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Fantastique/Merveilleux
ROBERTO : Le livre
 Publié le 08/08/08  -  4 commentaires  -  13101 caractères  -  21 lectures    Autres textes du même auteur

Un amateur d'ouvrages anciens découvre un livre apparemment très vieux. Alors qu'il découvre un univers incroyable à la lecture du grimoire, le monde change autour de lui...


Le livre


Il était incroyablement vieux, non pas une vieillesse telle qu’on la rencontre avec des ouvrages datant des premiers pas de l’imprimerie, couverture de cuir usé et fermoirs en cuivre patiné, non, une ancienneté encore plus lointaine, beaucoup trop éloignée dans le temps…


J’étais parti à la recherche d’un traité d’architecture romaine écrit en 1820 par un obscur professeur d’université ; le titre m’avait été conseillé par un ami expert en la matière. Les bouquinistes des 4° et 5° arrondissements n’avaient plus de secrets pour moi, chaque enseigne me saluait comme un vieil ami, derrière les vitrines des visages de libraires malins clignaient de l’œil en me voyant.


J’entrai chez Alphonse Baecke, librairie d’origine belge et spécialisée dans les titres introuvables. Les rayons croulaient sous les volumes tombant littéralement en fines poussières de cuir roux. Les papiers d’arches et de vélin tel des feuilles en octobre craquaient au moindre mouvement. Je caressais voluptueusement ces reliures centenaires, geste machinal du bibliophile amoureux. Je me complaisais dans ces nuages de parfums des temps révolus, baiser olfactif des grimoires intemporels oubliés de tous. Des traités de théologie jusqu’aux maximes des philosophes grecs, ma main courait, fraternellement unie aux feuillets jaunis et aux illustrations finement imprimées par l’intermédiaire des plaques de cuivre gravées avec patience par les émules de Dürer. Les prix demandés ne m’effrayaient nullement, sacrifiant tous mes loisirs à cette folle manie, cette quête insensée de ce qui n’est plus.


Juché au sommet d’une bibliothèque acajou aux lisérés dorés, je LE vis, branche morte parmi la frondaison de cet arbre décrépi d’un savoir perdu… Son format n’était guère usité, plus grand que les encyclopédies du XVIII° siècle, plus épais aussi. La couverture semblait être faite d’un bois précieux au sujet duquel je me perdais en conjectures ; les feuilles étaient épaisses, rugueuses, ni en papier, ni en papyrus, les feuilles auraient pu être de plastique si l’antiquité évidente du volume n’interdisait pareille supposition !


Les caractères étaient éminemment helléniques, bien que très imparfaitement dessinés. Ma connaissance de cette langue me permettait de déchiffrer le titre et les premières pages. J’eus beau fouiller les tréfonds de ma mémoire, je ne pus comprendre le sens des premières phrases, sorte d’imprécations à une divinité inconnue du panthéon classique. Le titre, aussi hermétique, me paraissait appartenir à une culture étrangère : GHORL NIGRAL.


Le libraire fut tout étonné de ma découverte et semblait ignorer la présence de cet étrange livre dans son fonds de commerce ; puis, en bon vendeur se ressaisit très vite et prit un air professionnel pour me le présenter comme une antiquité très rare qu’il venait de découvrir en rachetant des fonds de grenier.


Bien que n’étant pas dupe, j’acceptais le prix raisonnable qu’il me proposa et fier comme Artaban, je sortis avec mon nouvel ami sous le bras.


Monsieur Baecke me suivit des yeux avec une insistance particulière, ayant retrouvé cet air étonné et, mais c’était ridicule de ma part de penser une chose pareille, comme un vague effroi dans le regard !


