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Sentimental/Romanesque
toc-art : Les absents
 Publié le 27/05/19  -  20 commentaires  -  24298 caractères  -  190 lectures    Autres textes du même auteur


Les absents


Louise posa la marmite fumante sur la table.


– Tu vas faire quoi, cet après-midi ?


L’homme haussa les épaules. C’était chaque fois la même chose. Quand il revenait chez sa mère, Laurent devenait irritable, maussade, désagréable. Et la conscience même de ce changement renforçait sa mauvaise humeur. À près de quarante ans, il se sentait redevenir un petit garçon capricieux et n’aimait pas ça.


– Je te sers ?


Laurent tendit son assiette sans dire un mot.


– Tu veux le sot-l’y-laisse ? Tu as toujours aimé ça, tu te souviens, les disputes avec ton frère… ?


Sans attendre la réponse, Louise remplit l’assiette de son fils qui fit mine de la retirer après la première louche.


– Attends voyons ! Tu n’as même pas de poivrons. Tu veux un peu de sauce ? Elle a l’air réussie, je suis contente, j’avais un peu peur… à force, je crois que j’ai perdu la main.


Louise se tourna vers Laurent en quête d’une protestation qui ne vint pas. Celui-ci restait obstinément muet, presque hostile. Et cette fois encore, sa propre réaction l’agaça. Comme souvent désormais, lui venaient à la fois l’envie d’embrasser Louise et celle de l’agresser. Verbalement, bien sûr. Cette double tentation – étouffées l’une comme l’autre mais pour des raisons différentes – le prenait dès que la voiture avançait dans l’allée bordée de rhododendrons qui menait au perron où sa mère se tenait, le guettant comme un chasseur sa proie. Du moins était-ce ainsi que l’homme analysait la scène devenue rituelle, en ayant malgré tout conscience de n’être pas forcément juste. Ces pensées contradictoires et confuses le firent soupirer. Laurent leva les yeux vers sa mère. Les cheveux blancs ramenés en un chignon fait à la hâte d’où s’échappaient quelques mèches indociles, les yeux noirs ombrés de cernes violacés – ses yeux de tragédienne aurait dit son père, entre agacement et tendresse selon les jours –, les joues rougies d’être restée trop longtemps au-dessus des fourneaux à surveiller la marmite où mijotait le poulet crétois, son plat fétiche, celui qu’elle préparait dès qu’il s’annonçait. Qu’elle faisait de moins en moins depuis qu’il avait pris la décision d’espacer ses visites, un peu plus chaque fois, jusqu’à ce que le souvenir du dernier retour s’estompe, que cette mélancolie morose et un peu aigre qui l’enveloppait comme un linceul se déchire enfin dans son quotidien bousculé de père célibataire.


Sa mère ne se plaignait pas. Il fallait lui reconnaître ça. Et Laurent était convaincu qu’il n’y avait aucun message caché, pas le moindre semblant de reproche dans ses propos, juste un constat : son veuvage ne lui donnait plus l’occasion de concocter de bons petits plats, voilà tout. Pour moi toute seule, quel intérêt, répondait-elle à Laurent chaque fois qu’il l’exhortait à s’y remettre. C’est vrai que ton grand-père a continué jusqu’au bout, lui, tu te souviens, ses ragoûts de pommes de terre ? Je ne tiens pas de lui, il faut croire… Quel âge avait-elle ? Laurent fit rapidement le compte. Elle avait eu Paul à trente ans, puis lui presque huit ans plus tard, une vraie surprise, si on s’attendait, ton frère, lui, on l’a voulu tandis que toi… avait-elle coutume de dire avant d’enchaîner, et alors ? On ne t’en a pas moins aimé pour autant ! Quand j’écoute tous ces psys à la télé, ça me fait bien rire ! Laurent continuait de l’observer : à près de quatre-vingts ans, et malgré ses cheveux qu’elle mettait un point d’honneur à ne pas teindre et son éternelle blouse trop large, elle semblait encore épargnée par les atteintes de l’âge. Laurent s’était longtemps demandé pourquoi elle ne s’était pas remariée. Ou même, sans aller jusque-là, pourquoi elle n’avait pas refait sa vie. Peut-être, depuis toutes ces années, avait-elle eu un ou des amis de passage dont elle avait jugé inutile ou inconvenant de lui parler ? Laurent n’avait jamais osé lui poser la question. Elle n’interrogeait jamais son fils sur sa vie privée, s’était abstenue de tout commentaire quand Mélanie l’avait quitté, le laissant seul avec leur fils qui n’avait pas trois ans à l’époque. Sans doute attendait-elle la même discrétion de lui, du moins expliquait-il ainsi son propre silence. Ta lâcheté plutôt, corrigea-t-il.


– Quoi ? Qu’est-ce que j’ai ? Louise se passa la main sur le visage, trompée par le regard insistant de son fils. Je me suis mis de la sauce sur la figure ?


Laurent secoua la tête.


– Non, non, c’est juste que… Laurent s’interrompit. Et s’il lui posait la question, là, comme ça, sans réfléchir ?

– Quoi ? fit Louise en s’asseyant en face de lui.

– Rien, rien… Je me demandais…


Au dernier moment, il se ravisa :


– Tu veux pas que je t’emmène en ville ? On pourrait faire les boutiques. Je te vois toujours avec cette blouse informe.


Louise ne perçut pas son trouble :


– Bah, c’est pas toujours la même, voyons, j’en ai plusieurs, tu n’aimes pas ? Je les avais eues chez Nacer, tu sais, le magasin à côté de la grand place, ça doit bien faire dix ans. Elles n’ont pas bougé, c’était de la qualité, ils ont fermé l’année dernière. Louise soupira avant de reprendre : Et puis, je peux te dire que c’est bien pratique, surtout avec Matisse, tu sais comment il est, toujours à sauter.


