvint à briser. Le générateur emplissait la pièce de son bourdonnement régulier. Benjamin aimait l’odeur de la terre sèche et poussiéreuse qui jonchait le sol de "La Cabine". Elle lui rappelait les chemins crayeux de sa Provence natale, le chant des cigales, le bruit des glaçons dans le pastaga.


Il glissa la main dans la poche intérieure de sa veste et en tira une photo. Au centre du petit carré de papier racorni, un Benjamin radieux et beaucoup plus jeune enlaçait une femme aux cheveux d’or fin. La photo avait été prise un mois à peine après leur mariage, lorsqu’ils venaient d’apprendre qu’Anne était enceinte d’Émilie. Ben sentit son cœur se serrer au souvenir de leur fille. La vie, ou plutôt cet enfer qu’elle était devenue, lui avait tout pris. Sa fille. Sa famille. Ses amis. Il ne lui restait plus rien, ni personne. À part Anne. Et maintenant, au seuil d’une fin inéluctable, elle lui était retirée à son tour, maintenue hors d’atteinte. À la mort d’Émilie, ils s’étaient juré d’être là l’un pour l’autre, jusqu’au bout. Ils s’étaient juré d’être celui qui, pour l’autre, presserait la détente au moment où le dernier espoir aurait disparu. Un échange de vœux particulièrement morbide, mais qui incarnait la force de cette ultime liberté : rester morts, après avoir lutté pour rester vivants.


Mais Anne était dans le sud de la France. C’est seul au fond d’une ruelle sordide que Ben allait devoir se tirer une balle dans la tête. Le chagrin s’estompait. À sa place, Benjamin sentait monter en lui un irrépressible sentiment d’injustice. Ses poings se crispèrent alors que le sang lui battait les tempes.


– Ils ne me prendront pas ça.

– Ben ? De quoi parles-tu ?

– De nous. Ils ne nous sépareront pas. Pas maintenant.

-Mon amour, je… je voudrais tant être près de toi, tenir tes mains dans les miennes… mais c’est impossible…

– Non !

– Ben, je t’en prie, calme-toi !

– Je t’aime, Anne. J’ai juste l’intention de te le dire une dernière fois en face.

– Chéri…



Ben se leva, raccrocha le casque et coupa l’émetteur. Il saisit le bloc-notes qui traînait à côté et griffonna ces quelques lignes :


David est mort. J’ai été mordu. Il faut que je voie Anne une dernière fois, j’emprunte une voiture. Vous pourrez la récupérer à Gordes lors du prochain transfert.

Bonne chance, les gars.


Benjamin.



Il monta dans le dortoir encore vide et ouvrit son placard. Il y prit deux boîtes de cartouches, sa gourde et quelques biscuits, puis se faufila jusqu’à l’arrière-cour où étaient garées les voitures. Ben prit la première, une vieille 207 SW qu’il connaissait bien. Il mit le contact et regarda la jauge d’essence : le réservoir était quasiment plein. Avant tout ça, un plein de 50 litres aurait largement suffi à couvrir les 730 km jusqu’à Gordes. Mais avec le chaos qui sévissait désormais sur les routes, il valait mieux prévoir une marge de manœuvre… Ben attrapa un des jerricans dans le cabanon qui faisait office de réserve et le déposa dans le coffre.


– Eh ! Vous êtes rentrés ? Je ne vous ai pas entendus…



Ben fit volte-face et se retrouva nez à nez avec Michaël. Mike était un chic type qu’ils avaient rencontré quelques mois auparavant. Le cœur sur la main, il donnait sans compter à l’ensemble de la communauté. Concrètement, c’est surtout pour ses compétences en mécanique qu’il leur était utile : c’était lui qui entretenait les trois véhicules dont ils disposaient, et il faut bien avouer que c’était grâce à lui que ces bagnoles roulaient encore après tout ce qu’elles avaient enduré.


– Salut Mike. Tiens tu tombes bien, je regardais l’état de la voiture pour la reco de jeudi, il y a un voyant qui s’allume.

– Un voyant ? Bizarre je les ai vérifiées hier, tout allait bien.



Mike ouvrit la portière et se pencha sur le tableau de bord.


– Lequel, je ne vois ri…



Ben abattit la crosse du pistolet sur l’arrière de son crâne et le saisit sous les bras avant qu’il ne s’effondre. Il le traîna à l’intérieur et l’allongea sur le canapé poussiéreux du salon.


– Désolé Mike, mais tu ne m’aurais pas laissé partir.



Il vérifia rapidement son pouls et lui glissa le mot qu’il avait griffonné dans la main. Il se dirigea ensuite vers la porte de la cour puis, après s’être assuré que la rue était déserte, l’ouvrit en silence. Il retourna à la voiture, desserra le frein à main et la poussa dehors avant de refermer la porte. Il fit glisser la voiture sur une vingtaine de mètres, monta dedans et mit le contact. Ben jeta un dernier regard à sa montre : 21 h 15. Il y avait une heure et demie qu’il avait été mordu. Ça lui laissait un peu moins de seize heures.


Beaune, 4 h 48


L’aube s’annonçait enfin. Pendant des heures, les phares de la voiture avaient creusé un tunnel dans l’obscurité, le long d’une route engloutie par une nuit sans lune. La cime des arbres, imperceptible jusque-là, cisaillait maintenant le ciel de son ombre opaque. Ben s’arrêta. Il frotta ses yeux brûlés par la fatigue et s’étira dans son siège. Ses vertèbres laissèrent entendre un craquement de douloureuse satisfaction. Il coupa les phares et le moteur, saisit le Colt 45 posé sur le siège passager et entrouvrit la fenêtre. L’air frais lui caressa le visage ; il ferma les yeux, autant pour profiter de la fraîcheur que pour tendre l’oreille. Le vent courait dans les branches, faisant frissonner les arbres sur son passage. Aucun pas traînant. Pas de râle ni de plainte étouffée. Pas de grognement ni de mastication. Ben ouvrit la portière et fit quelques pas au-dehors pour se dénouer les jambes. Les odeurs fraîches du printemps tout juste éclos le saisirent. Au loin, un chien redevenu sauvage laissa échapper une longue plainte dont l’écho lugubre retentit quelques secondes. Ben se retrouva seul avec le bruissement des feuilles et le cliquetis du moteur qui refroidissait. La nuit avait été longue. Il avait pu suivre l’autoroute un moment, les convois militaires qui avaient quitté la capitale ayant déblayé une voie sur de nombreux kilomètres. Mais en s’éloignant de Paris, il avait dû se résoudre à quitter l’autoroute après trois heures de circonvolutions entre les épaves… Une branche craqua dans le sous-bois. Ben se retourna, l’arme au poing, mais ses yeux ne parvinrent pas à percer les ténèbres. Il rejoignit la voiture, s’assit au volant et remit le contact.



Dix minutes plus tard, la 207 filait de nouveau vers le sud.


***


Une lueur orangée se profilait derrière le rideau d’arbres : l’aube répandait une traînée incendiaire le long du ciel endormi. Soudain, un voyant s’alluma au tableau de bord : Ben sentit son cœur bondir dans sa poitrine. La bagnole ne pouvait pas le lâcher maintenant ! Pas à mi-chemin ! Il ralentit et se rangea sur le bord de la route. C’était le témoin de surchauffe du moteur… il n’avait pas dû apprécier les cinq heures de slalom entre les voitures. La route était dégagée maintenant, il pouvait rouler plus vite et à moindre régime. Avec un peu de chance, l’air frais allait refroidir le moteur. Ben se souvint des conseils que Mike leur avait donnés : il mit le chauffage et la ventilation à fond, ouvrit un peu la fenêtre pour ne pas s’endormir avec la chaleur et continua en croisant les doigts.


Mais sa bonne étoile s’était éteinte avec le lever du jour : le voyant du liquide de refroidissement s’alluma à son tour.


– Merde ! Merde ! Merde !



Cette fois il ralentit et se rangea au bord de la route. Il coupa le moteur, sortit de la voiture et ouvrit le capot. Dans le faisceau de la lampe, tout semblait normal. Ben se dirigea vers le coffre et souleva la couverture qui tapissait le fond. Trois petits bidons attendaient, bien rangés entre la trousse à outils et la roue de secours. Huile, lave-glace, liquide de refroidissement.


– Mike, tu es un putain de génie !



Ben saisit le bidon et retourna jusqu’au moteur. Il tendit l’oreille pour s’assurer que rien n’approchait et dévissa le bouchon du réservoir. Lentement il commença à verser le liquide, mais s’arrêta aussitôt : quelque chose coulait sous la voiture. Il s’agenouilla devant la calandre et éclaira le sol avec sa lampe. Un mince filet de liquide ruisselait du tuyau reliant le moteur au réservoir du liquide de refroidissement.


– Saloperie !



Ben referma le capot, posa le bidon devant le siège passager et remonta en voiture. La lampe entre les dents, il déplia la carte et regarda où il se trouvait. Tout n’était pas perdu, il y avait une station-service à 18 kilomètres de là. Il était devenu complètement utopique de trouver de l’essence dans une station, mais on pouvait encore y dénicher quelques trucs utiles… avec un peu de chance. Ben espérait qu’il lui en restait suffisamment pour récupérer de quoi colmater la fuite. Il remit le contact et redémarra.



Il roula doucement, à l’affût du moindre bruit inquiétant en provenance du moteur. Il ralentit à l’approche de la station, éteignit les phares et vint se garer à une cinquantaine de mètres. Les ombres de la nuit mourante traçaient des formes insolites entre les pompes. Il scruta les environs à la recherche de survivants ou, plus probable, d’infectés. Plusieurs fois, il lui sembla distinguer des silhouettes mouvantes dans l’obscurité, mais il était trop loin pour discerner quoi que ce soit avec certitude. Deux options s’offraient à lui : avancer jusqu’à la station à pied, ce qui lui permettrait de l’atteindre sans se faire repérer, ou y aller en voiture pour repartir rapidement en cas de problème… au risque d’ameuter tout ce qui se pouvait rôder dans les environs. Après quelques minutes d’hésitation, Ben opta pour une approche intermédiaire. Phares éteints, il laissa glisser la voiture tout doucement jusqu’entre les pompes. Il sortit et referma la portière sans faire de bruit. Un auvent métallique protégeait la station des premiers rayons de l’aurore et, à part le ronronnement du moteur qui tournait au ralenti, Ben n’entendait que le sang lui battre les tempes. Il y avait des mois qu’il n’avait pas pénétré seul dans un bâtiment à l’abandon, cette idée le terrifiait. Il affirma sa prise sur la poignée lourde et rassurante du 45, essuya la sueur qui lui perlait du front et positionna le filtre vert sur la vitre de sa lampe. Ça lui permettrait de ne pas être trop ébloui par la lumière et de garder un maximum d’acuité visuelle dans le noir s’il devait l’éteindre pour se cacher, ou si quelque chose la lui arrachait…


