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Fantastique/Merveilleux
Otus : Succube (deuxième partie)
 Publié le 16/10/07  -  4 commentaires  -  10629 caractères  -  29 lectures    Autres textes du même auteur

À pas feutrés, le piège s'installe.


Succube (deuxième partie)


Je rentre chez moi, comme sur un nuage. Ma femme est encore au travail.
Je commence à m'occuper de notre intérieur, comme je l'ai toujours fait dans le couple moderne et paritaire que nous formons. Rose occupe toutes mes pensées. Rose. Quel prénom délicieux.


Je cherche de mon mieux à ranger, étendre, aspirer, nettoyer, mais mes pensées, en aucun moment, ne sont à ce que je fais.
Rose, Rose, Rose, rien d'autre n'arrive à trouver prise en mon esprit.
Devant mes yeux ne cessent de défiler son sourire, doux et enjôleur, sa démarche, féline, ses fesses qui appellent les mains, presque avec autorité. Ses yeux qui sont d'un bleu comme jamais je n'en avais vu auparavant. Quelque part entre azur et électrique.
D'une pureté sans pareil.
Plus cette fille repasse dans mon esprit, et moins elle peut en sortir. Elle s'est appropriée les lieux. Et plus je pense à elle, et plus sa beauté m'émeut, et plus sa perfection m'éblouit.
Soudain je me souviens, je ne sais même pas comment j'avais pu l'occulter, qu'elle m'a donné son numéro de téléphone.
Je peux saisir mon portable et l'appeler, à chaque instant.
Cette pensée me glace le sang.
Sans crier gare ma femme arrive. Nous nous échangeons un baiser sans grande conviction.
Elle installe ses affaires, pose son sac sur le canapé comme elle le fait toujours. Cela m'insupporte.


- Alors, bonne journée ? me demande-t-elle.

- Oui, et toi ?

- Moi aussi.


Elle disparaît dans la salle de bains.
Je continue machinalement mon ménage.
Elle se doute de quelque chose. Mais de quoi ? Je n'ai pas agi, je n'ai rien fait. De quoi peut-elle se douter ? Je ne l'ai jamais trompé. À moins qu'elle soit dotée du pouvoir de lire mes pensées, et si c'était le cas elle m'aurait quitté sinon castré, rien ne peut avoir transparu. Mais, étrangement, je ne suis pas inquiet. C'est comme si d'avoir le numéro de Rose dans mon portable m'immunisait à tout souci, à tout problème.


- Tout va bien au travail ? me demande-t-elle depuis la salle de bains.

- Oui, pas de problème. Et toi ?

- Oui, ça va.


L'atmosphère pesante qui s'est installée entre nous commence à m'irriter.
Je m'approche d'elle. Elle est occupée devant le miroir de la salle de bains, en train de se démaquiller.


- Tu veux qu'on dîne dehors ce soir ?


Elle finit d'ôter le mascara de son œil gauche, et me regarde dans le miroir. Il y a comme du dédain dans ce reflet.


- Oui, pourquoi pas.


Dîner dehors, à l'échelle de notre couple, signifie aller dîner dans ce petit resto qui fait le coin de la rue, où nous avons nos habitudes. Le patron, que nous connaissons bien, nous accueille toujours en nous offrant l'apéritif.
Je vais dans la chambre, allume la lumière et me poste face à la penderie où mes chemises sont alignées. Mon choix s'arrête sur une chemise grise vaguement côtelée. C'est peut-être une habitude de vieil homme, mais je ne porte que des couleurs relativement ternes : marron, gris, noir. Je sors la chemise du portant et la dépose sur la poignée de porte. La chambre donne droit sur la salle de bains et ma femme, de profil, peut m'observer à loisir dans le miroir. C'est alors que je le remarque, sur le col de la chemise, au niveau de la nuque : un long cheveu blond, raide, brillant. Ma femme est brune et porte les cheveux courts. Un frisson me parcourt. A-t-elle vu ce cheveu ? Comment peut-il être arrivé là ?
Je n'ai jamais eu de contact physique avec Rose. Rien ne peut expliquer sa présence. Mais lui, le cheveu, explique bien des choses. Elle l'a vu. Sinon, elle continuerait d'être avec moi celle qu'elle a toujours été : attentive, gaie, aimante. Le vent, la fatalité, le destin, le diable, quelqu'un ou quelque chose a pourtant déposé ce cheveu avec dessein, juste sur le col, à cet endroit qui ne souffre aucune équivoque, aucun hasard. Le cheveu est à moitié rentré dans le col. Je fais demi-tour dans la chambre, la chemise dans la main, afin qu'elle ne me voie pas, depuis son miroir, examiner la preuve flagrante. Je pince le cheveu entre mes doigts, le retire de son perchoir délateur. Il me semble doux, soyeux. Je le porte à mon nez. Son odeur est enivrante, musquée, fleurie. Ce parfum happe mon esprit dans un monde de senteur et de volupté. Mon corps frémit d'une excitation presque incontrôlable. C'est pourtant impossible qu'un unique cheveu exhale tant d'arôme.