Laurent considéra d’un œil sceptique le vieux golden qui ronflait dans son panier. Voilà bien longtemps que la pauvre bête ne sautait plus sur personne. Elle avait eu du mal à se lever pour accueillir Laurent et l’homme n’aurait su dire si ses gémissements témoignaient de sa joie de le revoir ou de la douleur provoquée par le moindre de ses mouvements. Louise poursuivait :


– Et puis, tu sais, je ne suis pas recluse ici, je ne suis pas si vieille, je conduis encore. C’est juste que j’ai plus trop envie en ce moment, voilà tout, tous ces efforts qu’il faut faire, tous ces gens, rien que d’y penser, ça me fatigue, alors…


Louise regarda son fils puis elle reprit après une hésitation :


– Mais si tu n’as rien de prévu, je voudrais bien que tu m’accompagnes cette fois. Ça fait si longtemps…


Laurent ne lui demanda pas de préciser la destination, il la connaissait et bien sûr, elle avait raison, il y avait bien longtemps qu’il n’était plus allé au cimetière. Il n’en voyait pas l’intérêt.


Comme son fils ne relevait pas, Louise enchaîna :


– J’espérais que Marco viendrait avec toi. Ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu. Il va bien ?

– Tu sais comment il est, fit Laurent tout en coupant le pain, je lui ai proposé mais rien que l’idée de faire la route avec son vieux con de père a dû le faire fuir.

– Ne dis pas ça, je l’ai de temps en temps au téléphone, il n’est pas si méchant, tu exagères.

– Ah ça, ça ne m’étonne pas de toi ! s’emporta Laurent comme s’il n’attendait que cette occasion de laisser exploser sa mauvaise humeur. J’ai l’impression d’avoir déjà vécu le même genre de scène, c’est exactement ce que tu disais à papa quand Paul se foutait de sa gueule !

– Ne me parle pas sur ce ton, s’il te plaît. Et puis, tu as tort. Paul et Marco n’ont rien de commun.


Laurent souffla pour masquer l’inquiétude qui le minait depuis quelque temps en voyant le comportement de son fils changer. Et s’il était comme eux ? S’il avait hérité de cette même tare, de cette putain de fragilité qui faisait des hommes de sa famille des morts prématurés ?


– C’est facile pour toi de dire ça, tu n’as jamais cherché à comprendre.


Louise se leva brusquement, faisant sursauter son fils :


– Tu peux m’expliquer ce qui se passe ?

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Ton attitude ! Pourquoi tu m’en veux à ce point ? Pourquoi venir ici t’est devenu aussi insupportable ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Tu crois encore que tout ça, c’est ma faute, après tout ce temps ?

– Non, c’est pas ça…

– Quoi alors ? s’impatienta sa mère.

– Je… Laurent hésitait… J’ai de plus en plus de mal à revenir ici, désolé, c’est pas toi, enfin, pas seulement.


Laurent évita de regarder Louise. Il la connaissait bien, il savait qu’elle avait haussé les sourcils, ses lèvres se contractant en une petite moue dubitative, presque dédaigneuse. Il reprit sans s’y attarder, refusant de se laisser distraire, poussé par la certitude aiguë, un peu enfantine, que c’était le moment ou jamais.


– On n’a jamais vraiment parlé de papa et de Paul, commença-t-il d’une voix enrouée.

– Mais pourquoi tu veux encore remuer tout ça ? l’interrompit sa mère. C’est si loin… à quoi bon ?

– Ben justement, tu sais, Marco a presque l’âge de Paul quand c’est arrivé. C’est bizarre, j’ai parfois l’impression que tout va se répéter. J’ai besoin de savoir, s’il te plaît. Je sais que tu n’aimes pas ça mais quand je vois l’attitude qu’a Marco avec moi, je me demande si… Laurent ne finit pas sa phrase, l’inquiétude le terrassait, l’empêchant presque de respirer. Et puis, reprit-il après une longue inspiration, chaque fois que je reviens, j’ai l’impression qu’ils sont encore là, qu’ils attendent quelque chose, je ne sais pas quoi, je sais bien que c’est bête, hein, mais…

– Tu ne devrais pas t’inquiéter comme ça. Marco te ressemble, il est fort. Mais il a seize ans, c’est normal qu’il t’en veuille, pour tout et pour rien, ça n’a rien à voir avec ce qui s’est passé. Tu le sais bien, non ?


Laurent secoua la tête avant de lever les yeux vers Louise.


– Peut-être bien, je ne sais plus trop pour être franc… Mais toi, tu ne m’as jamais dit : je ne comprends pas pourquoi tu as voulu rester là. Pourquoi tu n’as pas vendu ?


Louise se rassit lentement. Elle souriait mais seules ses lèvres avaient bougé, son regard semblait lointain, presque vide.


– Pourquoi je n’ai pas vendu ? murmura-t-elle d’un air songeur. C’est drôle, figure-toi que je me suis posé souvent cette question. Pour toi, déjà… Louise se tourna vers son fils qui s’apprêtait à protester. Elle leva la main pour l’arrêter : Je sais, je sais ce que tu penses, mais tu es encore jeune, tu peux encore changer d’avis. En vieillissant, souvent, on a besoin de se rattacher au passé. Mais pour être honnête, ce n’est pas la seule raison…


Louise sembla se replonger dans ses pensées. Laurent attendit qu’elle reprenne :


– Tu sais, se décida-t-elle après quelques secondes, je vois bien comment tu m’observes, ce que tu penses même si tu ne le dis pas. Je n’ai pas oublié cette conversation que tu as surprise quand je parlais avec ta tante. J’ai vu le regard que tu m’as lancé. Tu as toujours eu tendance à fixer les gens sans rien laisser deviner de tes pensées, tu tiens ça de moi, tu te souviens, ton père parlait de mes yeux de tragédienne, eh bien, on pourrait dire la même chose de toi, au masculin bien sûr. Louise surprit la réaction de son fils. Tu peux sourire, mais c’est vrai, tu me ressembles quoi que tu en penses. Bref, pour revenir à cette conversation avec Claudine, tu as cru que… Louise poussa un soupir, en fait, je ne sais pas trop ce que tu as cru, que j’étais dure, insensible sans doute, que je n’avais pas assez aimé ton père ou que je ne voulais pas me poser de questions sur ce qui s’était passé…


Laurent baissa la tête tandis que sa mère continuait :


– Ce n’est pas ça, tu sais, mais que voulais-tu que je fasse ? Tu étais là, toi, il a fallu que je m’accroche, que je tienne bon, et c’est vrai, j’en ai voulu à ton père, il m’a lâchée, c’est peut-être injuste et dur à entendre pour toi mais c’est ce que j’ai ressenti et encore aujourd’hui… Comment a-t-il pu nous faire ça ? Comment a-t-il pu renoncer à se battre ? s’exclama Louise. Il adorait ton frère, sans doute aussi parce que Paul avait été très malade petit, on avait failli le perdre et puis, la mort de Paul est arrivée au pire moment, ton frère était en pleine crise d’adolescence, tous les prétextes étaient bons pour s’en prendre à ton père. Je pensais que ça passerait avec le temps mais justement, le temps a manqué. Je crois que c’est ce qui a été le plus dur pour ton père, de n’avoir pas pu se réconcilier avec lui et d’imaginer que peut-être, si les choses s’étaient arrangées entre eux, tout cela ne serait pas arrivé.