Le livre est maintenant sous mes yeux, je le traduis à petites doses, aidé d’une loupe puissante qui transforme mon œil en une chose ronde, grotesque et démesurée, rivé sur les lignes dansantes de ce texte venu d’ailleurs. Une muraille de dictionnaires de grec ancien ainsi que des notes datant de mes cours d’universités me séparent de la réalité d’un monde où ce Ghorl Nigral n’a pas sa place. Le livre évoque en général des légendes qui ressemblent au Livre des Morts tibétain, d’autres passages étant plus proches de la tradition d’Égypte ancienne. Là où réside l’étrangeté de ce texte, est que l’auteur semble avoir connu toutes ces civilisations, ces dieux et avoir parcouru le monde antique de la lointaine Tiahuanaco de Bolivie en passant par la mystérieuse Ib tout aussi inconnue que ce légendaire plateau de Leng qui revient souvent dans le texte. Il prétend avoir vu mourir l’empire d’Hyperborea et vu disparaître l’antique MU ; il a récité des prières aux forces des ténèbres en haut des montagnes du continent gelé et survolé la Cité sans nom…


La seconde partie du livre est tout aussi obscure, plus secrète encore ! Je pense à un traité de démonologie, tarabiscoté en allégories à caractères prophétiques. On y découvre des figures géométriques, des pentacles au centre de combinaisons chiffrées qui font renaître en moi de bien mauvais souvenirs d’étude…


D’ailleurs, j’ai trop mal à la tête, ces céphalées ont probablement pour origine la lecture soutenue à l’aide de la loupe et cela use mes nerfs optiques ! Mais il n’y a pas que la traduction qui me fatigue, il y a aussi cette curieuse sensation d’engourdissement, cette « présence » qui colle à moi telle une ombre maudite. Je la sens depuis que j’ai ouvert le livre, lampe d’Aladin dont serait sorti un mauvais génie.


Je dois être ensorcelé ou devenu dément ! Malgré les migraines, je suis plongé presque vingt-quatre heures par jour dans ce grimoire… J’en oublie de manger et ne dors qu’un nombre minimum d’heures et d'un sommeil agité de rêves absurdes sur fond de menaces indistinctes. D’où viennent ces citadelles aux formes aberrantes ? D’où proviennent ces nuées éblouies de lueurs crépusculaires ? Pourquoi ces édifices donnent-ils l’impression d’une hauteur sans limites sous un ciel d’un vert maladif ?


Ces images m’agressent souvent pendant ma lecture du livre, elles traversent mon champ de vision, semblent émerger des pages, déchirent les lignes noires des lettres en fulgurantes brisures d’éclairs révélant des cités pourrissantes sous des soleils d’un autre univers.


Je dépéris véritablement ! Ne réponds plus au téléphone, ni aux amis et visiteurs qui s’aventurent encore à sonner à ma porte. Je ne me lave ni ne mange quasiment plus ! Telle une marionnette attachée aux fils d’un destin ténébreux, je ne sors de mon lit que pour me précipiter dans mon bureau où m’attend la table de torture délimitée par des piles de notes ayant comme arc-boutant mes dictionnaires. Entre quelques tasses de café sales et mon ordinateur, trône sur une petite écritoire l’objet haïssable de ma névrose, ce livre infect qui m’enchaîne un peu plus chaque jour.


Le ciel, MON ciel, n’est plus comme avant… La pièce où se trouve mon bureau s’est également modifiée… Les murs semblent plus hauts, le papier peint a été remplacé par de hautes sculptures représentant des êtres au front bulbeux, au corps protéiforme. Le plafond me nargue à une distance nettement plus élevée que par le passé, l’éclairage provient… provient d’où ? Par les fenêtres où rideaux et tentures ont disparu, j’entrevois ma ville qui n’est plus ma ville... Les maisons ont été gommées par un architecte fou qui les a remplacées par un décor de cauchemar. Le fleuve s’est agrandi démesurément au sein d’une végétation précambrienne. Des monolithes grandioses fendent cette mer d’émeraude de phalanges maudites. Je distingue aussi dans le lointain une ville dont l’aspect général me rend malade, des dômes géants et boursouflés d’excroissances hideuses aux couleurs étranges, temples aux angles non euclidiens, ponts reliant des masses noires percées d’ouvertures (portes ou fenêtres ?) cachant Dieu sait quelles horreurs ! Une brume traîne lâchement entre ces dinosaures de pierre, plongeant l’ensemble de ce paysage sous une glauque chape de vapeurs délétères.