- Robert ?


Ma femme est sur le pas de la porte, en train de m'observer, suspicieuse.


- Qu'est-ce que tu fais ?


Je lâche le cheveu et pose la main sur ma chemise.


- C'est ma chemise. Je lui trouve une odeur... une odeur de renfermé.


Le mensonge est éhonté. Depuis vingt ans que nous vivons ensemble, ma femme a toujours garni nos penderies de produits antimites, savons à la lavande emballés dans des linges, et autres accessoires odorants.


Elle se détourne de moi avec un air taciturne et déçu. Elle sait. Il n'y a pas d'autre explication. Je déglutis lentement.


Nous entrons dans le restaurant, et Franck, le patron, un grand blond à la sympathie greffée sur le visage, nous installe à notre table, dans un coin de la petite salle. Les deux verres de St Julien atterrissent sur notre table, tel un rituel aztèque immuable.
Je cherche les yeux de ma femme mais ils volent en tous sens comme des passereaux paniqués.
Il y a comme un mur de silence entre nous.
Quand sa main survole la table en direction de son verre, je la lui prends.


- Qu'as-tu en ce moment ?

- Rien. Pourquoi ?

- Tu es distante. Je ne te reconnais plus.

- Moi non plus je ne te reconnais plus. Tu as toujours eu un sommeil de pierre. Et depuis quelques jours, tu parles, tu remues, tu cries !


Nous y voilà.


- Je suis stressé ces temps-ci. Il ne me reste que deux ans avant la retraite.

- Je croyais que tu t'en réjouissais.

- Je pensais aussi.


Je lui mens en la regardant dans les yeux. Le sait-elle ? Ma femme est loin d'être bête. C'est pour cela que c'est ma femme.
Ses yeux sont ternes et fuyants. Ils essaient de s'accrocher aux miens mais n'y restent jamais bien longtemps. J'ai l'impression dégoûtante d'être très doué pour mentir.
Elle inspire profondément :


- Je vais devoir partir quelques jours.

- Ah ?

- Pour un séminaire. Dans le sud de la France.

- Et quand est-ce ?

- Au début de la semaine prochaine.


Mon bas-ventre fourmille. J'ai beau tenter d'en chasser l'image, je vois mes lèvres sur la peau douce et sucrée de l'épaule de Rose. Je sens ses soupirs dans mon cou, ses petites mains fines qui se referment sur moi.


- Tu m’écoutes ?

- Hein ? Oui.

- Tu as de drôles d'absences en ce moment, Robert.

- Pardonne-moi. C'est un séminaire sur quoi ?

- Je viens de te le dire : sur les évolutions de l'édition numérique.


Je ne sais pas si je l'avais déjà mentionné : ma femme travaille dans l'imprimerie. Elle s'appelle Julia et a vingt ans de moins que moi.
Nous finissons le repas dans une ambiance mortuaire et je laisse les regards interrogateurs et inquiets de Franck s'écraser par terre. Je lui dépose sur la table un pourboire généreux, et nous rentrons. Ce soir-là, je dors sur le canapé, plus accidentellement - je me suis endormi devant la télé - que volontairement. Julia ne viendra même pas s'assurer de mon état. Quand je me réveille, il fait grand jour, et elle est déjà partie.
Après un âpre café, une douche chaude et quelques séries de pompes avortées, je relis distraitement les copies du dernier contrôle que j'ai infligé à mes élèves.
Je lève les yeux d'une sempiternelle faute que je suis las de devoir corriger encore et encore.
Mon téléphone est devant moi, allongé sur la table comme une pin-up.
Je le saisis. Descends à « R » dans le répertoire. Sélectionne le numéro de Rose. Et presse le petit téléphone vert.
Je n'entends même pas de sonnerie.