Louise poussa un long soupir avant de lever les yeux vers son fils qui gardait obstinément le front baissé. Elle avança la main vers lui.


– Voilà, c’est ça que tu voulais entendre ? Tu sais, ton père et moi on s’aimait, ça n’a pas été facile tous les jours mais on s’aimait, vraiment. Tu es adulte, maintenant, tu sais bien comment c’est, ça n’est jamais simple. Mais la mort de Paul, ça a tout changé. Certains couples résistent mais pour d’autres… Ton père s’est laissé mourir et je lui en ai voulu, c’est vrai, parce que j’ai eu le sentiment que ni toi ni moi n’étions assez importants à ses yeux pour l’obliger à se battre. Je ne dis pas que c’était vrai parce qu’il t’aimait beaucoup, toi aussi, mais c’est ce que j’ai pensé sur le moment et c’est pour ça que j’ai répondu ça à ta tante. Parce que j’étais malheureuse et je me sentais trahie, abandonnée. Pour me venger, je crois, pour lui faire mal, même s’il ne pouvait plus m’entendre, le pauvre. Et aussi, ajouta Louise sur un autre ton, parce que ta tante m’agaçait avec ses démonstrations de pleureuse, tu me connais.


Laurent sourit malgré lui à cette dernière réplique. Il fallait bien reconnaître que les mines éternellement compassées de tante Claudine donnaient envie de la bousculer plus que de la consoler.


– Toi aussi, il a bien fallu que tu réagisses quand Mélanie est partie, non ? Pour Marco…, reprit Louise.

– C’est vrai, tu as raison, mais c’était différent, presque plus facile au début. Maintenant, je ne sais plus, il est devenu si distant. Il m’en veut pour le départ de sa mère, il croit que c’est moi qui l’ai poussée à partir. Et je ne peux rien dire, il ne comprendrait pas. Parfois, j’ai le sentiment qu’il me hait.

– C’est juste une phase, tu verras, bientôt il sera assez mûr pour comprendre.


Laurent soupira longuement.


– On verra bien, j’espère… En tout cas, contrairement à toi, moi j’ai eu besoin de changer d’air quand elle est partie, de quitter l’appartement. Tout me faisait penser à elle, c’était insupportable. Toi, l’idée ne t’a jamais effleurée ? Tu n’aurais pas préféré vendre, quitter tous ces souvenirs, cette ambiance… ?


Louise se laissa aller contre le dossier de la chaise. Elle parcourut la pièce du regard en hochant la tête.


– Je reconnais que c’est devenu vieillot, ça aurait besoin d’un bon coup de pinceau mais, comment t’expliquer ça : c’est chez moi ici. Cette maison, on l’a choisie avec ton père, on l’aimait. Enfin, pour ton père, je crois qu’il a surtout aimé les rhododendrons, ils étaient en fleurs quand nous avons visité la maison pour la première fois. Un sourire éclaira son visage. On a fait les travaux, choisi les meubles, j’ai arrangé le jardin, ton père a monté l’abri qui vous a longtemps servi de salle de jeux, il en était si fier… Je sais que lui aussi aurait voulu qu’on vende après la mort de Paul, ou même qu’on brûle tout, j’exagère à peine, mais comment te dire, pour moi, toute notre vie était là, pas seulement la nôtre mais celle de Paul. J’ai plein de souvenirs de lui ici, je le revois dans le jardin, son premier tour à vélo et ses cris quand il est tombé dans les orties, la cicatrice qu’il s’est faite à la main en voulant aider papa à construire le poulailler, ses éclats de rire quand je l’arrosais l’été pour qu’il ait moins chaud… Pour toi, et pour ton père aussi, vous ne voyez que les mauvais souvenirs, mais pour moi, tous ces moments, tous ces endroits, c’est tout ce qui me rattache à lui désormais, à lui et à ton père aussi, tu comprends ?

– Je croyais que…

– Quoi ? Que je me moquais de tout ça ? Comment as-tu pu penser ça ?


Submergée par l’émotion, Louise se leva brusquement, tournant le dos à son fils. Je vais me changer, ajouta-t-elle après quelques secondes, on partira juste après si ça te va, on prendra le café au retour.


Laurent ne répondit pas. Il resta un long moment immobile à attendre que les battements de son cœur se calment. Enfin, il se leva, et tandis que sa mère s’affairait à l’étage, il débarrassa la table et mit les assiettes dans le lave-vaisselle. Le chien s’était réveillé. Il observait Laurent en gémissant doucement. Celui-ci se tourna vers lui :


– Tu veux sortir ? Allez viens, on va prendre l’air en attendant maman.