Ben balaya de sa lampe la façade de la station, essayant de se remémorer tous les petits trucs qui pouvaient lui sauver la vie si quelque chose clochait. La porte défoncée pendait sur ses gonds, signe que la boutique avait déjà été visitée. Il pénétra à l’intérieur et fit quelques pas vers le centre de la pièce, avant de se raviser. Progresse dos au mur, garde toujours le danger face à toi… Les éclats de verre de la vitrine craquaient sous ses semelles. Longeant les murs, Ben fit courir le faisceau vert de la lampe le long des rayonnages dévastés. Les pillards qui l’avaient précédé n’avaient rien laissé au hasard : des emballages vides jonchaient le sol entre les restes de nourriture avariée et les détritus de toutes sortes. Le souffle court, Ben s’avança vers le fond de la pièce et sursauta en apercevant une silhouette affaissée derrière le comptoir. Il pointa son pistolet sur sa tête, mais il n’y avait plus de danger : son visage avait été à moitié emporté par une décharge de chevrotine qui avait dévasté le placo de la cloison. Sur le comptoir, seules quelques pièces jaunes tapissaient encore le fond du tiroir-caisse défoncé. Derrière le cadavre, une porte marquée "privé" ouvrait sa gueule béante sur un couloir sombre. Ben sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. Reste calme. Concentre-toi sur l’objectif. Il savait que le temps était compté et qu’il devait faire vite : chaque minute perdue l’éloignait un peu plus d’Anne. Il fit quelques pas dans le couloir. Le cadre d’une porte se dessinait sur le mur gauche. Elle s’ouvrit sur une petite pièce, au fond de laquelle trônaient des toilettes. Ben atteignit la seconde porte, située juste avant le coude du couloir. Il pénétra dans ce qui semblait faire office de réserve. Quelques classeurs ouverts jonchaient un petit bureau métallique et le contenu de plusieurs cartons déchirés était répandu sur le sol. Il soupira en constatant que tout avait déjà été pillé. Machinalement, il fouilla du pied les boîtes éventrées. Il repéra deux ampoules de phares, oubliées au fond d’un emballage. Un essuie-glace avait glissé sous le bureau. Au fond d’un carton, Ben trouva une chambre à air de vélo, qu’il fourra dans sa poche. Il contourna le bureau, dont les tiroirs ouverts au pied-de-biche pendaient hors de leurs logements. Le premier ne contenait que des papiers et quelques trombones. Au fond du second, il trouva une vieille agrafeuse, la fin d’un ruban de chatterton, un bidon d’essence à briquet vide, une gomme et quelques stylos qu’avaient dédaignés les pillards. Un gémissement sinistre fit sursauter Ben. Il empocha le ruban adhésif sans réfléchir et se dirigea vers la fenêtre. Il s’escrima quelques secondes sur la poignée avant de s’apercevoir que des barreaux en condamnaient l’accès de l’autre côté. Il fit demi-tour et se précipita vers le couloir. L’infecté venait de passer le coin et titubait dans sa direction. Ben sentit son cœur s’arrêter. Voilà ce qui l’attendait. Voilà ce à quoi son avenir se résumait. Les yeux vitreux de la créature se fixèrent sur le faisceau de la lampe, dont la teinte verte lui donnait une allure spectrale. Elle tendit ses bras décharnés vers Ben et se jeta sur lui avec un rugissement féroce.


La détonation du 45 résonna comme un coup de tonnerre entre les murs de plâtre et l’infecté s’immobilisa, touché en plein torse. Le deuxième tir lui fit exploser la tête, qui moucheta le mur d’une giclée pâteuse. Le corps sans tête vacilla quelques secondes avant de tomber à genoux et de s’affaisser sur le sol. Le fond du bâtiment s’anima d’un grand remue-ménage alors que retentissaient des gémissements, dont le staccato plaintif, entrecoupé de pas traînants, rythmait les coups lancés contre les murs. Ben fit demi-tour et se précipita vers la sortie. Il éteignit sa lampe en atteignant la porte et jeta un œil au-dehors pour s’assurer que la voie était libre. Il rejoignit la voiture en quelques pas et referma la porte derrière lui d’une main tremblante. Tout autour, des formes menaçantes titubaient entre les pompes. Il démarra.


Cinq minutes plus tard, le cœur encore battant, Ben se gara au bord de la route. Un filet de sueur froide lui ruisselait le long de la nuque. Il revoyait la tête du pompiste éclater comme un fruit mûr. Ce n’était pas le premier infecté qu’il tuait, mais ce face-à-face lui avait glacé le sang. Une poignée d’heures. C’était tout ce qui le séparait encore de cet enfer. Il lâcha le volant et se prit le visage dans les mains. Sa poitrine se serra et il éclata en sanglots. Il avait imaginé cette scène un nombre incalculable de fois. Dans chacun de ses rêves il s’était comporté avec courage. Mordu, parfois gravement blessé, il s’était imaginé rejoindre le camp, saluer ses camarades d’une boutade héroïque et embrasser Anne dans une dernière étreinte passionnée. Il s’était imaginé la réconforter, lui faire sécher les larmes qu’elle ne parvenait pas à refréner. Puis, quand l’heure fatidique était venue, il s’était vu disparaître dans le soleil couchant, son arme à la main, jusqu’au bang final qui marquait la fin du film.


Mais la réalité était tellement plus sordide, plus dure à accepter. Tellement injuste… Tellement terrifiante. Surtout, il était si seul. Il allait crever comme un chien, au milieu de nulle part.


Il ferma ses yeux baignés de larmes et s’enfonça profondément dans son siège. Il devait tenir encore quelques heures pour Anne. La voir une dernière fois. Puis elle mettrait un terme à tout ça. Elle l’empêcherait de finir comme eux.



Ben rouvrit les yeux, il n’y avait pas de temps à perdre. Il reprit le pistolet, éjecta le chargeur et remplaça les deux cartouches. Il tirait toujours deux coups. C’était une habitude qu’il avait prise au fil du temps, quand il cherchait le meilleur moyen de se débarrasser des infectés. Il avait testé différentes armes au cours de ces dernières années, différents calibres. Les 22 n’étaient pas assez puissants. Les balles ne parvenaient pas toujours à traverser la boîte crânienne et quand elles y parvenaient, les dégâts occasionnés au cerveau étaient souvent insuffisants pour stopper l’infecté. Bien sûr, on trouvait ces munitions facilement et partout, mais Ben avait vu des gens se faire bouffer malgré un tir réussi à la tête. Ça l’avait vite dissuadé. Dans un fusil, avec une lunette, pourquoi pas. Mais le corps-à-corps ne laissait aucun droit à l’erreur et nécessitait quelque chose de plus radical. Il avait essayé les 38 et les 9 mm. Nettement mieux. Un tir à la tête suffisait à régler le problème, mais ils manquaient malgré tout de puissance d’arrêt. Contrairement à un humain, un infecté ne ressentait pas la douleur. Il se foutait de prendre une, deux ou trois balles avant qu’on lui explose la tête. Et dans le feu de l’action, cerné par des créatures qui continuaient d’avancer malgré les blessures, il était souvent difficile de toucher la tête avant qu’il ne soit trop tard. Pour éviter ça, beaucoup commettaient l’erreur de chercher les plus gros calibres existants. C’est sûr qu’au 357 ou au 44 magnum, il ne restait plus grand-chose de la tête quand on la touchait. Et si d’aventure on la ratait, la force de l’impact avait de fortes chances de projeter l’infecté au sol. C’était parfait pour filer : on pouvait se contenter de viser le buste pour faire tomber les adversaires et s’enfuir sans se retourner. Mais c’était beaucoup plus traître en espace confiné, quand on était cerné sans retraite possible et qu’il valait mieux être certain qu’un infecté soit mort avant de passer au suivant. Car un infecté au sol avait tôt fait de ramper derrière vous et de vous déchiqueter le mollet. Sans parler du recul, qui nécessitait de réajuster la tête si on l’avait loupée au premier coup, ni du poids. Entre l’arme et les munitions, aucun individu normal ne pouvait tenir un tel monstre à bout de bras bien longtemps.


Avec le 45, Ben avait trouvé le parfait équilibre. Il tirait toujours une première balle dans le torse. La puissance était suffisante pour stopper net un infecté en pleine marche, sans le faire tomber à la renverse. Une fois immobile, il suffisait de relever un tout petit peu le canon pour mettre la deuxième balle en pleine tête. Avec un peu de pratique, Ben était parvenu à maîtriser sa "doublette" au point d’éliminer neuf infectés sur dix de cette manière, sans erreur. Il avait croisé pas mal de survivants qui avaient critiqué sa technique, notamment sur le fait qu’il gâchait des munitions. Mais paradoxalement, la plupart de ces types n’étaient plus là aujourd’hui pour le sermonner.


Ben secoua la tête pour émerger, remit le chargeur en place, arma la culasse et glissa le pistolet dans sa ceinture après s’être assuré que la sécurité était bien enclenchée. Il avait vu un type se tirer dans les parties en faisant ça, une fois. Après la morsure d’un infecté, c’était la chose qu’il redoutait le plus. Il sortit de la voiture, ouvrit le capot et étudia le tuyau pendant quelques secondes. Il découpa ensuite une longue bande de caoutchouc dans la chambre à air, l’enroula fermement autour du trou et entoura l’ensemble avec le reste de chatterton. Il leva les yeux au ciel et se signa avant de verser le contenu du bidon dans le réservoir.


Aucun bruit. Ben s’agenouilla devant la roue et poussa un cri de joie en voyant que ça ne fuyait plus. Il ferma le capot, remonta en voiture et remit le contact. Tout n’était pas encore perdu, après tout.


Valence, 10 h 14


Les champs défilaient à l’infini sur les bas-côtés. Ben avait pu reprendre l’autoroute un moment avant d’être bloqué par les restes d’un carambolage monstre. Obligé de rebrousser chemin, il avait dû parcourir une vingtaine de kilomètres en sens inverse avant de trouver une sortie lui permettant de rejoindre la route nationale. Le soleil, maintenant haut dans le ciel, baignait les champs de tournesols d’une pâle lumière de printemps. Parfois, Ben apercevait un infecté errant sur le bas-côté, ou perdu au milieu d’un pré. Il redoublait d’attention : la dernière chose dont il avait besoin en ce moment était de se prendre un zombie de plein fouet et de ruiner la voiture. Mais la fatigue lui brûlait les yeux et une force impérieuse lui fermait les paupières. Il avait déjà piqué du nez une ou deux fois et avait relevé la tête de justesse pour éviter de quitter la route. Il avait conscience du danger, mais une sieste n’était pas envisageable : dormir maintenant, c’était mourir. Le voyant de la jauge d’essence attira son attention, il était temps de refaire le plein.


