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Poésie en prose
anektoda : À une Bacchante
 Publié le 30/05/13  -  6 commentaires  -  2353 caractères  -  100 lectures    Autres textes du même auteur

"Celui qui ne voit rien d'étrange n'a jamais regardé un homard en face."

Auguste Villiers de l'Isle-Adam


À une Bacchante



Il est 12 h 45, le chat miaule une fois, dehors le voisin pétarade dans les jonquilles, le tuyau d'arrosage fait pschuuiiit sous la véranda.

L'Ancien remue le coude – un frisson parcourt l'assemblée – desserre à peine les dents pour faire glisser la première vierge.

Le père brandit un couteau et attaque une couvée mousseuse qui dormait dans son nid avant de faire suer une motte de beurre dont le dos vient s'écraser sur les arêtes d'un pain bis.
À 10 h 30 le cousin débusque une poignée de bulots camouflés sous un taillis d'algues. Il les empale au bout d'un cure-dents, les plonge dans un bain glacé de mayonnaise et les jette entre ses mâchoires qui claquent comme un étendard au vent pour affoler les chairs résistantes.
Sans la moindre hésitation et avec une précision chirurgicale, la tante fait gicler le jus d'un citron droit au cœur d'une huître qui se recroqueville sous l'assaut. Le feston de son manteau se tend, s'agrippe en blanchissant sur la valve, la frange de ses cils tremble, elle se redresse et pousse un long cri d'agonie étouffé dans l'épaisseur de ses glaires silencieuses.
D'un mouvement sec du menton, la tante encourage le petit qui hésite encore, attendri devant les palourdes qui gazouillent en faisant des bulles, et caresse d'une main distraite les praires frémissantes et ouvertes sur leur lit de glaçons.

Un peu en retrait sur la rive gauche, l'oncle décapite une procession de crevettes roses et fraîches. L'une après l'autre il place les têtes sur le billot de ses lèvres pour sucer leurs cerveaux délicats et lorsqu'une femelle féconde pend à ses doigts, il se recueille et s'incline avant de gober la tendre progéniture avec un sourire à peine sournois.
De petits yeux noirs roulent autour de l'assiette, les membres et les viscères gris s'amoncellent en coulisses, les épaules rentrées la tante se faufile dans les rangs pour brancarder les restes dans son tablier blanc.

Tout le monde se fige soudain et regarde vers l'Ancien avec une expression de crainte et de respect mêlés, dans son poing levé un casse-noix jette une lueur folle dans les regards chavirés. Il glisse dans l'atelier une pince de crabe qui craque sans céder tout à fait, l'assemblée essuie un rugissement et se rince les doigts pour s'attabler avec une ardeur renouvelée.


 
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   rosebud   
16/5/2013
 a aimé ce texte 
Passionnément
Formidable court-métrage tout empli d'image saisissantes:
"le voisin pétarade dans les jonquilles"
"une couvée mousseuse qui dormait dans son nid"
"long cri d'agonie étouffé dans l'épaisseur de ses glaires silencieuses"
"les palourdes qui gazouillent en faisant des bulles"
"le billot de ses lèvres"
"de petits yeux noirs roulent autour de l'assiette"
On en mangerait!
Je n'ai pas réussi à savoir si on dit bien "atelier" pour désigner l'ensemble des 2 mâchoires d'une pince à crabe, mais j'en suis sûr, tant l'auteur a cette manie de la précision. Il ne peut pas s'être fourvoyé.
Ca me fait irrésistiblement penser à du Tati; on imagine une bande-son loufoque encombrée de bruits bizarres.
C'est tout à fait exceptionnel, par le sujet choisi et par son traitement.
Au fait, pourquoi "à une Bacchante"?

   Anonyme   
20/5/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Le parti-pris de l'outrance dans la description du massacre d'un plateau de fruits de mer n'est pas pour me déplaire, mis à part deux détails :
- la "vierge" que fait glisser l'ancien ; je suppose qu'il s'agit d'un terme technique, un instrument de dégustation quelconque, voire une espèce de coquillage (je n'ai pas ergardé dans le dico), mais à mon avis le terme arrive trop tôt dans le texte, jetant le lecteur sur une fausse piste ; c'est sans doute voulu mais, dans la mesure où vous abandonnez tout de suite la fausse piste pour éclairer ledit lecteur, je trouve dommage cette accroche brutale, il me semble que plus de subtilité serait plus percutant ;
- le cri d'agonie de l'huître ; vous avez choisi l'horreur par le réalisme, à mon avis vous devriez vous y tenir de bout en bout ; parce que sinon, j'adore la description de l'huître agressée par le citron !