Une fois dehors, Laurent s’enfonça dans le jardin, tentant de remettre de l’ordre dans ses pensées. Les confidences de sa mère l’avaient déstabilisé. Il se trouvait idiot. Il avait cru tout savoir, tout deviner, comme on le croit à l’adolescence mais il n’était plus si jeune, il était peut-être temps qu’il mûrisse, qu’il accepte que tout ne soit pas d’un seul tenant. Et puis, tout cela remontait loin désormais, il devait bien admettre au fond de lui qu’il ne se souvenait même pas vraiment. Il avait souvent entendu dire que les événements graves s’imprimaient définitivement dans la mémoire, avec une précision chirurgicale, mais ça ne s’était pas vérifié pour lui, et peut-être était-ce aussi bien. Les premiers temps, bien sûr, il y avait eu ces nuits peuplées d’arbres aux branches nues où des corps suspendus balançaient mollement dans le vent, le visage de son frère décliné à l’infini dans cette forêt d’ombres bleues, ses yeux ouverts qui ne voyaient plus rien et ce cri terrifiant qui emportait tout et donnait à l’enfant qu’il était encore l’envie de fuir sans qu’il y parvienne jamais, tétanisé, fasciné, horrifié, ne comprenant pas la scène qui s’imposait à lui ou ne voulant pas comprendre… Laurent avait mis longtemps à saisir que ce cri qui le paralysait venait du plus profond de son ventre, lui arrachant les entrailles et traversant la nuit pour le ramener encore et toujours à ce moment précis. Lui, courant sous la pluie, maudissant le chien, leur premier golden, qui aboyait au fond du jardin sans vouloir s’arrêter, devant le petit chalet de bois dont il refusait de s’éloigner, les yeux fixés sur Laurent et continuant d’aboyer, le garçon arc-bouté sur la poignée de la porte qui résistait – le bois gonflait toujours un peu les jours de pluie –, cette odeur d’herbe mouillée qui montait du sol et puis, plus forte que tout, celle des lilas qui saturait l’air humide. Enfin, la porte qui cédait, le chien qui se précipitait, gémissant désormais, et la silhouette de Paul, aérienne, irréelle, qui se découpait dans la lumière grise…


Après quelque temps, les cauchemars avaient cessé et il n’était plus resté que le vide et l’absence. Depuis, rien de vraiment précis, juste ce brouillard laiteux d’où surgissaient par vagues, de façon aléatoire et désordonnée, des images et des flashs, la voix de son frère surtout, rarement son visage dont le souvenir s’était estompé rapidement, et son rire, ah son rire, inattendu, irrépressible, qui faisait sursauter leur père quand il était préoccupé, tu ne peux pas rire normalement ? Il faut toujours qu’il en fasse trop, ton fils, achevait-il en se tournant vers sa femme. Louise redressait la tête comme sous la caresse d’un compliment : Il a le rire de papa. Laurent sourit en y repensant. Elle était forte, l’air de rien. Elle l’avait toujours été. Presque dure parfois, c’est vrai. Corsetée par une force intérieure qui la faisait paraître peut-être insensible. Ou l’était-elle vraiment ? Laurent n’avait jamais trop bien su, malgré l’affection qu’il lui portait. Après le suicide de Paul, quand leur père avait voulu couper les lilas, j’ai l’impression qu’ils nous narguent, s’ils ne nous avaient pas caché la vue, nous aurions peut-être aperçu la lumière, su qu’il n’était pas sorti, deviné… Louise n’avait pas mâché ses mots : tu dis n’importe quoi. Paul est mort et les lilas n’ont rien à y voir. Tu veux aussi brûler le chalet pendant que tu y es ? Ou bien tuer le chien ? Après tout, il nous a avertis bien tard. J’ai planté ces lilas à la naissance des garçons et il n’est pas question qu’on y touche. Monsieur Serrac n’avait rien répondu, s’était contenté de hausser les sourcils. Bien que surpris par le ton coupant de sa mère, Laurent n’avait pas compris tout de suite ce qui était en train de se jouer. Ce n’est qu’après, en y repensant, et en grandissant aussi, que certaines choses s’étaient précisées. La mort de son frère avait inversé l’équilibre du couple, au moins l’équilibre apparent. Désormais, c’était Louise qui décidait. Sans hausser le ton ni donner l’impression de commander, elle s’imposait avec assurance tandis que monsieur Serrac s’étiolait peu à peu, se confinant dans le souvenir de son fils aîné jusqu’à ne plus trouver la force ni l’envie de lui survivre.


Le cancer l’avait emporté à peine un an après la mort de Paul. Avec un certain sentiment de gêne, Laurent n’avait pas éprouvé un grand chagrin. Au fond, il ne connaissait pas son père. Presque jusqu’à la fin, Jean Serrac avait caché sa maladie à sa femme et à son fils. Laurent avait été attristé d’apprendre par la suite qu’il avait cependant écrit à d’anciens collègues, qu’il ne voyait plus depuis des années, pour les informer de son état de santé. Contrairement à ce qu’avait prétendu sa mère, sans doute pour le protéger, le jeune homme n’y avait pas vu le souci de les préserver, elle et lui, mais bien plus la confirmation que son père se sentait incompris ou ignoré au sein de sa propre famille. C’est vrai que les garçons avaient toujours été plus proches de leur mère et Paul, surtout les derniers temps, s’opposait régulièrement à lui, particulièrement au moment des repas. Pas de façon frontale, non, mais à grand renfort de réparties moqueuses, toujours aux frontières de l’insolence, laissant monsieur Serrac souvent désarmé. Louise ne disait rien, faisant mine de ne rien remarquer quand son mari se tournait vers elle en quête d’un soutien qui tardait à venir. Mais non, tu te fais des idées, tu sais comment il est, ça va passer. Et puis, c’est vrai que tu es toujours sur son dos, ça n’est plus un gamin, commençait-elle avant de s’adresser à son fils : arrête un peu, toi aussi, tu sais bien qu’il prend tout au premier degré, pourquoi tu l’asticotes ? Tu trouves ça drôle ? Ben moi non, et j’aimerais bien pour une fois pouvoir manger tranquille. Paul hochait la tête en souriant d’un air entendu, visiblement satisfait.