Ben ralentit et se rangea sur le côté de la route. Il passa le Colt à sa ceinture, sortit de la voiture et grimpa sur le toit pour jeter un coup d’œil aux alentours. Lorsqu’il se fut assuré que rien n’approchait il ouvrit le coffre, en sortit le jerrican et commença à remplir le réservoir. Le vent lui fouettait le visage et le sortait peu à peu de sa torpeur. Il vida le bidon jusqu’à la dernière goutte et le remit consciencieusement dans le coffre. Il s’assura qu’aucun infecté n’en avait profité pour se faufiler derrière lui et ouvrit sa braguette pour se soulager. Il n’en avait pas particulièrement envie, mais il n’était pas question de perdre du temps avec ça si l’envie le prenait un peu plus tard. Ben ferma les yeux et attendit quelques secondes mais rien ne vint. Tant pis, il se retiendrait si besoin. Il se rajusta et retourna à la voiture. Il prit sa gourde et la porta à ses lèvres avant de se raviser à nouveau : il n’avait pas soif. Il prit deux gorgées d’eau pour rincer sa bouche pâteuse et se vida le restant sur la tête pour se réveiller. Il ne ressentit pas le saisissement glacial auquel il s’attendait, mais la fraîcheur lui donna quand même un coup de fouet. Après quelques minutes passées à vérifier l’itinéraire sur la carte, Ben remit le contact et repartit. La fatigue lui tomba dessus au bout de quelques kilomètres à peine. Il mit la ventilation à fond et entrouvrit la fenêtre pour laisser entrer l’air frais, mais ses yeux ne lui obéissaient plus. Il sentit son menton s’affaisser. Ne t’endors pas. L’ombre des arbres s’étirait au soleil et transformait la route en plateau de backgammon. Son nez piqua de nouveau vers ses genoux. Garde les yeux ouverts. La route se brouillait devant lui, serpent flou jouant dans les herbes hautes. Reste éveillé. Le moteur ronronnait dans le lointain… si loin…


***


– Il est mort ?

– ’sais pas. Il ne bouge pas.



Des voix. Où était-il ? Il ouvrit les yeux mais ce qui l’entourait n’avait aucun sens. Son visage était plaqué contre une surface feutrée, quelque chose de dur lui barrait la poitrine. Une myriade de petits éclats scintillaient dans la lumière du soleil, tout autour de lui.


– Alors ?

– C’est bloqué.



Un choc, suivi d’un grincement métallique. La lumière, plus vive. Ben fit un effort pour se concentrer, mais il avait du mal à rassembler ses pensées. Quelque chose céda au-dessus de lui et il s’effondra lourdement sur lui-même. Deux mains puissantes lui saisirent les épaules et il se sentit traîné vers l’extérieur. La clarté aveuglante du soleil lui brûla les yeux, il lui fallut plusieurs secondes pour distinguer les silhouettes sombres qui s’agitaient autour de lui.


La 207 gisait sur le toit, à quelques mètres en contrebas du talus d’où elle avait quitté la route. Une fumée blanche s’échappait de sa carcasse. Ben sentit sa gorge se nouer. Il avait dû s’endormir, tout était foutu. Il ne reverrait jamais Anne et il avait gâché les dernières heures qu’il aurait pu passer à lui parler. Un spasme lui souleva la poitrine, mais aucune larme ne jaillit de ses yeux gonflés.


– Il revient à lui !



Ben tourna la tête au son de la voix, comme s’il remarquait seulement les deux hommes qui l’avaient sorti de l’épave. Celui qui venait de parler pointait un fusil sur sa tête. Le second lui tournait le dos et s’affairait autour de la voiture. Il se retourna au cri de son camarade.


– Sacrée cascade ! Ça va ?



Ben acquiesça d’un hochement de tête. Il avait la bouche sèche, mais malgré ses efforts il ne parvenait pas à sécréter la moindre goutte de salive. Combien de temps était-il resté inconscient ?


– Vous étiez seul dans la voiture ?



Nouveau hochement de tête affirmatif. Il essaya de se lever mais ses jambes, raides, refusaient de lui obéir.


– Holà ! Doucement l’ami. Tenez-vous à moi.



L’homme au fusil lui tendit la main. Il était fin et sec, comme ces chênes provençaux qu’on trouve partout dans la campagne, couronné d’une tignasse noire et broussailleuse. Une barbe hirsute lui longeait le visage, mais ses yeux pétillaient de malice et d’intelligence. Ben se redressa péniblement et s’appuya sur son épaule. Il désigna la voiture d’un signe de tête.


– Aidez-moi à la remettre sur ses roues… je dois… repartir…



L’autre homme s’approcha à son tour et lui tendit le bras pour le soutenir. Il était trapu et son visage rougeaud s’ouvrait sur un sourire édenté. Sous une salopette en jean, son t-shirt laissait voir de larges auréoles de sueur.


– Vous n’êtes pas en état de conduire. De toute manière, je doute que cette bagnole vous emmène où que ce soit dans cet état. Venez vous reposer au camp, vous nous raconterez ce que vous faites ici et on verra ce qu’on peut faire.



Aidé des deux hommes, Ben parcourut une cinquantaine de mètres sur un chemin de terre, avant d’atteindre une petite maison de pierres blanches. Accroupi devant, un homme faisait bouillir de l’eau sur un feu de bois. Ben avait du mal à mettre un pied devant l’autre. Sa vue était floue, agrémentée de couleurs qui se fanaient et viraient au gris, malgré la lumière du soleil. Ses muscles et ses articulations avaient perdu leur tonus et leur souplesse, tout son corps était courbatu.


Même son cerveau semblait ankylosé. Il avait du mal à joindre entre elles toutes les informations qui lui parvenaient ; ses pensées fusaient dans tous les sens, complètement désordonnées.


Garée sous un chêne, Ben remarqua une camionnette qui scintillait au soleil. Le troisième homme se redressa à leur approche et s’avança à leur rencontre. Il était nettement plus âgé que les deux autres. Ses cheveux grisonnants formaient une cascade de boucles argentées autour d’un visage taillé à la serpe et flétri par le soleil.


– Alors ?

– Il est sonné, mais ça a l’air d’aller, répondit le type au fusil.



Ben fronça les sourcils : les sons et les mouvements étaient ralentis, déformés.


Le nouveau venu étudia Ben des pieds à la tête, avant de lui tendre une main noueuse.


– Vous avez du bol que nous ayons été là. On a vu la voiture sortir de la route et dégringoler dans le champ… Moi c’est Pierre. Le grand échalas, c’est Phil. Le balèze, Martin.



Ben serra la main qui lui était tendue et salua distraitement son interlocuteur. Il n’avait d’yeux que pour la camionnette. Ce véhicule était sa dernière chance. Il se focalisa de toutes ses forces dessus. Il fallait absolument qu’il parvienne à s’en emparer.


Pierre suivit son regard et lui sourit. Il fit signe aux deux autres de le lâcher et se dirigea vers le feu.


– Café ?



Ben fit non de la tête. Il devait trouver un moyen de les convaincre de lui laisser emprunter leur camionnette. Pierre se servit une tasse fumante et s’assit sur un tabouret. Phil le rejoignit et lui chuchota quelques mots à l’oreille, tandis que Martin disparaissait dans la maison.


– C’est dangereux de nos jours, de voyager seul. D’où veniez-vous, dans une voiture vide, sans provisions ?



Ben fit un effort de concentration. Il répondit en articulant avec difficulté.


– J’arrive de… Paris.



Phil laissa échapper un sifflement admiratif.


– Ça fait une trotte !

– Je croyais la capitale complètement envahie par les infectés, remarqua Pierre.

– Elle… l’est, répondit lentement Ben. J’aide les survivants… à évacuer… en province.



Phil murmura quelque chose à Pierre et lui tendit une carte.


– Vous étiez pressé de quitter Paris ?



Il acquiesça, essayant de réfléchir à ce qu’il devait dire. Il ne pouvait décemment pas déclarer qu’il avait été mordu, s’il voulait de l’aide… Pierre déplia la carte que Phil avait ramassée dans sa voiture et montra à Ben l’itinéraire que ce dernier avait tracé au feutre rouge.


– C’est là que vous allez ? Notre camionnette n’est pas toute neuve, mais elle roule. On peut essayer de vous y emmener.



Cette proposition inespérée fit chavirer Ben. Il tituba sur ses jambes raides et s’approcha de Pierre.


– Vous… feriez… ça ?

– Pourquoi pas. Là ou ailleurs… je pense qu’on sera tous contents de voir de nouveaux visages.



Pierre s’absorba dans un silence songeur avant de soupirer.


– On n’a pas croisé grand-monde de vivant ces derniers temps… On pourrait se reposer quelques jours là-bas.

– Bien sûr… Vous pourrez rester… aussi longtemps que vous voudrez…

– Reste le problème de l’essence… Elle est précieuse, comme vous le savez, mais en récupérant ce qui reste dans votre réservoir, on devrait pouvoir y parvenir.



Le vieil homme dévisagea Ben d’un air inquiet. Ce dernier faisait des efforts pour rester concentré et un pli soucieux lui barrait le front.


– Vous avez mal quelque part ? Ils ont de quoi s’occuper de vous sur place ? On peut chercher des médicaments en route, sinon, vous avez encore l’air sous le choc.

– Non… non. Ça ira, nous avons un médecin et… un peu de matériel… Ne vous… inquiétez pas.



Pierre reporta son attention sur la carte qu’il étudia un moment.


– C’est ici hein ? Gordes ?

– Oui.



Pierre se retourna vers Phil et lui fit un signe de tête.


– Tue-le.



La bouche noire du fusil s’abaissa vers Ben, qui n’eut même pas le temps de crier. La détonation effraya un corbeau qui s’envola en croassant au-dessus de leurs têtes.


Ben tituba en arrière sous l’impact et porta les mains à son ventre ensanglanté. Ses jambes cédèrent sous son poids et il tomba à genoux. Il fixa sur les deux hommes ses yeux incrédules, avant de s’effondrer face contre terre.


Mon Dieu… qu’ai-je fait ?


***


Le crissement régulier des cigales était toujours là. Puis les voix, plus sourdes, plus lointaines.


– Allez, on remballe. Je vais prévenir les autres, commencez à ranger les affaires avec Martin.

– Ça marche.



Le visage écrasé dans la poussière du sol brûlant, il distinguait les silhouettes floues des deux hommes s’affairer autour du feu. Sa vision finit par se stabiliser et Ben distingua la maison derrière eux. Il aperçut les jambes d’un corps allongé sur le sol, dans l’encadrement de la porte entrebâillée. Il remarqua les impacts de balles sur la porte, les carreaux brisés. Quel abruti ! Obsédé par la camionnette, il n’avait pas pris le temps de regarder attentivement autour de lui.


Concentre-toi. Concentre-toi bordel ! Pauvre abruti… Ce ne sont pas des survivants, ce sont des pillards. Des putains de pillards ! Et tu viens de leur livrer Gordes en pâture.