J'aime beaucoup aussi les "crevettes roses et fraîches" telles des jeunes filles dans une fête champêtre, la lueur folle du casse-noix (très bon choix d'adjectif, pour moi !), le dos de motte de beurre qui s'écrase et les bulots empalés au cure-dents. Dans l'ensemble, à mon avis, un texte expressif, au bon mouvement. Le chapeau est bien vu aussi à mon avis.

   troupi   
25/5/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'apprécie beaucoup l'originalité de ce texte et les nombreuses expressions qui l'enrichissent. Certaines me restent un peu obscures mais cette description hommage à une bacchante est agréable et surprenante à la fois : logique, l'incipit nous avait prévenus.

   brabant   
30/5/2013
Bonjour Anektoda,


Bien, ... de quoi vous dégoûter des fruits de mer pour la vie... Ce poème en prose m'a fait penser à ces films où l'on fait des gros plans sur des gougnafiers qui s'empiffrent et se délectent en tranchant de leurs incisives et en écrabouillant de leurs molaires avec des bruits d'arrachement et de succion : de quoi vous dégoûter également. Lol :)

A bâfrer - ;) - avec une belle paire de baccantes en s'essuyant les doigts dans ses rouflaquettes :)


Pas tristes l'huître, les bulots et les praires (C'est quand même l'huître que je préfère, une totale réussite que son agonie glaireuse en dentelles :))) ).
Les crevettes m'ont fait l'illusion d'une danse macabre et le crabe a craqué "sans céder tout à fait" comme il se doit.

"La grande bouffe" quoi !


Manque peut-être le pouple de la pub...

Lol

Bravo à l'auteur... mais je ne peux pas évaluer un truc (pas péjoratif hein !) pareil. J'ai des haut-le-coeur, m'en vais dégobiller. Z'êtes content de vous là ? :D

   David   
11/6/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour anekdota,

Ce qui est drôle, plaisant, c'est justement que ça ne le devient pas : le récit transforme un repas familial en... quasiment une messe noire autour du bulot, c'est un peu exagéré mais ça ne trahirait pas des citations hors contexte comme :

"L'Ancien remue le coude – un frisson parcourt l'assemblée – desserre à peine les dents pour faire glisser la première vierge."

"elle se redresse et pousse un long cri d'agonie étouffé dans l'épaisseur de ses glaires silencieuses."

"L'une après l'autre il place les têtes sur le billot de ses lèvres pour sucer leurs cerveaux délicats"

"De petits yeux noirs roulent autour de l'assiette, les membres et les viscères gris s'amoncellent en coulisses,"

Ça pourrait faire des répliques de film d'horreurs. Le poème ne joue pas tant l'ambiguïté, on sait très vite ce qui est mangé, c'est plutôt la façon de planter une atmosphère qui a retenu mon attention. J'ai lu une vision un peu semblable de la terrasse d'un restaurant servant des fruits de mer, dans une chanson peut-être, j'aimais bien mais ça jouait plus sur le "cocasse", plus ou moins comme pantagruel, par exemple, mais là il y a un côté pince-sans-rire, où l'expression qualifie bien la qualité de garder son sérieux jusqu'au bout de sa "blague". Un sérieux pas pompeux mais à ses affaires, simplement.

   Anonyme   
28/8/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Premier point, merci pour la citation de Auguste de Villiers de L'Isle- Adam, j'apprécie car j'aime beaucoup depuis de nombreuses années, "Les contes cruels" sont remarquables.

Pour en revenir à votre écrit, c'est là très festif comme lecture, rien ne manque, tout est décrit avec beaucoup de précision et c'est surtout goûteux au possible, l'ambiance est pittoresque, colorée. Je me suis volontiers attardé pour ne rien "louper" du climat qui règne tout au long de ce repas. Les images se succèdent, très évocatrices.

Je ne sais pourquoi j'y ai vu du Maupassant, vos personnages en action sont attachants, très bien campés.


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