Laurent avait suivi cela de loin, il était encore trop jeune pour comprendre tout, et pour tout dire, l’attitude de son père l’agaçait. Pourquoi ne tapait-il pas du poing sur la table ? Pourquoi n’envoyait-il pas bouler Paul, tout simplement ? Sous l’apparente arrogance de son fils aîné, avait-il déjà perçu les symptômes d’une fragilité que personne ne soupçonnait encore ? Laurent n’avait jamais su ce qui avait conduit son frère au suicide. Paul n’avait laissé aucune explication, en dehors d’un laconique « désolé, j’ai essayé mais je n’y arrive pas » qui n’expliquait rien ou presque et personne n’en parlait, du moins devant Laurent. Bien plus tard, après la mort de son mari, Louise aurait ces fameux mots à l’attention de tante Claudine qui se désolait de ces deux décès rapprochés : Jean avait beaucoup de qualités mais il a toujours été faible. Je n’aurais jamais dû l’épouser, une femme a besoin d’un homme entre ses bras, pas d’un enfant. Et malheureusement, sous ses airs bravaches, Paul était comme lui. C’est peut-être pour ça qu’il en voulait autant à son père d’ailleurs. Claudine avait manqué s’étouffer d’indignation. Laurent avait surgi dans la pièce, son regard avait croisé celui de sa mère manifestement surprise. Il l’avait presque détestée ce jour-là. Aujourd’hui, Laurent ne savait plus quoi penser. Le nœud qui lui comprimait la poitrine semblait s’être un peu desserré, laissant la place à un sentiment de lassitude. Peut-être fallait-il y voir le début d’un apaisement ? Le visage de Marco s’imposa devant lui, réveillant ses craintes. C’était cela l’important, désormais, le reste…


Louise rejoignit son fils dans le jardin. Perdu dans ses réflexions, Laurent ne l’avait pas entendue arriver.


– Tu admires les lilas ? Elle lui prit la main. Ils sont magnifiques, hein ? Je suis contente qu’on les ait conservés.


Laurent sentit la pression de ses doigts menus dans sa paume. Il se tourna vers sa mère. Elle regardait droit devant elle, les yeux brillants, elle frissonnait. Il se pencha vers elle.


– Oui, maman, ils sont magnifiques, murmura-t-il.


 
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   plumette   
5/5/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Merci pour ce texte !
je me suis identifiée à la fois à Laurent et à Louise.
La première scéne amène avec beaucoup de réalisme le malaise de Laurent face à sa mère, malaise dont il se sent coupable car il ne sait pas exactement ce qu'il lui reproche.

Voilà deux êtres qui s'aiment , mais dont les sentiments se sont figés autour de deuils quasi impossibles.

Dans la vraie vie, il est bien rare que les non dits puissent se dénouer à la faveur d'une bonne et dense explication, mais la littérature permet cela, se donner une chance de résoudre ces douleurs enfouies, de clarifier ces points d'ombres qui obscurcissent nos avenirs.

Les absents et les silences occupent souvent plus de place que les présents et les paroles!

Votre écriture amène avec douceur cette histoire de vie comme je les aime et comme j'aime les écrire, si je dois apporter un petit bémol, ce sera juste pour dire que j'ai trouvé quelques longueurs dans le récit de la mort du père et de sa relation difficile avec Paul. J'ai été dérouté qu'il soit nommé avec son patronyme, j'ai pensé que c'atait pour éviter des répétitions, mais cela a mis une distance étrange avec ce "père".

Plumette

   vb   
6/5/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Bonjour,

Ce texte est un texte abouti, quelque chose de très rond qui semble refléter un univers complet, difficile à déchiffrer ; et c'est justement cette difficulté, cette complexité, qui lui donne tout son charme. Pourquoi Paul s'est-il suicidé? Le lecteur ne le saura jamais, mais il a le sentiment de sentir la réponse à portée de main, que tous ces personnages tangibles comme s'ils étaient vrais ont tous une part de la réponse, même le chien, même les lilas !

Voici donc mes notes de lectures :

* Quelques difficultés au début du texte - alors que l'on ne connaît pas vraiment les protagonistes présents - à comprendre que Louise et la mère sont la même personne.
* "par (le) regard insistant"
* "la question" oui, quelle question? Cette manière subtile d'insérer l'intrigue du récit m'a captivé.
* "chez Nacer" Je ne connais pas Nacer mais cela m'a donné l'impression de ne capter qu'une partie de l'univers de l'auteur. J'ai trouvé ça bien.
* Il faut un tiret à "grand(-)place"
* Pas de majuscule après deux points. Je mettrais des guillemets ("reprendre : "Et puis..."
* Je ne suis pas vraiment d'accord avec les virgules:
+ Mais(,) pour être honnête
+ mais(,) c'est vrai
+ Tu sais(,) ton père et moi,
+ adolescence(,) mais
+ et(,) pour tout dire,
* Certaines incises dans les dialogues devraient être mieux distinguées des répliques par exemple par des demi-cadratins ou des parenthèses (Louise surprit la réaction de son fils. pleureuse (-) tu me connais. Un sourire éclaira son visage. Tu ne peux pas rire normalement - phrase que j'a adorée, mais que j'ai dû relire deux fois car la ponctuation m'avait dérouté). L'incise "s'exclama Louise" m'a semblé inutile : on sait que Louise parle et aussi qu'elle s'exclame.

J'ai adoré la manière d'introduire un certain suspens. La phrase "ce qui s'était passé" est un véritable cliff hanger mais ça fontionne! C'est seulement à partir du mot "corps suspendus" que je me suis rendu compte qu'on parlait d'un suicide.

J'aime les descriptions où on ressent les odeurs et là j'ai été comblé "forêt d'ombres bleues", "odeur des lilas qui saturaient l'air humide", "aérienne, irréelle".

Les personnages sont évidemment très profonds. On a le sentiment qu'ils sont si profond qu'on ne les comprendra jamais vraiment : "inverser l’équilibre du couple", "ignoré au sein de sa propre famille".

J'ai aimé l'expression "corsetée par une force intérieure".

Toute mes félicitations à l'auteur pour ce très beau texte, car mes remarques négatives ne sont - il faut le dire - que des broutilles!

   FANTIN   
6/5/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Une longue nouvelle, bien écrite, qui met à jour avec sensibilité et courage un traumatisme, un de ces événements familiaux, ensevelis et passés sous silence, qui bouleversent durablement la vie, l'équilibre, l'avenir, sans que le sujet tabou soit jamais abordé de front.
Mais différer ne sert à rien; tôt ou tard la vérité finit par faire surface et les questions, lancinantes et taraudantes, par trouver leurs réponses.
Ici la crise se dénoue quand l'histoire semble sur le point de se répéter, et toute la tension accumulée s'évacue comme, après un orage, le ciel redevient serein.
Un texte attachant qui analyse avec justesse et profondeur les rapports humains et familiaux et libère la parole.