Quelques sensations diffuses traversèrent son corps engourdi. Le sol rugueux, sous ses genoux, sous son buste, son visage. Une pulsation sourde au niveau du ventre. Il avait vu les dégâts causés par un fusil de chasse à quelques mètres : il aurait dû être mort. Mais il respirait encore. Il se souvint de Juliette, touchée à l’abdomen par une balle perdue lors d’une fusillade. Il entendait encore ses cris horribles, ses hurlements d’agonie alors que les autres essayaient d’arrêter l’hémorragie. Mais il n’avait pas mal. Quelque chose de dur contre sa hanche. Sa main glissa de la plaie et se posa dessus : la crosse du 45. Il n’était pas tombé dans l’accident et ces imbéciles ne l’avaient pas fouillé. Ses doigts se refermèrent dessus, il sentit ses forces revenir, doucement. Attend quelques secondes. Son pouce se posa sur le cran de sécurité et l’abaissa, puis il arma le chien. Doucement. Respire. La pointe de son index se posa sur la queue de détente. Maintenant. Vas-y.


Ben se redressa, l’arme jaillit dans sa main. Phil se retourna, les yeux grands ouverts. Il fit un geste vers son fusil mais s’immobilisa, une balle en pleine poitrine. La seconde lui pulvérisa le crâne. Ben se releva et se tourna vers la camionnette : Pierre, à mi-chemin, se mit à courir. Son omoplate éclata sous la chair, le projetant au sol dans un cri de douleur. Deux détonations à droite, un choc spongieux dans la poitrine. Ben pivota vers la porte de la maison et fit feu. Encore. Encore. Le corps massif de Martin s’écrasa contre les pierres froides et s’affaissa lentement le long du mur, au pied d’une traînée sanglante.


Le mistral souffla un silence pudique sur la tuerie.


Ben se dirigea en boitant vers la camionnette. Un souffle rauque s’échappait de sa poitrine à chaque expiration. Il devait avoir un poumon perforé, peut-être les deux. Une substance noire et poisseuse, épaisse comme de la mélasse, s’écoulait de son abdomen. Il rejoignit Pierre qui se traînait vers le véhicule et, du pied, le bascula sur le dos. Sa bouche était baignée de sang. Ben pointa le pistolet sur son visage.


– Les infectés, eux, n’ont pas choisi de se comporter comme des monstres.



L’homme étendit les mains devant lui pour se protéger, en vain.



Ben atteignit la camionnette après avoir rechargé son arme. Les clés étaient sur le véhicule. C’était l’usage, désormais : on avait plus souvent besoin que la voiture soit prête à démarrer n’importe quand, que de la protéger des voleurs. Il se hissa péniblement au volant et regarda sa montre : 10 h 58.


Gordes, 13 h 38


Accoudée aux remparts du château, Anne suivait des yeux la route qui serpentait dans la montagne. Les yeux abrités du soleil à l’ombre de sa main, elle cherchait la petite tache brillante qui venait de disparaître dans le lacet d’un virage. Elle aurait bien eu besoin des jumelles, mais si la voiture réapparaissait quand elle était partie les chercher ? Hésitante, elle se maudit pour son manque de prévoyance.


Était-il possible que ce fût Ben ? Elle avait cru devenir folle quand il avait raccroché la veille au soir. Après avoir tenté de rétablir la communication pendant des heures, elle avait passé la nuit à hurler son désespoir, détruisant tout dans sa chambre. Quand les premières lueurs de l’aube avaient pointé par la fenêtre, elle s’était effondrée de fatigue, les yeux rouges et la voix brisée. Sonia, qui avait veillé à sa porte toute la nuit pour qu’on la laisse tranquille, l’avait aidée à regagner son lit et recouverte d’une couverture pour quelques heures d’un sommeil agité. Dès qu’elle avait rouvert les yeux, Anne était montée sur les remparts et fixait sans relâche l’horizon de la vallée, où commençait la petite route qui montait jusqu’au village. Quand ses yeux avaient accroché un reflet blanc quelques minutes plus tôt, elle avait cru que son imagination lui jouait des tours. Mais non, le point blanc avait grossi jusqu’à prendre la forme d’une voiture et avait commencé à gravir la montagne. Mais elle avait disparu dans ce virage, à quelques kilomètres de l’arrivée. Pourquoi ne ressortait-elle pas ? Elle se remémora les derniers mots de Benjamin : Je t’aime, Anne. J’ai juste l’intention de te le dire une dernière fois en face. Avait-il vraiment pu réussir l’impossible et rallier Gordes dans la nuit ? Cette route était devenue complètement déserte, la coïncidence était trop énorme. Anne regarda sa montre : si c’était Ben, les 18 heures étaient quasiment écoulées. Chaque minute perdue à réfléchir risquait de ruiner tout ce pour quoi il avait dû se battre jusqu’ici. Bouge-toi, pauvre conne ! Fonce !


Elle sauta au pied du mur et dévala l’escalier. Elle rejoignit l’entrée du château et se faufila hors de l’enceinte, jusque dans la vieille ville. Arrivée au poste de contrôle, elle s’empara d’un pied-de-biche et déverrouilla la barrière qui menait à la sortie de la ville, loin du confinement sécurisé des remparts.


– Anne !



Elle se retourna, c’était Sonia. Cette dernière posait sur elle un regard lourd d’appréhension.


– Sonia… C’est Ben. Je suis sûre que c’est lui. Je dois y aller, tu comprends ? Je dois lui dire adieu…



La jeune femme acquiesça d’un signe de tête. Il était contraire à tous les règlements de sécurité, qu’Anne avait elle-même rédigés, de la laisser sortir du village sans prévenir les autres. Sonia le savait mieux que personne et, à ce titre, elle aurait dû l’empêcher de partir. Mais un an auparavant, à Paris, c’était Ben qui l’avait tirée des décombres où elle s’était foulé la cheville. C’est lui qui l’avait portée dans ses bras à travers la moitié de la ville pour la ramener au refuge. Puis lorsqu’elle était arrivée à Gordes quelques mois plus tard et que son frère avait été mordu, c’était Anne qui avait pris soin d’elle, la tirant vers le haut jour après jour alors qu’elle se laissait mourir. Une larme brillante roula le long de sa joue. Anne revint jusqu’à elle et la serra de toutes ses forces dans ses bras.


– Je serai de retour avant la nuit. Si jamais ce n’était pas le cas… prends soin de toi, d’accord ?



Elle fit volte-face, se glissa sous la barrière et s’éloigna en courant. Sonia la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse au coin de la rue, puis elle referma la barrière.


***


C’était là. C’était forcément là ! Elle avait mis près d’une heure à parcourir les quelques kilomètres qui la séparaient du virage. Elle avait croisé deux infectés près du village des Bories et avait fait un détour pour ne pas prendre de risques. Mais elle était sûre que c’était là. Pourquoi ne voyait-elle aucune trace de cette voiture ? Avait-elle fait demi-tour alors que le paysage lui masquait la route ?


– Ben ? Ben, c’est moi ! Où es-tu ?



Crier était d’une imprudence folle, mais elle n’avait pas d’autre choix. Elle remarqua enfin une branche cassée en contrebas de la route et descendit le talus en courant. Elle était là. Enfoncée dans les broussailles, à l’ombre d’un petit bosquet de chênes verts. Ce n’était pas une voiture comme elle l’avait cru, mais une camionnette. Anne se précipita à l’avant, la portière était ouverte et la cabine déserte.


– Ben !



Il lui sembla entendre un bruit dans la camionnette. Le cœur battant, elle s’approcha des portes arrière : il n’y avait pas de fenêtres lui permettant de distinguer ce qu’elle contenait. La jeune femme posa une main moite sur la poignée, tenant fermement le pied-de-biche de l’autre. Elle ouvrit la porte.


– Ben ?



Il était là, assis au fond, dans l’obscurité. Quand la lumière envahit le compartiment, il tourna la tête et posa sur elle un regard vide. Les deux amants se dévisagèrent en silence pendant quelques secondes, puis Ben laissa échapper une plainte lugubre et fit mine de se lever. Il retomba mollement en arrière. Anne recula, le pied-de-biche armé au-dessus de sa tête. Elle arrivait trop tard.


– Mon amour… je… je suis désolée…



Des larmes lui baignèrent les yeux et elle baissa la tête. C’est alors qu’elle le remarqua, posé sur le sol, à l’entrée de la camionnette. Le vieux Colt 1911 de Ben. "La plus infaillible de tes extensions viriles", comme elle aimait l’appeler quand il le nettoyait. L’arme était posée sur un papier chiffonné. Anne ramassa le pistolet et jeta un rapide coup d’œil à la feuille.



C’était une lettre ! Elle referma la porte et se jeta sur le manuscrit, les mains tremblantes. Elle ne reconnaissait pas l’écriture de Benjamin dans les arabesques grossières qui parsemaient le feuillet.


Anne,


Si tu lis ceci, c’est que tu es arrivée trop tard. J’aurais dû passer cette dernière nuit à te parler à la radio. J’aurais dû te dire tout ce que j’avais envie de te dire, te le redire, et te le répéter encore, pour graver ces mots d’amour dans ta tête, qu’ils t’accompagnent jusqu’à la fin de tes jours. Mais j’ai eu peur. Peur de mourir, seul et loin de toi. Pardonne-moi mon égoïsme.


Au final, c’est une grande réussite, car je vais bel et bien mourir seul, mais sans avoir pu te parler. Vingt fois, depuis hier soir, j’ai voulu faire demi-tour. Mais j’avais besoin de cette fuite en avant. Je ne pouvais pas simplement rester là, à attendre. Tu comprends ? J’y ai cru de toutes mes forces. J’ai même failli réussir… Ces dix-huit dernières heures ont été les plus longues de ma vie. Probablement les plus horribles et, en un sens, les plus merveilleuses aussi car tu n’as jamais occupé mon esprit avec autant de passion, autant d’intensité.


Mais c’est la fin. Depuis deux heures, je sens cette saloperie me ronger de l’intérieur. Ou plutôt, je ne la sens plus. C’est tout mon corps qui est en train de s’éteindre, à petit feu, et j’ai le sentiment que quand ce sera terminé, mon esprit soufflera la chandelle. Je ne sens déjà plus mes jambes, ni mes mains.


Cette dernière sortie de route était ma dernière. Je sais maintenant que je n’arriverai pas jusqu’au village. Je voulais au moins prendre le temps de t’écrire ces derniers mots.



J’aimerais continuer à t’écrire pendant des heures, mais j’ai l’impression que mes yeux se remplissent de bile. Je ne vois plus ce que j’écris et il me reste une dernière chose à faire.


Je vais m’attacher à la paroi du fourgon avec ma ceinture, pour être sûr de ne pas te faire de mal. Je vais attendre jusqu’à la fin, je vais fixer cette porte de mes yeux jusqu’à ce que ça ne me soit plus possible. Si Dieu le veut, j’aurai le bonheur de voir ton visage une dernière fois.


Mais sinon… je te laisse le pistolet. Tu sais ce qu’il te reste à faire. Je n’ai laissé qu’une seule balle dans le chargeur. Je te connais, tu aurais été capable d’utiliser la deuxième pour toi… Mais tu dois vivre, Anne.


Je t’aime,



Benjamin.