Est-ce le professeur Danfort qui m’avait parlé de ce livre qui rend fou et peut même provoquer la mort ? Je ne l’ai pas cru, attribuant cet enthousiasme pour le fabuleux à sa formation d’historien des religions. Ou est-ce mon ami Andersen ? Quelle bibliothèque avait-il cité : la British ?... La Vaticane ?... La Mazarine de Paris, La Miskatonic d’Arkham ?... Je ne sais plus…


Je traduis les derniers livrets, maintenant les arcanes de la genèse de l’univers n’ont plus de secrets pour moi… Les disciples de Descartes et de Bergson sont bien fous d’imaginer le monde aussi simple et logique ! Je vais éditer une traduction de ce livre, avec les commentaires adéquats, ce sera l’œuvre de ma vie, dussé-je y sacrifier le restant de mes jours…


JE NE SAIS PLUS OÙ JE SUIS… C’EST HORRIBLE… J’ai essayé de sortir de chez moi pour me détendre un peu, pour fuir ce livre, ses figures géométriques, cette hallucination permanente… je pensais trouver le repos de l’âme en cheminant dans les rues de mon quartier… IL N’Y A PLUS DE RUES !


Rien que cette végétation déjà observée par la fenêtre du bureau. Tout cela est donc bien réel et non l’effet de mon imagination d’un esprit fatigué. Ces arbres que nul botaniste n’a jamais vus qui encerclent d’énormes blocs de pierre où il me semble reconnaître le travail des hommes (?) dans la régularité de leur conception. Et toujours, au loin, cette ville abominable qui semble se rapprocher de moi en une marée multiforme d’obélisques, de portiques, de cathédrales arborescentes. Ma propre maison s’est métamorphosée en une sorte de cube géant, prolongé aux quatre coins par des colossales cariatides polymorphes et hybrides. J’ai erré quelques heures dans ce dédale luxuriant de fausse jungle et ce que j’ai entr'aperçu parmi les cyclopéennes masses d’architecture m’a arraché un hurlement d’épouvante et submergé de dégoût ! Sous quel ciel de malédiction une telle réalité blasphématoire a-t-elle pu naître ? Les créatures qui ont construit cette hallucinante cité n’appartiennent pas à notre univers, échappent aux lois du tableau de Mendeleïev. Il est INADMISSIBLE que de telles formes de vie puissent être le produit d’une identique combinaison chimique à celle connue sur terre ; je me refuse à admettre cela !


J’ai couru vers ma maison, enfin si ce mot a encore un sens par rapport au gigantesque bunker informe qui l’a remplacée ! Par curiosité, j’ai parcouru les couloirs qui sinuent aux étages supérieurs ; ce ne sont que d’autres grandes salles comme mon « bureau » où gisent des masses de papyrus, de grandes feuilles couvertes de hiéroglyphes indéchiffrables aux figures symboliques dont certaines me sont familières.


Il m’a semblé percevoir un son étrange, comparable à une lente reptation d’un corps dont je préfère NE PAS imaginer la forme ! Dieu ! Si l’une de ces créatures devait venir à moi…


Comment revenir vers mon époque, ma ville, mon bureau aux meubles de chêne soigneusement poli.


Quelle incantation formuler ; je n’ose essayer quoi que ce soit de peur de déchaîner un cataclysme sur le monde !... Je dois y réfléchir…


Tout a changé… sauf moi et cette feuille sur laquelle j’écris ces lignes, probablement mes derniers mots… Un soleil de sang s’est jeté derrière les frondaisons des arbres gigantesques pour laisser une nuit pesante tendre un linceul de suie sur ce monde étranger. J’ai écrit des caractères étrangers comme si cela m’était naturel, je pense et j’écris comme « eux »… Je n’ai plus ma tête à moi, au propre comme… au figuré !... Il me semble qu’un étranger s’insinue inexorablement dans mon ego, physiquement et mentalement. Insidieusement, ma chair se modifie, mes mains deviennent grises, ma peau souffre d’une détérioration squameuse qui rend mes mouvements difficiles.