   Corto   
7/5/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Cette nouvelle très bien construite est émouvante par son réalisme et sa complexité.

La relation du fils à sa mère jointe aux souvenirs lointains mais si présents du frère suicidé puis du père décédé sont mis en forme avec talent.

Beaucoup de lecteurs pourront se retrouver dans cet amour/agacement qui vient de si loin et de si près, car la vie a continué pour chacun malgré les bouleversements douloureux.

De plus l'évocation de la génération suivante, le jeune Marco, à qui ressemble-t-il ? comment se comportera-t-il dans la vie ? est amenée subtilement pour compliquer un écheveau sentimental déjà si complexe.

Les générations vivent leur époque avec leurs bonheurs et leurs douleurs, elles font écho sur les plus jeunes et tout l'entourage.

En découvrant cet épisode on y sent une portée universelle qui sous de multiples formes se reproduit à l'infini dans diverses familles.

Bravo à l'auteur.

   Mokhtar   
10/5/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Explications entre mère et fils, du moins dissipation de malentendus, après deux deuils.
Le texte tourne autour d’une femme, forte, qui se tient et se maintient malgré les malheurs. Et les quatre hommes de sa vie, avec leurs faiblesses, leur fragilité.
Son aîné s’est suicidé, sans donner plus d’explications que son mal de vivre. Ses heurts avec son père, fréquents à l’adolescence, n’apparaissent pas clairement comme cause du drame. Il est souvent difficile de discerner les causes de suicide chez les jeunes gens. Mais pour le père, il n’y a pas de doute. Il est ravagé de culpabilité, et la maladie qu’il accepte, sans se battre, l’aide dans son renoncement à la vie. Sa femme lui en veut, elle qui reste seule avec son second fils, abandonnée.
Son cadet, trente ans plus tard, croit revivre le même schéma dramatique. En conflit lui-même avec son fils ado, il est naturellement tourmenté par la crainte que son fils ait en lui la tare héréditaire du suicide. Et il rompt l’éloignement et le silence le séparant de sa mère pour en savoir plus, recherchant des non-dits, revenant sur l’ambiguïté de conversations surprises.
Et l’on en vient à ce qui me semble être le cœur du texte. Cette femme forte, au regard de tragédienne, qui a géré au mieux le conflit père-fils, qui a tenu la barre pour élever le cadet pour qui elle garde la maison, au cas où… Cette mère, solide dans le malheur (comme souvent le sont les femmes)… Cette mère aimait-elle, aime-t-elle ses hommes ?
Cette façon qu’elle a eue de prendre en main la direction de la famille ne cache-t-elle pas une certaine indifférence pour la mort de son fils, puis son mari.
Ce sentiment, alimenté par l’équivoque d’une conversation mal interprétée, sera, semble-t-il évacué par des explications probantes. Et par la symbolique des lilas, maintenus envers et contre tout par cette mère, un peu introvertie, pas assez expressive pour démontrer son amour.
J’ai apprécié la lecture et la relecture de ce texte, bien rédigé, qui cherche à aller au fonds des choses.
Je n’ai pas trop adhéré au passage exprimant le questionnement du fils s’étonnant que sa mère n’ait pas refait sa vie, vendu la maison. Ce n’est pas un souci de fils, me semble-t-il. Et le « ta lâcheté plutôt », qui semble être une réflexion interne, passe mal à mes yeux.
Mais j’ai été très intéressé par les démêlés psychologiques de ces deux personnages, brossés avec soin et crédibilité

Mokhtar, en EL

   costic   
12/5/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Texte sensible pour un sujet grave mais qui sait éviter le pathos. Les réactions , les sentiments évoqués paraissent très justes et naturels. L'écriture simple rend ce récit poignant et maintient l’intérêt du lecteur jusqu'au bout.

   maguju   
27/5/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un très joli texte plein d'émotion contenue.
Vous avez su décrire avec beaucoup de finesse les difficultés de communication que rencontrent parfois les membres d'une même famille; surtout quand ils sont confrontés à des événements aussi douloureux qu'un suicide. Votre style est impeccable, sans fioriture, au service de votre histoire. J'ai passé un moment de lecture très agréable.

   hersen   
27/5/2019
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Une atmosphère lourde, confinée, qui s'appuie à mon avis un peu trop sur le pathos.
je dirais pour ma part (et l'on peut tout à fait ne pas être d'accord !) qu'il y a trop une volonté de tout expliciter.
un drame familial à tiroirs dont on ne voit guère le bout, sauf à supposer que le fils va se réconcilier avec sa mère au bénéfice des lilas.

Je n'y crois pas trop.

Non pas à l'histoire. Mais la narration nous donne un condensé, nous faisant croire que les personnages vivent ce drame tous les jours.
Il est pour moi difficile d'être d'accord, non pas avec ce que ressentent les personnages, mais de l'empreinte que ces événement laissent. (ça, du coup, je ne sais pas bien éclaircir ce que je dis pour l'instant, peut-être qu'il me faut un peu plus de recul pour trouver les mots)

Le point que j'ai trouvé vraiment très intéressant, par contre, est ce père qui a peur qu'il y ait un "cycle" et que son propre fils pourrait le perpétuer.
j'aurais pour ma part préféré cet angle de l'histoire, car plus de portes, à mon avis, auraient été ouvertes et donné lieu à de la surprise, tandis que partir de la mère, en retraçant l'histoire malheureuse de cette famille, donne un côté trop figé au récit.

Dans la forme, quelquefois une insistance trop marquée, comme par exemple au début : "il devenait irritable, maussade, désagréable".
Un seul adjectif aurait suffit, sans doute, mais finalement, cela illustre bien ce que j'essaie d'expliquer sur le fond.

je ne peux pas dire que j'aie lu avec déplaisir, mais je n'ai pas été impliquée dans l'histoire, je suis restée à côté et de ce fait, ai trouvé la lecture un peu longue.


merci pour la lecture.

   GillesP   
28/5/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Dans cette histoire, le passé resurgit peu à peu, c'est par petites touches que le lecteur comprend progressivement ce qui se joue entre le fils et la mère. J'ai trouvé ça plutôt habile, car on a envie de savoir ce que reproche au juste Laurent à sa mère.
La fin est un peu longue, pour moi: quand on est dans les pensées de Laurent, il y a beaucoup d'explicitations d'éléments qu'on a déjà perçus.
Au plaisir de vous relire.