Anne relut la lettre plusieurs fois puis, quand elle la sut par cœur, elle se laissa tomber à genoux et se mit à pleurer. Elle resta longtemps ainsi, prostrée au pied de la camionnette, le visage dans les mains, les épaules agitées par les sanglots. Progressivement, la douleur se fit plus diffuse. Ses larmes, déjà taries par une nuit éprouvante, séchèrent sur ses joues. Sa respiration se fit plus régulière. Petit à petit, elle retrouva son calme, comme la houle s’apaise quand passe la tempête. Elle se releva et, avec courage, rouvrit la porte.



Ben n’avait pas bougé. Il la fixait de ses yeux sans vie, en silence. La jeune femme glissa la lettre sous sa chemise, contre son cœur, et ramassa le pistolet. Machinalement, elle vérifia le chargeur : il ne contenait qu’une seule balle, Ben n’avait pas menti. Le claquement de la culasse retentit dans l’air sec.


– Je t’aime, Ben.



Lentement, elle pointa l’arme sur son front et posa son doigt sur la détente. C’était Ben qui lui avait appris à se servir d’une arme. Qui lui avait appris à viser, en tenant ses petites mains dans les siennes. Quelle ironie.


Pendant de longues secondes elle plongea son regard dans le sien à la recherche d’un signe, de la moindre étincelle de vie qui lui aurait permis de croire que Ben était toujours là, quelque part. À la recherche de la moindre excuse pour ne pas avoir à faire ce qu’elle devait faire. Mais il n’y eut aucun signe, le regard de Ben resta désespérément vide. C’était bel et bien terminé. Anne ferma les yeux pour ne pas voir son visage exploser. Elle retint sa respiration. Il fallait tirer. Maintenant. Tire.



Elle en était incapable.


– Je n’y arrive pas Ben… Je suis désolée…



Sa voix ne forma qu’un murmure rauque, au travers de sa gorge nouée. Elle jeta le pistolet dans les taillis et monta à l’arrière de la camionnette. Lentement elle s’approcha de Ben qui commença à s’agiter, essayant de la mordre et de se lever. Elle remarqua les impacts de balles dans sa poitrine. Son abdomen éventré, d’où ses intestins commençaient à pendre. Son visage tuméfié.


– Mon amour… qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?



Lentement, elle prit ses mains dans les siennes et s’agenouilla pour se mettre à sa hauteur.


– Ben… Je sais que je t’ai dit que si ce moment arrivait, je ferais ce qu’il fallait. Je te l’ai promis. Mais il y a longtemps, je t’ai fait une autre promesse. Celle de rester à tes côtés, quoi qu’il arrive. Pour le meilleur et pour le pire. Tu te souviens ? C’est cette promesse-là que je veux honorer…



Anne retroussa la manche de sa chemise. Elle ferma les yeux et approcha son avant-bras du visage de Benjamin. Elle poussa un hurlement quand ses dents se plantèrent dans sa chair et dut s’aider de son autre bras pour lui faire lâcher prise. Elle recula et s’adossa à la paroi, la main gauche crispée sur la plaie sanglante, le souffle court.


– 18 heures, mon amour. 18 petites heures et nous serons à nouveau réunis… pour l’éternité.



Lentement, elle marcha jusqu’à la porte de la camionnette et leva les yeux au ciel. Pendant de longues minutes, elle laissa ses sens s’imprégner de la Provence où ils avaient grandi. La course rapide des nuages dans l’azur, l’horizon vallonné aux mille teintes d’ocres. Les senteurs puissantes du thym, de la sauge et de la lavande, le chant des cigales et le souffle du vent dans les herbes sèches…


Anne remonta le fil de ces dernières années. L’apparition de l’épidémie. La mort de leurs parents, de leurs amis. Ensemble, ils avaient cru être assez forts pour tout surmonter… jusqu’à ce que le destin leur arrache leur fille. Après ça, malgré tout ce qu’ils avaient pu se dire pour se convaincre du contraire, ils n’avaient fait que survivre. Une longue agonie, qu’ils avaient employée de leur mieux à sauver ceux qui pouvaient encore l’être. Elle sourit. Le pire était bel et bien derrière eux. Et dans ce cas, que pouvait-il rester d’autre que le meilleur ?



Anne referma la porte et retourna s’asseoir en face de son mari.


 
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   Anonyme   
8/9/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Eh bien, voilà une belle histoire. Au départ, j'aime les histoires de zombies, d'autant plus quand elles sont servies par une belle écriture et une intrigue solide, logique ! Bon, les personnages sont un peu archétypaux à mon goût, héroïques ou ignobles, mais même les héros ne sont pas dénués de faiblesse : ils se promettent d'agir comme il convient quand le moment sera venu, et en sont finalement incapables... ils obéissent à l'amour.

C'est la beauté de ce texte, pour moi : paradoxalement, il affirme que l'amour est plus fort, transcende l'enfer, sans pour autant que quiconque soit sauvé. Joli ! Du très beau boulot, à mon avis.

   Perle-Hingaud   
11/9/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
C'est du bon boulot, un texte efficace. A la fois sans surprise, puisque tout est joué dès le début, et pourtant haletant, avec des rebondissements et un vrai suspens. La fin est un peu fleur bleue pour moi, mais c'est tout personnel. J'ai relevé quelques rares broutilles lorsque je n'étais pas prise dans le texte:
- "Aucun bruit. Ben s'agenouilla devant la roue et poussa un cri de joie en voyant que ça ne fuyait plus.": le "ça" m'a paru trop peu littéraire par rapport au reste,
- "Le mistral souffla un silence pudique sur la tuerie. Ben se dirigea en boitant vers la camionnette. Un souffle rauque…": la répétition de "souffle" se voit, je trouve.
Enfin, un truc plus génant: la lettre me parait bien trop littéraire pour être écrite par un type en phase finale de décomposition... là, pour moi, ce n'est pas crédible ;).
Je précise que je ne suis pas fan du tout de ce genre d'histoire, mon commentaire est donc celui d'une lectrice non avertie !

   Margone_Muse   
29/9/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Salut Ninj',
je te le redis ici : excuse le côté décousu du comm :)

Même si la nouvelle est très réussie, ce n’est toutefois pas ma préférée. Un peu trop linéaire dans la trame. On sait très tôt qu’on va avoir droit à un road movie, c’est l’histoire du mec qui va à Gordes. Ca a le mérite d’être clair au moins. Et dans le genre où il ne se passe pas grand-chose (ne le prend surtout pas mal, je ne le dis pas en termes de reproches, et ce n’est pas tout à fait le mot que je cherche), dans tes nouvelles plus contemplatives je dirais (où le scénario nous est déjà presque livré d’avance), j’ai plus été happée par Le Diable a perdu un œil. Je ne saurais pas dire pourquoi.

Mais bon, j’ai lu ton texte d’une traite tout de même hein (enfin, la seconde fois mais la première j’ai été stoppée et pas de mon propre fait). Dans les « surprises », j’ai beaucoup aimé la fin : que Ben n’arrive pas à temps (les happy end, très peu pour moi) et j’ai été surprise que Anne ne puisse pas tirer et fasse ce choix là, fin qui donne une autre lumière sur le titre du coup. Tu sais, je lis en faisant aller la molette 3 lignes par 3 lignes et j’ai vraiment cru que j’arrivais à la fin quand elle pointe l’arme sur lui. Et l’autre surprise était que le mec lui tire dessus après qu’il ait révélé l’emplacement du refuge (oui, j’ai honte, mais j’ai cru possible à un moment que l’auteur aurait cette idée plate de filer des potes et une camionnette sur un plateau à Ben après son accident – voilà, je m’excuse platement d’avoir pu penser un instant qu’il pouvait t’arriver d’inclure ce genre de non rebondissement dans tes scénarii). Après, la réplique de Ben est bien de toi (comme quoi les infectés n’ont pas choisi de se comporter comme des monstres) : toujours un petit truc de moral ^^ Personnellement, je ne trouve pas la remarque utile mais c’est ton choix.

Pour ton écriture en général, j’avoue que j’ai quand même eu peur au début, quand j’ai compris que le mec allait faire 18h de route, de me taper de la description de paysage à tous les coins de champs, même si on est de nuit. Là-dessus, rien à redire, et d’ailleurs, c’est pour ça que j’ai eu de l’aisance à te lire. On est bien centré sur le personnage et tu n’utilises pas ou très peu de phrases longues. Par contre, justement, au sujet de Ben, je trouve que tu n’as pas assez exploité le filon transformation. En tout cas, ça m’a manqué à moi : on passe les 18h avec lui et je n’ai pas trouvé que les changements étaient diffus. Tu y vas par paliers un peu : dès qu’il faut parler du corps. Alors que j’aurais aimé avoir un truc plus détaillé sur ce qu’il ressent dans son corps et par touches, plus ou moins subtiles. Mais ce n’était peut être pas ton objectif.

Le début est génial. Je ne sais pas si tu y as réfléchis ou non, mais de placer le début de la nouvelle juste après la fusillade, après tout le bruit, après la fameuse morsure, c’est juste excellent. Et c’est aussi parce que tu l’écris bien ce début. On visualise bien ce qui vient de se passer, par touches, ce que ça implique, tu parles d’infectés et on ne sait pas encore vraiment ce que c’est, etc. On est happé tout de suite dans l’action, dans l’histoire. Sûrement très simple et intuitif pour toi ce passage et cette façon de faire mais je trouve ça difficile donc je le relève.

Par contre, concernant le début, qui ne l’est plus vraiment, il y a un truc qui me gène au niveau du dialogue. Je ne dirais pas que tu tombes dans le mièvre comme tu essayais d’éviter mais je me suis sentie complètement extérieure au dialogue entre les deux. Ca m’a fait faire un pas en arrière par rapport à juste avant, j’étais moins dedans. J’ai réfléchis un peu à ça et je crois c’est parce que je n’étais pas encore assez intime avec le personnage masculin et le voir pleurer m’a dérangée. Même si tu traces vite fait leur passé avec leur fille décédée, c’est trop léger je trouve et même si sur le papier je comprends ce qui se passe (sens : c’est pas ahurissant que le type se mette à pleurer), en vrai j’ai du mal à le voir faire et surtout, pas envie d’essayer de le voir faire. C’est moche ce que je vais dire (et oui, c’est moi qui dit ça) mais ça aurait été dans l’autre sens, j’aurais eu beaucoup moins de difficulté à voir craquer la fille, c’est plus naturel. Je trouve qu’il manque encore un lien entre le lecteur et le personnage pour vraiment apprécier cette intimité que tu affiches dès le début (enfin, presque au début).

Et alors, dans le même genre mais à l’inverse, la lettre est très réussie. Super passage, rien qui fait gnan gnan ou cul cul la praline. Est-ce que c’est parce que je suis à la fin et donc plus en liens avec les perso ? Je sais pas mais elle déchire cette lettre. Il y a juste ce qu’il faut. Et puis de ces trucs… « Probablement les plus horribles et, en un sens, les plus merveilleuses aussi car tu n'as jamais occupé mon esprit avec autant de passion, autant d'intensité. » Je me suis dit « La vache, la classe le Ninj’ ! » ^^ Non, franchement, j’ignore si t’as mis longtemps à l’écrire, à la fignoler et tout, mais je la trouve vraiment vraiment très réussie.