J’ai vu l’un des leurs de très près, il y a quelques instants, au lever du soleil ; il rampait dans la pièce à côté de la mienne… C’est ÉNORME, énorme et sans forme précise, avec plusieurs organes vitreux et très mobiles que je suppose être des yeux… CELA ne semblait pas s’inquiéter de ma présence, maintenant je devine pourquoi… J’ai abaissé mon regard vers mon corps… Je ne supporterais pas ce changem…



* * * * *



Il existe une maison abandonnée dans un quartier calme où un spectacle curieux attend l’officier de police qui finira par forcer la porte du Docteur Charles WARREN, porté disparu depuis déjà plusieurs semaines. Un bureau en désordre avec en son centre une table de travail encombrée de feuilles couvertes d’une écriture nerveuse, encadrant un curieux et volumineux ouvrage fort ancien.


Dressée en un petit mont de plusieurs dizaines de centimètres de hauteur, une quantité importante de poussière gît de façon incongrue au centre de la pièce. Si d’aventure les autorités s’avisent d’analyser cette poussière, ils découvriront certainement l’origine organique de celle-ci, probablement un animal de grande taille tombé au stade ultime de la décomposition après des millénaires et des millénaires de décrépitude. Quant à la signification d’une telle présence et concernant l’explication de la disparition de Charles Warren, ils n’hésiteront pas à classer l’affaire plutôt qu’imaginer l’origine de ces éléments incompréhensibles.


Le testament de Warren qui relate cette découverte du livre et ses conséquences ravira un psychiatre comme preuve du délire que peut engendrer un cerveau humain malade.


Le GHORL NIGRAL sera offert à une grande bibliothèque universitaire qui prudemment le confinera dans sa « réserve spéciale »…


 
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   xuanvincent   
8/8/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Le thème - du livre qui rend fou le lecteur - et le côté fantastique de l'histoire m'ont intéressée.

La nouvelle m'a paru dans l'ensemble assez bien écrite. L'écriture du tout premier paragraphe (pour la description de l'ancienneté du livre) cependant m'a moins plu.

Détail : "4è et 5è arrondissements" me paraissent préférables à "4° et 5° arrondissements".


La structure, en deux parties, m'a plu. Toutefois, pour la deuxième j'ai été un peu surprise par l'emploi du futur et me suis demandée qui était le narrateur.

   dude   
10/8/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai trouvé à ce texte un petit côté lovecraftien.
Cette descente dans la folie du personnage est bien écrite, même si j'ai trouvé certaines transitions plutôt abruptes.
Le sort du héros est assez prévisible, la trame générale étant assez classique.
Au niveau du style, le vocabulaire est riche et diversifié, et les descriptions sont impeccables. On s'imprègne bien de l'ambiance.
Mon passage favori reste l'introduction: le personnage est campé en quelques lignes et je trouve qu'il est dépeint de manère très crédible, ce qui renforce l'impact de la suite.
Un bon texte!

   Anonyme   
20/8/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bravo pour l'imagination et pour la culture, les références sont bien choisies et pas trop nombreuses.
On entre bien dans le texte et il est mystérieux et oppressant à souhait!
La progression se fait petit à petit et on sent que le personnage ne peut plus revenir en arrière.
L'intellect du lecteur est stimulé et chacun peut voir ce "monde" décrit à la façon qui lui parle le mieux.
Arazzi

   Bidis   
3/11/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Après avoir frissonné à la lecture de l'"Homme qui tombe", je reste, avec cette histoire de livre démoniaque, dans l'atmosphère étrange que Roberto a l'art de mettre en place.
Je trouve excellent le glissement progressif dans le fantastique.
Excellent aussi le style, mais ici aussi j'aurais une petite remarque : dans ce passage, "un linceul de suie sur ce monde étranger. J’ai écrit des caractères étrangers comme si cela m’était naturel, je pense et j’écris comme « eux »… Je n’ai plus ma tête à moi, au propre comme… au figuré !... Il me semble qu’un étranger s’insinue inexorablement dans mon ego...", "étranger" revient par trois fois et je n'ai pas l'impression que ce soit voulu.


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