   Sylvaine   
28/5/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une histoire émouvante et habilement menée, le lecteur ne découvrant que progressivement la nature du drame qui a eu lieu. Le début installe avec finesse l'atmosphère alourdie par tous les non-dits qui se sont épaissis entre la mère et le fils. Puis Louise décide de crever l'abcès, renouant ainsi le fil d'une communication depuis longtemps interrompue, ce qui permettra aux deux protagoniste, non seulement de mieux se comprendre, mais peut-être de guérir ultérieurement la blessure du deuil.

   senglar   
28/5/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour toc-art,


Que dire sinon que voici une nouvelle à la trame et à l'écriture superbement maîtrisées. Il y a de la mesure et il y a de la pudeur. Un fils y découvre sa mère au travers de ses propres difficultés. Et il prend conscience de ce qu'il ne doit pas être s'il veut éviter le naufrage de son propre rôle de père.
Il est évident aussi que ce sont les deux forts qui sont restés et que ce qui va les réunir c'est la faiblesse de l'héritier comme si elle devait se perpétuer de génération en génération.
Les deux protagonistes ont compris qu'ils devaient unir leurs forces pour vaincre le signe indien sous l'oeil vigilant d'un chalet, d'un lilas et d'un cimetière.
Pour se construire sur un terreau mortifère la vie n'en sera que plus forte.


Bon titre qui évite intelligemment le recours à un incipit.

Bravo !


senglar

   Malitorne   
29/5/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Je ne suis pas friand de ces huis-clos psychologiques, j'avoue m'y ennuyer. Pas d'action, pas de changement de cadre, juste une mère, son fils et le poids du passé. Vous vous livrez à une dissection des rapports familiaux suite à un suicide, des non-dits et des interprétations qui en découlent. Je comprends l'objectif mais trouve le procédé un peu poussif, laborieux. Pour preuve cette première partie où les choses ne sont pas clairement dites, expliquées, et la deuxième partie où d'un seul coup tout est déballé comme si vous aviez craint de perdre le lecteur. Vous lui donnez vite les clés pour comprendre.
D'autres apprécieront certainement ce type de drame familial épuré, moi il me manque des éléments narratifs dynamiques pour me capter. Un simple dialogue n'est pas suffisant.
L'écriture est convenable bien qu'il me semble avoir lu des choses meilleures de votre part, peut-être aussi parce que je n'ai pas adhéré au thème.

   Eva-Naissante   
29/5/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour,

Votre écriture est soignée, maîtrisée et assez agréable à lire.
Une certaine forme d'authenticité se dégage de votre texte et permet au lecteur de se projeter dans le rôle du personnage principal, dans cette situation intime, triste mais également dramatiquement banale (l'absence de communication au sein d'une famille en souffrance, la difficulté du deuil).
Le rythme lent me parait adapté au thème.

Il me manque cependant quelque chose, ce petit quelque chose qui, pour moi, fait la différence entre une histoire bien travaillée et une histoire qui emporte...

Merci pour ce partage,
A vous relire,
Eva-N.

   Donaldo75   
30/5/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Salut toc-art,

D’ordinaire, je ne suis pas fan de ce type de nouvelle ; cependant je te sais expert en la matière et généralement tes écrits me vont bien, alors je tente le commentaire.

Côté écriture, rien à redire, c’est soigné, cohérent, dans un style qui convient à l’histoire. La narration également est travaillée et l’angle d’approche ne varie pas : le lecteur doit lire entre les lignes pour comprendre le pourquoi du malaise entre les deux protagonistes. Personnellement, je préfère cette approche plutôt que les nouvelles où tout est expliqué comme dans une notice de montage de meuble en kit. Ici, j’ai plissé les yeux, ridé mon front, inspiré fortement pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de l’affaire. Puis, magie de la narration, l’explication est venue de Laurent, quand ce dernier s’est enfoncé dans le jardin pour remettre de l’ordre dans ses pensées. « Eureka ! » ont crié mes neurones cartésiens qui avaient cerné une partie du mystère. Mes neurones créatifs n’ont pour leur part pas réellement applaudi ni sifflé ; je pense qu’ils ne s’attendaient pas à un miracle, un retournement de situation, un renversement de table, une révolution de palais. Ils ont juste dit « Ouf ! ». Pour ce qui est de l’émotion contenue dans cette nouvelle, elle est bien canalisée même si la longueur des explications dont je parlais précédemment la phagocyte un peu trop, à mon goût.

Bref, en dépit du fait que ce ne soit pas ma tasse de thé à la bergamote, que je ne m’extasie pas béatement devant ce type de nouvelle, en général, j’ai bien aimé. Et ça, c’est l’essentiel à mon goût, d’où mon commentaire. Je te préfère quand même dans les enquêtes policières.

   JasminKelzief   
31/5/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Classique dans les thèmes autant que dans la forme mais très bien maîtrisé.
Votre écriture est surprenante de simplicité : bien rythmée et bien dosée, elle sait se faire efficace.

S'il m'est quelques fois arrivé d'être frustré de ne pas avoir plus de détails, de description poussée des actions des personnages, cette frustration m'est finalement passée car servant assez bien l'histoire : l'urgence n'est pas dans la représentation, elle est dans l'émotion.


J'ai beaucoup apprécié la toile du pendu. Probablement l'exemple le plus pertinent pour préciser mon intro.


Un bémol cela dit : la construction du paragraphe commençant par "Après quelque temps, les cauchemars avaient cessé" me déconcerte un peu, notamment au niveau des phrases
"et son rire, ah son rire, inattendu, irrépressible, qui faisait sursauter leur père quand il était préoccupé ***, tu ne peux pas rire normalement ? Il faut toujours qu’il en fasse trop, ton fils, achevait-il*** en se tournant vers sa femme."

et

"Après le suicide de Paul, quand leur père avait voulu couper les lilas ***, j’ai l’impression qu’ils nous narguent, s’ils ne nous avaient pas caché la vue, nous aurions peut-être aperçu la lumière, su qu’il n’était pas sorti, deviné…***"


Si je comprends l'effet désiré, il m'apparaît toujours un peu lourd (dans la seconde citation plus que dans la première cela dit)


Sur ce : merci pour le partage et des bisous !