L’illustration est chouette aussi : elle donne envie de lire la nouvelle.

Une dernière chose maintenant : le passage sur la tactique d’abattage de Ben. On sent le type cultivé qui fait de l’air soft ;) Sûrement qu’en tant qu’auteur tu trouvais ça important. Tu avais sans doute envie que le lecteur sache de quoi on parle, qu’il visualise les scènes, etc. C’est ton choix mais en tant que fille, je n’ai pas trouvé ce passage des plus passionnants. Je dis pas que c’était chiant, je l’ai lu facilement, mais bon… pas trop mon truc. Je ne m’étais jamais imaginé qu’il y avait tant de différences dans les dégâts selon les armes (maintenant que c’est dit, oui, ça parait évident, mais quand on n’y pense jamais…) alors je m’endors moins stupide ^^ mais même si ton passage est très compréhensible (même des néophytes, j’en suis la preuve), on était à la limite du catalogue et c’était assez dense. Bon, comme j’ai dit, je pense que ça t’a plu de l’écrire et que tu l’es fait plaisir. C’est l’essentiel. Simplement, si ce n’était pas là, je ne t’aurais pas fait de remarques sur le fait que ça manquait :)

Merci pour ce moment de détente, c'est toujours un grand plaisir de te lire.

Mem's

   jaimme   
29/9/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Beau titre, belle histoire. Lorsque le désespoir est balayé par l'amour et que la logique ne sert plus à rien.
J'étais un peu réticent au départ car j'ai lu il y a peu de temps le bon "War World Z" de Max Brooks et j'étais dans un spin-off un peu modifié (18 heures, etc.), puis tout a été emporté: le contexte offre effectivement une superbe occasion d'entrer dans le drame.
L'ensemble est écrit avec efficacité (mon étalon est le temps que je mets à lire une nouvelle et celle-ci a été lue très vite). Le seul reproche pour moi est le manque d'originalité de plusieurs dialogues. Bien sûr on peut rétorquer que c'est voulu et que le talent de l'auteur n'est pas à mettre en balance puisque le reste est souvent très bien écrit, que les personnages y gagnent en crédibilité; mais, par expérience, je préfère les dialogues qui individualisent immédiatement les personnages.
Merci pour ce beau moment à lire cette nouvelle.

   Anonyme   
21/10/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Ninjavert,

Vert comme le filtre de la lampe de Ben qui donne des allures spectrales (mort) ou comme ces chênes qu’on trouve partout dans la campagne, cette végétation (vie) forte comme un chêne qui continue de croître, indifférente au cataclysme environnant et qui donne à rêver qu’après la disparition de l’espèce humaine (ou sa transformation éternelle en masse informe de pestiférés), la vie continuera tout de même, comme elle l’a fait pendant des milliards d’années. La possibilité d’une interprétation herméneutique suggère que ce texte peut conduire à des réflexions, comme tout bon texte qui brasse des crises mondiales.

Je ne sais plus si on se tutoie ou pas, je te laisse rectifier si nécessaire et je m’alignerai.

Bon, premièrement, tu sais écrire ; mais ça on te l'a sûrement dit souvent. Il y a un souffle, une diversité dans l'homogénéité, des équilibres long/court, lent/rapide, précis/flou qui sautent aux yeux au bout de quelques paragraphes. Ensuite, je n’ai vu pratiquement aucune coquetterie rhétorique, de jeux de mots inutiles ou des phrases-phares qui donnerait la clef. Tu travailles l’horizontalité, le narratif, qui suppose classiquement son complément, le descriptif ; ici ce qui est décrit sert encore le narratif : tout ce que fait Ben sur la route et à la station, une sorte de narrativité qui fait du surplace ; ou recèle une signification métaphorique : ce printemps naturel qui sert de cadre au crépuscule de cette humanité qui se bat avec sa propre technologie.

Tout est clair, ni trop explicité ni trop peu, ni compte-goutte ni masse de granit : voilà une belle honnêteté offerte au lecteur, à l’opposé de l’épidémie d’ésotérisme qui touche les écrivaillons (je ne parle absolument pas de moi :)

Excellente entrée en matière, subtilement in medias res, qui ménage le suspens en ne montrant pas tout dès le départ, qui commence une seconde après la fin d’une attaque qu’on imagine épouvantable, qui commence par la stupéfaction, celle dont on ne sort que pour accepter l’étendue du désastre, qui commence par l’heure fatidique de 19h46 qui est un 00h00, une sorte de « 24h chrono », la série, où doit se condenser toute une tranche de vie qu’on espère émaillée de quelques exploits ; et pour cette idée du temps qui reste, je pense aussi à ce film d’Ozon où un jeune homme cancéreux qui règle et expédie ses problèmes pour se mettre au clair avec son entourage. Mais pourquoi de telles références ? Ton texte s'en passe aisément, c'était pour appuyer mon propos.

La peur la plus ultime, la plus animale (et il n'y aura qu'un chien retourné à la vie sauvage), celle de mourir et de devoir tuer pour ne pas en mourir ; cette peur est présente ; elle structure les comportements et les relations entre les personnages. Une idée-force très solidement ancré dans les mots, qui rend l’espace-temps dangereux, où le moindre ennui avec la voiture devient une question de vie ou de mort, où la moindre contrariété prend la valeur d'un tourment métaphysique ; ce qu’on fait nous-mêmes quand on s’énerve pour rien, sans être en voie de zombification. L’idée-principale en contient plusieurs :
- la fin du monde, les meurtres et les activités de survie
- la vieille crainte de la peste noire, un thème européen qui a survécu au phénomène et qu’on retrouve dans beaucoup d’ouvrages
- la société en état de confusion, avec perte des institutions et montée du bricolage dans tous les sens du terme
- les normaux qui deviennent minoritaires comme dans Rhinocéros d’Ionesco (et s'il n'en reste qu'un...!)
- un exercice sur « s’il vous restait 18h à vivre, que feriez-vous ? »
- le mythe du vampire dont la morsure nous rend vampires et l’invasion de zombis
- le champ lexical de la répugnance liée à une maltraitance des corps humains qui définit la catégorie du texte
- le « héros défaillant » et la « dernière femme » (presque)
- l’exode en zone libre sous l’Occupation
- la nécessité de la violence comme mal nécessaire et le retour à quelque chose de préhistorique ou plus exactement d’apocalyptique : tuer pour survivre
- le thème de la réponse du politique à cette épidémie aurait pu être plus développé, car même au moment de décrire l’histoire de la connaissance par les vivants de l’infection et des tentatives pour la soigner, on n’évoque là qu’un savoir diffus, décentralisé, non expertisé, milicien ; certes, au bout de trois ans d’un tel régime, on s’attend à ce que le politique ait été dissout, comme les media, mais une évocation de cette dissolution aurait davantage fait le lien avec notre situation actuelle ; comment ça a basculé, etc.

Comme forme est maîtrisée, on parie qu’elle le sera encore deux pages plus loin, et jusqu’à la fin, qu’on perd pas son temps, et au moment du dénouement, qu’on sera très étonnés, renversés. Pour faire celui qui (se) raconte la fin, je m’attendais à ce que Ben devienne un zombi et voie la vie autrement, dans l’allégresse, et qu’il comprenne la morsure comme le moyen privilégié pour les vivants, ou plutôt pour les larves humaines, d’accéder à un paradis d’imagos à partager, quoiqu’il paraisse épouvantable à nos yeux de larves. Le thème s’y prêtait car si le bien se met du bon côté de la barrière bien/mal, le mal fait la même chose de son côté. Mais tu préfères la déception et au niveau symbolique, cela met tout par terre à mon sens.

On a la forme, du solide, on a l’idée principale, heuristique, mais on n’a pas cette deuxième force qui fait le sel des œuvres qui marquent. Le texte commence sur des chapeaux de roue, développe, développe, dans un bel équilibre entre la prévisibilité et l’imprévisibilité, la tension monte… et puis ? Qu’avons-nous fait de la tension ?

D’après moi, la déclaration d’amour est falsifiée ; l’amour est identique à la vie. Beaucoup de citoyens sont morts pour la France, et, pour ceux qui y ont vraiment cru, c’était un sacrifice de soi permettant de conserver, de protéger la vie. L’épouse qui préfère rejoindre son mari dans sa tombe ne l’aime pas vraiment, car aimer l’autre, c’est s’aimer soi-même ; c'est toujours aimer la vie, jusqu'au bout. Du moins, c’est mon opinion personnelle ; comme tout ce que j’écris, d’ailleurs. A la défaillance du héros qui tourne en rond au lieu d’accomplir le destin qu’il s’était fixé en cas de « 18h chrono » répond celle de l’héroïne qui choisit la mort plutôt que la vie, de guerre lasse. Le scénario prometteur et potentiellement sublimatoire se perd comme un oued dans le Sahara, dans le pessimisme total, une fatalité qui n’arrange personne. Tu as opté pour le réalisme et Anne a beaucoup d’excuses, elle se sait condamnée comme les autres. Ce n’est qu’une question de jours, de semaines, et comme Juliette devant le corps de Roméo, elle préfère le symbole de la réunion dans le tombeau à l'amour plus fort que la mort ; elle préfère se zombifier qu'affronter la vie et les aquilons comme ce chêne récurrent. Tous les arbres sont des chênes semble dire l'auteur ; partant, toutes les vies peuvent être des chênes, qui ne rendront l'âme que déraciné par le plus terrible des enfants que le Nord eût jusque là porté dans ses flancs...

L’accès de romantisme tombe ici sans préparation et l’amour entre Ben et Anne, quoiqu’on l’imagine décuplé par la catastrophe, n’est pas explicitement fiévreux. Il y a là peut-être un thème que tu as pensé traiter mais qui n’est pas si évident à voir. Au cinéma, c’est beaucoup plus facile, car on voit les personnages en chair et l'acteur n'a qu'un geste à faire pour comprendre qu'ils sont ensemble. Alors que les mots, je pense, doivent décupler leurs efforts pour faire émerger un corps, une sexualité, un amour conjugal. Un écueil est de « voir » les personnages sans les « faire voir » aux lecteurs. Du moins, je parle pour moi et cela m’arrive.

Mais plus que la déception de l'horizon d'attente (quel film hollywoodien s'est jamais permis une telle licence ?), c'est un arrière-goût de manque d'imagination qui me traîne au fond de la gorge. Il n'y a pas ce claquement de doigt, cette baguette magique, qui aurait donné "son sens" à tout le texte.

2017, en pleine campagne présidentielle, donc…
2017, c’est un peu ton 2012 d’Emerich, on en reparlera en 2018 :)
3 ans on a encore jusqu’en 2014 ; les municipales, donc…

« rester morts, après avoir lutté pour rester vivants » écris-tu. On pourrait imaginer que ce soit la métaphore d’une pensée philosophique. On pourrait les rapprocher de notre refus de mourir, notre absence de thanatosophia, et peut-être que certains d'entre nous préféreraient la mort-vie à la mort totale, voire la préfèrent vraiment à la Vie. Je pense à un rapprochement entre les infectés de 18h avant l'éternité aux cadavres ambulants de Sartre, des gens qui n’ont rien à faire que suivre la route que d’autres leur ont tracée.