- Allô ?

- Rose ? C'est... heu...; c'est Robert.

- Bonjour !


La satisfaction dans sa voix me retourne l'estomac.


- Hé bien comme convenu...

- On peut se voir ?

- Oui. Quand ?

- Maintenant ?


Je brûle à l'intérieur.


- Ok.

- Donnez-moi votre adresse.


Je la lui donne.


- J'y suis dans dix minutes. Je vous rappelle quand je suis en bas.

- Très bien.


Ma voix tremblote.
Elle raccroche. Je ne suis plus que frissons et spasmes. L'appartement est relativement bien rangé. C'est déjà ça.
Je tourne en rond comme un lion en cage.
Vite. Mais vite quoi ?
Je cache dans un tiroir quelques photos archéologiques de Julia et moi, à l'époque où nous étions heureux.
Je saurai bien sûr les remettre à leur exact emplacement une fois que... une fois que quoi ?
Je dissimule tous les indices d’une présence féminine. Les mascaras et autres poudres de ma femme viennent s'écraser dans le tiroir de la commode de la salle de bains. Je range ses bijoux dans leur boîte, une hideuse boîte en bois qu'elle a hérité d'une tante quelconque. Je tire le rideau de notre penderie où s'étalent vêtements féminins et autres soutiens-gorge.
Le remords ne m'effleure même pas.
J'éparpille encore quelques preuves embarrassantes, la tisane pour digestions difficiles et les sucrettes dans la cuisine.
Le téléphone sonne et me glace le sang.


- Allô ?

- Je suis en bas !


Je sue alors que je lui indique le code et l'étage.
La peur me pousserait aux toilettes si j'avais encore le temps pour cela.


Elle sonne.


Ma main tressaille en touchant la poignée.
J'inspire profondément et ouvre la porte.
Elle est là.
Plus belle que jamais.
Son petit haut dévoile un nombril parfait, angélique, terriblement érotique. Des seins ronds et généreux, fiers et doux.
Elle me fixe droit dans les yeux. Son sourire me terrasse.


- Je peux entrer ?

- Oui, bien sûr.


Je m'écarte et elle passe.


- Je me déchausse ?

- Si tu veux.


Elle se retourne vivement :


- Alors on se tutoie ?

- Heu... oui. C'est plus simple.


Elle ôte ses petites chaussures ouvertes et révèle deux petits pieds magnifiques, sublimement féminins et pourtant juvéniles.


- On se met où ?


Je désigne de la main la table du salon.


D'un pas félin elle s'en approche, ouvre son sac et dépose un livre et un cahier sur la table. Je suis presque déçu de ne pas la voir s'offrir immédiatement à moi.
Quand elle s'assied son jean me laisse entrevoir un infime bout de sa culotte; elle est rouge vif et je chavire.
Je prends place près d'elle, craintivement, comme si je m'asseyais à côté d'un tigre affamé.
Elle ouvre son livre et son cahier, sort de son sac un stylo.
La leçon commence.


À suivre


 
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   Bidis   
16/10/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Otus est très habile. Dans ces deux premières parties de "Succube", il ne se passe rien que de très banal. D'autant plus banal que les menus faits de la vie quotidienne sont dits par petites touches parfaites « Elle installe ses affaires, pose son sac sur le canapé comme elle le fait toujours. Cela m'insupporte. » … « Elle finit d'ôter le mascara de son œil gauche, et me regarde dans le miroir. Il y a comme du dédain dans ce reflet. » On vit la vie de ce couple. On voit leurs petits gestes habituels. Rien d’horrible donc, rien de fantastique. Et pourtant on frissonne… Le titre est là, pour lequel on a choisi ce texte. Et le tout premier paragraphe a montré le héros dans un bien triste état, résultat de ce que l’on va lire. Ainsi quand la fille survient, on se met à frissonner encore plus…
Que va-t-il donc bien pouvoir se passer dans la troisième partie ?

   Twinkle   
16/10/2007
Vivement la suite!

   minette   
1/11/2007
j'attend la troisième partie avec une grande impatience...

   Anonyme   
13/7/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Comme le dis Bidis, Otus est un habile mais aussi un bon écrivain. Incroyablement plongé dans cet écrit, j'en chavire sous l'impatience lorsque les mots "A suivre" frappe mes yeux... Vivement le prochain épisode, j'en salive d'avance.


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