   Cairote   
4/6/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Mes remarques sont en bonne partie un mélange de celles qui précèdent : un texte très bien construit, un style simple et bien adapté au contexte, qui rendent bien l’atmosphère, et quelques (rares et légers) bémols.
J’ai beaucoup aimé les éléments trouvés pour décrire le trouble de Laurent quant à son propre agacement au début (« il se sentait redevenir un petit garçon capricieux et n’aimait pas ça. », l’envie d’agresser verbalement sa mère, l’idée qu’elle attend son arrivée comme un chasseur guettant sa proie). Par contre certaines phrases du paragraphe « Louise se tourna […] célibataire. » m’ont paru un peu maladroites ou lourdes (surtout la dernière).
J’ai aussi ressenti un peu d’impatience, presque de l’ennui, à un certain point de la lecture : un « petit quelque chose » (mais quoi ?) aurait été bienvenu pour maintenir l’intérêt avant le début des révélations.
J’ai trouvé un peu contradictoire que Laurent semble reprocher à sa mère d’avoir gardé la maison (par indifférence présumée, je suppose), mais aussi se demande pourquoi elle n’a pas refait sa vie, ne s’est pas remariée.
Au milieu du paragraphe « Après quelque temps… », la phrase « Quand leur père a voulu couper les lilas, j’ai l’impression… » me semble un effet de style qui ne fonctionne pas bien, peut-être parce qu’il est trop isolé. Cette appellation de « monsieur Serrac » aussi, ne me paraît pas judicieuse.
J’ai été touché par le laconique « désolé, j’ai essayé mais je n’y arrive pas », qui ressemble assez à mon expérience personnelle (lors du suicide de parents).
Un texte réussi, en ce qui me concerne.
À vous relire.

   solo974   
5/6/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour toc-art,
Ta nouvelle m'a beaucoup émue - à titre personnel.
J'ai trouvé le titre très bien choisi : il réunit à titre posthume, en effet, les deux protagonistes qui n'ont réussi ni à se comprendre, ni à s'aimer, de leur vivant.
Les dialogues ajoutent beaucoup, selon moi, à ton texte : on rentre progressivement dans la psychologie de la mère et de Laurent et j'ai tout particulièrement apprécié cette évolution.
Le thème - difficile s'il en est - du suicide d'un être proche est abordé avec beaucoup de tact et de finesse.
Merci pour ce texte et bravo !

   Anonyme   
10/6/2019
Compliqué de commenter ce texte.
Je dirais que je l’aime et ne l’aime pas exactement pour la même raison dans un cas comme dans l’autre. Je dirais que c’est de l’hyper-réalisme. Hyper parce qu’il ne manque pas un mot pour que la situation soit complètement décrite, complètement comprise par le lecteur. Hyper parce qu’il n’y a pas de manichéisme, que toutes les nuances sont développées. Développer les nuances, ça prend de l’espace et donc, ça donne un texte long pour un contenu donné.

On assiste d’abord à une rencontre pour rien comme il s’en est certainement produit beaucoup avant celle-là et il n’est pas impossible, à ce stade, que celle-ci bascule définitivement du côté de la rupture, vraisemblablement une rupture « douce », qui ne dit pas son nom, les visites de Laurent s’espaçant jusqu’à devenir inexistantes, ou que la mère ne meure. On sent que la côté vers lequel se produira le basculement dépend essentiellement de Laurent, de sa capacité à dépasser sa résistance à mettre la discorde sur le tapis, cette résistance étant peut-être vaincue davantage pour son fils que pour sa mère.
Finalement, s’il n’y pas à proprement parler de happy end – il ne pourrait pas réellement y en avoir puisque le passé ne peut être modifié – ont peut néanmoins dire que le lilas de la discorde est devenu le lilas de l’apaisement. En demandant à son fils s’il admire les lilas, la vraie question posée par la mère est « Est-ce que, après toutes ces années, on ne peut pas ranger le passé là où il doit se trouver et repartir sur des bases saines pour les années qui restent ? ». En répondant à sa mère « Oui, maman, ils sont magnifiques », la vraie réponse donnée est une acceptation. Elle est murmurée parce que cette acceptation n’est pas facile, mais elle est donnée.

Ce n’est peut-être pas le genre de textes que je préfère lire, préférant un milieu entre le non-dit et le tout-expliqué, mais il y a, c’est évident, un très grand soin apporté dans l’écriture, la précision et la vraisemblance de la situation décrite. Hyperréaliste, donc.
Incontestablement, une réussite dans ce genre-là.

   solane   
11/6/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Ce texte est émouvant par sa réalité; je pense que chacun peut s'identifier à l'un ou l'autre des personnages. Pour moi, je me sens proche de Paul qui n'ose pas agresser son père de front mais utilise l'ironie jusqu'à l'insolence. Ce qui m'a le plus frappé est la qualité de dialogue entre Laurent et sa mère, après tant de drames. A sa manière, cette nouvelle est un éloge de la famille: on s'aime malgré tout.
Merci pour cette lecture.

   Lulu   
6/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un texte d'une excellente qualité !

J'ai adoré cette finesse dans la psychologie de tes personnages… Je me souviens d'avoir découvert ton écriture au travers de ton roman, mais je me rends compte que je préfère encore plus tes nouvelles qui me semblent, finalement, plus fines, et mieux écrites. Y passerais-tu plus de temps sur l'équivalent en terme de production de textes ? de mots ? Le résultat, ici, me semble si au top. Il y a de quoi imaginer avec détails ce qui est dit et ce qui est tu. Il y a une belle tension dramatique, et ce, juste entre ces deux principaux personnages qui disent ou ne disent pas.

J'aime beaucoup le titre, également… Un point fort parfaitement développé…

Je crois que j'ai eu le réflexe de comparer avec ton roman car, ici, nous ne sommes pas confrontés à des péripéties, mais à une vraie tension liée à la psychologie des personnages. En fait, je préfère, même si ce sont deux démarches différentes pour des histoires et des résultats qui n'ont pas nécessairement à être comparés.


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