Le titre semble en savoir plus long que le narrateur sur l'espérance de vie des zombis.

***

« Mais sa bonne étoile s’était éteinte avec le lever du jour : le voyant du liquide de refroidissement s’alluma à son tour. » L’espoir stellaire pâlit sous la lumière solaire de la vérité et révèle par conséquent une carence-obstacle (rien de plus réel qu’un obstacle !) paradoxalement signalée par l’allumage d’une alarme qu’on imagine rouge : métaphore du déroulement de tout le scénario, on croit faire de grande choses mais les personnages consomment leur échec total ; ou, très ésotériquement de ma part, la suggestion que la civilisation humaine a fait les choses à l’envers, et qu’elle allume des « voyants » (ceux qui lisent l’avenir) là où elle aurait dû ne pas concurrencer la réalité du soleil et celle de la nature, fille de la terre et du ciel.

Voici une musique que m'a inspiré ton histoire.

Je me suis demandé si ton talent se laisserait inspirer par une chose aussi amusante que cette investigation scientifique écrite sous le nom de Homo disparitus par Weisman. Des ET qui visitent la Terre après notre disparition, qui relèvent les indices, se tromperaient de a à z...

   widjet   
1/10/2013
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Je ne regrette jamais d’avoir lu du Ninj’ car c’est souvent (toujours ?) la garantie d’un moment divertissant (je rappelle que le « divertissement » - bien fait, j’entends - n’a rien, à mes yeux, de mineur ou de facile à faire) où se mêlent suspens, action, parfois l’humour (ici, cruellement absent, car même si le sujet ne s’y prêtait pas, je pense que y’avait moyen de « moyenner » comme on dit) et l’émotion (relire « Papa nous écrit du ciel » pour s’en convaincre) le tout servi par une plume fluide, limpide, visuelle bref, cinématographique comme j’aime.

Et plus que tout, un respect pour le lecteur.

Cette fois encore, je ne regrette pas ma lecture. Néanmoins, me voilà bien emmerdé car en toute objectivité (et au nom de l’estime et la considération que j’éprouve pour cet auteur), je dois admettre que « 18 heures avant l’éternité » me laisse un sentiment mitigé.
Sur l’écriture, je n’ai pas de reproche particulier et les quelques broutilles identifiées (« recouverte d’une couverture ») ne sont que des broutilles. Tout se lit donc sans aucun heurt, ça coule bien, comme d’habitude ai-je envie de dire même si je ne peux m’empêcher de penser qu’elle manque par moment de nervosité et d’imagerie (tu me connais, j’aime assez qu’on métaphorise) et que Ninj’ abuse parfois du procédé des « … » entre les mots comme :

« David avait payé le prix fort pour sa négligence… mais il n’était pas le seul. »
« …l’étape suivante avait tout naturellement été l’amputation du membre concerné… quand la victime avait eu la chance de n’être pas mordue au thorax, ou à la gorge »
« …on pouvait encore y dénicher quelques trucs utiles… avec un peu de chance »
«… ou y aller en voiture pour repartir rapidement en cas de problème… au risque d’ameuter tout ce qui se pouvait rôder dans les environs »

…Et qu’il y avait sans doute moyen d’éviter quelques répétitions.

Mais, je le redis, cela ne m’a pas vraiment gêné. Donc prend le pour ce que ça vaut, c'est-à-dire, pas grand-chose.

Mais, je crois comprendre (Ninj’ me dira si je fais fausse route) ce qui a animé avant tout l’auteur à savoir la crédibilité (notamment psychologique) ; l’envie farouche d’être « primaire » et donc le refus à tout prix d’un style trop appuyé, un refus de l’esthétisme, de surenchère, tout comme un rejet de l’héroïsme un peu crétin et macho (ici, l’homme pleure, l’homme a peur, l’homme s’épanche…), et je vais même oser prétendre un refus (voire une interdiction) d’imaginer quoi que ce soit, comme pour confesser (avertir ?) au (le) lecteur que c’est pas forcément de la fiction dont il s’agit-là (et c’est là que le texte a un autre niveau de lecture – volontaire ou pas, tu me diras – ) et confère au récit un aspect plus actuel : à la place du sujet « zombiesque », on pourrait le remplacer par pleins d’autres enjeux aussi dramatiques et de notre temps : crise économique, misère…, où là aussi il est question de survie.

Cette métaphore, c’est un choix que je respecte et qui d’une certaine façon me plait (pour en revenir à Ben, dans la vraie vie, peu de gens se comporterait en « mâle » couillu et digne s’il se savait sur le point de crever. Devant la mort – à fortiori dans de telles conditions ! - on se chie TOUS dessus, non ?), mais cela donne aussi un côté trop « normal » à l’ensemble (du reste, ce n’est pas un hasard, si ce thriller se passe en France avec des prénoms très répandus – Martin, Philippe, Pierre – et non aux USA, afin de donner une proximité aux évènements et donc un sentiment de danger « à nos portes ») ce qui amenuise par instants le caractère jubilatoire (l’adrénaline a un côté aphrodisiaque) et les fulgurances auquel je m’étais bêtement attendu (tu me diras à juste titre, que c’est de ma faute, je n’avais pas à me monter le bourrichon !).

J’ai pu lire dans les commentaires qu’on déplorait le caractère un peu mièvres de certains passages dialogués. En temps normal, j’aurai été d’accord avec ce « reproche », mais dans le présent cas, si on reste dans la recherche assumée du crédible, normal (ou humain, en fait !) alors cette affectation un peu forcée devient une qualité (si je devais ne plus revoir ma femme, sans doute lui ferais ma plus belle déclaration d’amour alors que dans mon confort du quotidien, je suis une tombe dans ce registre !).

Parlons du rythme, cela m’a semblé parfois longuet (le chapitre « Beaune » est trop long et même l’attaque du zombi ne m’a pas "réveillé" (façon de parler, hein) contrairement à celui de Valence et notamment au passage des pillards et le « tue-le » - réplique très cinoche - aussi inattendu que bien joué!) et sans tension véritable (peut-être aurait-il fallu jouer davantage sur les silences – comme tu l’as bien fait lors du premier échange entre Ben et Anne lors de la révélation de la morsure de ce dernier).

Ah, la tension. Merde, c’est un thriller horrifique si j’en crois la catégorie (impossible de le classer en sentimental non plus, pas évident donc). Certes, certes, mais, je me dois d’être honnête également : l’auteur m’a prévenu d’emblée : « une histoire d’amour, avec des morceaux de zombie dedans ». Alors oui, celui ou celle qui s’attendait à ce que ça gicle de partout sera peut-être déçu. Maintenant, pour ma part, je refuse de croire qu’il faille nécessairement choisir entre les deux genres. En dépit de son avertissement et au vu des capacités de notre auteur (preuves à l’appui), je pense que Ninj’ ne voulait pas sacrifier l’un pour l’autre.

Au final, Ninj’, je trouve que tu ne réussis que partiellement dans les deux registres. Pas assez de tension dans le thriller. Pas assez d’émotion dans le registre amoureux.

En ce qui concerne l’histoire d’amour, j’ai eu du mal à ressentir véritablement l’odyssée de Ben, la difficulté de sa mission pour retrouver sa belle une ultime fois. Je m’explique : je vais peut-être te faire sauter au plafond, j’ai eu le sentiment (probablement inexact) qu’entre sa décision de retrouver sa femme et les retrouvailles du couple, bah que les embuches n’étaient pas si nombreuses ou si insurmontables, que le trajet n’était pas si long que ça. Alors, je ne dis pas que c’était de tout repos, mais les évènements les plus spectaculaires et les plus marquants (et probablement les plus complexes – mais passionnants aussi - à écrire, sachant que tu as largement le talent pour), le lecteur ne les vivra pas (je parle évidemment du massacre du début et l’accident de voiture, les deux sont « hors texte »). Par conséquent, au lieu de ressentir ces retrouvailles finales comme une « juste récompense » en me disant « c’est bon, il mérite un peu de bonheur, le Benji avec tout ce qu’il a pris dans la gueule », je me suis retrouvé un peu « sec » côté palpitant. De plus, pour une histoire d’amour, il faut deux personnes et Anne est, à mon sens, un peu sacrifiée ici (une alternance des deux héros – avec un point névralgique commun, comme Emile, leur fille via des flash-back par exemple – eut été bienvenue et aurait peut-être donné une résonnance émotionnelle plus forte lors du dénouement.). Mais plus je rédige cette amicale critique de ton texte, plus je me rends compte que le véritable souci que j’ai, c’est que ta nouvelle est trop courte. Cela valait bien 20K à 30K signes en plus (et quelque chose me dit que tu dois le savoir aussi).
Je le disais plus haut, un peu d’humour n’eut pas nuit à l’histoire aussi tragique fusse-t-elle. Et le seul trait humoristique (« La plus infaillible de tes extensions viriles »), est à mon avis forcé, un peu « sur-écrit ».

J’en conviens, j’ai l’air d’être super négatif, mais ne te détrompe pas, j’ai passé un bon moment. J’ai avalé ces 60K sans rechigner, ni souffler ou regarder l’heure. Mais pour avoir déjà prouvé que tu savais combiner l’aventure à l’émotion (« Papa nous écrit du ciel » encore une fois), j’ai un sentiment ambigu dans ce récit plaisant, classique (dans le bon sens du terme), honnête (cette absence d’excès lui donne une authenticité et une vérité que n’ont pas mes « Matriochkas » par exemple), mais auquel il manque un grand souffle émotionnel qui emporte tout sur son passage.

ET s’il me semble en dessous de ce que tu as déjà produit, il est largement supérieur à la plupart des nouvelles du genre qu’on trouve ici.

Merci Mister et une fois encore, c’est une réaction à chaud donc à prendre avec du recul (que tu as de toute manière) !

W

PS : Je sais pas, mais j'aurai mis un "i" majuscules pour parler des Infectés. Comme une sorte de race, ça fait davantage frissonner :-)

   Pepito   
29/9/2013
Bonjour Ninjavert,

Allez, un peu de chipotage :
- "Retentir" pour une douille le mot m'a semblé trop fort
- "Sans le filet rougeâtre qui ruisselait de sa gorge en lambeaux, on aurait pu croire qu’il dormait." le filet rouge est surprenant mais pas la gorge en lambeaux ;=)
- "Ben, je… je suis tellement fière de toi, si tu savais…" le dialogue mari/femme casse pas des briques, mais sur cette phrase là, tu t'es surpassé ;=))))

Heureusement, tu te rattrapes juste après :
- "Benjamin aimait l’odeur de la terre sèche et poussiéreuse qui jonchait le sol de "La Cabine". Elle lui rappelait les chemins crayeux de sa Provence natale, le chant des cigales, le bruit des glaçons dans le pastaga." j'adore, et pas seulement pour le pastaga.

La panne, la station, la réparation, tout bon tout çà.
La comparaison du 22, du 44 et du 33Export bof, un peu en trop.
Le non pipi, le non soif, très bon, puis :
- "Il ne ressentit pas le saisissement glacial auquel il s’attendait, mais la fraîcheur lui donna quand même un coup de fouet." la fin de la phrase est en trop à mon avis.

Tout le passage avec les faux gentils qui deviennent des pillards excellent, jusqu'à :
– "Les infectés, eux, n’ont pas choisi de se comporter comme des monstres." pour un gars qui arrivait déjà plus à articuler 5 minutes avant, pas mal. Ben n'est pas américain par hasard ;=)

Anne met peut être un peu trop de temps à descendre des remparts, mais bon.. Tout bon jusqu'à la lettre...
Là c'est un peu difficile. Elle est pas mal cette lettre, mais écrite par un gars épuisé qui vient de faire un tonneau et qui est train de se transformer en zoubie-zouba... maintenant c'est sur, il est américain ce Ben...;=)
On reprend, très beau, jusqu'à " pas voir son visage exploser."

Et là, comme dans "Papa nous écrit du ciel", une deuxième fin.
Quel dommage, à mon gout, c'était si bien de s’arrêter là.

Fin (suite) : Un fille qui choisit délibérément une mort de ce type là, sans possibilité d'y mettre fin, ni pour lui ni pour elle... improbable.

Bon, cela reste une histoire de zoubies, évidement, mais je ne me suis pas ennuyé, merci pour cette lecture.

Un ban aussi pour l'annonce du texte "avec des fruits dedans", vraiment délicieuse.

Pepito

PS: je voulais en écrire plus mais Renaud et Widjet on piqué toute la place ;=)

   Anonyme   
30/9/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Ninjavert

World Ward Z made in France dans pas mal de minuscules petits détails comme l'appellation "infectés", le fait qu'ils ne soient pas sourds, les amputations etc... mais à part ça, rien à dire de particulier sauf une question : pourquoi tenter de déplacer les foules vers la Province quand la province connait les mêmes vicissitudes, ce qui est sous-entendu par la réflexion d'un de vos personnages "ça fait longtemps qu'on a pas vu de morts par ici..." S'il y en a eu - des morts et donc des infectés - il y en a forcément encore, à mon avis.
Pas trop compris ce passage.

Et une autre question aussi : j'aurais bien aimé connaitre l'origine de cette soudaine infection. Qu'au moins une thèse (fiable si possible) soit avancée et permette à la civilisation de s'en sortir et de garder le moral parce que là, on est dans la merde et visiblement, on va y rester.

Autrement, rien à dire. Une écriture professionnelle, des descriptions qui ne se perdent pas, une grande maîtrise mais des à-côtés laissés dans l'ombre.
Un bon moment de fluidité. C'est rare.

Ha oui, j'oubliais mais it's joke : Asnières... Asnières qui ne répond pas... Cette ville est dans ma tête à jamais associée à Fernand Raynaud. Ca m'a fait sourire. Et ce n'était pas le propos...

   dowvid   
1/10/2013
J'ai de la difficulté avec ces thèmes à la mode : zombies, loups-garous, vampires.
Le texte est bien écrit, l'histoire se tient bien, y a logique, mais je me suis ennuyé. Encore là, c'est très personnel, mais j'aime les trucs imaginatifs ou percutants. Ce qui vous arrache un pincement au coeur, ou qui vous vole de votre temps pour relire un bout de phrase imagée, percutant, qui vous flashe une lumière dans les neurones.
Ici, je n'en retrouve pas.
Un monde futuriste rempli de gens infectés, ouhouh, j'ai peur ! Infection extra-terrestre ? Désastre sorti d'un laboratoire expérimental ? Bombe biologique mise au point par un groupe terroriste ? On n'en sait rien et tant pis.
Encore une fois, c'est bien écrit, assez bien ficelé, assez prévisible.
L'auteur est très bon. Le sujet m'indiffère et son traitement ne m'emballe pas.

Merci pour la lecture.

   placebo   
3/10/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Hello,

Je commente quelques jours après avoir survolé les commentaires et le forum. Je me souviens que tu as écrit un très long com sous le dernier texte de widjet, par exemple, ma remarque sur les zigotos n'avait rien de négative :)

D'une, le texte se lit très bien. De deux, j'ai été un peu déçu et ai parfois survolé quelques passages.

J'ai été un peu déçu par l'écriture. Je reprends un passage au hasard et vois "Son cœur accéléra". Non, c'est sa pulsation cardiaque. J'ai croisé quelques répétitions et des phrases avec pas mal de subordonnants (qui, que). Jaimme et Pépito ont lancé des pistes pour les dialogues. Ça ne rend pas les choses illisibles, ça contribue malgré tout à faire passer le texte du statut d'œuvre à celui de simple divertissement tel que défendu par Widjet.
Certains paragraphes un peu longs n'étaient pas évidents à suivre.

L'histoire m'a un peu rappelé celle de Français qui devaient franchir dans l'urgence la ligne de démarcation instaurée par Vichy. J'avoue avoir lu et vu très peu de choses sur les zombies même si j'ai tâté un peu de Left4Dead.

Mon plus gros problème pour l'histoire, a été une difficulté à visualiser la situation, et donc à entrer dans le rythme et ressentir la tension. La route est chaotique, Mike fait des détours : quelle distance doit-il parcourir, combien de temps lui reste-t-il, comment la maladie prend-elle possession de son corps ? Des questions basiques dont les réponses ne sont pas toujours évidentes. Tu évoques en forum 24h chrono, et même si je n'ai regardé que 3 épisodes, oui, c'est tout à fait par là qu'il faudrait pencher.

Beaucoup de choses font très cinéma dans ta nouvelle, et je regrette d'autant plus ce manque de visualisation de ma part. Au-delà des mots je n'ai pas su mettre quelle BO, quels contre-clichés pour les personnages, quels plans larges ou serrés sur leurs visages.

Je terminerai sur une note plus positive, parce que j'ai malgré tout aimé le texte : il y a du bon presque partout, il manque juste une étincelle.

Bonne continuation,
placebo

   Acratopege   
9/10/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Très réussi, ce récit apocalyptique en forme de road-movie ! Je l'ai lu avec la peur au ventre en espérant un dénouement miraculeusement heureux. Un film plutôt qu'une nouvelle, tant l'écriture suggère des images visuelles. Et puis c'est aussi comme un fragment de roman, tant le hors-champ prend de la place: en lisant, j'ai imaginé l'avant, l'après, l'ailleurs...
Je trouve seulement un peu inquiétant que vous connaissiez si bien les armes à feu!

   Ninjavert   
9/2/2014

   Cox   
14/7/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Salut !

Cool des zombies ! Et quel sous-titre alléchant !

Je trouve le récit très bien foutu dans son ensemble. Il est percutant,vif et il se lit vite et sans décrocher. Il y un certain réalisme, et, à ce sujet, le passage controversé de la description des différentes armes ne m'a pas dérangé le moins du monde : c'est un peu le chapitre "trucs et astuces du joyeux survivant", passage obligé de tout film de zombies qui se respecte ^^. Ca ajoute à l'ambiance, qui est d'ailleurs bien rendue en dépit de la discrétion des fameux infectés qui, de ce fait, n'a même pas dérangé le friand que je suis de films de série B bien cons avec armée de ruines baveuses et agressives en quête de cerveau. Autre bon point donc.

Je m'étonne de la foule de petits détails qu'on a pu relever en commentaires; personnellement je n'ai jamais été dérangé par l'un d'entre eux et la qualité de l'ensemble ne s'en ressent pas, à mon sens.
Enfin, il y en a quand même un : la fameuse réplique qui tue :
" Les infectés, eux, n’ont pas choisi de se comporter comme des monstres".
Horreur et sucreries ! On dirait ce genre de trucs gentillets qu'Hollywood glisse dans ses superproductions les plus démesurément meurtrières pour se faire pardonner d'avoir mis du sang partout sur l'écran ! XD
Bon je me moque un peu, mais quand même, c'est moyen, surtout après ce très bon passage où le narrateur se fait carrément flinguer, ce qui m'a, je te l'avoue, vraiment surpris et scotché.

Un truc qui m'a un peu empêché d'adhérer complètement aussi, c'est la sécheresse du style. Enfin, "sécheresse" j'exagère, c'est trop fort, mais je ne trouve pas mieux dans l'immédiat...
On peut avoir un style direct et sans fioriture, mais c'est souvent justifié par quelque chose; Hemingway ne perd pas de temps, mais ça se comprend dans ses bouquins grâce au côté "vieux loups de mer virils et bourrus qui se dessoudent la gueule à coup de décapsuleurs pour tuer le temps entre autres". Dostoïevski a aussi un style assez télégraphique je trouve, mais là c'est pour servir le côté bizarre, dérangeant, étouffant.
Enfin bref tout ça pour dire, qu'ici, le style me paraît un peu trop direct sans que ça soit vraiment adapté. Ce n'est qu'une impression, peut-être trop subjective, mais c'est surtout ce qui m'a gêné.

J'appuie aussi la remarque qui voudrait que le côté "métamorphose" soit plus accentué. Ca ne m'était pas venu spontanément à l'idée, mais après réflexion, c'est vrai que ça serait un "plus"

En tout cas, ça reste un texte très bien mené qui se lit avec plaisir !

   bigornette   
14/4/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Une bonne nouvelle que vous nous offrez là, Ninjavert. Les deux premiers tiers m'ont plu au plus haut point. Tension, équilibre, rebondissements... J'ai particulièrement apprécié le trip touristique, ainsi que les quelques explications techniques. C'est le dernier tiers qui m'empêche de jubiler. Je trouve qu'à partir du moment où Ben se prend un coup de fusil par un des pillards, le temps de la narration s'allonge, alors que le temps qui lui reste pour revoir Anne raccourcit. L'épisode avec Sonia me paraît inutile, la lettre pourrait être moins longue (il l'écrit en ayant quand même les intestins à l'air le gars !), et j'ai bien compris la tristesse de la situation sans qu'il faille en rajouter à la fin. Hormis cela, chapeau bas, j'ai beaucoup apprécié 18 heures avant l'éternité. Je ne sais pas si ce commentaire sera utile pour vous. S'il ne l'est pas, n'en tenez pas compte.

   nemson   
21/8/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour, visiblement tu sais écrire et c'est déjà ça. Fluidité, rythme sonorité, c'est du velours. Vraiment une super plume, dommage quelle soit au service d'un fond arc hi éculé (bien que walking dead est réussit à renouveler le genre) mais ça donne envie de te lire sur autre chose. Pour ce que j aime lire, ça manque de punch et aussi d'une certaine originalité dans le vocabulaire "Ben fronça les sourcils" quand je vois ça, ça peut paraître idiot mais j'ai l'impression de tomber sur une grosse arête dans mon pavé de saumon. je sais je fais la fine gueule, quoi qu'il en soit ça reste l'une des meilleures écritures que j'ai pu consommer ici. Amicalement.


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